Contenu du sommaire : Numéro spécial : Histoire du droit

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 57, no 6, décembre 2002
Titre du numéro Numéro spécial : Histoire du droit
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Histoire et droit

  • Aux fondements juridiques des sociétés. Rome, Occident médiéval

    • La valeur des choses : Le droit romain hors la religion - Yan Thomas p. 1431-1462 accès libre avec résumé
      Est proposée ici une analyse du régime juridique de la valeur des choses en droit romain. Pour comprendre un tel régime, un détour par les choses inestimables est nécessaire : le régime des biens sacrés notamment. Ce régime d'exception fait comprendre, par antithèse, le droit ordinaire de toutes les autres choses qui s'évaluent, s'estiment et s'échangent. Or, la valeur des choses apparaît le plus clairement dans les procès, où la condamnation ne porte jamais sur les choses mêmes, mais sur leur estimation monétaire. La condamnation à la « chose même » (res ipsa) plutôt qu'à son équivalent pécuniaire n'est attestée que pour ces biens publics ou sacrés, qui sont en définitive les seules choses irréductiblement concrètes du droit : les seules choses inévaluables.
    • Droit naturel et abstraction judiciaire : Hypothèses sur la nature du droit médiéval - Alain Boureau p. 1463-1488 accès libre avec résumé
      L'opposition entre droit naturel et droit positif, qui peut être considérée comme l'une des façons d'affirmer la distinction entre le fait et le droit, essentielle à l'activité juridique, a été construite en Occident médiéval au XIIe siècle. À l'encontre d'une historiographie qui célèbre le naturalisme du droit médiéval, on souligne que c'est le droit positif qui constitue le terme marqué de l'opposition, comme le montre une étude précise de la formation lexicale et conceptuelle de l'opposition, autour de Pierre Abélard et de Thierry de Chartres. Cette positivité repose sur deux fondements : l'idée d'un dépassement de la nature déchue par une grâce distribuée après coup et la distinction progressive entre éthique et droit. À l'inverse de l'éthique, qui privilégie l'intention, le droit ne peut s'établir que sur des faits. La lutte contre l'hérésie, bloquée par les ambivalences de l'intention, accentue encore le recours aux faits. Le cantonnement du droit naturel se comprend au sein du processus d'abstraction juridique, qui formalise et objective les situations de conflit ou de transgression. C'est précisément un consensus autour de l'artifice juridique qui assure l'autonomie nouvelle du droit et le développement d'un Jus commune et d'une Common Law au Moyen Âge.
  • Justiciables et tribunaux. Marchands, ouvriers

    • Nature des choses et qualité des personnes : Le Consulat de commerce de Turin au XVIIIe siècle - Simona Cerutti p. 1491-1520 accès libre avec résumé
      Le pluralisme juridique est un objet souvent évoqué par les historiens des sociétés d'Ancien Régime, mais hélas rarement étudié. Cet article cherche à comprendre comment, dans une même situation et à un même moment historique (Turin au XVIIIe siècle) ont pu coexister au moins deux systèmes de revendication des droits et d'administration de la justice. La procédure sommaire (en vigueur dans le Consulat de commerce), s'inspirant des idéaux du droit naturel et de la « nature des choses », légitimait les pratiques sociales comme sources du droit; la procédure ordinaire était en revanche sensible à des critères liés à la hiérarchie des statuts. En fait, elle satisfaisait à des demandes sociales différentes, à une conception supra-locale, ou bien locale, du droit. Entre 1720 et 1730, la justice sommaire fut supplantée par la procédure ordinaire. L'analyse du fonctionnement du Consulat et des procès qui s'y tinrent montre qu'elle ne fut pas la victime d'un processus inéluctable de professionnalisation progressive du droit, mais plutôt d'une compétition entre deux façons de concevoir et de revendiquer le « juste ». En fait, l'histoire des rapports entre les deux procédures est celle de l'articulation entre l'action et le statut, ainsi que de la dialectique entre les dimensions locales et supra-locales du droit. Autant de thèmes qui dominent la culture juridique d'Ancien Régime.
    • Droit et bon droit : Un droit des ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail (France, XIXe siècle) - Alain Cottereau p. 1521-1557 accès libre avec résumé
      L'émancipation ouvrière, à la suite de la Révolution française, loin d'être une formule creuse, a donné lieu à des exigences efficaces de bon droit et s'est traduite en pratiques jurisprudentielles locales. L'article décrit un double phénomène : la mise en ?uvre de cette émancipation, puis sa dénégation soudaine durant les années 1880-1890, un « coup de force dogmatique » tenant pour nulles et non avenues neuf décennies de droit des ouvriers, pour lui substituer le « droit du travail ». Au lieu du principe de bilatéralité des volontés libres, s'instaura un principe de protection en contrepartie d'une subordination industrielle impérative.
  • Normes déontologiques. Juges de Bukh?r?, élus américains

    • La corruption : un délit contre l'ordre social Les q?di-s de Bukh?r? : Les q?di-s de Bukh?r? - Baber Johansen p. 1561-1589 accès libre avec résumé
      Des textes juridiques de la Transoxiane des XIe et XIIe siècles sur la corruption sont analysés à la lumière des hypothèses sur la différentiation entre sous-systèmes sociaux développées par la théorie des systèmes, textes comparés aux House Rules de la Chambre des représentants sur les cadeaux et les contributions au regard des notions de souveraineté exprimées dans ces deux systèmes normatifs.
  • Débats historiographiques : Italie, France

    • Droit médiéval : Un débat historiographique italien - Emanuele Conte p. 1593-1613 accès libre avec résumé
      Depuis 1995, les historiens italiens du droit ont publié des manuels présentant de nouvelles interprétations du droit médiéval, avec, entre autres, la question de la position centrale de la renaissance des études juridiques au XIIe siècle dans la périodisation de l'histoire juridique du Moyen  ge. D'un côté, le concept de ius commune, traité par Francesco Calasso comme la création la plus importante de la science juridique après 1100, semble maintenant montrer plutôt ses origines anciennes et coutumières. De l'autre, la fonction de la science a été questionnée par Paolo Grossi, qui insiste sur l'importance créative des premiers siècles du Moyen  ge. Ce qui fait la singularité du droit médiéval, suivant Grossi, serait justement l'originalité des institutions créées par la coutume entre la chute de l'Empire romain et la réforme grégorienne. La science scolastique, triomphante pendant le Moyen  ge tardif, n'avait d'autre fonction que de confirmer les créations de la pratique. Les institutions juridiques médiévales, vues comme l'invention unitaire d'un âge, peuvent ainsi être opposées à celles de l'Antiquité romaine et de l'État moderne. L'article montre comment cette vision de Grossi dépend encore largement de l'historiographie des germanistes du XIXe siècle, qui opposaient le droit romain centré sur l'individu au droit médiéval et germanique fondé sur la communauté. De même, les propositions de Grossi montrent un faible sens historique : elles présentent un Moyen  ge plat, dépourvu de tensions et de contradictions.
    • Declareuil (1913) contre Hauser (1912) : Les rendez-vous manqués de l'histoire et de l'histoire du droit - Robert Descimon p. 1615-1636 accès libre avec résumé
      Quelle était donc l'efficience du droit public dans l'ancienne France ? Cette question opposa, à la veille de la Première Guerre mondiale, les tenants d'une histoire pragmatique pratiquée dans les facultés de lettres et ceux d'une histoire du droit qui croyait à la force des idées. L'enjeu était au moins triple : le débat portait sur la « méthode » positiviste et critique; il était secondaire par rapport aux propositions épistémologiques des durkheimiens et, enfin, largement surdéterminé politiquement; mais, alors que le renouvellement le plus profond vint des facultés de droit (avec Ernest Labrousse), il contribuait à structurer le champ des sciences sociales encore hier (et aujourd'hui ?).
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