Contenu du sommaire : Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique »
Revue | Gouvernement & action publique |
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Numéro | no 4, octobre 2012 |
Titre du numéro | Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Introduction : Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique » - Philippe Bongrand, Julie Gervais, Renaud Payre p. 7-20 Cet article insiste sur le rôle des savoirs dans la construction de la frontière entre administration et politique. La dichotomie entre administration et politique subsiste alors qu'elle est mise en cause de manière récurrente, tant dans les analyses scientifiques que dans les évolutions de l'action publique. Les auteur(e)s montrent l'intérêt spécifique d'une approche centrée sur la mobilisation de savoirs pour l'action publique. Ils présentent les articles du dossier et leurs résultats relatifs aux acteurs, modalités et effets de la mobilisation de savoirs dans la construction de cette frontière.Governing knowledge at the border between “public administration” and “politics”This article argues that governing knowledge plays a critical role at the border separating public administration from politics. The dichotomy between public administration and politics remains in spite of recurrent criticisms from both the scientific field and the evolution of public policies. The authors show that an approach in terms of knowledge mobilization is relevant in order to question the dichotomy between public administration and politics. They introduce articles that show the role of modes, actors, and possible effects of such a mobilization in the drawing of a border between the administrative and the political fields.
- La construction du rôle d'ingénieur-économiste au ministère des Transports : Conseiller le politique, résister au comptable et discipliner le technicien (1958-1966) - Harold Mazoyer p. 21-43 Au cours des huit premières années de la Ve République, le recours aux ingénieurs-économistes, et à leurs savoirs, se banalise au ministère des Transports. Cet article vise à comprendre les ressorts de leur succès dans le gouvernement des affaires publiques. L'étude des processus qui participent à la construction des rôles des économistes des transports révèle la relation ambiguë qu'ils entretiennent alors avec le pouvoir politique. Elle montre également comment ils sont conduits à légitimer et délimiter leur territoire d'intervention au regard des formes et domaines d'expertise appropriés par les autres spécialistes qui prétendent participer aux processus de décision. L'enquête permet de mettre au jour comment les dispositions des ingénieurs-économistes et les attentes des responsables politiques ou administratifs auxquels ils sont rattachés participent à retravailler un projet de gouvernement par le savoir économique dans ce secteur d'action publique. In fine, l'analyse montre que, placé dans une position de « conseiller du prince », l'économiste doit, avant tout, participer au gouvernement de l'administration.Constructing the role of engineer-economist in the french ministry of transport: advising politicians, resisting accountants, and disciplining technicians (1958-1966)During the first eight years of the French Fifth Republic, resorting to economists and their knowledge gradually became common within the Ministry of Transport. This article aims at understanding the reasons why economists became so important in the conduct of public affairs. Studying the processes that lead to the construction of transport economists' social roles enables to analyse their ambiguous relationship with political power. It also reveals how they were gradually bound to both legitimise and delineate their field of intervention, with regard to the specific knowledge of other experts wanting to participate in public decisions. The article shows how the social characteristics of engineer-economists and the expectations of the political and administrative authorities they worked for affected the (re)definition of the project of a government led by economical knowledge in this policy field. Finally, the article points out that in their role as “advisers to the prince”, economists must above all take part in the management of public administration.
- Publier des « chiffres officiels » ou les contraintes bureaucratiques et politiques qui façonnent l'expertise d'État : Le cas des statistiques du ministère du Travail - Etienne Penissat p. 45-66 En déplaçant la focale d'analyse de l'usage des « chiffres officiels » à leur fabrication et leur publicisation, l'article contribue à une sociologie de l'expertise d'État. Il s'appuie sur l'ethnographie du service statistique du ministère du Travail. L'observation in situ des statisticiens qui rédigent ces publications permet de dégager trois types d'enjeux : la légitimation publique de leur métier, la bureaucratisation du travail d'écriture comme contrepartie du « droit à publier » et la politisation des statistiques qui, dans certains cas, peut s'opérer en lien avec l'agenda politique. Les conflits qui se nouent autour de ces enjeux invitent à ne pas réifier les frontières entre « politique » et « administration » mais à penser les différentes logiques de domination à l'œuvre dans ces institutions.Publishing “official statistics”. Bureaucratic and political constraints in the construction of state expertise : the case of the ministry of labour's statistical publications. This paper is a contribution to a sociology of state expertise. In order to analyze “official statistics,” I suggest to change the focus of analysis by exploring the ways in which they are produced and publicized rather than their uses. The article is based on an ethnographic survey within the statistical service of the French Ministry of Labour. The survey conducted among the statisticians who draft these publications allowed us to identify three kinds of issues: the public legitimization of their profession; the bureaucratization of the writing process, which creates a tension with the “right to publish”, and the politicization of statistics, which sometimes may take place in connection with the political agenda. Conflicts which are formed around these issues encourage us not to reify the boundaries between “politics” and “administration” but rather to analyze the different logics of domination at work in these institutions.
- Instituer la police des risques sanitaires : Mise en circulation de l'épidémiologie appliquée et agencification de l'État sanitaire - François Buton, Frédéric Pierru p. 67-90 À partir d'une enquête socio-historique menée en France et aux États-Unis, cet article montre comment un savoir de gouvernement d'origine étasunienne l'épidémiologie « appliquée » a pu connaître une institutionnalisation réussie en France par le biais d'un dispositif privé de formation à destination des professionnels de santé publique (l'Institut de développement de l'épidémiologie appliquée), porté par une coalition composée de « marginaux d'État », une fondation privée et une agence américaine. La réforme de l'État sanitaire français revêt dans ce cas précis deux traits spécifiques. D'abord, elle se réalise dans le répertoire ancien des fondations philanthropiques américaines. Ensuite, elle se concrétise dans une agence (le Réseau national de santé publique), qui permet au savoir d'accéder aux circuits de décision et d'action publiques, non selon une logique centrifuge de fragmentation de l'administration bureaucratique selon les préceptes du New Public Management, mais selon une logique centripète : la forme agence permet l'acclimatation aux frontières de l'État d'un savoir nouveau et étranger, peu légitime, avant une institutionnalisation et une bureaucratisation plus poussées dans le cadre d'un établissement public administratif (l'Institut national de veille sanitaire).Establishing a health risk “police”: introducing applied epidemiology and imposing an agency structure on the health care stateBased on socio-historical fieldwork in France and the United States, this article shows the ways in which a body of knowledge that originated in the United States applied epidemiology was successfully institutionalized in France initially by means of a private training structure intended for health professionals, The Institute for the Development of Applied Epidemiology, backed by a coalition that included marginal actors within the state, a private foundation, and an American agency. The reform of the French “health state” took on specific features in this case. Its initial model was that of American philanthropic foundations. It then took concrete form as an agency, the National Network for Public Health, which made it possible for knowledge to penetrate public policy decision-making circles. This penetration did not follow a centrifugal logic based on the fragmentation of public administration following the precepts of new public management, but rather a centripetal one. The agency framework allowed for a period of acclimatization of a body of knowledge that was initially seen as new, foreign, and lacking in legitimacy, at the boundaries of the state prior to a more explicit period of institutionalization and bureaucratization in the context of a formal public administrative body: the National Institute for Health Surveillance.
- Former pour dépolitiser : L'administration des immigrés comme cible de l'action publique - Narguesse Keyhani p. 91-114 L'article analyse, pour les années 1975-1990, les conditions et modalités de la mobilisation de savoirs sur les relations interculturelles par le secrétariat d'État aux Travailleurs immigrés et par les organisations parapubliques sous tutelle de l'administration. Située aux marges de la Direction de la Population et des migrations, l'une d'entre elles, l'ADRI, est chargée de promouvoir un dialogue entre « Français » et « immigrés ». Elle contribue à instituer l'interaction administrative avec les immigrés comme cible de l'action publique. L'article montre que la formation aux relations interculturelles des agents des services publics est la déclinaison, en termes administratifs, du mot d'ordre du dialogue. Mais la mobilisation de ces savoirs permet également de revendiquer un territoire d'action spécifique dans un contexte de forte politisation de l'enjeu de l'insertion des immigrés. Cette revendication passe par une requalification et une dépolitisation du problème public de l'insertion.Training to depoliticize: the administration of immigrants as a target for public policy
The article deals with the conditions and the ways in which the Secretary of State for Immigrant Workers and a non-profit-organization at the margin of the state (Agence de développement des relations interculturelles) mobilized knowledge focused on intercultural relations, from 1975s to 1990. The ADRI was intended to promote a dialogue between “French people” and “immigrants.” This organization has contributed to establishing administrative interaction with immigrants as a policy target. The paper shows that training programs focused on intercultural relations for street-level-bureaucrats have reframed the political imperative of “dialogue” according to administrative agents' own understanding. This paper analyzes this knowledge as cognitive resources, able to frame a new arena for political and administrative action, as the issue of immigrants' insertion is being politicized. These actors use this knowledge to redefine and depoliticize this public problem. - Savoirs et autonomisation de l'administration dans les réformes de l'Instruction publique sous Jules Ferry (1879-1883) - Philippe Bongrand p. 115-137 Sous la direction de Jules Ferry, au cours des années 1879-1883, le ministère de l'Instruction publique modifie le recrutement de ses personnels et différencie, au sein de l'État, des rôles politiques, administratifs et pédagogiques. Située au sein de cette triade, l'autonomisation de l'administration est ici principalement envisagée à l'exemple de trois catégories d'agents dont le recrutement est réformé : les inspecteurs de l'enseignement primaire, les rédacteurs et les expéditionnaires de l'administration centrale. Fondé sur des discours ministériels, textes réglementaires et archives de l'administration centrale, l'article montre, dans un premier temps, que l'édification de procédures de recrutement propres à l'administration est, paradoxalement, au service d'objectifs politiques. Ces recrutements prenant la forme spécifique de concours, l'article se consacre, dans un second temps, aux savoirs mobilisés pour différencier des administrateurs ; il montre que ces savoirs sont moins administratifs que scolaires. Pour légitimer l'accès à des rôles de gouvernement, les concours examinés promeuvent ainsi, au détriment d'un argument électif ou professionnel, une logique de méritocratie scolaire.Under the leadership of Jules Ferry from 1879 to 1883, the French Department of Education reformed the recruitment of its employees and, in this way, fostered a differentiation between political, administrative, and pedagogical roles inside the state. The study of this autonomization process focuses here on three categories of civil servants: central office administrators, their assistants, and primary schools inspectors. Drawing on the minister's speeches, administrative publications, and archives, the article first shows how new recruitment procedures served political purposes, while appearing specifically administrative. Then it analyzes the types of knowledge that these procedures evaluated in order to select civil servants; as compared with professional knowledge, secondary education proved to be of strategic importance. As far as these procedures are concerned, legitimate access to government roles relied on a school-based meritocracy rather than electoral competition or professional ability.
- Introduction : Les savoirs de gouvernement à la frontière entre « administration » et « politique » - Philippe Bongrand, Julie Gervais, Renaud Payre p. 7-20
Lectures
- Lecture croisée : Pourquoi le renseignement échoue-t-il ? - Bastien Irondelle p. 139-149
- Grand angle : « Bringing the interest groups back in » Le néo-institutionnalisme américainà la croisée des chemins ? - Ulrike Lepont p. 151-159
- Comptes rendus - p. 161-178