Contenu du sommaire : Religion, secte et pouvoir

Revue Rives méditerranéennes Mir@bel
Titre à cette date : Rives nord-méditerranéennes
Numéro no 10, 2002/1
Titre du numéro Religion, secte et pouvoir
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Une question brûlante - Gabriel Audisio p. 1 accès libre
  • De la ligne de conduite au groupe hétérodoxe : un aperçu de l'évolution sémantique du mot secta, depuis les origines jusqu'au début du Haut Moyen Âge. - Pascal Boulhol p. 2 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Issu du verbe sequi, « suivre », le mot secta désigna longtemps chez les Latins, sans connotation défavorable, une ligne de conduite intellectuelle ou morale. Il fut souvent appliqué aux écoles de pensée, surtout philosophiques. Les chrétiens, influencés par cette acception, donnèrent au terme un sens religieux en l'utilisant, concurremment au calque haeresis, pour traduire le grec hairèsis, appliqué dès le Nouveau Testament aux groupes dissidents ou même hétérodoxes. Secta suggère la déviation et l'indiscipline malignes d'une coterie qui se place en dehors de l'Eglise catholique. Longtemps facultatif, ce glissement sémantique vers l'idée moderne de « secte » se confirme après les accords de Milan (313), et s'officialise quand le christianisme devient religion d'Etat (391-392). Il reflète la fin d'un monde : au pluralisme antique, qui voyait dans la variété des « sectes » un signe de santé intellectuelle et une condition de l'épanouissement individuel (pas de studia liberalia sans liberté de choix !), a succédé une religion exclusive imposant un dogme indiscutable (« monodoxie »). L'usage d'haeresis et de secta (plus rare) tendit dès lors à se confondre, et les emplois non dépréciatifs du second terme se confinèrent au domaine scientifique (en particulier à la médecine).
    From a line of conduct to the heterodox group” : insight into the semantic evolution of the word `secta' from its origins to the early years of the late Middle Ages Derived from the verb sequi, “to follow”, the word secta long referred to a line of intellectual or moral conduct in Latin countries, devoid of negative connotations. It was often applied to schools of thought, particularly in philosophy. Christians, who were influenced by this acceptation, gave the term a religious overtone by using it, adjoined to the calque haeresis, to translate the Greek hairèsis, used even in the New Testament to designate dissenting or even heterodox groups. Secta suggested the malignant deviation and indiscipline of a circle placing itself outside the Catholic Church. This semantic shift towards the modern idea of a “sect” was for a long time incidental, until the agreements of Milan (313) confirmed the usage and the adoption of Christianity as a State religion (391 ­ 392) officialized it. The shift reflects the end of an old world : in the place of classical pluralism, when the variety of “sects” was seen as a sign of intellectual health and a condition of individual well-being (there was no studia liberalia without the freedom of choice!) came an exclusive religion imposing an indisputable dogma (“monodoxy”). The use of the terms haeresis and, more rarely, secta was henceforth blurred, and the use of the second term in a non-pejorative sense was limited to the domain of science (in medicine, notably).
  • Islam, « sectes » et groupes d'opposition politico-religieux (VIIe-XIIe siècles) - Claude Gilliot p. 3 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À travers la présentation des problèmes que posent des « groupes d'opposition politico-religieux » (« sectes ») au début de l'islam, il est montré qu'au début ne fut point une orthodoxie, mais un islam qui se cherchait et qui continua à le faire, surtout durant les quatre premiers siècles de l'ère musulmane. Historiquement, « l'orthodoxie » s'est constituée sur une longue période et sur la base d'un certain consensus établi par les savants ès sciences religieuses en vue, avec la collaboration et parfois contre la volonté des pouvoirs en place, et ce aussi bien dans les communautés chiites que sunnites.
    Looking at problems raised by “political-religious opposition groups” (“sects”) in early Islam, it is seen that in the beginning there was no orthodoxy, but an Islam seeking self-definition, which continued more particularly in the first four centuries of the Moslem era. Historically, “orthodoxy” was built up over a long period, based on a certain consensus established by the foremost scholars in religious sciences, with the collaboration and sometimes against the will of the authorities. This held for Shiite and Sunni communities.
  • De la secte à l'église. - Hubert Bost p. 4 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'effort consenti par les porte-parole protestants pour s'arracher de l'image de la secte interdite et obtenir le statut d'Église tolérée peut être compris dans les catégories de la sociologie religieuse wébéro-troeltschienne. La révocation de l'édit de Nantes (1685) a contraint ceux qui refusaient de s'y résigner à se doter d'une organisation de type sectaire : ils constituent des groupuscules qui valorisent l'héroïsme religieux et insistent sur la rupture avec l'ordre social. Dans la première phase de recomposition clandestine des Églises « du Désert », aucun compromis n'est envisageable et la logique du martyre prévaut. Progressivement, cette intransigeance laisse place à un discours plus modéré, à des tentatives de négociation avec le pouvoir, à des offres de service et à des protestations de citoyenneté dont l'objectif est de recouvrer une visibilité et une légitimité en adhérant au type Église dont le modèle est le catholicisme. Il s'agit de retrouver un statut dans l'espace public, de peser sur les débats du temps et de garantir une reproduction du groupe par la naissance.
    Protestant spokesmen were at pains to counter their image as a forbidden sect and to obtain the status of a tolerated church: their efforts can be comprehended within the categories of Webero-Troeltschian religious sociology. The revocation of the Edict of Nantes (1685) forced those who would not comply with it to resign themselves to adopting a sectarian form of organisation: they constituted groupuscules that valorised religious heroism and urged for a rupture with the social order. In the first phase of clandestine recomposition within the Churches of “the Desert”, no compromise could be envisaged; it was all or martyrdom. Gradually, this intransigence gave way to more moderate discourses, to attempts to negotiate with authorities, to offers of service and to protestations of citizenship, thus aiming to recover visibility and legitimacy by adhering to a Church modelled on Catholicism. It was a question of regaining a status in the public sphere, playing a part in the debates of the era, and guaranteeing the future of the group by new births.
  • L'Eglise catholique et les sectes à la fin du XXe siècle - Marcel Bernos p. 5 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Un document romain de 1986, fondé sur une enquête « universelle » et alarmiste, analyse les raisons de l'extension et du succès des sectes, notamment auprès de personnes matériellement ou psychologiquement vulnérables. Qu'est-ce qui caractérise les sectes, parfois difficiles à distinguer d'une confession religieuse? Intolérance, agressivité de leur prosélytisme, contraintes physiques et morales exercées sur leurs membres fascinés par un leader charismatique… En revanche, elles offrent une reconnaissance personnalisée, une intégration dans une communauté, des réponses simples aux questions ultimes de la vie, une identité culturelle, surtout dans les pays du Tiers-Monde. Puis des réponses pastorales sont proposées pour lutter contre leur influence.
    A document issued by Rome in 1986, based on a “universal” and alarmist enquiry, analyses the reasons why sects have grown in popularity and numbers, particularly appealing to the vulnerable, materially or psychologically speaking. What characterises sects, when they are often so hard to distinguish from religious confessions? Intolerance, hard-hitting preaching methods, physical and moral pressure on their members often under the spell of a charismatic leader… Conversely, they offer personal recognition, integration within a community, simple answers to the perplexities of life, and a cultural identity, especially in third-world countries. Then pastoral solutions are put forward to oppose their influence.
  • Un nouveau mouvement religieux face à la modernité politique : la Soka Gakkaï - Raphaël Liogier p. 6 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La Soka Gakkaï se présente à l'extérieur comme une organisation laïque, parce qu'elle est constituée de membres laïques d'une part, et d'autre part parce qu'elle exhibe une idéologie humaniste officiellement dénuée de caractère religieux. Cet affichage laïque d'une organisation qui est pourtant foncièrement religieuse compte tenu du système de croyances et des pratiques rituelles qui s'imposent à ses membres, ne peut qu'apparaître étrange et paradoxal si nous en restons à l'idéologie explicite sans comprendre son insertion dans un champ cognitif. Le réseau de socialisation, ou de communalisation puisque nous sommes au niveau communautaire, s'apparente aux rouages de la machine qui sélectionne la réalité afin de délimiter un champ de perception légitime. Le système de connaissance-méconnaissance est le mode d'emploi de la machine. Enfin, l'affichage laïque des modalités religieuses, présentant cette religion comme une non-religion, est une sorte de produit fini, emballé, adapté à la demande moderne, ou plutôt post-moderne, de biens et services religieux.
    Seen from the outside, the Soka Gakkaï appears as a lay community, both because it is made up of lay members, and because it upholds a humanist ideology of an officially unreligious character. The organisation's lay identity coupled with a fundamentally religious character bearing in mind the system of beliefs and ritual practices, must appear strange and paradoxical if we look no further than the explicit ideology without considering its insertion within a cognitive field. The network of socialisation or communalisation since we are speaking from a community level, may be likened to the cogs in the machine which selects reality in order to delimit a valid field of perception. The machine functions according to the system of known ­ unknown. Finally, the lay presentation of the religious structure, offering this religion as a non-religion, is a sort of finished product, packaging and adapting religious goods and services for modern or rather postmodern needs.