Contenu du sommaire : Philisophie économique
Revue | Cahiers d'économie politique |
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Numéro | no 65, automne 2013 |
Titre du numéro | Philisophie économique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Qu'est-ce que la philosophie économique ? - Patrick Mardellat p. 7-35
- Philosophie économique, justice sociale et économie normative : remarques sur le rôle de Rawls - Jean-Sébastien Gharbi p. 37-67 Il pourrait paraître tentant de présenter la publication de la Théorie de la justice de John Rawls [1971] comme étant à l'origine, d'une part, du renouveau de l'économie normative et, d'autre part, de la naissance de l'approche non welfariste en économie. La question de l'initiateur de ces deux mouvements n'est toutefois pas si facile à trancher et elle est intéressante dans une optique de philosophie économique. Elle est intéressante parce qu'elle interroge la possibilité que le travail de l'économiste soit orienté de l'extérieur. Elle n'est pas évidente à trancher parce qu'elle suppose une compréhension fine du problème du choix social tel que le posait Arrow [1950 ; 1951] et la maîtrise des outils de l'économie contemporaine. Cet article défendra l'idée que Rawls ne peut être considéré ni comme l'initiateur du renouveau de l'économie normative, ni comme celui de l'approche non welfariste en économie. Nous conclurons, de manière assumée comme prospective et exploratoire, en tentant de mettre en évidence certaines relations entre philosophie et économie et leur impact sur le sens de la formule « philosophie économique ».JEL classification : A12, B41, D63Economic philosophy, social justice, and normative economics: some remarks about Rawls's role
It could seem tempting to present the publication of Rawls' A theory of Justice [1971] as being at the origin, on the one hand, of the revival of normative economics and, on the other hand, of the birth of non welfarist approach in economics. However, the question of the initiator of these two movements is not so easy to resolve and it is interesting in an economic philosophy perspective. It is interesting because it questions the possibility that the economist's works could be oriented from the outside. It is not easy to resolve because it assumes a subtle understanding of the social choice problem as Arrow puts it [1950 ; 1951] and the entire command of contemporary economics' tools. In this paper, we defend the idea that it would be wrong to present Rawls as the initiator of the revival of normative economics and of the non-welfarist approach in economics. We conclude, in a clearly prospective and exploratory way, in trying to highlight some relations between philosophy and economics and their implications on the meaning of the expression “economics philosophy.” - Justice sociale : Hayek et Sen face à Rawls. Une proximité méthodologique inattendue - Claude Gamel p. 69-96 Par leur méthode d'approche de la justice sociale, Rawls, Hayek et Sen occupent chacun le sommet d'un triangle, où le « comparatisme » du dernier tient désormais à équidistance le « contractualisme » du premier et « l'évolutionnisme » du second (1). Lorsque la position du philosophe sert de point de repère, les deux économistes semblent toutefois développer des analyses curieusement assez proches : en dépit de conclusions fort éloignées (2), surgit une première convergence sur leur opposition de principe au contractualisme rawlsien (3). Plus fondamentalement, les démarches de Hayek et de Sen s'avèrent surtout comparables par leur pragmatisme (4). Que des résultats tout à fait opposés puissent être issus de méthodes aussi proches esquisse un paradoxe que de futures recherches devront encore étayer (5).JEL classification : A12, B41, D63Social justice: Hayek and Sen facing Rawls
Through their methods for studying social justice, Rawls, Hayek and Sen are each situated on the summit of a triangle, where “comparatism” of the latter stands at equal distance from “contractualism” of the first former and from “evolutionism” of the second one (1). Nevertheless, when the position of the philosopher is used as a landmark, both economists seem to develop analyses which are strangely near enough to each other : in spite of quite different conclusions (2), a first convergence appears about their positions which are really opposed to Rawlsian contractualism (3). More basically, Hayek's and Sen's thought processes appear to be comparable, because they are both pragmatic (4). The fact that their opposed results might stem from so near methods designs a paradox, which has still to be confirmed by further studies (5). - Intentional apple-choice behaviors: when Amartya Sen meets John Searle - Dorian Jullien p. 97-128 Choix de pommes et comportements intentionnels : lorsque Amartya Sen rencontre John Dewey. L'article suggère que certaines dimensions de la conception de la rationalité économique développée par Amartya Sen peuvent se consolider au travers de la philosophie de l'esprit de John Searle. Plus précisément, la théorie searlienne de l'intentionnalité fournit un appareil conceptuel pertinent pour renforcer la conceptualisation senienne des préférences dépendantes du contexte. Les arguments développés ici concernent trois problèmes contemporains qui sont interconnectés autour de la rationalité économique et discutés en méthodologie de l'économie : (1) le dualisme méthodologique et les explications intentionnalistes en économie, (2) les relations entre économie et philosophie, et (3) l'émergence récente de l'économie comportementale dans le ‘mainstream' de la théorie économique. JEL classification: B00, B40, B41, B49This paper suggests that Amartya Sen's conception of rationality could benefit from insights borrowed to John Searle's philosophy of mind. More precisely I argue that the work of Searle on intentionality provides a relevant conceptual apparatus to strengthen Sen's conceptualization of context-dependent preferences in a way that suggests further analytical contributions to the latter's line of research. The arguments developed in the paper are relevant for three interrelated issues on economic rationality that are currently discussed in economic methodology: (1) methodological dualism and intentionalitic explanations in economics, (2) the relationships between economics and philosophy, and (3) the recent rise of behavioral economics within the mainstream of economic theory.
- La contribution de la philosophie sociale de John Dewey à une philosophie critique de l'économie - Laure Bazzoli, Véronique Dutraive p. 129-159 Ce texte explore les liens entre la philosophie et l'économie dans la pensée du philosophe pragmatiste John Dewey et souligne les apports de la philosophie sociale par laquelle Dewey construit ces liens. Nous montrons que sa philosophie sociale, qu'il considérait comme une contribution à la résolution des problèmes qui se posent dans la vie sociale, porte une critique profonde des institutions et de la science économique de son temps. Dewey défend une reconstruction de la philosophie sociale articulant économie, politique et éthique, qui montre en quoi la vie économique doit contribuer au développement d'une société démocratique. C'est de ce point de vue que ce philosophe critique dans un même mouvement l'individualisme comme théorie sociale et l'individualisme comme principe organisateur de la vie économique. Il lui substitue une philosophie de l'expérience et une éthique démocratique du contrôle social de l'économie. JEL classification : A13, A12, B00, B41John Dewey's social philosophy: a contribution to critical philosophy of the economics
This paper examines the links between philosophy and economics in John Dewey's thought and underlines the contribution of the social philosophy by which the pragmatist philosopher constructs those links. We show that his social philosophy, that he considered as contributing to the resolution of social issues, is the ground for a fundamental critique of the institutions and of the economic science of his times. Dewey advocates a reconstruction of social philosophy which connects economics, politics and ethics and which demonstrates how the economic process should contribute to the development of a democratic society. It is from this perspective that the philosopher simultaneously criticises individualism as a social theory and as an organising principle of economic life, substituting in its place a philosophy of experience and an ethics of democracy based on the social control of economic forces. - Firms as persons - Richard Adelstein p. 161-182 Les firmes en tant que personnesCet essai pose la question de savoir si les firmes doivent être traitées comme des personnes morales ou juridiques, capables d'endosser des droits et des devoirs en tant qu'entités distinctes. S'appuyant sur de précédents travaux où les firmes étaient décrites comme des contrats relationnels en performance [Adelstein 2010], il examine la nature de la personnalité juridique et morale, la possibilité d'assigner indépendamment et sans symétrie des droits et des devoirs, ainsi que les conditions permettant de qualifier un sujet de personne, ayant par extension des droits et des devoirs. Il plaide en faveur d'une approche asymétrique pour ce qui est des droits et des devoirs des firmes. D'un côté, parce que les actions finalisées des firmes ne peuvent justement pas être réduites aux actions finalisées de n'importe lequel de ses membres, une fois comptabilisée la responsabilité de ces derniers, il y a une responsabilité résiduelle de la firme pour ses actions, responsabilité qui n'est imputable qu'à elle. Mais, d'un autre côté, quand bien même il peut être utile pour les membres de la firme et pour d'autres de détenir collectivement des droits de propriété, parce que les firmes ne sont que des instruments créés par des individus poursuivant leurs propres fins, elles n'ont droit ni à la vie ni à la liberté. En l'absence de ces droits, rien ne justifie de leur accorder des droits politiques comme la liberté d'expression, la liberté d'association ou le droit à la protection d'une vie privée. À la lumière de ces arguments, une dernière partie examine l'octroi de droits constitutionnels aux sociétés commerciales aux États-Unis. JEL classification: A12, B40, D23, K20This essay asks whether business firms should be treated as moral or legal persons, capable of bearing rights and duties as distinct entities. Building on earlier work describing firms as relational contracts in performance [Adelstein, 2010], it considers the nature of legal and moral personality, whether and when rights and duties can be assigned independently without a balancing symmetry, and what qualifies a subject for personhood, and thus for rights and duties. It argues for an asymmetric view of the rights and duties of firms. On the one hand, because the purposeful acts of firms typically cannot be reduced to the purposeful acts of any individual participant, there is a residual responsibility for the acts of the firm after the responsibility of each participant has been properly reckoned that can only be attributed to the firm. But on the other, while it may be convenient for participants and others that firms hold rights to ordinary property, because firms are never more than instruments created by living people for their own purposes, they have no right to life or liberty. In the absence of these rights, there is no basis for granting firms political rights to such things as free speech, free association or privacy. A concluding section considers the granting of constitutional rights to business corporations in the United States in light of these arguments.
- L'entrepreneur schumpétérien est-il surhumain ? - André Lapied, Sophie Swaton p. 183-202 Bon nombre de commentateurs admettent l'influence de Nietzsche dans la conception schumpétérienne de l'entrepreneur. Mais, de notre point de vue, cette influence est souvent traitée exclusivement dans le contexte historique et dans une version très réductrice de l'entrepreneur. Nous avançons que ce dernier gagnerait à se lire sous un angle philosophique, en particulier à travers une interprétation nietzschéenne axée sur la volonté de puissance, même si, évidemment, Schumpeter n'a pas voulu aller si loin. JEL classification : B13, M13Is the Schumpeterian entrepreneur superhuman?
Most of Schumpeter's commentators admit Nietzsche's influence on the Schumpeterian conception of the entrepreneur. Nevertheless, from our point of view, this influence is often treated in the historical context and in a very limited definition of the entrepreneur. In this article, we argue that the latter could be interpreted from a philosophical standpoint. Although Schumpeter has not aimed to go that far, we suggest an interpretation based on Nietzschean will to power. - Contre une philosophie économique post-hayékienne - Marlyse Pouchol p. 203-226 L'article prend position sur une approche qui situe la philosophie économique dans un champ constitué par trois types d'intersection : la première se placerait entre l'économie politique et la philosophie sociale, la deuxième entre l'économie normative et la philosophie morale, enfin la troisième se placerait entre la science économique et la philosophie des sciences. Il montre, dans un premier temps, que cette philosophie économique suppose une conception hayékienne tant de la formation de l'esprit humain que des voies du progrès économique, conception qui offre la possibilité de relier des arguments de type biologiques, moraux et épistémologiques dans une même problématique. Malgré cet héritage, il est aussi indéniable que cette philosophie économique prend de la distance à l'égard d'Hayek, en particulier, du point de vue des critères de validité d'une théorie. Alors qu'Hayek reste animé par un souci de vérité scientifique, la philosophie économique considère qu'il est nécessaire de mettre en place un autre critère de validité tenant, cette fois, à la capacité prédictive d'une théorie. Mais, il ne faudrait pas considérer que ce changement indique une distance critique à l'égard de l'auteur autrichien, il s'agit plutôt d'un acte d'allégeance supplémentaire. JEL classification : B4, B5, B53Against a post-Hayekian economic philosophy
The article takes a position on an approach that puts economic philosophy in a field consisting of three types of intersection: between political economy and social philosophy, between normative economics and moral philosophy, and finally between economics and philosophy of science. It shows, firstly, that this economic philosophy presupposes a Hayekian conception of the formation of the human mind and ways of economic progress, a design that offers the possibility of linking arguments of biological, moral and epistemological type in the same problematic. Despite this heritage, it is also undeniable that economic philosophy takes a distance with respect to Hayek, in particular, from the point of view of the criteria for the validity of a theory. While Hayek is animated by a concern for scientific truth, economic philosophy considers it necessary to establish another criterion for validity, this time, the predictive ability of a theory. But we should not assume that this change indicates a critical distance from the Austrian author, but rather an act of further allegiance. - De la retenue et de la combativité en philosophie économique - Egidius Berns p. 227-239 Cet article interroge l'expression « philosophie économique » en ce qu'elle associe des termes opposés, qui ne peuvent pas être définis préalablement sans se référer l'un à l'autre. En raison de cette interrelation originaire entre philosophie et économie, la raison philosophique est aussi limitée que la raison économique, et pour cela, incapable de déterminer la place de l'économie au sein de la totalité sociale. C'est la raison pour laquelle cette expression ne peut se comprendre que comme un double lien de retenue et de combativité. Retenue, car le philosophe est incapable de fournir les fondements du travail de l'économiste, qui de ce fait doit seul se préoccuper de trouver ses propres fondements. Combativité, car le travail de l'économiste est toujours déjà contaminé par des revendications à propos de la totalité sociale et, pour cette raison, sujet de la critique philosophique. Afin d'exprimer ce double lien, il est préférable d'employer les expressions de « philosophie et économie » ou de « philosophie de l'économie ».JEL classification : A120, B00, B410On modesty and combativeness in economic philosophy
In this contribution I question the expression “economical philosophy” as an association of opposed terms which cannot be defined without referring to each other beforehand. Because of this original intertwining of philosophy and economics, philosophical reason is as bounded as economical reason and therefore unable to determine the place of the economy within the social totality. Therefore, the expression can only be understood as a double bind of modesty and combativeness. Modesty because the philosopher is unable to provide a foundation for the work of the economist, who is henceforth in charge to look for his own foundations. Combativeness because the work of the economist is always already contaminated by claims about the social totality and therefore subject for philosophical critique. In order to express this double bind, it is better to use the expressions “philosophy and economics” or “philosophy of economics”.