Contenu du sommaire : Dossier : Héros nationaux et pères de la nation en Afrique
Revue |
20 & 21. Revue d'histoire Titre à cette date : Vingtième siècle, revue d'histoire |
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Numéro | no 118, avril-juin 2013 |
Titre du numéro | Dossier : Héros nationaux et pères de la nation en Afrique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- Présentation - Hélène Charton, Marie-Aude Fouéré p. 3-14
- Rwagasore for ever ? : Des usages contemporains d'un héros consensuel au Burundi - Christine Deslaurier p. 15-30 Héros de l'indépendance du Burundi, le prince Rwagasore est aujourd'hui l'un des rares hommes politiques du pays à faire l'unanimité dans une histoire récente mouvementée et disputée. Leader du principal Parti nationaliste de la décolonisation, il fut assassiné en 1961, au lendemain d'une victoire électorale écrasante de sa formation et juste avant l'échéance souveraine de juillet 1962. Sa mort, vécue à l'époque comme un cataclysme, est depuis commémorée tous les ans, son image est présente dans tout le pays, et sa mémoire est convoquée dans les grands discours publics. Depuis cinquante ans, un culte a été bâti autour de sa figure héroïque, dont les paradoxes ne sont pas moindres : on encense un prince en République, le fondateur d'un Parti qui devint unique pendant vingt-cinq ans, un Tutsi (ou presque), dans un pays où la question ethnique est tout sauf vide. L'analyse de l'itinéraire éphémère du prince et des usages divers qui en ont été faits éclaire ces apparentes contradictions et, par-delà, les obsessions de la société burundaise actuelle.Rwagasore for ever ? Hero of Burundian independence, Prince Rwagasore is today one of the rare political figures to elicit unanimous support in a country whose recent history is both turbulent and disputed. Leader of the main nationalist decolonization Party, he was murdered in 1961 following the overwhelming electoral victory of his Party, and just before the declaration of independence in July 1962. His death, experienced at the time as a cataclysm, has been commemorated every year since, his image appears everywhere in the country, and his memory is invoked in key public speeches. In the last fifty years, a cult has been constructed around his heroic figure ; a figure which is not devoid of paradox : a Prince lauded by a Republic, the founder of a Party which ruled undisputed for twenty-five years, a Tutsi (or nearly so) in a country where the ethnic question is anything but neutral. This analysis of the short-lived trajectory of the Prince and the diverse uses of his image in the last decades sheds light on these apparent contradictions and, beyond them, the obsessions of present-day Burundian society.
- L'héritage controversé de Sékou Touré, « héros » de l'indépendance - Céline Pauthier p. 31-44 Leader charismatique de la Guinée entre 1958 et 1984, Sékou Touré a contribué à forger un mythe politique où il incarne le héros de l'indépendance et le père de la nation. L'expression courante de « Guinée-Sékou Touré » témoigne ainsi de cette adéquation imaginée entre la destinée personnelle du chef de l'État et le destin du pays. Toutefois, les représentations mémorielles élogieuses de Sékou Touré sont loin d'être unanimes : en marge de l'idéologie officielle propagée sous son régime, puis après sa mort, d'autres acteurs ont diffusé des représentations contestataires du chef de l'État et remis en question le mythe politique national qu'il constitue. Ces mémoires contradictoires ont fini par rendre le personnage de Sékou Touré profondément ambigu, oscillant entre héros et tyran.The controversial legacy of Sékou Touré, “hero” of the independence. Sékou Touré, the charismatic leader of Guinea between 1958 and 1984, fostered a political myth in which he occupied the position of hero of the independence and father of the nation. The common phrase “Guinea-Sékou Touré” thus illustrated the imagined similarity between his own personal fate and the country's destiny. However, Sékou Touré has never been universally commemorated in complimentary terms : alongside the official ideology promoted under his rule and after his death, other actors propagated representations which challenged this image of the leader and questioned the national and political myth he embodied. As a result of these contradictory memories Sékou Touré has become a deeply ambiguous figure, who might be either hero and tyrant.
- Jomo Kenyatta et les méandres de la mémoire de l'indépendance du Kenya - Hélène Charton p. 45-59 Cet article explore les modalités de la construction et de la déconstruction de la figure de Jomo Kenyatta, héros et père de la nation kenyane. Le processus de construction d'une mythologie nationale centrée sur l'action et la personnalité du premier président du Kenya épouse étroitement les contours de la vie politique du Kenya. La vague de démocratisation des années 1990 a sérieusement écorné les mythes sur lesquels ces premiers régimes souvent autoritaires s'étaient construits. Cinquante ans après l'indépendance du pays, on assiste à l'élaboration d'un nouveau récit de la nation basé sur la pluralité de la mémoire de l'indépendance et la diversité de la contribution de ses héros qui contribue à la redéfinition des contours de l'imaginaire national.Jomo Kenyatta and the independance of Kenya : twists and turns of memory. This article explores how the figure of Kenyatta, hero and father of the Kenyan nation, has been constructed and deconstructed. The way national mythology has been constructed around Kenyatta's actions and personality closely mirrors the political history of the country. One of the main consequences of the democratisation processes of the 1990s has been to dent the official mythologies on which the first, often authoritarian, regimes were built. Fifty years after independence, a new national narrative is being constructed around a plurality of memories of independence and on the diversity of the contributions made by its national heroes which define the limits of the national imaginary.
- Julius Nyerere à Zanzibar : Père ou ennemi de la nation ? - Marie-Aude Fouéré p. 61-73 Un récit collectif dépréciatif sur le premier président de Tanzanie, Julius Nyerere, se diffuse aujourd'hui dans les îles de Zanzibar. Au regard de la trajectoire mémorielle de Julius Nyerere en Tanzanie continentale, caractérisée par une constante surenchère de déférence, Zanzibar fait figure d'exception. L'article présente les termes de ce récit péjoratif sur Nyerere en rapport à deux épisodes centraux dans l'histoire des îles : la révolution de 1964, mythe de la nation zanzibarie libre et souveraine, et l'Union avec le Tanganyika. Il montre aussi comment ce récit dépréciatif entre en résonance avec la question musulmane qui, à Zanzibar, est consubstantielle à un positionnement identitaire collectif. L'article conclut que, dans une société sans père de la nation ni récit national unifié, Julius Nyerere constitue un récit de la nation en négatif.Julius Nyerere in Zanzibar. A derogatory collective narrative around the first President of Tanzania, Julius Nyerere, circulates in the islands of Zanzibar today. Against Nyerere's ever more deferential memorial trajectory in mainland Tanzania, Zanzibar stands out as an exception. This article presents the outline of this pejorative account of Nyerere in relation to two major events in the history of the Isles : the Revolution of 1964, myth of a free and sovereign Zanzibari nation ; and the Union with Tanganyika. It also shows how this derogatory narrative is connected to the Muslim question which, in Zanzibar, amounts to a collective identity positioning. The article concludes that, in a society which has neither a father of the nation nor a shared narrative of the nation, Nyerere constitutes a negative national narrative.
- Senghor ? Y'en a marre ! : L'héritage senghorien au prisme des réécritures générationnelles de la nation sénégalaise - Jean-François Havard p. 75-86 Cet article analyse comment, au fil des mouvements générationnels qui se sont succédé à partir de la fin des années 1980 (set setal, bul faale, Y'en a marre, etc.), le « père de la nation » sénégalaise, Léopold Sédar Senghor, s'est vu peu à peu dévalué comme modèle d'identification nationale. À cet égard, les nombreux graffs et fresques sur les murs de la ville ainsi que les productions des rappeurs rendent compte du travail de mémoire des jeunes générations qui, plus qu'à Senghor, tendent aujourd'hui à s'identifier à des figures incarnant des trajectoires d'indépendance et d'autochtonie politique et culturelle, panafricaines et anti-impérialistes.« Senghor ? Y'en a marre ! » This article aims to analyze how, throughout successive generational movements from the end of 1980s (Set/setal, Bul faale, Y'en a marre and so on), the “father of the nation”, Senegalese Léopold Sédar Senghor, became gradually devalued as a model for national identification. In this respect, the prevalence of graffiti and murals on the walls of the cities as well as the output of rappers testify to the memory work of the younger generations, who tend today to identify themselves with figures who embody independence and political and cultural autochthony, who are Pan-African and anti-imperialist, rather than with Senghor.
- « Senghor voulait qu'on soit tous des Senghor » : Parcours nostalgiques d'une génération de lettrés - Étienne Smith p. 87-100 La face « externe » ou « internationale » de Léopold Sédar Senghor est bien connue. L'auteur de cet article s'intéresse à la face « interne », au penseur et arpenteur des petites patries à l'ethos de professeur. Il étudie la construction d'une mémoire nostalgique de ce Senghor chez des gens de lettres qui regrettent le système scolaire de leur jeunesse. Il montre en outre comment Senghor, dans les débuts de sa carrière politique, est parvenu à enchanter le projet de l'État-nation en construction, notamment en manipulant les ressources vernaculaires comme les parentés à plaisanterie, et comment cela a ensuite influencé cette mémoire senghorienne. Enfin, il explique comment celle-ci est devenue un enjeu et un argument dans les débats contemporains sur l'identité nationale au Sénégal.“Senghor wanted us all to be Senghors” Much has been written on the “public” or “international” Senghor. This article focuses more on the “private” Senghor, the thinker and teacher who travelled the length and breadth of the country's neighbourhoods. It examines how the memory of Senghor was constructed by writers nostalgic for the school system of their youth. More broadly, it demonstrates how Senghor, in his early political career, managed to make the nascent nation-state project attractive by using local vernacular resources to create a kinship based on jokes, and the impact this had on the way he is remembered. Finally, it shows how the memory of Senghor has become an issue and an argument in contemporary debates on national identity in Senegal.
- De l'histoire du temps présent à l'histoire des autres : Comment une discipline critique devint complaisante - Pieter Lagrou p. 101-119 Les années 1970 à 1990 constituent en Europe occidentale un moment historiographique de rupture. L'histoire des « années noires » a été caractérisée par une révolte générationnelle, un repli national, une démobilisation culturelle, par un présentisme décalé, par un combat pour la transparence et par un mouvement des droits civiques pour une société plus ouverte. Cette expérience est désormais close et la discipline se trouve dans une situation radicalement nouvelle. Travailler sur les mêmes objets ne produit plus les mêmes résultats et n'a plus le même impact politique et social. La remise en cause de l'histoire nationale, la concurrence mémorielle de nouvelles causes identitaires exclusives, le recours croissant à une nomenclature juridique, la concurrence des autres sciences sociales et les bouleversements déphasés de la transparence à l'ère numérique appellent à repenser profondément la place de l'historien dans le débat public.From contemporary history to the history of others. The period between 1970 and 1990 represents a break point in the study of contemporary history in Western Europe. History in these “dark years” was characterised by generational revolt, by national withdrawal, cultural demobilisation, a delayed presentism, a battle for transparency, and by a civil rights movement campaigning for a more open society. This period is now over and the discipline finds itself in a radically new situation. Working on the same objects no longer produces the same results nor does it have the same social and political impact. The challenges to national history, the memory competition waged by new and exclusive identity groups, the increasing recourse to legal categories, the competition from other social sciences and the discriminate effects of the digital revolution all call for a thorough rethinking of the role of the historian in public debate.
- La fin de l'histoire du temps présent telle que nous l'avons connue : Plaidoyer franco-allemand pour l'abandon d'une singularité historiographique - Emmanuel Droit, Franz Reichherzer p. 121-145 Cet article, écrit dans une perspective d'histoire comparée et croisée franco-allemande, entend faire dialoguer deux traditions historiographiques nationales qui jusque-là se méconnaissaient. L'objectif premier de cet exercice est de dresser le bilan de l'émergence, de l'enracinement et de la banalisation de l'histoire du temps présent (Zeitgeschichte) de part et d'autre du Rhin. Sur la base d'un droit d'inventaire de l'héritage intellectuel laissé par les premières générations scientifiques de cette sous-discipline historique, nous plaidons aujourd'hui en faveur d'une dissolution de l'histoire du temps présent comme champ historiographique singulier. Plus de vingt ans après la césure de 1989, nous pensons que le temps est mûr pour aborder sereinement la question de son retour plein et entier dans le giron de l'histoire.). L'abandon de la singularité de l'histoire du temps présent doit permettre de reconfigurer l'histoire comme une science sociale du « passé-présent ».The end of contemporary history as we know it. This article, written from a Franco-German comparative and cross-cutting perspective, tries to initiate a dialogue between two national historiographical traditions, which have had little contact until now. The main goal of this exercise is to take stock of the emergence, entrenchment and normalization of contemporary history on both sides of the Rhine. On the basis that we make choices within the intellectual legacy of the first academic generation within this historical sub-discipline, this article now pleads for the dissolution of contemporary history as a separate historical field. More than twenty years after the turning point of 1989, we think now is the right time to tackle the question of reintegrating the study of contemporary history fully into the historical fold. By abandoning the idea of contemporary history as different, we hope to reconfigure history as a social science of the “past-present”.
- Alfred Cortot et la mobilisation des musiciens français pendant la Première Guerre mondiale - François Anselmini p. 147-157 Connu pour ses engagements vichystes, le pianiste Alfred Cortot participa auparavant de manière active à l'effort de guerre entre 1914 et 1918. Dès 1914, il mobilise les musiciens français dans le conflit en créant des œuvres venant en aide aux artistes privés de ressources par l'arrêt des spectacles. Mais il est surtout le fondateur d'entreprises de spectacles telles que les Matinées nationales ou le Théâtre aux armées, qui permettent la diffusion, par la musique, de l'idéologie de la France en guerre. Son action s'inscrit ensuite dans un cadre étatique, puisqu'il dirige de 1916 à 1918 un service de propagande au sein de l'administration des Beaux-Arts ; il organise les tournées de nombreux artistes dans les pays neutres et alliés, ce qui fait de lui le pionnier de l'action artistique à l'étranger. L'exemple de Cortot est donc celui d'un engagement total et multiforme dans le conflit et manifeste sa volonté constante d'utiliser la musique comme un moyen d'action politique et sociale.Alfred Cortot and the mobilization of french musicians during World War. Known for his commitment to the Vichy government, the pianist Alfred Cortot had previously actively participated in the war effort between 1914 and 1918. From 1914, he mobilized French musicians in the conflict by creating works to assist artists deprived of resources because of the interruption to performances. But he is mostly remembered as the founder of show companies such as the National Matinees or the Theater for the Armies, which enabled the ideology of wartime France to be circulated through music. His activities then fell within the state framework, as he ran, from 1916 to 1918, a propaganda service within the Fine Arts administration ; and organized the tours of many artists in neutral and allied countries, making him the pioneer of artistic activity abroad. Cortot thus provides an example of total and multifaceted involvement in the conflict and demonstrates his constant desire to use music as a means of political and social action.
- Policiers de bonne volonté ? : L'impossible constitution d'une garde civile en France (1913-1920) - Arnaud-Dominique Houte p. 159-170 La garde civile est une institution éphémère qui n'a vécu que d'août à octobre 1914, mais qui fait l'objet de discussions entre 1913 et 1920. Dans son principe, il s'agit d'une milice composée de « citoyens de bonne volonté » qui se charge de maintenir l'ordre pendant la période de mobilisation, quand les besoins de surveillance s'accroissent et que l'effectif des forces de police se réduit. En dépit de quelques réussites locales, l'essai se solde par un bilan négatif qui scelle l'échec du modèle de garde civique et qui permet de mesurer le professionnalisme que les Français attendent de leur police au début du 20e siècle.Policemen of Goodwill ? The French Civil Guard was a short-lived initiative that only existed between August and October 1914, but which was the subject of much discussion between 1913 and 1920. In essence, it was a militia of “willing volunteer citizens” tasked with maintaining law and order during a period of military mobilisation, when police numbers were reduced and state surveillance needs increased. Despite some success at local level, the experiment failed and with it the idea of a “civil guard”. This, in turn, highlights early 20th-century French citizens' expectations of professionalism from their police force.
- La conversion au bonheur en France dans la seconde moitié du 20e siècle - Rémy Pawin p. 171-184 Le bonheur subsume désormais sous ses auspices l'ensemble des autres idées régulatrices. Longtemps, il n'est pourtant resté qu'une « idée neuve » peu valorisée. Fondé sur des analyses quantitatives et qualitatives d'ouvrages sur le bonheur et de films à succès, cet article met en évidence la conversion au bonheur de la société française : relativement récente, elle n'intervient que dans la seconde moitié du 20e siècle. Ce sacre du bonheur procède de la perte d'influence des autres finalités (notamment des normes religieuses), d'une réflexion éthique nouvelle (le bonheur est désormais jugé efficient) et d'une instrumentalisation marchande de la vie heureuse. Ce processus, initié par les États-Unis, touche l'ensemble de monde occidental, mais est freiné en France : la force du modèle communiste et la vigueur des idéaux humanistes y ralentissent la formidable évolution de l'univers normatif.Coming round to the idea of happiness in France in the second half of the 20th century. Happiness now subsumes all other social norms. Yet for a long time it remained a little-valued “new idea”. Based on quantitative and qualitative analyses of works published on happiness, and blockbuster movies, this article highlights French society's conversion to happiness : a relatively recent phenomenon, which only occurred during the second half of the 20th century. This consecration of the notion of happiness results from the loss of influence of other values (for example, religious norms), from new thinking in ethics (happiness is now considered as useful) and from an economic instrumentalization of happiness. This process, begun by the United States, touches the whole western world, but has encountered some resistance in France : the force of the communist model and the vigor of the humanistic ideals have slowed down the inexorable evolution of the normative system.
- Archives - p. 185-188
- Avis de recherches - p. 189-194
- Images, lettres et sons - p. 195-207
- Vingtième Siècle signale - p. 208-216
- Librairie - p. 217-250