Contenu du sommaire : Déchets. Perspectives anthropologiques, politiques et littéraires sur les choses déchues
Revue | A contrario |
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Numéro | no 19, 2013/1 |
Titre du numéro | Déchets. Perspectives anthropologiques, politiques et littéraires sur les choses déchues |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Avant-propos
- Les fils d'Odradek - Antonin Wiser p. 3-6 Ce numéro s'attache à traverser des pratiques, à questionner ce que nous tentons de faire des restes de nos activités humaines. Ceux-ci s'entendront au sens le plus large : détritus des processus de production ou de consommation, résidus de mémoire, déchéances des corps individuels et sociaux. Les articles qu'on va lire explorent le dédale des espaces quotidiens, littéraires, médicaux, mémoriels ou muséaux, où l'on bute à chaque fois sur le déchet en travers du chemin. L'avant-propos suggère au lecteur et à la lectrice de prendre pour guide dans ce labyrinthe la petite bobine de la nouvelle de Kafka.
- Les fils d'Odradek - Antonin Wiser p. 3-6
Articles
- Antipolitique du chiffonnier. Messianisme et déchets - Michel Vanni p. 7-15 Il s'agit dans cet article de dégager un modèle possible d'action pratique à partir de la figure du chiffonnier chez Walter Benjamin. Celle-ci se dessine à rebours de toute temporalité moderniste et progressiste, pour laquelle une action produit nécessairement des déchets, sacrifiés au nom d'un objectif à atteindre. Le chiffonnier s'attache au contraire à sauver ces scories, à interrompre la linéarité des processus, et à défaire le sérieux de l'agir par ses sarcasmes avinés. C'est à tracer les différents aspects de ce sauvetage des déchets que je m'attache ici, en mettant à jour la temporalité de type messianique qui est celle du chiffonnier. Je conclus enfin en rapportant cette figure à la question du Lumpenprolétariat, et à ses ambivalences.
- L'oiseau et la baie vitrée. Anthropologie des déchets dans une zone périurbaine pavillonnaire - Éric Chauvier p. 17-33 Un oiseau s'écrase contre la baie vitrée d'un pavillon d'une zone périurbaine. En déjouant quelques habitudes de perception, ce déchet animal n'apparaît plus comme une anomalie silencieuse. Il devient un événement riche de sens, une exigence de savoir. Cette enquête ethnographique sur les déchets suburbains révèle le sens caché de ces périphéries inconnues.
- « Je suis la petite aiguille rouge qui trotte sur la Terre ». Notes d'anthropologie hospitalière - Francesco Gregorio p. 35-51 Ces notes anthropologiques proviennent d'un terrain réalisé dans un centre hospitalier qui traite les personnes brûlées. Si le déchet est habituellement inscrit dans une cosmologie hiérarchique, la technique de symétrie généralisée de l'anthropologie est utilisée comme une stratégie pour imaginer une cosmologie du déchet qui soit, autant que possible, une surface non hiérarchique et plane – là où se jouent dans nos vies ordinaires, comme sur nos peaux (brûlées), les multiples figurations du déchet.
- Où sont les restes du communisme ? Recyclage de la mémoire soviétique dans les expositions et les oeuvres d'art - Zinaida Vasilyeva p. 53-67 Dans la société postsoviétique, le débat sur la signification du passé soviétique pour la Russie d'aujourd'hui est toujours en cours. Dans cet article, je voudrais présenter certaines modalités d'appropriation des « restes du soviétisme » dans les contextes publics russes que sont les musées historiques et les galeries d'art. Afin d'aborder cette question, je prendrai l'exemple de quelques expositions qui ont eu lieu depuis le début du nouveau millénaire. Les réactions équivoques du public, documentées dans les livres de commentaires et dans les médias, témoignent de l'absence d'unanimité à propos de la valeur de l'héritage soviétique et révèle l'ambivalence des objets matériels, puisque les mêmes artefacts donnent lieu à des interprétations diamétralement opposées. En même temps, l'intérêt des professionnels mais aussi du grand public pour les expositions traitant du passé soviétique témoignent d'un travail de mémoire opérant à différents niveaux ainsi que d'un besoin (et d'un manque) de plateformes communicationnelles permettant la discussion.
- « L'Homme qui ne jetait rien ». Quelques mots à propos du mal d'archive d'Ilya Kabakov - Emanuel Landolt p. 69-82 Avec l'avènement du motif du déchet dans son œuvre, l'artiste russe Kabakov abandonne la peinture pour entamer une réflexion systématique sur la question de la mémoire et de l'archive. Devant la possible disparition de l'œuvre sous la menace de l'autoritarisme soviétique, une architecture archivistique s'impose, celle de l'installation. L'ordure trouve ainsi sa place au sein d'une série d'installations mais aussi de réflexions sur le destin de l'URSS. Sans dénier à ces déchets leur nature de reste ou d'ordure, Kabakov les conserve comme restes, comme objets singuliers, créant ainsi par leur mise en lien et leur étiquetage soigneux une communauté de voix imaginaires.
- Thomas Koenig, ou l'irrévérence artistique - Brigitte Jaermann p. 83-94 Cet article propose une analyse de l'exposition de l'artiste veveysan Thomas Kœnig, intitulée Qu'est-ce qui est mieux : Jimi Hendrix ou les pyramides ? présentée de septembre à décembre 2011 à l'espace d'art contemporain de l'Université de Lausanne (Le Cabanon), où les objets usés du quotidien prennent une place centrale. La lecture des œuvres de Thomas Kœnig fait référence au courant contemporain de « l'esthétique des résidus », mise en évidence par F. Duque. Pour ce faire, il s'agit d'envisager le travail de l'artiste sous l'angle du recyclage, en cherchant à voir comment celui-ci parvient à réinterpréter les objets usagés du quotidien par un regard décalé, irrévérencieux et ludique.
- À (la) décharge du monde. Pour une lecture référentielle de Nicolas Bouvier - Adrien Guignard p. 95-103 L'article qui suit témoigne à la décharge. La polysémie du mot décharge, précédée (ou non) d'une préposition, fera excuser le génitif arrogant de son titre ainsi que le néo-lansonisme de son apparence engagée. L'article tourne autour d'un passage clef de L'Usage du monde (décrire sa localisation comme une « textualité immonde », permettra aux lecteurs de Nicolas Bouvier d'identifier le moment commenté). Les approches convoquées sont toutes des médiations. L'argumentation les utilise. Allusivement agencées et empruntées un bout, elles sont identifiables. Nommonsles : la lecture vériste, une esquisse scolaire d'herméneutique aux cercles d'oiseaux, un néo-structuralisme plus précis (la thèse remarquée de Christine Montalbetti) et une phénoménologie inclassable dont « Porcelaine et Volcan » (Gilles Deleuze) est la source. La conclusion est une approximation de l'indicible parce que lire ce fragment de L'Usage du monde peut procurer une « paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps ». Une dimension anthropologique et littéraire évite que la lecture fasse trop la part du feu.
- Du déchet au dégoût. Une lecture de Truismes de Marie Darrieussecq - Marie Fleury Wullschleger p. 105-114 Cet article vise à souligner le lien intrinsèque que les notions de déchet et de dégoût entretiennent l'une avec l'autre, en général et plus spécifiquement dans le premier roman de Marie Darrieussecq, Truismes. Après un bref aperçu théorique de quelques écrits sur le dégoût, l'analyse thématique du récit révélera le rôle décisif de l'abjection dans le processus de transformation du personnage-narrateur. Absent de la psyché de la protagoniste au début du roman, le sentiment de dégoût provoqué par le corps en métamorphose de la narratrice, lui permettra de créer une frontière salvatrice entre elle et l'Autre. Le déchet sera appréhendé dans sa dimension de reste ingurgité, mais aussi rejeté par le corps du personnage en mue, et sera considéré comme agent provocateur de l'apparition du dégoût.
- Yoko Tawada : les mots-déchets - Christine Ritter p. 115-126 Cet essai vise à regarder l'œuvre littéraire de Yoko Tawada au travers du motif du déchet. L'étude de celui-ci permet de mettre en lumière les enjeux de sens liés à l'écriture particulière de cette auteure. Cette dernière force le lecteur à se préoccuper de la matérialité des mots et l'empêche dans le même mouvement de leur attribuer une signification en-dehors de cette matérialité même. Le déchet est censé n'être rien, qu'un résidu vidé de son sens, et pourtant on le réinvestit toujours d'autre chose, on le voit toujours comme le représentant de quelque chose d'autre que lui-même. Je montrerai comment cette question du sens est abordée par Yoko Tawada, et en quoi le déchet est particulièrement représentatif des questionnements soulevés par ses textes.
- Antipolitique du chiffonnier. Messianisme et déchets - Michel Vanni p. 7-15