Contenu du sommaire : Sortie de guerre
Revue | Cahiers du monde russe |
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Numéro | volume 49, no 2-3, avril-septembre 2008 |
Titre du numéro | Sortie de guerre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - Masha Cerovic, Juliette Denis, Beate Fieseler, Nathalie Moine p. 233-238
Épuration
- « Au chien, une mort de chien » : Les partisans face aux « traîtres à la Patrie » - Masha Cerovic p. 239-262 L'article est consacré aux formes de lutte menée par les partisans soviétiques en territoire occupé contre les collaborateurs et autres personnes désignées par eux comme « traîtres à la Patrie ». Après avoir analysé la compréhension de la « justice » soviétique qu'avaient les partisans et la manière dont ils l'exerçaient en territoire occupé, l'article montre comment cette lutte contre les « traîtres » échappa au contrôle du pouvoir central soviétique et devint rapidement un aspect fondamental de l'activité des partisans. Alors que se dessinaient progressivement les frontières des territoires partisans et « ennemis », ces conflits se radicalisèrent. L'ensemble de la population, même civile, fut alors prise dans cette spirale de violence aux dynamiques profondément locales. L'article illustre comment cette violence s'inscrivait dans une logique de guerre civile. Celle-ci était nourrie tant par la violence de l'occupation allemande que par l'exacerbation de tensions remontant à l'entre-deux-guerres et particulièrement à la collectivisation. L'épuration dont se chargèrent les partisans s'inscrit ainsi dans la continuité des conflits ayant secoué l'URSS depuis la révolution tout en préparant l'épuration légale menée à la libération par les autorités soviétiques.
- The early stages of “legal purges” in Soviet Russia (1941-1945) - Sergey Kudryashov, Vanessa Voisin p. 263-296 Les premières étapes de l'épuration en Union soviétique (1941-1945) L'épuration de guerre a fait en Europe l'objet de nombreux travaux scientifiques qui ont exploré les diverses formes du phénomène, son évolution dans le temps, sa perception par les différents acteurs et ses significations.
- Identifier les « Éléments ennemis » en Lettonie : Une priorité dans le processus de resoviétisation (1942-1945) - Juliette Denis p. 297-318 Cette contribution explore les modes d'identification de la figure de l'ennemi et sa place dans la resoviétisation de la Lettonie en 1944-1945. Durant la guerre, les autorités soviétiques ont accompli un travail de renseignement afin d'évaluer la collaboration et d'identifier les traîtres. De ce travail ressort une permanence de la figure de l'ennemi depuis la première soviétisation, l'accusation de traîtrise à la patrie dans le cadre des relations avec les occupants allemands venant renforcer des stigmates anciens. Les contraintes nées de la libération du territoire par l'Armée rouge entravent le processus d'épuration et entraînent le renforcement du contrôle de la République et de ses forces de sécurité d'État par le pouvoir central. Les troupes du NKVD chargées de la sécurité de l'arrière de l'Armée rouge entreprennent des arrestations de groupes de saboteurs, de gardes nationaux réemployés par les Allemands et d'individus dont les activités sont qualifiées de « germano-fascistes ». Les autorités soviétiques ont également cherché à impliquer l'ensemble de la population dans la condamnation des crimes des occupants et de leurs complices par l'établissement de la Commission extraordinaire d'État, qui offre un cadre plus propice à la dénonciation collective. À partir du printemps 1945 cependant, la figure du collaborateur s'estompe en faveur de celle du bandit nationaliste-bourgeois qui définit les actes antisoviétiques armés auxquels le pouvoir doit faire face.
- Cleansing and Compromise : The Estonian SSR in 1944-1945 - Olaf Mertelsmann, Aigi Rahi-Tamm p. 319-340 Épuration et compromis : la SSR d'Estonie en 1944-1945 En 1944, alors que l'Armée rouge occupait de nouveau l'Estonie, commença une immense vague de purges. Plus du tiers de l'ensemble des arrestations dues au régime stalinien se firent au cours de ces 15 mois, le nettoyage de l'Estonie -- en préparation dès 1941 sur le sol soviétique -- étant une priorité de la politique soviétique dans cette république. Seuls les territoires anciennement occupés par les Allemands connurent de telles mesures. L'article analyse cette vague répressive qui, à l'origine, visait ceux qui avaient « collaboré avec les Allemands » mais s'étendit par la suite aux « nationalistes bourgeois ». En marge des persécutions, se constituait un appareil bureaucratique rassemblant des informations sur un quart de la population. L'on peut néanmoins déceler les éléments d'une politique de compromis. Stalin procéda à des amnisties et des légalisations afin d'affaiblir la résistance et de s'attacher les habitants de ces territoires nouvellement conquis dont un grand nombre, y compris des criminels de guerre, échappa à la répression. Le régime ayant besoin d'Estoniens qualifiés pour diriger la RSS d'Estonie, il fit preuve d'une relative tolérance à l'égard de « déviances ». La combinaison de répression et de compromis faisait partie intégrante de la politique stalinienne.
- Local Collaborators on Trial : Soviet war crimes trials under Stalin (1943-1953) - Tanja Penter p. 341-364 Les collaborateurs locaux devant la justice : les procès pour crimes de guerre en Union soviétique sous Stalin (1943-1953) L'Union soviétique de l'après-guerre a été confrontée à un très grand nombre de procès intentés aux citoyens soviétiques accusés de collaboration avec les Allemands sous l'Occupation et que l'on qualifiait de « traîtres à la patrie et leurs complices » (izmenniki rodiny and posobniki. Cependant, très peu d'informations sont disponibles au sujet des condamnations de ces collaborateurs. Les historiens ont rarement traité de ce sujet dans leur recherche, n'ayant pas accès aux documents conservés dans les anciennes archives régionales du KGB.
- Fil'tracija sovetskih repatriantov v 40-e gg. XX vv. :Celi,metody i itogi - Igor Govorov p. 365-382 La filtration des rapatriés soviétiques dans les années 1940 : visées, méthodes et résultats Cet article analyse l'organisation, les objectifs et le déroulement de la « filtration » (le contrôle par l'État) des rapatriés que furent, au cours de la Seconde Guerre mondiale et après sa conclusion, les anciens prisonniers de guerre soviétiques et les civils, astreints par les occupants nazis au travail obligatoire hors des frontières de l'Union soviétique. L'auteur met au jour l'activité des organes que le NKVD avait mis en place à cet effet, leur objectif et leur fonctionnement conformément aux attentes du gouvernement ; il s'arrête également sur l'influence du caractère totalitaire du régime soviétique sur l'activité de ces services. Le chercheur conclut que ceux-ci ne visaient pas tant à juger et condamner massivement les rapatriés qu'à déceler qui, parmi eux, avait collaboré ou avait des penchants antisoviétiques. Cependant, dans la pratique, étant donné la spécificité du régime soviétique stalinien, leur activité eut une tendance punitive, démontrant la méfiance des autorités à l'égard des anciens prisonniers de guerre et des « travailleurs de l'Est » et qui, en réalité, devinrent des citoyens de deuxième ordre.
- « Au chien, une mort de chien » : Les partisans face aux « traîtres à la Patrie » - Masha Cerovic p. 239-262
Héritage du conflit
- Expérience de guerre, hiérarchie des victimes et justice sociale à la soviétique - Nathalie Moine p. 383-418 L'article est consacré à un district sinistré de la région de Leningrad. Il commence par retracer le temps de l'occupation pour la population rurale en décrivant la violence exercée contre les civils, notamment au moment de la grande retraite à partir de septembre 1943 qui se solda par la destruction de la plupart des villages. L'article examine ensuite comment l'expérience de la guerre vécue par les individus et leurs familles influe sur les mesures d'aide apportées par les autorités du district. Les autorités soviétiques se livrent à la constitution de listes d'habitants, selon différents critères. Elles commencent par l'identification à la foi des appuis au mouvement des partisans et des traîtres. Par la suite, les listes destinées à répartir l'aide mêlent les critères liés à l'expérience de la guerre, distinguant notamment les familles de combattants, et au degré de dénuement engendré par la perte de sa maison, de son bétail, de ses biens. Au sein d'une population de sinistrés, le fait d'être désigné comme « victime de l'occupation » permet d'être prioritaire pour bénéficier d'une aide sous la forme de distribution d'une aide financière ponctuelle, d'une exemption fiscale temporaire, ou encore d'un prêt à la construction. L'article montre cependant comment l'édification d'une nouvelle hiérarchie des bénéficiaires se dilue face à la pauvreté générale, au poids des connaissances interpersonnelles et à la maigreur des ressources en jeu.
- « La protection sociale totale » : Les hospices pour grands mutilés de guerre dans l'Union soviétique des années 1940 - Beate Fieseler p. 419-440 La « Grande Guerre patriotique » en Union soviétique n'a pas fait que 27 millions de morts, elle a aussi laissé des centaines de milliers de soldats mutilés. Ils sont rentrés des champs de bataille chez eux, avec l'espoir de recevoir un soutien substantiel de l'État, comme l'avait laissé entendre la presse durant la guerre. En 1942-1943, le nombre des invalides de guerre a dramatiquement augmenté ; le pourcentage de grands blessés dans l'impossibilité de travailler était particulièrement élevé (54 %). Dans la mesure où la politique sociale soviétique considérait que le retour au travail était le meilleur remède pour reconstruire les corps mutilés et « dépasser » l'invalidité, il était prévu d'ouvrir des maisons spécialisées destinées aux anciens combattants les plus gravement blessés et supposées leur offrir une formation professionnelle et un suivi médical. Cela n'a pas été réellement le cas dans la pratique. L'article observe ce qu'a concrètement signifié dans les années 1940 le « suivi médical global » pour les anciens combattants les plus gravement mutilés. En règle générale, seuls ceux qui n'avaient pas de famille furent autorisés à vivre dans les hospices pour invalides de guerre. Néanmoins, ces institutions, outre leur insuffisance numéraire, étaient impopulaires parmi les mutilés de guerre. En se fondant sur les documents d'archives, l'article décrit les conditions de vie épouvantables (la faim, la saleté, l'abattement, les règles arbitraires) qui régnaient dans ces lieux et ont poussé nombre de soldats blessés à vivoter indépendamment, puisant leurs maigres ressources dans le marché noir, la spéculation ou la mendicité.
- S protjanutoj rukoj : Niie nienstvo v poslevoennom SSSR - Elena Zubkova p. 441-474 « Ils tendent la main » : mendiants et mendicité dans l'Union soviétique d'après-guerre Cet article a pour objet la mendicité dans la Russie de l'après-guerre, que nous appréhendons selon trois perspectives : en tant que phénomène social, à travers les politiques nationales à l'égard des mendiants et enfin, dans les représentations que s'en fait l'opinion publique. Notre contribution, qui couvre les années 1945-1961 - i.e., de la fin de la guerre jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi contre les « parasites sociaux » -, observe les causes de la mendicité de l'après-guerre, son aspect quantitatif, la structure sociale de la communauté des mendiants. Nous distinguons ici différentes catégories : les « professionnels », les invalides de guerre et les enfants des rues ou abandonnés. Tant les réactions des autorités centrales et locales que celles des citoyens ordinaires furent ambivalentes. Les remèdes contre ce « mal » social étaient variables et souvent incompatibles, allant du « grand nettoyage » au suivi social ou à la charité. La loi sur les « parasites » de 1961 a conclu une décennie de tentatives visant à réglementer la mendicité.
- Jews under Soviet Rule : Attempts by religious communities to renew Jewish life during the postwar reconstruction period The case of Belorussia, 1944-1953 - Leonid Smilovitsky p. 475-514 Les juifs sous le régime soviétique. Les tentatives des communautés religieuses de renouveler la vie juive pendant la reconstruction de l'après-guerre : le cas de la Biélorussie, 1944-1953 Dans cet article, nous étudions la politique menée par les autorités soviétiques à l'égard des juifs biélorusses dans l'après-guerre. Alors que l'on assiste, chez les survivants de l'Holocauste, à un retour du religieux et à un regain d'intérêt, dans le monde, pour les juifs soviétiques, le régime soviétique s'engage sur la voie de la répression, en particulier après 1948.
- La genèse des transferts de populations dans les territoires libérés : L'évacuation « volontaire » des Ukrainiens de Pologne vers l'URSS (septembre 1944-juin 1945) - Catherine Gousseff p. 515-536 Dans l'histoire du déplacement de la minorité ukrainienne de Pologne vers l'URSS, effectué dans le contexte de la modification des frontières polono-soviétiques à partir de septembre 1944, l'attention des spécialistes s'est surtout focalisée sur la phase critique de ce transfert, devenu forcé dès la mi-1945 et mettant surtout en cause l'action de l'État polonais dans la migration contrainte. En revenant sur la première séquence de cette histoire et en se basant, principalement, sur l'exploitation d'archives ukrainiennes soviétiques, cet article entend reconstituer les projets, les attentes, et les pratiques mises en ?uvre par les agents ukrainiens chargés, en Pologne, d'encadrer le départ de la minorité. Il revient, ce faisant, sur les origines de l'enchaînement des violences et rend compte des pressions exercées par l'acteur ukrainien sur son homologue polonais pour réaliser l'épuration ethnique des territoires, montrant in fine à quel point ce pan sombre d'histoire s'est écrit à deux voix.
- Expérience de guerre, hiérarchie des victimes et justice sociale à la soviétique - Nathalie Moine p. 383-418