Contenu du sommaire : Pauvreté et misère dans l'histoire de la pensée économique
Revue | Cahiers d'économie politique |
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Numéro | no 59, automne 2010 |
Titre du numéro | Pauvreté et misère dans l'histoire de la pensée économique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction : Pauvreté et misère, quelle place et quelle signification dans l'histoire de la pensée économique - Patrick Mardellat p. 5-24
- Montesquieu et les pauvres - Catherine Larrère p. 24-43 En liant la pauvreté non à l'absence de patrimoine, mais à l'impossibilité de travailler, Montesquieu participe pleinement de la vision économique et séculière de la pauvreté à l'époque moderne : la pauvreté ne relève pas de la charité mais de l'organisation du travail. Montesquieu partage l'optimisme libéral selon lequel l'accroissement des richesses mettra fin à une pauvreté qui ne peut être que résiduelle ou accidentelle, il critique donc la politique colbertiste d'assistance générale à la pauvreté, tout en affirmant la nécessité de remèdes passagers aux dysfonctionnements économiques. Sa cible principale est celle des politiques délibérées de bas salaires, et sa définition vise à faire du travailleur pauvre un oxymore.Montesquieu relates poverty not to a lack of patrimony but to the impossibility of working. He thus fully contributes to the modern, economic secular vision of poverty: poverty is not a matter of charity but of organizing labour. Montesquieu shares the liberal, optimistic creed that the development of wealth will end poverty, which can only be residual or accidental. Therefore, he criticizes the Colbertist policy of poorhouses, while promoting the necessity of temporary remedies to economic dysfunctioning. He mainly targets deliberate policies of low wages, while his definition of poverty aims at making an oxymoron of the working poor. Classification du JEL : B11
- Pauvreté et fausse richesse chez J.-J. Rousseau : L'économie entre éthique et politique - Claire Pignol p. 45-68 Rousseau associe paradoxalement la pauvreté des sociétés marchandes au développement d'une mauvaise richesse. Soumis au désir d'une richesse infinie, le mauvais riche ne peut percevoir le malheur du pauvre ni éprouver de pitié devant sa souffrance. La pauvreté ne s'analyse pas d'abord comme l'effet d'une production insuffisante de richesse, ou d'une distribution inéquitable des richesses produites, mais comme la conséquence d'un désir de consommation sans limite. La justice économique se définit non comme une égalité des ressources que l'État aurait pour tâche d'organiser, mais comme un sentiment d'égalité, qui repose sur une éthique.Rousseau paradoxically associates the poverty in market societies with the development of bad wealth. As he becomes addicted to the desire of infinite wealth, the bad rich person can neither identify with the poor person's misfortune nor feel pity for his suffering. Poverty does not result primarily from insufficient production, nor from an unequal distribution of wealth. Instead, it stems from the unlimited desire for consumption. Economic justice is not defined as an equality of resources, which the state should have to organize, but as a feeling of equality which is based on ethics. Classification du JEL : B31, D63
- Le droit des pauvres dans l'oeuvre de Nicolas Baudeau - Alain Clément p. 69-88 La publication en 1765 de l'ouvrage de Nicolas Baudeau, Idées d'un citoyen sur les besoins, les droits et les devoirs des vrais pauvres marque le point de départ en France d'une analyse de la misère sociale, traitée à travers les secours apportés aux plus démunis. La classification de la pauvreté par l'auteur – pauvreté liée à l'âge, à la maladie, aux divers accidents de la vie – débouche sur des droits et non plus sur le simple devoir de charité. Baudeau invente l'idée d'un État protecteur, tout en proposant une plus grande décentralisation et une « externalisation » des secours.The publication in 1765 of Nicolas Baudeau's work Idées d'un citoyen sur les besoins, les droits et les devoirs des vrais pauvres is the starting point of an analysis of social misery. Baudeau classifies poverty: poverty by age, poverty by disease, poverty due to accidents of life. This classification leads to rights rather than mere duties to charity. He imagines the idea of a welfare state, and proposes a greater decentralization and “externalisation” of aid.Classification du JEL : B12
- L'inégalité au temps de l'égalité : démocratie, industrialisation et paupérisme chez Alexis de Tocqueville - Jimena Hurtado p. 89-117 Bien que Tocqueville soit souvent considéré comme nostalgique des temps passés et de l'aristocratie, ses écrits sont dictés par sa capacité à percevoir aussi bien les avantages que les problèmes de la démocratie. Sa réflexion sur le paupérisme montre ce réalisme qui l'empêche autant d'être nostalgique qu'aveuglé par les avancées de l'histoire. Ce texte explore les sources du conflit entre riches et pauvres afin de montrer le risque de l'augmentation du nombre de travailleurs pauvres et de l'émergence d'une nouvelle aristocratie séparée du corps politique. Les deux phénomènes qui menacent la démocratie doivent être contrôlés. Ce travail montrera un Tocqueville peut-être moins libéral et plus réaliste, soucieux de la démocratie conçue comme système inclusif et garant des droits.Tocqueville has been described as nostalgic of former times and aristocracy. According to this view, his criticisms of democracy show his preference for aristocratic societies. Here I try to show that it is not nostalgia, but his acute perception of the advantages and shortcomings of democracy that underlies Tocqueville's reasoning. His analysis of pauperism illustrates the realism that characterizes his writings and that prevents him not only from being a nostalgic but also from being blinded by the advances of history. This text explores the sources of conflict between the rich and the poor which Tocqueville presents in order to show the risk in the increase in the number of poor workers and the possible emergence of a new aristocracy separated from the political community. Classification du JEL : B19, B31, I39
- Pauvreté et économie au XIXe siècle - Jérôme Lallement p. 119-140 Au début du xixe siècle, la pauvreté est omniprésente dans la littérature, et le regard porté sur la pauvreté abandonne sa dimension politique ou charitable pour s'appuyer sur une jeune science : l'économie politique. L'exemple de Stendhal montre comment l'économie politique est devenue le seul discours légitime sur la pauvreté. On examine comment différentes théories économiques ont expliqué les causes de la pauvreté et proposé des moyens pour la supprimer en étudiant deux positions, l'une libérale et l'autre réformiste, formulées par deux auteurs emblématiques, Ricardo et Walras. La confrontation de ces deux auteurs montre que leurs divergences trouvent leur source moins dans des oppositions idéologiques ou doctrinales qu'épistémologiques.Poverty was an ubiquitous theme in the literature of the beginning of the 19th century, and its analysis shifted from political or charitable perspectives to embrace a young science, namely the political economy. Stendhal's example shows how political economy had become the only legitimate approach to viewing poverty. This article examines two economic theories that explained the causes of poverty and the means of eradicating it. One is liberal and the other is reformist. They were formulated by two emblematic authors, Ricardo and Walras. Divergences between the two theories arise less from their ideological and doctrinal oppositions than from their epistemological differences. Classification du JEL : B12, B13, B14, B40
- Travail et pauvreté chez Marx - Arnaud Berthoud p. 141-162 La société communiste décrite par Marx comporte deux traits. Le plus connu : la pauvreté disparaît parce que tout homme est riche de son travail et par son travail ; le moins connu : la pauvreté prend son sens véritable parce que tout travail est pour chacun l'expression de son besoin de la plus grande richesse, autrui. C'est au développement de cette idée que l'article est principalement consacré.The communist society described by Marx includes two characteristics. The first, which is well known, is that poverty vanishes because man becomes wealthy in his labour and by his labour. The second, which is far less known, sees poverty taking on its real meaning because labour expresses everyone's need for the greatest wealth of all, other people. This article mainly develops this second idea (labour and poverty in Marx's works).Classification du JEL : I3, B15, Z12
- Pauvreté et assistance aux pauvres dans l'oeuvre de Roscher - Patrick Mardellat p. 163-184 L'assistance librement consentie aux pauvres est une caractéristique essentielle de la définition de la pauvreté selon Roscher. Au cours de l'histoire économique, Roscher fait le double constat d'une massification de la pauvreté et d'une systématisation de l'assistance publique. Le gain d'efficacité ne compense pas selon lui le coût moral de cette évolution. L'assistance n'est plus l'occasion de pratiquer une vertu, le lien entre pauvres et riches se distend. Roscher nous rappelle ainsi que la signification de la pauvreté et de l'assistance déborde sa réduction positiviste à une question sociale. Le lien de dépendance des pauvres à l'assistance des riches est un lien non politique, nécessaire à la constitution d'une communauté politique.The assistance freely granted to the poor is essential to the definition of poverty, according to Roscher. Drawing on economic history, he observes a massification of poverty and a systematization of the welfare services. The efficiency obtained does not compensate for the moral cost of this evolution. Assistance is no longer an occasion to practice a virtue, so links between the poor and the rich weaken. Thus, Roscher recalls that the meaning of poverty and care extends beyond its positivist reduction as a social issue. The link of dependence by the poor on aid from the rich is a non-political link, but necessary for the constitution of a political community. Classification du JEL : I3, B15, Z12
- Catholic perspectives on poverty and misery : from nineteenth century French catholic social economists to the contribution of jesuits - Stefano SOLARI p. 185-203 La première génération des économistes catholiques, qui comprend aussi des philosophes moraux, proposait une vision de l'économie cohérente avec le droit naturel. Ils étudiaient les causes de l'inégalité croissante de la distribution de la richesse engendrée par le processus d'industrialisation. Ils identifiaient la nécessité d'institutions pour régler les interactions économiques afin de limiter la misère des travailleurs. Si la charité et les relations personnelles étaient considérées indispensables pour limiter la misère, les économistes catholiques devinrent progressivement plus favorables à l'intervention de l'État pour assurer un ordre cohérent dans la redistribution de la richesse.Classification du JEL : B19, D63, J83, Z12The first generation of Catholic social economists, which also included some moral philosophers, put forward a coherent view of economic problems, according to natural law and to the Gospel of the Catholic Church. They studied the causes of the increasingly unequal distribution of income in the processes of industrialisation and identified the need for regulatory institutions to limit the misery of the working class. They considered charity and personal relationships as the main remedy to the problem of misery, but they became progressively open to state intervention to insure a more coherent regulation of the bodies responsible for organising redistribution.
- Pauvreté et propriété privée dans l'encyclique rerum novarum - Isabelle Astier, Annette Disselkamp p. 205-224 L'encyclique sociale Rerum novarum relie étroitement la question de la pauvreté et de la misère à celle de la propriété, et ce en se réclamant de Thomas d'Aquin. Mais à y regarder de près, le raisonnement développé en faveur de la propriété s'éloigne du penseur scolastique, puisqu'il entretient plutôt des affinités avec la tradition libérale représentée par J. Locke : le premier rattache la propriété au bien commun, tandis que le second la fonde sur les droits de l'individu. La relecture de l'encyclique sous l'éclairage de ses sources permet d'affiner les notions en question, tout en enrichissant le débat actuel autour de la propriété privée et de la propriété sociale.The social encyclical Rerum Novarum closely links the question of poverty with that of property, and invokes Thomas Aquinas. But on closer examination, the reasoning developed in favour of property departs from the scholastic thinker, since it maintains more affinities with the liberal tradition represented by J. Locke. While Aquinas links property to the common good, for Locke property is based on the rights of the individual. A re-reading of the encyclical, in light of its sources, permits greater precision of the nature of this issue, while enriching the current debate about private property and social property. Classification du JEL : A13, B11, B12, B31
- Aux origines de la sociologie anglaise : le débat économique et social sur la pauvreté à l'orée du xxe siècle - Jacques Rodriguez p. 225-248 Cet article met en lumière l'apport des sociologues dans les débats relatifs à la pauvreté en Angleterre au tournant du xxe siècle et, accessoirement, le rôle de ces débats dans l'affirmation de la sociologie sur la scène politique, puis académique. Il montre que si la sociologie est encore une science embryonnaire à l'époque, elle tend à se distinguer de l'économie politique s'agissant de l'analyse de la « question sociale ». C'est elle, en effet, qui révèle l'existence d'une importante pauvreté industrielle, qui mesure l'étendue du phénomène grâce au procédé de la « ligne de pauvreté » et qui s'efforce, surtout, de proposer une alternative convaincante à l'individualisme libéral et au socialisme. En examinant plus particulièrement les travaux de Seebohm Rowntree, John Hobson ou Leonard Hobhouse, cet article souligne finalement ce qui fait la spécificité de la sociologie anglaise : sa contribution essentielle à l'élucidation des problèmes de pauvreté.This article throws light on the contribution of sociologists to the debates relating to poverty in England at the turn of the 20th century and, additionally, the role of these debates in the emergence of sociology on the political, then academic scene. It shows that if sociology was still in its embryonic stages at the time, it tended to distinguish itself from economics in its analysis of the “social question”. Indeed, sociology revealed the existence of important industrial poverty, estimating its scope through the use of the “poverty line”, and trying to establish a convincing alternative to liberal individualism and socialism. Through a close examination of the works of Seebohm Rowntree, John Hobson or Leonard Hobhouse, in particular, this article finally underlines the true specificity of British sociology, namely its fundamental contribution to the clarification of the problems of poverty. Classification du JEL : I32, N33, B13