Contenu du sommaire : Légitimation et délégitimation
Revue | Revue internationale des sciences sociales |
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Numéro | no 196, juin 2010 |
Titre du numéro | Légitimation et délégitimation |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Une approche interdisciplinaire de l'interdisciplinarité - David Apter p. 7-19 Cet article explique l'intérêt de l'interdisciplinarité comme cadre méthodologique de la recherche en sciences sociales. L'interdisciplinarité se définit comme un double processus d'intégration des disciplines et d'évolution des paradigmes qui permet d'approfondir la compréhension des questions politiques et sociales. Face à des institutions, des événements et des mouvements sociaux et politiques de plus en plus complexes, la conjugaison de plusieurs disciplines peut ouvrir de nouvelles perspectives critiques à l'analyse du pouvoir, de la politique et de l'action sociale et surtout, contribuer à élaborer des solutions aux problèmes politiques.S'appuyant sur le parcours de l'auteur et sur son expérience de l'interdisciplinarité (et son travail sur le terrain au contact des mouvements politiques au Ghana, en Ouganda, en Amérique latine et au Japon), cet article montre en particulier comment un paradigme récent, la théorie du discours, peut apporter un nouvel éclairage sur les articulations entre la pensée et l'action. Le grand avantage de cette théorie du discours est de proposer des catégories d'analyse décrites par des théoriciens comme Lévi-Strauss et Umberto Eco, qui permettent d'étudier en profondeur comment les pensées individuelles peuvent se développer et se transformer en action collective. Elle offre des clés indispensables pour comprendre les motivations profondes de ces activistes politiques qui cherchent à surmonter leurs difficultés individuelles en échappant à un environnement sociopolitique hostile, notamment par la violence.
- La légitimité politique : nouveauté des critères, anachronisme des théories classiques - Mattei Dogan p. 21-39 Des trois types de légitimité définis par Max Weber il y a plus d'un siècle, deux, le traditionnel et le charismatique, sont quasiment inapplicables aujourd'hui. Le seul à conserver sa validité est le troisième, la légitimité rationnelle, mais c'est devenu un amalgame de nombreuses variétés différentes, une collection incohérente de cas dont la diversité fait que ce type n'est plus significatif. La typologie de Weber se trouve ainsi déconnectée du monde contemporain. L'article présente une analyse empirique des raisons de cette obsolescence et démontre la nécessité de renouveler les distinctions : il insiste en particulier sur le rôle des élites dans les processus de légitimation et de délégitimation, ainsi que sur les liens entre illégitimité et défiance.
- Légitimité et qualité de démocratie - Leonardo Morlino p. 41-53 L'auteur de cet article examine les relations entre la légitimité et la qualité de démocratie. Il présente les nombreuses dimensions de la qualité de démocratie. Il démontre que la légitimité est au cœur de la définition de la réactivité. Il analyse les réactions des citoyens aux politiques du gouvernement. Il souligne les limites et les inconvénients du point de vue qui ne considère la réactivité que dans ses rapports avec les attitudes des citoyens à l'égard du gouvernement et des institutions. Il prend en considération d'autres dimensions et notamment la responsabilité électorale.
- Quelle légitimité pour l'Union européenne ? - Max HALLER p. 55-68 L'Union européenne (UE) souffre à l'heure actuelle d'un grave déficit démocratique. Pourtant, certains prétendent que cela n'a pas vraiment d'importance, parce que l'UE possède une forte légitimité « pour les résultats », du fait qu'elle crée de la croissance et assure le bien-être de ses citoyens. Cet article entend démontrer que ce raisonnement est démenti à la fois par la théorie et par les faits. S'appuyant sur les données statistiques des pays membres de l'UE pour la période de 1995 à 2008, il montre que, comparé à celui des États-Unis et du Japon, le bilan de l'UE est pour le moins mitigé, notamment en termes de croissance et d'emploi. Les réactions négatives des citoyens à ces « résultats », mesurées par l'Eurobaromètre, tendent à démontrer que, contrairement aux dires des partisans de l'intégration européenne, les Européens ne sont pas convaincus par le bilan de l'UE. Il existe toutefois des différences importantes d'attitude entre les pays membres, de même qu'entre les groupes sociaux qui profitent de l'intégration et ceux qui peuvent être considérés comme ses victimes. Enfin, cet article conclut que vouloir dissocier la légitimité de résultat de la légitimité démocratique pose un problème tant théorique que pratique, puisque la capacité des citoyens à participer effectivement aux décisions et processus politiques (légitimité de participation) est souvent nécessaire pour garantir l'efficacité et la légitimité des résultats.
- La politique européenne ? Strates de légitimité - Dionysia Tamvaki p. 69-88 Pour transposer le débat sur la légitimité et l'illégitimité du discours national à l'ordre du jour supranational de l'Union européenne, nous devons réinventer le concept de légitimité en fonction des normes de la politie européenne en expansion continue. Après avoir proposé une typologie de la légitimité, Dionysia Tamvaki analyse les tentatives des chercheurs pour élaborer des outils conceptuels qui facilitent le passage du niveau bien connu des États au niveau mal connu des entités supranationales ; elle examine ainsi les postulats théoriques de l'intergouvernementalisme, du fédéralisme et de la gouvernance à plusieurs niveaux. Évitant la tentation d'appliquer des critères de légitimité d'inspiration étatique à une « politie en formation », elle opte pour un modèle à plusieurs niveaux, utile pour cerner les dilemmes de la légitimité stratifiée posés par l'expansion de l'Union, qui s'étend à de nouveaux territoires, acquiert de nouvelles fonctions et se dote de nouveaux lieux de pouvoir.
- La légitimité politique en Amérique latine : exercices de cartographie régionale - Timothy J. Power, Jennifer M. Cyr p. 89-111 Les auteurs présentent ici un aperçu général de la légitimité politique en Amérique latine aux alentours de 2005. Après avoir analysé les empreintes que le concept de légitimité a laissées sur les débats sur la vie politique latino-américaine, ils créent des données empiriques sur la légitimité dans l'Amérique latine contemporaine en reprenant la méthode pluridimensionnelle novatrice mise au point par Bruce Gilley pour la mesurer et utilisent les scores ainsi obtenus pour classer les différents pays de la région sous cet angle. Ils examinent ensuite quelles corrélations il y a entre leur nouvelle mesure de la légitimité et toutes sortes de données sur les performances et les indicateurs de la gouvernance pour la région. Pour finir, ils proposent quelques hypothèses pour commencer à expliquer les bons et les mauvais résultats constatés dans certains cas précis. En Amérique latine, la légitimité politique est associée aux régimes du passé, aux modes officiels de représentation politique et à la participation des citoyens. Les systèmes les mieux classés suivant cette mesure pluridimensionnelle de la légitimité sont ceux des pays qui possèdent une tradition démocratique bien établie, sont dotés de partis assez institutionnalisés et affichent des taux de participation politique élevés.
- Cycles de légitimité et de délégitimation dans les régimes politiques en Argentine (1900-2008) - Frederick C. Turner, Marita Carballo p. 113-125 Si une crise de légitimité politique dans une nation se définit comme un événement qui se produit lorsque « des portions non négligeables de populations politiquement significatives remettent en question ou refusent la validité normative des prétentions du pouvoir en place à exercer l'autorité », l'Argentine a connu au moins sept crises de légitimité de ce type au cours des cent dernières années. Les causes en peuvent être les actions de responsables politiques, le fait que des institutions politiques ne sont pas à la hauteur des demandes auxquelles elles doivent répondre, une croissance économique entravée, ou encore l'incapacité de groupes à s'entendre pour trouver des solutions acceptables de part et d'autre. Des enquêtes menées depuis 1984 montrent que les Argentins ont invariablement eu moins de confiance dans les grandes institutions de leur pays que les ressortissants des autres pays d'Amérique latine et de l'ensemble du monde. De plus, leur confiance dans les institutions nationales a considérablement baissé entre 1984 et 2006. Même si les Argentins s'intéressent peu à la politique et accordent beaucoup plus de confiance aux membres de leur famille qu'aux étrangers, la plupart d'entre eux n'en estiment pas moins que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement pour leur pays. À l'avenir, si l'on veut renforcer la légitimité politique en Argentine, il semblerait que le mieux serait sans doute d'améliorer l'efficacité des institutions politiques, de limiter la corruption, et – ce qui est sans doute le plus important – de faire en sorte que la prospérité économique se maintienne et que le travail assidu soit récompensé comme il se doit.
- Comment les représentants s'assurent la légitimité : une approche symbolique - Jean-Pascal Daloz p. 127-140 Cet article explore la question de la légitimation symbolique des élites politiques d'un double point de vue, théorique et comparatif. Avec l'essor des idéaux démocratiques, on peut soutenir que l'image des élites politiques s'est trouvée fondamentalement transformée parce que le contrôle exercé par les citoyens sur leur gouvernement quand ils votent a pour effet de réduire l'écart symbolique entre dirigeants et dirigés. Toutefois, essayer d'expliquer la logique symbolique de la représentation politique dans les démocraties d'aujourd'hui par une seule loi susceptible de généralisation reviendrait à nier des sources de différence importantes. Il y a des différences culturelles énormes, même parmi des pays démocratiques apparemment semblables. S'éloignant des interprétations évolutionnistes, qui ont tendance à faire fond sur des dichotomies sociopolitiques discutables et sur des causalités réductrices, l'auteur s'efforce d'affiner notre intelligence des processus de légitimation en jeu en analysant l'énigme que recouvre l'opposition entre éminence et proximité.
- Crise de légitimité en Italie La première République à l'épreuve des scandales (1992-1994) - Jean-Louis Briquet p. 141-154 En s'appuyant sur l'étude de la crise politique de l'Italie au début des années 1990, l'article discute les modèles standards de la délégitimation couramment utilisés pour expliquer les crises de régime. Si celles-ci peuvent être rapportées à des déterminants structurels de long terme (dysfonctionnement du système politique, déficit de légitimité diffuse), elles sont aussi le produit des luttes internes au sein des secteurs dirigeants. En focalisant l'attention sur ces luttes, il s'agit de contester le rôle central attribué à l'insatisfaction de l'opinion dans les crises de régime ; et de considérer ainsi la délégitimation comme un effet de la recomposition du champ de la représentation partisane plus que comme un facteur de cette recomposition.