Contenu du sommaire : Les pratiques administratives en Union soviétique, 1920-1960

Revue Cahiers du monde russe Mir@bel
Numéro volume 44, no 2-3, avril-septembre 2003
Titre du numéro Les pratiques administratives en Union soviétique, 1920-1960
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Avant-propos - Sabine Dullin, Catherine Gousseff p. 217-218 accès libre
  • Administrations et modes de gouvernement

    • Rebuilding the Soviet nomenklatura 1945-1948 - Moshe LEWIN p. 219-252 accès libre avec résumé
      La reconstruction de la nomenklatura soviétique, 1945-1948. Le terme nomenklatura a été abondamment utilisé sans pour autant que le phénomène social et politique que ce terme recouvre ait été véritablement analysé. À la sortie de la guerre, les procédures de contrôle du parti sur les nominations des responsables, qui avaient été mises en place depuis les années 1920, ont été très largement vidées de leur sens du fait d'un processus qui place chaque département du Comité central dans la dépendance du ministère qu'il est pourtant censé contrôler et qui a développé à la faveur de la guerre son autonomie fondée sur des compétences et des moyens financiers. Les années 1946-1948 apparaissent comme le moment crucial où le Comité central tente de trouver les outils administratifs assortis d'un essai de discours de mobilisation idéologique (dans le contexte du jdanovisme) afin de redonner aux instances dirigeantes du parti la prééminence dans le recrutement des responsables. Cette reprise en main s'avère cependant rapidement vouée à l'échec face au renforcement des « nomenklaturistes », cette « cohorte » dirigeante en train d'acquérir, comme en témoigne sa présentation sociologique, une stabilité et un certain nombre d'avantages qui ne feront que s'accentuer dans les années post-staliniennes.
    • Sistema centr-regiony v 1930-1950-e gody. - Oleg HLEVNJUK p. 253-268 accès libre avec résumé
      Les conditions de la politisation de la nomenklatura. Cette étude des changements survenus dans le système centre-régions sous Stalin et Hru??ev se base sur des documents relatifs aux purges et aux mutations des dirigeants régionaux soviétiques ainsi qu'à l'évolution des mécanismes de contrôle des cadres (la nomenklatura). Le passage des répressions de masse des cadres à la stabilisation de leur situation, qui s'ébauchait déjà pendant les dernières années de Stalin et qui s'est affirmé après sa mort, transforma considérablement la situation des fonctionnaires soviétiques régionaux. La politisation progressive de la nomenklatura, la conversion des nomenklaturnye rabotniki, qui étaient entièrement comptables envers Moscou, en une force politique indépendante, conditionna fortement les événements cruciaux des années 1990 : chute de l'URSS, formation de nouvelles (anciennes à bien des égards) classes dirigeantes en Russie et dans les autres gouvernements de l'ex-URSS.
    • Administration, politique et techniques : Réflexions sur la matérialité des pratiques administratives dans la Russie stalinienne (1922-1940) - Yves Cohen p. 269-308 accès libre avec résumé
      Cet article étudie la matérialité des pratiques administratives dans le premier stalinisme, de 1922 à 1940. L'étude de ces pratiques importe d'autant plus que toute politique est réduite à de l'administration. Le stalinisme porte une conception télégraphique, au sens propre, de l'État et de l'administration. Les systèmes de fiches que les théoriciens de l'administration empruntent aux recherches américaines et européennes cherchent à matérialiser cet idéal télégraphique en le portant jusqu'à l'automaticité. Dès lors, l'importance de la matérialité des pratiques dans la réflexion soviétique renforce l'intérêt de son étude. Dans les faits, l'idéal d'une gestion automatique aboutit à un échec répété à travers des tentatives comme la mise en place du dispatching dans l'administration industrielle (système de fiches assisté de signalisations électriques). Le téléphone illustre aussi la matérialité des pratiques administratives dans sa capacité à traverser les frontières formelles et à créer de l'arbitraire mais aussi à provoquer un surcroît de contrôle bureaucratique. Enfin, la matérialité de la transmission secrète des instructions données par le parti aux organes gouvernementaux sous la surveillance de la police politique est abordée. Elle rassemble par là les trois piliers (parti, gouvernement, police politique) des pratiques administratives soviétiques indéfectiblement marquées par la personne de Stalin.
    • Diplomatie et diplomates soviétiques à l'ère du dégel 1953-1964 - Marie-Pierre Rey p. 309-322 accès libre avec résumé
      Le dégel qui suit la mort de Stalin en 1953 a eu un impact varié sur la stature, le rôle et la composition de l'administration diplomatique soviétique. Entre 1953 et 1955, le ministère des Affaires étrangères (MID), alors dirigé par Molotov, a profité des luttes de succession qui se jouaient au sommet de l'appareil pour regagner un peu de la marge de man?uvre qui avait été la sienne durant les années 20 et la première moitié des années 30. Toutefois, dès 1955-1956, le MID retourne dans l'ombre du Présidium et il devient un instrument docile au service de la politique extérieure khrouchtchevienne. En revanche, en ce qui concerne l'appareil diplomatique proprement dit, les changements ont été plus durables : dirigée par Gromyko à partir de 1957, l'administration diplomatique aspire désormais à moins de propagande et plus de professionnalisme et de compétence, dans le contexte nouveau de la coexistence pacifique. Le MID évolue sensiblement dans son recrutement -- il sélectionne des étudiants jeunes, peu investis dans les structures du parti -- et dans sa formation puisque les années 1956-1964 coïncident avec une rénovation qualitative des enseignements de l'Institut de Moscou pour les relations internationales (MGIMO). Mais l'on est encore dans une période de transition et nombre des références mentales héritées de la guerre froide jdanovienne continuent de peser sur une administration diplomatique qui ne connaîtra son âge d'or que dans les années 70, au moment où les « me?dunarodniki », formés durant le dégel, seront propulsés aux postes de responsabilité.
    • Soviet industry and the Red Army under stalin: a military-industrial complex? - Mark HARRISON p. 323-342 accès libre avec résumé
      L'industrie soviétique et l'Armée rouge sous Stalin : un complexe militaro-industriel ? L'article étudie certaines vues courantes de l'historiographie sur le rapport entre l'industrie soviétique et l'Armée rouge sous Stalin et démêle certains problèmes liés à l'interprétation du terme voenno-promy?lennyj kompleks. Il présente plusieurs aspects du poids du secteur de la défense dans le système économique. Les connaissances acquises grâce à des recherches récentes dans les archives servent de point de départ à l'analyse du rapport entre l'armée et l'industrie sous Stalin, analyse qui présente ce rapport comme le « dilemme du prisonnier » : malgré les gains potentiels d'une coopération, les deux parties sont fortement encouragées à se tromper mutuellement. L'auteur conclut que la notion de complexe militaro-industriel n'est pas tout à fait applicable à l'ère stalinienne, mais serait peut-être plus pertinente en ce qui concerne l'ère post-stalinienne.
  • Profils et destins d'administrateurs

    • Le passé au service du présent : L'administration statistique de l'État soviétique entre 1918 et 1930 - Martine Mespoulet, Alain Blum p. 343-368 accès libre avec résumé
      À sa création, au lendemain d'Octobre 1917, l'administration statistique du nouvel État bolchevik présente une particularité : bien que centralisée, elle a été organisée sur la base de l'expérience des bureaux statistiques des anciennes institutions de gestion locale des zemstva. Elle en a hérité le personnel, les méthodes et certaines formes institutionnelles. Ces caractéristiques de la genèse de l'administration statistique soviétique permettent d'aborder une question qui est au c?ur du fonctionnement de l'administration de tout État issu d'un processus révolutionnaire : comment le nouveau gouvernement peut-il accomplir son projet de transformation de l'économie, de la société et de l'État en s'appuyant pour partie, au moins dans un premier temps, sur un personnel qui a été formé et a servi une autre forme d'État dans la période prérévolutionnaire ou, comme ici, qui a travaillé au service d'institutions de gestion locale dont le champ d'action était circonscrit à une autre échelle ? Quel est le degré et quelles sont les formes d'adhésion ou de coopération de ce personnel aux objectifs affichés par le nouvel État ? Cet article s'efforce de répondre à ces questions en étudiant la manière dont s'est constitué le personnel de cette nouvelle administration, les trajectoires de ses membres issus de l'ancien régime tsariste, et le rôle joué par les réseaux de statisticiens constitués dans la période prérévolutionnaire. Ainsi, les choix d'organisation de la Direction centrale de la statistique (CSU) peuvent être expliqués à la lumière de pratiques administratives anciennes des statisticiens venus des zemstva, tout en mettant en évidence l'adaptation ou la transformation de celles-ci face à une formulation différente de la demande de données chiffrées par le nouvel État.
    • Vsevolod Balickij bourreau et victime - Iurii I. SHAPOVAL p. 369-402 accès libre avec résumé
      Cet article retrace la carrière du commissaire de la ?K-GPU-NKVD d'Ukraine, Vsevolod Apolonovi? Balickij, depuis son entrée en fonction à la Tchéka, en janvier 1919, jusqu'à la fin de sa longue expérience à la tête des organes de sécurité républicains, commencée dès 1923 et brutalement achevée en 1937 au début de la Grande Terreur. En s'appuyant sur les archives du parti communiste d'Ukraine, la première partie de l'article examine le rôle de ce dirigeant dans l'histoire politique de l'Ukraine des années 1920 et 1930, à travers les nombreuses actions de répression dont il fut, à bien des reprises, l'instigateur direct. Il reconstitue le parcours du « bourreau », serviteur zélé du régime, son ascension politique vers le centre moscovite dans la période la plus sombre de l'entre-deux-guerres en Ukraine, autour de la famine de 1932-1933. La seconde partie présente le responsable sur le banc des accusés et considère tour à tour les différents arguments contenus dans l'instruction qui précéda son jugement, des plus grotesques concernant son activité contre-révolutionnaire, jusqu'à ceux, très vraisemblables, relatifs à ses ambitions politiques. Cet essai monographique sur un haut dirigeant local s'inscrit ainsi dans l'histoire de la première génération des cadres du nouveau régime qui, en dehors des membres du premier cercle de l'équipe stalinienne déjà bien connus, reste à explorer par l'approche biographique.
    • Repressii v apparate MGB v poslednie gody zizni Stalina, 1951-1953. - Nikita PETROV p. 403-436 accès libre avec résumé
      Les répressions dans l'appareil du MGB pendant les dernières années de Stalin, 1951-1953. Peu de temps avant sa mort, Stalin remplaça une fois de plus le dirigeant de la sécurité d'État et se mit à remanier de fond en comble la direction du MGB. D'habitude, il prenait ce type de mesure à la veille de nouvelles purges sanglantes acccompagnées d'arrestations et d'exécutions. Entre 1951 et 1953, la répression s'est abattue sur les dirigeants du MGB : le ministre Viktor Abakumov lui-même fut arrêté ainsi que des dizaines de ses collaborateurs, dont la plupart étaient juifs. Cette circonstance témoignait clairement des nouvelles et fâcheuses intentions du dictateur vieillissant. Quelle direction les événements allaient-ils prendre ? Sa mort soudaine en mars 1953 laissa la question sans réponse. On s'est demandé jusqu'à présent si cette campagne aurait pu évoluer en une purge gigantesque étendue à toute la société soviétique à l'image des répressions de 1937. Le présent article étudie l'histoire des dernière purges staliniennes ; il présente par ordre chronologique les annonces des arrestations des dirigeants tchékistes et en analyse les raisons. Grâce à l'étude des archives, on présente ici pour la première fois les directives que Stalin a communiquées au ministre de la Sécurité d'État Semen Ignat´ev sur le déroulement des arrestations et sur l'instruction de l'« affaire des blouses blanches ». On y décrit également la restructuration des activités du MGB, qui était l'instrument le plus important dans le système du pouvoir stalinien.
    • Une diplomatie plébéienne ? : Profils et compétences des diplomates soviétiques 1936-1945 - Sabine Dullin p. 437-464 accès libre avec résumé
      Une diplomatie plébéienne ? Profils et compétences des diplomates soviétiques, 1936-1945. Cet article analyse la recomposition du personnel diplomatique après les grandes purges qui ont décimé près des deux tiers des cadres dirigeants du commissariat du peuple aux Affaires étrangères entre 1937 et 1939. Sur la base de données personnelles (archives du RGASPI et archives du MID), sont reconstituées les trajectoires de formation des nouveaux diplomates. Contrairement à la génération précédente dans laquelle prédominaient des parcours impliquant, pour des raisons familiales, culturelles ou politiques, une connaissance préalable de l'étranger, le personnel diplomatique soviétique recruté entre 1937 et 1945 se caractérise dorénavant par un profil socio-culturel et des cursus de formation assez similaires à ceux des autres personnels administratifs de l'URSS. Il apparaît en revanche fortement spécifique si on le compare à ses homologues occidentaux. Le profond renouvellement des hommes n'a pourtant pas débouché à moyen terme sur la perte de compétence diplomatique diagnostiquée par certains observateurs occidentaux dans les débuts de la guerre froide. Cependant, si la définition de la compétence ne fait pas l'objet d'une rupture complète avec l'héritage des périodes antérieures, elle est très largement reformulée sous l'égide de Molotov, dans un contexte où le loyalisme prime et où la marge de man?uvre professionnelle des diplomates apparaît très réduite.
  • Administrations et société

    • Policing post-Stalin society : The militsiia and public order under Khrushchev - Yoram GORLIZKI p. 465-480 accès libre avec résumé
      Le maintien de l'ordre dans la société poststalinienne : la milicija et l'ordre public sous Hru??ev. Avec la perte de ses ressources et les purges de son personnel, la milicija du milieu des années 1950 fut l'une des principales victimes institutionnelles de la déstalinisation de Hru??ev. Parallèlement, l'amnistie massive de 1953 et la levée des contraintes staliniennes occasionnèrent une forte augmentation du niveau des infractions à l'ordre public recensées. Parmi ces infractions, on peut dire que celles qui ont eu le plus d'impact politiquement sont les éruptions de violence collective qui, ironiquement, visaient la milicija, symbole le plus proche et le plus accessible de l'État, sur lequel les masses pouvaient décharger leur colère. L'article avance la thèse que les événements de Novotcherkaskde juin 1962, conjugués au mécontentement général envers la politique économique qui leur servait de toile de fond, forcèrent le pouvoir soviétique à développer une nouvelle conception, post-stalinienne, de l'« ordre public » dans laquelle la milicija jouerait un rôle de premier plan.
    • Le miroir des statistiques : Inégalités et sphère privée au cours du second stalinisme - Nathalie Moine p. 481-518 accès libre avec résumé
      Héritières en partie d'une pratique statistique antérieure à la révolution, les enquêtes de budget des ménages sont poursuivies et renforcées par l'administration statistique stalinienne. La « grande guerre patriotique » a fortement mis à mal l'échantillon de familles enquêtées. Si l'enquête n'est pas interrompue, elle est soumise à de vives critiques dans les années d'après-guerre. Par un décret de novembre 1951, le réseau de ménages observés est à nouveau considérablement élargi, cependant qu'une enquête parallèle est menée par les syndicats, ce qui souligne l'importance accordée par la direction stalinienne au niveau et aux modes de consommation. L'étude de la construction du nouvel échantillon aussi bien que celle des rapports envoyés à la direction politique du pays illustrent cependant la tension entre, d'une part, la volonté conjointe des statisticiens et des politiques d'obtenir des informations précises sur le fonctionnement de la sphère privée des ménages pour l'ensemble du territoire soviétique et, d'autre part, la soumission de l'outil statistique à une conceptualisation très compartimentée de la société. Pourtant, les instruments d'évaluation du bien-être, thème caractéristique de la rhétorique post-stalinienne, sont déjà en place.
    • « Kto na, kto ne na » Théorie et pratiques de la citoyenneté à l'égard des populations conquises : Le cas des Polonais en URSS, 1939-1946 - Catherine Gousseff p. 519-558 accès libre avec résumé
      Cet article a trait à la conception soviétique de la citoyenneté et à la façon dont elle a été appliquée à l'égard des anciens citoyens polonais déportés des territoires annexés par l'URSS en 1939-1940. Il retrace les différentes opérations d'enregistrement -- passeportisations, dépasseportisation -- auxquelles ce groupe a été soumis dans un contexte politique bilatéral qui a connu plusieurs bouleversements et rend compte du caractère essentiellement instrumental de la citoyenneté, fondée d'abord sur la territorialisation des individus, puis sur leur appartenance ethnique, et enfin sur leur ancienne appartenance étatique. Dans chacun de ces cas, il tente de reconstituer à la fois les pratiques d'assignation identitaire, caractérisées par l'exigence de preuves documentaires, mais confrontées de fait aux « sans-papiers », et leurs objectifs dont la cohérence ne se manifeste qu'à l'issue du vaste périple vécu par les anciens déportés, lors de leur évacuation vers la Pologne en 1946, posant ainsi la question du rôle de l'administration de l'identité dans l'élaboration de la décision politique et l'organisation des transferts massifs de population.