Contenu du sommaire : Réformes et société en Asie centrale tsariste et soviétique

Revue Cahiers du monde russe Mir@bel
Numéro volume 49, no 1, janvier-mars 2008
Titre du numéro Réformes et société en Asie centrale tsariste et soviétique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Marc Raeff (1923-2008)

  • Articles

    • Russia's eastern theater, 1650-1850 springboard or strategic backyard ? - John P. Ledonne p. 17-46 accès libre avec résumé
      Le théâtre d'opérations oriental, 1650-1850, un tremplin ou un arrière stratégique ? La stratégie russe sur le théâtre d'opérations oriental a évolué au cours de la période étudiée. Elle fut d'abord offensive en Sibérie, avant de se heurter à la résistance de la dynastie mandchoue et d'être contrainte de battre en retraite dans un mouvement défensif. Puis l'armée impériale redevint offensive dans le secteur central de la Bachkirie, quand les Russes éliminèrent la menace bachkire sur leurs possessions dans l'Oural et qu'un nouveau quartier général fut installé à Orenburg. Vers la fin du ?viiie siècle, la stratégie russe commença à se concentrer sur le Caucase alors que l'avancée des Russes suscitait la résistance acharnée des montagnards. À partir de ce moment et jusqu'aux années 1850, des forces militaires substantielles furent engagées pour écraser l'insurrection levée par Shamil. Cependant, la stratégie russe mise en ?uvre dans les années 1860 allait de nouveau se concentrer sur le secteur chinois et un assaut combiné depuis le Caucase, Orenburg et la Sibérie occidentale déboucherait sur la conquête de l'Asie centrale.
    • Peindre et vivre en URSS dans les années 1920-1930 : Commandes, engagements sous contrat et missions de création - Cécile Pichon-Bonin p. 47-74 accès libre avec résumé
      Cet article retrace les conditions matérielles de la création picturale en URSS dans les années 1920-1930. À travers une approche positiviste, il propose une description des trois principales possibilités de création : les « missions de création » (elles permettaient aux artistes de voyager en URSS comme à l'étranger, pour les besoins de leur art), les commandes publiques, et les engagements sous contrat (ceux-ci se sont développés à partir de 1931 : l'artiste percevait un salaire mensuel pendant un an, contre un nombre défini de tableaux). L'auteur souligne également la persistance du marché de l'art et de la commande privée durant cette période, et interroge la distinction entre commande publique et commande d'État. Elle présente ainsi le panel des commanditaires et des acheteurs, les divers types de contrats et leurs modalités et insiste sur l'organisation effective des modes de création, leurs failles, contraintes et éventuelles marges de liberté.
  • Réformes et société en Asie centrale tsariste et soviétique

    • Avant-Propos - Isabelle Ohayon p. 75-78 accès libre
    • Judicial Elections as a Colonial Reform : The Qadis and Biys in Tashkent, 1868-1883 - Paolo Sartori p. 79-100 accès libre avec résumé
      Les élections judiciaires comme réforme coloniale : les Qadis et les Biys à Tashkent, 1868-1883 En Asie centrale russe, le terme « réforme » était un mot clef utilisé par les officiers et les responsables de l'administration coloniale lorsqu'ils réglementaient l'exercice de la loi islamique (shar?at) et coutumière (?dat) afin de le rendre plus efficace et d'accorder la pratique juridique des communautés locales aux normes impériales. Les récents travaux universitaires n'ont certes pas négligé l'importance de ces questions mais ils se sont centrés sur les règlements coloniaux alors qu'ils ont ignoré les caractéristiques juridiques et les limites de la politique de « réforme » de la justice centre asiatique. Cet article soutient que les Russes sont parvenus à réformer seulement la fonction de juge de la shar?a et des tribunaux fondés sur la ?dat. En réalité, en rendant la fonction de juge éligible, l'Empire a bouleversé une pratique ancienne : dans l'Asie centrale précoloniale, la rémunération des qadis et des biys était garantie par leur rang tandis que leur fonction leur conférait divers privilèges économiques. Notre étude, qui se concentre sur Tashkent entre 1876 et 1883, compare les changements qu'ont connus les systèmes judiciaires basés sur la shar?at- et la ?dat en montrant comment les élections ont déstabilisé essentiellement les biys alors qu'elles n'ont pas ébranlé la stabilité de la fonction des qadis. L'instabilité des premiers ne peut être reliée à leur incapacité à juger selon la loi coutumière, comme cela a souvent été avancé ; elle est plutôt le résultat d'une compétition croissante autour des ressources : à Tashkent, le salaire que procurait la fonction de biy provenait à la fois de son activité de juge et de celle de percepteur d'impôts alors que le qadis ne pouvait toucher d'honoraires, excepté lorsqu'il établissait des contrats de mariage.
    • Décoloniser l'Asie centrale ? : Bolcheviks et colons au Semirech´e (1920-1922) - Niccol? Pianciola p. 101-144 accès libre avec résumé
      Fondé sur l'étude d'archives originales (régionales et nationales) de Moscou, Tashkent et Almaty, cet article a pour objet la réforme dite « de l'eau et de la terre », mise en ?uvre dans les années 1921-1922 dans la région du Semire?´e (le sud-est de l'actuel Kazakhstan et le nord-est de l'actuel Kirghizstan). Au cours de cette réforme, des dizaines de milliers de paysans slaves (environ 30 000 au Semire?´e et 10 000 de plus dans d'autres régions du Turkestan) furent expulsés des terres dont ils s'étaient emparés à la suite de la révolte kazakhe et kirghize de 1916, période d'extrême violence qui opposa les paysans slaves aux éleveurs d'Asie centrale. La réforme de la terre et de l'eau fut la première action notable de « décolonisation » menée au Turkestan après la conquête de la région par l'Armée rouge menée par Mihail Frunze. Cette réforme, avec une politique similaire menée dans les mêmes années dans le Caucase du Nord, constitue d'ailleurs le seul exemple de toute l'histoire de la Russie tsariste et soviétique d'une politique d'expropriation et d'expulsion de colons paysans slaves. Nous analysons ici les mécanismes de la prise de décision qui a abouti à cette réforme, les différentes étapes de sa mise en ?uvre, ses résultats et ses significations politiques. Nous considérons également la portée de cet événement sur le pouvoir bolchevik dans l'entre-deux-guerres en Asie centrale.
    • Lignages et pouvoirs locaux : L'indigénisation au kirghizstan soviétique (années 1920-1930) - Isabelle Ohayon p. 145-182 accès libre avec résumé
      La structuration des appareils politiques en fonction des relations de parenté dans les régions d'élevage à forte majorité kirghize était connue des autorités de la République autonome kirghize tout comme du pouvoir central soviétique et était pensée comme un véritable frein à la construction de l'État et de la société soviétique. À la fois instrumentalisé par les dirigeants et stigmatisé dans les discours officiels, ce phénomène s'inscrivait dans l'expérience impériale de cooptation des élites traditionnelles. Aussi, durant sa mise en place en Asie centrale pastorale, le pouvoir soviétique fut-il confronté au défi de fonder son autorité sur une adhésion idéologique et, ipso facto, de rompre cette logique coloniale. Pourtant, à la faveur de l'indigénisation, la politique bolchevique a conduit à faire entrer la société kirghize dans les organes du jeune État soviétique. L'introduction d'une culture politique et de pratiques fondées sur l'usage de la parenté influença directement les modalités de mise en place et d'exercice du pouvoir dans les appareils de régions, de districts et de village. Les interactions entre les critères de légitimité soviétiques et autochtones, l'instrumentalisation réciproque des solidarités lignagères et des fonctions offertes par les nouveaux organes locaux ont été au fondement du processus de soviétisation de la Kirghizie. En même temps, les sources utilisées pour cet article (archives d'état, archives du Parti, archives d'oblast´, rapports OGPU) montrent aussi à quel point les lignages étaient un enjeu de surveillance et de répression, et par conséquent comment, dans le contexte de la collectivisation et du début de la sédentarisation, ils ont pâti du Grand Tournant stalinien.
    • Rural Dynamics and Peasant Resistance in Southern Kyrgyzstan, 1929-1930 - BENJAMIN H. LORING p. 183-210 accès libre avec résumé
      Dynamiques rurales et résistance paysanne dans le sud du Kirghizstan, 1929-1930 Cet article traite des dynamiques sociale et économique qui sous-tendent la lutte des partisans anti-soviétiques (basma?i) et les violentes protestations contre la collectivisation à la charnière des années1929-1930. Cette étude se fonde essentiellement sur les archives de Moscou, Bi?kek et O? (Kirghizstan) ; elle s'arrête dans un premier temps sur la politique soviétique menée en Asie centrale au cours des cinq années qui ont précédé le Grand Tournant stalinien et qui ont précipité les crises de 1929-1930 dans le sud du Kirghizstan. Dans un deuxième temps, elle décrit les caractéristiques géographiques, sociales et économiques de cette région à la fin des années 1920, facteurs qui ont déterminé la nature, l'intensité et les objectifs de la résistance rurale. Enfin, elle analyse en détail plusieurs cas de protestation paysanne, révélant leurs causes, leurs dynamiques et leurs effets. Il montre que la collectivisation a certes déclenché les explosions de violence mais que la résistance était déjà conditionnée par les tensions latentes à l'égard de la politique soviétique de réforme agraire, de la « cotonisation », du marché, des transformations sociales et de la religion. De plus, ces manifestations, dans une grande mesure n'étaient pas concertées et venaient en réponse aux actions de certains responsables. Les basma?i, vaguement associés à des partisans qui n'avaient pas d'intérêt à voir s'établir un ordre soviétique, tiraient occasionnellement profit des troubles paysans sans pour autant les inspirer ni les diriger. L'État a fini par reprendre le contrôle en mettant un terme par la force à la résistance populaire, en isolant les basma?i et en encourageant par divers moyens la population à rester paisible.