Contenu du sommaire : Déni de travail. L'invisibilisation du travail aujourd'hui
Revue | Sociétés contemporaines |
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Numéro | no 87, 2012 |
Titre du numéro | Déni de travail. L'invisibilisation du travail aujourd'hui |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Déni de travail. l'invisibilisation du travail aujourd'hui
- Déni de travail : l'invisibilisation du travail aujourd'hui Introduction : Introduction - John Krinsky, Maud Simonet p. 5-23
- La formalisation de l'emploi à l'épreuve du travail invisible : Deux cas de figure de travailleuses de service au Brésil - Isabel Georges, Dominique Vidal p. 25-47 À partir d'enquêtes sur les travailleuses domestiques à Rio de Janeiro et sur deux catégories de travailleurs sociaux récemment créés (les agents communautaires de santé et les agents de protection sociale) à São Paulo, cet article se donne pour objectif d'analyser les effets de la formalisation de l'emploi de femmes employées dans le secteur des services au Brésil. On met en perspective, dans la première partie, le processus de visibilisation juridique à l'œuvre dans ces emplois. On insiste ensuite, à partir d'une analyse de l'activité, sur le travail invisible qui continue à caractériser ces activités, en dépit de la visibilisation juridique des catégories professionnelles des femmes qui les réalisent. On montre enfin comment ces processus de visibilisation juridique en permettent des usages différents, lesquels laissent justement dans l'invisibilité une partie du travail effectué. On s'interroge notamment sur l'impact de la formalisation de l'emploi sur le contenu du travail, en se demandant si la visibilisation juridique contribue à une reconnaissance du travail préexistant ou si elle concourt à sa transformation.The Formalization of Employment as a Test of Invisible Work : Two Cases of Women Service Workers in Brazil. Based on field studies about domestic workers in Rio de Janeiro and two recently created categories of social workers (health community agents and social protection agents) in São Paulo, this article aims to analyze the effects of formalization on female employment in the service sector in Brazil. The first part deals with the ongoing process of juridical visibilization within these forms of employment. Next, the analysis of work insists on the maintenance of invisible work, which still characterizes these activities, in spite of the juridical visibilization of the professional categories of these female workers. Finally, we will show how these processes of juridical visibilization are flexible and keep part of the work invisible. In the end, we will ask about the impact of the formalization of the employment status on the content of work, trying to find out whether juridical visibilization contributes to a better recognition of the preexisting work content or if it contributes to its transformation.
- La servitude et le volontaire : les usages politiques du travail invisible dans les parcs de la ville de New York - John Krinsky, Maud Simonet p. 49-74 En s'appuyant sur une recherche sur les transformations de la main-d'œuvre chargée de l'entretien des parcs municipaux à New York, cet article se propose de montrer combien le travail des bénévoles d'une part et celui des allocataires de l'aide sociale contraints de travailler d'autre part (workfare), s'avèrent, depuis la crise budgétaire des années 1970, nécessaires au bon fonctionnement, voire à la survie du département des parcs et jardins de la ville. Si tout éloigne ces deux catégories de travailleurs atypiques qui appartiennent à des classes sociales souvent diamétralement opposées et s'inscrivent dans des rapports au travail d'entretien, des formes de reconnnaissance sociale et des régimes de mobilisation pour le moins différents, travailleurs bénévoles et workfare workers se ressemblent pourtant dans les usages que la municipalité a pu faire de leur travail, un travail non reconnu comme tel et non rémunéré, invisibilisé, au nom de la citoyenneté qu'il exprime ou permettrait de regagner.Servitude and the Volunteer : Political Uses of Invisible Work in New York City's Parks. Based on research on the transformation of the workforce responsible for the maintenance of municipal parks in New York, this article proposes to show how the work of volunteers on the one hand, and that of the workfare workers (welfare recipients forced to “work off” their welfare checks) on the other, have enabled the city's Parks Department to function – and even survive – since the fiscal crisis of the 1970s. From the standpoint of social class, these two categories of atypical workers are often diametrically opposed. These differences inscribe themselves in the workplace as they carry out maintenance tasks : they are subject to different forms of supervision and types of motivation. Nevertheless, volunteer workers and workfare workers are similar in the use to which they are put by the city government. Their work is not always recognized as such, they are not understood to be workers, and their work is unpaid : it is rendered invisible as work in the name of the citizenship volunteers enact or the citizenship workfare workers must try to regain.
- Travailleurs inachevés et syndicalisation paradoxale : ce que nous apprend le cas des pompiers volontaires - Romain Pudal p. 75-97 Cet article est consacré au service public d'incendie et de secours qui fonctionne en France sur un modèle particulier puisque le volontariat y est massif (près de 200 000 pompiers volontaires soit 80 % de l'effectif total). À côté des professionnels et des militaires, ce sont donc des pompiers volontaires (étudiants, salariés, chômeurs...) qui accomplissent les missions de secours en étant rémunérés à la vacation horaire. En partant de l'idée de J.-N. Retière selon laquelle depuis plusieurs années la compétence supplante le dévouement comme qualité principale d'un volontaire, nous montrons les effets actuels de cette évolution en terme de professionnalisation croissante de cet engagement. Celle-ci génère des tensions et des contradictions internes que plusieurs réformes récentes relevant d'une privatisation des services publics viennent encore accentuer. Face à l'injonction au professionnalisme dont ils font l'objet, les pompiers volontaires commencent à se syndiquer, phénomène qui marque une nouvelle étape dans un processus de visibilisation et de reconnaissance de ces travailleurs inachevés.Not-Quite-Workers and Paradoxical Unionization : What Can be Learned from Volunteer Firefighters. French fire departments are staffed by professional civil servants and volunteers, but in fact, 80% of French firefighters are volunteers. For years, it has been clear that the volunteers did the job without wages. This changed when they began to be paid for their commitment – a few euros per shift. Even though the pay is ridiculously low, some firefighters – especially the youngest ones who are jobless – live with this “pay”. In this article, I try to understand to what extent this situation has created new relations between coworkers, new conceptions of the work, and new perceptions for the volunteers who see themselves as real workers without the professional status. Moreover, some recent political reforms reinforce this process by developing many different statuses for French firefighters : you can be professional, volunteer, or hired with a private contract for a short time (e.g., a few months, a summer job). This article analyses this evolution of public services in France, the multiplicity of statuses among the workers, and specifically a new phenomenon, namely, the creation of Volunteer Firefighters' Unions, which are similar to the professionals' unions. This mobilization of volunteers is a crucial way to observe what John Krinsky called “constructing workers”.
- Contester et subir : formes et fondements de la critique sociale des travailleurs détenus - Fabrice Guilbaud p. 99-121 À partir d'enquêtes de terrain dans sept prisons, l'article porte sur la critique sociale formulée par des détenus (femmes et hommes) au sujet de leurs conditions d'emploi et de salaire. Le décalage entre leurs conditions et le droit commun (absences de contrat de travail et de protection sociale, salaire à la pièce), l'expérience vécue du travail (en prison et avant) et la connaissance de l'actualité sociale sont au fondement de répertoires d'actions concentrés sur la faiblesse des salaires et le niveau des cadences. Malgré l'interdiction du droit de grève, la critique sociale peut se transformer en action collective. Les détenus sont conscients de subir un déni de droit ; leurs discours et leurs pratiques montrent qu'ils se considèrent comme des travailleurs salariés et qu'ils agissent comme tels.Challenge and Suffer : Forms and Foundations of Inmate-Workers' Social Criticism. Based on fieldwork in seven French prisons, the article deals with social criticism expressed by inmates (women and men) about their employment conditions and wages. The gaps among their conditions and the common law (absence of employment contracts and social protection, piece wages), their experience of work (in prison and before) and their knowledge of social issues give rise to repertoires of contention focused on low wages and production rates. Despite the prohibition of the right to strike, social criticism can turn into collective action. Inmates are aware that they suffer the denial of rights. Their speech and practices show that they consider themselves as employees and act as such.
Hors dossier
- L'État selon Pierre Bourdieu - Rémi Lenoir p. 123-154 Alors qu'il s'obligeait à ne pas utiliser le mot État dans ses travaux jusque dans la deuxième moitié des années 1980, Bourdieu lui a consacré son cours au Collège de France pendant trois ans (1989-1992). Pourquoi ? Leur édition récente permet de répondre à cette question. Il s'en explique lui-même en retraçant la sociogénèse de l'État en Europe, depuis le XIIe siècle en relation avec ce qu'il appelait depuis le début des années 1970, le « champ du pouvoir ». Cet intérêt pour l'État doit l'essentiel à ses études sur les modes de domination et ses enquêtes sur les différentes fractions de la classe dominante (la « noblesse d'État ») qui ont beaucoup contribué à l'élaboration de la notion de capital symbolique dont l'accumulation primitive, est, selon Bourdieu, au fondement de l'émergence de l'État, principal agent et instrument primordial de construction de la réalité sociale.The State According to Bourdieu. Though he forced himself not to use the word State in his work until the second half of the 1980s, Bourdieu devoted his lectures at the Collège de France to it for three years (1989-1992). Why ? A recent volume helps answer this question. He explains himself by tracing the sociogenesis of the state in Europe since the twelfth century in connection with what he called “the field of power” in his work since the early 1970s. This interest in the State owes much to his studies on the modes of domination and his investigations into the different fractions of the ruling class (the “state nobility”), which contributed significantly to the development of the notion of symbolic capital. The primitive accumulation of symbolic capital is, according to Bourdieu, at the basis for the emergence of the state, the main agent and primary instrument of the social construction of reality.
- Science de la science de l'État : la perturbation du chercheur embarqué comme impensé épistémologique - Thomas Alam, Marion Gurruchaga, Julien O'Miel p. 155-173 L'article poursuit la réflexion sur le renouvellement des méthodes d'enquête en lien avec les transformations contemporaines des politiques de recherche. Comparant trois expériences de recherche, l'article étaye le potentiel heuristique de nos engagements réflexifs dans la réforme de l'État. La participation observante et l'ethnopraxie permettent d'avoir accès en direct à la machine réformatrice et de se départir des approches scolastiques de l'action publique. Surtout, l'article s'intéresse aux perturbations induites par la présence du chercheur embarqué sur et par son terrain. Comme le processus d'indigénisation n'est jamais abouti, le chercheur commet nécessairement des impairs, des gaffes, des perturbations, dont l'analyse s'avère féconde pour une science de la science de l'État.Science of the Science of the State. The Perturbation from the Embedded Researcher : an Epistemological Dilemma. The article further develops the reflections on the renewal of inquiry methods in line with the contemporary transformations of research policies. Comparing three contrasting research experiences, it details the heuristic value of our reflexive engagement in the State reform. Observant participation and ethnopraxy grants direct access to the reform machinery, and depart from scholastic approaches of public policies. Above all, they inquire about the disturbances that we create on the ground as embedded researchers. As the researcher can never become a genuine native, he necessarily makes blunders, gaffes, perturbations whose analysis can prove fertile for a science of the science of the State.
- L'État selon Pierre Bourdieu - Rémi Lenoir p. 123-154