Contenu du sommaire : Juristes et relations internationales
Revue | Relations internationales |
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Numéro | no 149, janvier-mars 2012 |
Titre du numéro | Juristes et relations internationales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Jean-Michel Guieu, Dzovinar Kévonian p. 3-11
- La paix par le droit international dans la vision de deux juristes du xixe siècle : le débat Lorimer-Bluntschli - Bruno Arcidiacono p. 13-26 James Lorimer et Johann Caspar Bluntschli ont été parmi les juristes les plus éminents de leur époque. En 1877, après une phase historique émaillée de guerres, le premier proposa un plan de paix axé sur la fédéralisation politique de l'Europe ; le second lui opposa, l'année suivante, le projet d'une Société des Nations de nature différente, qui confierait un rôle décisif aux six puissances majeures agissant de concert. Mais ils considéraient l'un et l'autre que le droit international ne saurait admettre la perspective de la guerre, et ne pourrait donc exister pleinement sans une réforme radicale du système européen : moins que de « paix par le droit », leur démarche pourrait être qualifiée de « droit par la paix ».
- Les juristes internationalistes français, l'Europe et la paix à la Belle Époque - Jean-Michel Guieu p. 27-41 Dans une période marquée à la fois par la montée progressive des tensions internationales et par l'intérêt nouveau des États pour l'organisation de la paix (conférences de la Paix de La Haye de 1899 et 1907), les internationalistes français cherchèrent à imposer le droit comme le meilleur moyen de réguler les rapports internationaux et de maintenir la paix internationale. Ils développèrent les idées d'interdépendance croissante des États au sein d'une communauté internationale, d'épuisement économique et moral des sociétés européennes sous le régime de la « paix armée », de civiliser la guerre et de recourir à l'arbitrage international. Mais respectueux des souverainetés nationales, leur ambition n'était nullement de remettre en cause la société interétatique de leur temps.
- Ferdinand Larnaude, un « délégué technique » à la conférence de la Paix de 1919 entre expertise et « culture de guerre » - Vincent Laniol p. 43-55 Ferdinand Larnaude, grand juriste républicain et doyen de la faculté de droit de Paris, eut un rôle important en tant que « délégué technique » dans différentes commissions de la conférence de la Paix de 1919, spécialement dans la commission des Responsabilités des auteurs de la guerre. Il utilisa son expertise juridique comme moyen pour négocier d'égal à égal avec des chefs d'État comme Wilson dans la commission de la Société des Nations. Mu par une indéniable confiance dans l'idéal de la « paix du Droit », dans une rénovation du droit international, il n'en était pas moins un patriote suivant les instructions de son gouvernement et hostile à l'ancien ennemi allemand.
- Les juristes, la protection des minorités et l'internationalisation des Droits de l'homme : le cas de la France (1919-1939) - Dzovinar Kévonian p. 57-72 La mise en rapport des trajectoires, positions doctrinales et cadres de références des juristes, rapportée à la question de la protection des minorités et de l'internationalisation des Droits de l'homme en France, permet de ne pas opposer pratiques sociales et normes juridiques. Elle montre la part manifeste que les auteurs originaires des anciens empires russe, ottoman ou austro-hongrois ont apportée à la question entre 1920 et 1940 et de fortes connexions entre ces espaces. L'analyse des thèses de droit produites et des écrits doctrinaux permet d'observer à la fois la plasticité de l'approche juridique des faits internationaux, le poids de l'héritage antérieur dans la distance construite entre faits et normes, comme les contraintes fixées par une institutionnalisation partielle des relations internationales.
- Les juristes nazis face au traité de Versailles (1919-1945) - Johann Chapoutot p. 73-88 Du point de vue des démocraties occidentales, la politique étrangère nazie constitue une odieuse violation du droit, car elle contrevient aux dispositions du traité de Versailles et parce qu'elle nie les droits des autres nationalités. La politique nazie est cependant tout sauf une violence primaire dépourvue d'arguments. La littérature juridique consacrée au traité de Versailles permet d'envisager le point de vue nazi : la Paix de Versailles est, en fait, un acte de guerre ; cet acte de guerre vise à annihiler l'Allemagne du point de vue politique ? en tant qu'État-nation ? mais aussi en termes biologiques. Dès lors, cette fausse paix ne lie pas juridiquement l'Allemagne, car le droit n'est pas respect formel de dispositions écrites, mais action au service de la (sur-)vie du peuple allemand. L'Allemagne est fondée à n'obéir qu'à la seule norme qui vaille pour elle : non pas le droit international (Völkerrecht), mais le droit de la nation (Volksrecht), de la seule nation, du seul peuple qui vaille, le peuple allemand dont les intérêts vitaux sont le seul principe et la seule fin de l'action politique.
- Le refus d'un « nouvel ordre » géopolitique bâti sur la « race » : La Nouvelle revue de droit international privé (1934-1944) - Silvia Falconieri p. 89-100 En 1939, la section doctrinale du quatrième numéro de la Nouvelle revue de droit international privé est tout entière consacrée à la vague de législation raciale qui d'Allemagne s'étend aux autres pays européens, menaçant de bouleverser de fond en comble les fondements du droit international public et privé. Dès les premières années de sa fondation, la nrdip semble comme hantée par les changements que le régime national-socialiste, par sa production normative, est susceptible d'entraîner sur les équilibres internationaux. Quelles sont les préoccupations majeures de Lapradelle et de ses collaborateurs ? Quelle est la position de la nrdip vis-à-vis de ce « nouvel ordre » juridique fondé sur la « race » ? Comment des données comme celles de « race » et de « santé du peuple », propres au domaine de la science biologique, sont-elles mobilisées dans le discours de ces spécialistes du droit international privé ? En répondant à ces questions, cet article détermine la place de cette nouvelle revue, de ses fondateurs et de ses collaborateurs dans le contexte de la science du droit international privé français et européen des années 1930-1940.
- Les publicistes français et la ced, controverse doctrinale et engagement civique - Marc Milet p. 101-113 La signature du traité de Paris qui institue une Communauté européenne de défense est largement impulsée sous la pression des Américains soucieux d'intégrer l'Allemagne à la défense commune. De 1952 à 1954, l'opportunité de la ratification divise violemment les milieux politiques et intellectuels français. Fait méconnu, les professeurs de droit public prennent part au débat public au cours de l'été 1954 dans une importante controverse doctrinale publiée dans la presse nationale. La mise à jour de cet épisode permet de spécifier la nature de l'intervention intellectuelle des juristes de l'après-guerre, qui emprunte à la figure de l'intellectuel spécifique prenant fait et cause sur des questions de droit au nom d'un savoir spécialisé. La controverse juridique rappelle l'importance de la question du transfert de souveraineté dans les clivages qui ne se résument pas à un conflit de guerre froide. L'article contribue à la présentation des « jeux croisés autour du droit » dans la mesure où il montre la corrélation entre les engagements civiques et les prises de position doctrinales alors même que les protagonistes différencient les deux positionnements.
- Notes de lecture - p. 121-125