Contenu du sommaire : D'une "mémoire européenne" à l'européanisation de la "mémoire"
Revue | Politique européenne |
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Numéro | no 37, octobre 2012 |
Titre du numéro | D'une "mémoire européenne" à l'européanisation de la "mémoire" |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- D'une « mémoire » européenne à l'européanisation de la « mémoire » - Sarah Gensburger, Marie-Claire Lavabre p. 9-17
- La mémoire européenne en action : Acteurs, enjeux et modalités de la mobilisation du passé comme ressource politique pour l'Union européenne - Oriane Calligaro, François Foret p. 18-43 L'usage de la mémoire comme ressource politique par les institutions européennes ne renvoie pas nécessairement à la création d'un mythe fondateur sur le modèle de l'État-nation. Si la recherche du « grand récit » est bien présente parmi les motivations des acteurs, elle coexiste avec des stratégies visant d'autres types de légitimation ou poursuivant des intérêts de court terme. La montée en puissance d'une mémoire européenne ne signifie donc pas la fin des versions enchantées des histoires nationales. Elle peut proposer des projets alternatifs, s'appuyer sur les imaginaires nationaux pour les dépasser ou les retravailler. Trois scénarios observables sont illustrés dans cet article par une étude de cas. Le premier scénario est l'européanisation de l'intérieur des mémoires nationales : les institutions européennes participent à la mise en valeur de lieux historiques nationaux transformés en « lieux de mémoire européens » ; le deuxième est l'énonciation d'une mémoire spécifique du processus d'intégration européenne : elle passe par le soutien à des réseaux d'historiens spécialistes de l'intégration après 1945, mais également par la promotion d'une « grande histoire » de l'Europe sur la longue durée ; Le troisième assume explicitement une ambition de doter l'UE d'un grand récit des origines autonome des histoires nationales. Le débat sur l'héritage chrétien de l'Europe amorcé lors du processus constitutionnel en est une application concrète.European Memory in Action. Actors, issues and methods of mobilizing the past as a political resource for the EU. The use of memory as a political resource by European institutions is not necessarily an example of the creation of a founding myth on the model of the nation state. While the search for a “grand narrative” is clearly one motivation for the actors, it coexists with strategies aiming at other types of legitimation or which pursue short-term interests. The increased importance of European memory thus does not mean an end to fairy-tale versions of national histories. A European memory can propose alternative projects, drawing on the worlds of national imaginations in order to step beyond them or rework them. In this article, three scenarios observable when European memory is invoked are illustrated by a case study. The first scenario is the Europeanization : European institutions play a part in developing historical sites of national importance into “European sites of memory” ; the second is the articulation of a specific memory of the process of European integration : this takes the form not only of support to networks of historians specialising in European integration after 1945, but also of promoting a “grand history” of Europe over the long period ; the third takes the form of an explicit ambition to endow the EU with a grand narrative of its origins, one autonomous of national histories. The debate on the Christian heritage of Europe begun during the constitutional treaty process is a concrete application of this.
- Commemorating Europe ? : Forging European Rituals of Remembrance through Anniversaries - Hannes Hansen-Magnusson, Jenny Wüstenberg p. 44-70 Commémorer l'Europe? La fabrication des rituels européens de la mémoire à travers les anniversaires. Cet article tente de comprendre la construction de la légitimité de la politique de l'Union européenne. Par l'analyse des journaux européens, il s'intéresse à la remémoration de deux événements majeurs de l'histoire de l'UE : la déclaration Schuman du 9 mai 1950 et le traité de Rome du 25 mars 1957. Il porte notamment attention au rôle des symboles et au développement d'une mémoire collective, sur une période de soixante ans. Il aboutit à deux conclusions principales. Tout d'abord, il met en évidence que les traités gagnent de plus en plus d'importance pour prendre la forme d'un rituel susceptible d'offrir un point d'accroche pour une « mémoire européenne ». Ensuite, à l'inverse, et ceci est un résultat surprenant pour les auteurs, la déclaration Schuman, pourtant fondatrice, n'apparaît pas comme un point de référence alors même qu'elle constitue un symbole officiel de l'UE. Plus largement, il ressort que les pratiques de mémoire sont devenues davantage démocratiques : au-delà des seules élites politiques, elles concernent un nombre croissant de citoyens. La question demeure cependant ouverte de savoir si ces événements trouvent une résonance effective auprès de l'ensemble des citoyens, et ce sur le long terme.The article aims to generate insights for further work on the legitimacy of politics in the European Union. Through an analysis of European newspapers, we examine and compare practices of memorializing the dates of two key events in the history of the European Union: the declaration by Robert Schuman on May 9 1950, and the signing of the Treaties of Rome on March 25 1957. The analysis traces the role of symbols and the unfolding of a collective memory around these dates over a time-span of six decades. The article's preliminary findings show that the Treaties are increasingly becoming the focus of a ritual of remembrance that can offer an anchor for “European memory.” That is, the Treaties are regarded as a focal point of the past that informs the present and future of EU integration through the manner in which they play out in justifications of the policy-process. By contrast – and surprisingly – the Schuman Speech does not seem to be an important retrospective point of reference as yet, even though it is part of the official set of symbols of the Union. In general, practices of commemoration have become more inclusive over time: in addition to political elites they increasingly involve citizens as well. It remains to be seen, however, whether the events positively resonate with citizens in the long-run.
- Des usages politiques du musée à l'échelle européenne : Contribution à l'analyse de l'européanisation de la mémoire comme catégorie d'action publique - Camille Mazé p. 72-100 Cet article est issu des résultats d'une enquête ethnographique et socio-historique menée entre 2004 et 2010 sur les « musées de l'Europe » en gestation dans plusieurs pays de l'Ouest de l'Europe depuis la fin des années 1980. Ces nouveaux musées consacrés de manière inédite à l'histoire et à la culture de l'Europe, en partie conçus par leurs promoteurs comme des « agents de la conscience européenne » (Shore, 2000) à des fins identitaires, sont le lieu d'une mobilisation privilégiée du registre du « passé européen », jugée indispensable à l'établissement d'une « mémoire européenne », elle-même pressentie comme nécessaire à la construction d'une « identité européenne ». De là, il convient d'interroger la manière dont l'outil muséal est aujourd'hui instrumentalisé à des fins d'usages politiques du passé au-delà du cadre stato-national et de comprendre de qui émane cette décision. Cet article, en analysant les liens entre les « musées de l'Europe » et les politiques du passé en gestation aux échelles européenne et communautaire (Gensburger, 2008 ; Lavabre, 2008), contribue ainsi à renseigner les processus d'européanisation de la mémoire comme catégorie d'action publique.Political uses of the museum at the European level. Contribution to the analysis of the Europeanization of memory as a category of public action. This article is based on the findings of a socio-historical and ethnographic study carried out between 2004 and 2010 and focusing on the “Museums of Europe” that have emerged in several Western European countries since the late 1980s. These new museums, that are devoted in an unprecedented way to the history and culture of Europe and that are built in part for identity purposes could be designed as “agents of European consciousness” (Shore, 2000). In this museums the idea of a “European past” is plenty mobilized. This process is considered crucial to establish a European memory, which is itself deemed necessary to build the European identity. Then it is necessary to examine how the museum as a tool is now exploited for political uses of the past beyond the nation-state framework and to understand who decides to do so. “By analysing the links between the ‘museums of Europe‘ and the polical uses of the past developing at the European and EU scale“(Gensburger, 2008 ; Lavabre, 2008), this article contributes to shed light on the processes the europeanisation of memory (memory europeanisation) as a category of public action.
- « Dépasser Trianon » : Les transformations du nationalisme hongrois, de la « politique de la nation » à la protection des minorités dans l'UE - Laure Neumayer p. 102-131 Depuis la fin de la Guerre froide, les principales instances européennes (Union européenne, Conseil de l'Europe) ont modifié leur traitement de l'histoire en mettant en place des politiques mémorielles visant à répondre à de multiples demandes de reconnaissance « d'histoires douloureuses ». Cet article analyse les logiques de ce processus d'européanisation des questions mémorielles sous l'angle des investissements d'acteurs politiques qui, à partir de positions occupées simultanément dans divers espaces sociaux, cherchent à inscrire ce nouveau champ de compétence dans l'espace institutionnel de l'UE. La démonstration s'appuie sur une étude de cas – la loi sur le statut des Hongrois de l'extérieur de 2001 et ses prolongements récents - qui illustre les ressorts, et les effets, de la transformation d'une querelle bilatérale en enjeu européen. On montre notamment comment l'implication des organisations européennes, loin de résoudre ce conflit, a modifié les outils discursifs dans lesquels il s'exprime et conduit indirectement à consolider la catégorie controversée de « minorité nationale » dans les traités communautaires.“Overcoming Trianon” : the transformations of Hungarian nationalism, form “nation policy” to the protection of minority rights in the European Union. Since the end of the Cold War, major European organizations (the European Union and the Council of Europe) have changed their handling of history and implemented memory-related policies that sought to answer numerous demands of recognition of”painful pasts”. This article analyses the logics of this Europeanization of memory issues by looking at the mobilizations of political actors who use the positions they simultaneously occupy in several social spaces in order to put memory conflicts on the EU's agenda. The demonstration is based on a case study – the 2001 law on the status of the Hungarians living in neighboring countries and its recent developments – that illustrates how a bilateral dispute can be turned into a “European problem”. It also shows that the mediation of European organizations, instead of solving this conflict, has altered the discursive tools used by the parties involved, thereby fuelling a process of consolidation of a controversial legal category, that of “national minority”, in EU Treaties.
- Aux victimes du terrorisme, l'Europe reconnaissante ? Portée et limites de la Journée européenne en mémoire des victimes du terrorisme - Gérôme Truc p. 132-154 Cet article, qui se conçoit comme une contribution à l'étude des relations entre politiques mémorielles européennes et processus d'identification à l'Europe, est consacré au cas de la « Journée européenne en mémoire des victimes du terrorisme », célébrée chaque 11 mars depuis les attentats survenus à Madrid en 2004. L'adoption de cette journée de commémoration est d'abord analysée comme résultant de l'ouverture d'une « fenêtre d'opportunité » dans le contexte de « l'après 11 septembre ». Puis, l'auteur s'arrête plus particulièrement sur le rôle joué dans ce contexte par la montée en généralité au niveau européen de la cause des victimes d'ETA, relayée par des élus du Parti Populaire européen, qui permet de comprendre pourquoi cette journée semble se conformer au modèle des « morts pour la patrie ». Pourtant, les limitations de la mise en œuvre de cette journée en dehors de l'Espagne attestent du fait que ce modèle n'est pas en mesure d'être reconduit efficacement au niveau européen. Plutôt qu'un rituel commémoratif s'efforçant d'entretenir le souvenir des réactions de solidarité suscitées en Europe par les attentats de Madrid en 2004 et de renforcer ainsi l'identité collective européenne, cette journée de commémoration doit alors être considérée comme un simple instrument de politique de reconnaissance victimaire.The Victims of Terrorism : Heroes of Europe? The range and limits of the European Day in Remembrance of Victims of Terrorism. This article, which is designed as a contribution to the study of relations between European memory policies and processes of identification with Europe, focuses on the case of the “European day in memory of the victims of terrorism”, celebrated each year on March 11 since the terrorist attacks of 2004 in Madrid. The adoption of this day of commemoration is first analysed as the result of the opening of a “window of opportunity” in the post-September 11, 2001 context. Then, the author studies more specifically the role played in this context by the “rise in generality” at the European level of the cause of victims of ETA, relayed by elected representatives of the European people's Party, in order to understand why this day seems to comply with the model of the commemoration of the “dead for the country”. However, the limitations of the implementation of this day outside of Spain attest that this model is not able to be established effectively at the European level. Instead of a memorial ritual striving to maintain the memory of the reactions of solidarity in Europe to the attacks in Madrid in 2004 and thus strengthen the European identity, this day of commemoration must therefore be regarded as a mere instrument for a policy aiming at the recognition of victims.
Chantiers de recherche
- Le projet EuroBroadMap : Visions de l'Europe dans le monde - Laurent Beauguitte, Clarisse Didelon, Claude Grasland p. 156-167 Financé par la Commission européenne dans le cadre du 7ème PCRD, le projet EuroBroadMap a pour objectif de déterminer comment varie la représentation de l'Europe dans le monde, notamment à travers l'analyse de cartes mentales collectées lors d'une enquête réalisée auprès de plusieurs milliers d'étudiants de dix-huit pays du monde, hiver 2009.The EuroBroadMap project : visions of Europe in the world
Funded by the European commission in the FP7, the EuroBroadMap project aims to determine how the representation of Europe varies around the world, mainly thanks to the analysis to mental maps made by thousands of students in 18 world countries.
- Le projet EuroBroadMap : Visions de l'Europe dans le monde - Laurent Beauguitte, Clarisse Didelon, Claude Grasland p. 156-167
Lectures croisées
- Les élections européennes, un défi pour la politique comparée ? - Isabelle Guinaudeau p. 170-176
Lectures critiques
- A Political Sociology of the European Union - Denis Duez p. 178-182
- État, libéralisme et christianisme. Critique de la subsidiarité européenne - François Foret p. 184-187
- Europa, Europae. The EU and the Domestic Politics of Welfare State Reforms - Josua Gräbener p. 188-194