Contenu du sommaire : Crimes de sang ? Foucault
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 62, no 5, octobre 2007 |
Titre du numéro | Crimes de sang ? Foucault |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Crimes de sang
- La violence commanditée : La criminalisation des « tueurs à gages » aux derniers siècles du Moyen Âge - Claude Gauvard p. 1005-1029 Ceux que nous appelons « tueurs à gages » ont mis longtemps à être reconnus comme une catégorie particulière de criminels. Leur dénomination les confond le plus souvent avec ceux que le latin appelle satellites, c'est-à-dire les membres qui gravitent dans l'entourage du commanditaire, qui peuvent être ses vassaux s'il s'agit d'un seigneur, de simples compagnons ou des serviteurs. Il est alors difficile de savoir dans quelle mesure leur action est stipendiée. Elle est certes diabolisée, comme le montre l'exemple paradigmatique du meurtre de Thomas Becket, mais la justice royale ne les poursuit guère. Aux deux derniers siècles du Moyen Âge, une évolution sensible se dessine: la procédure judiciaire cherche à mettre un nom sur leurs visages et à définir leur responsabilité en même temps qu'elle inculpe le commanditaire qui a eu l'intention de tuer. Les tueurs sont dotés d'un portrait stéréotypé qui les apparente aux bannis et aux hommes d'armes. Ils sont alors poursuivis en même temps que les hôtels aristocratiques qui leur servent souvent de repaires. La violence commanditée est condamnée car son déroulement, souillé par l'argent, le secret et la préméditation, dénature les lois de ce qui, en contrepoint, est défini comme une violence licite, perpétuée publiquement pour défendre un honneur blessé. Elle peut même être définie comme crime de lèse-majesté et ses auteurs deviennent au début du XVIe siècle des assassins.
- Justice et honneur : Interpréter la violence à Cologne (XVe -XVIIIe siècle) - Gerd Schwerhoff p. 1031-1061 Cet article présente les résultats d'une étude de cas sur la criminalité dans la ville impériale de Cologne de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle. Les résultats quantitatifs et qualitatifs concernant la violence affective (homicides, blessures, échauffourées ou violences verbales) sont étudiés dans le contexte des débats historiographiques allemands sur l'histoire de la criminalité qui ont proliféré ces vingt dernières années. L'article étudie tout d'abord le sens de l'honneur dans les actes ritualisés de violence dans les rues de Cologne. La violence peut, dans ce contexte, être conceptualisée comme une forme de contrôle social. La tension entre normes sociales et normes juridiques dans l'évaluation contemporaine de la violence est analysée dans un second temps. Enfin, l'article aborde l'hypothèse selon laquelle la violence aurait fondamentalement évolué à la fin de la première période moderne et étudie les raisons de ce changement. Comme le démontre l'auteur, l'idée d'une « civilisation du crime » sur le long terme ne peut être soutenue. Les résultats empiriques indiquent plutôt que les cultures de la violence embrassant différentes strates sociales s'effacèrent progressivement dans les grandes villes au XVIIIe siècle.
- Fils de Caïn, enfants de Médée : Homicide et infanticide devant le parlement de Paris (1575-1604) - Robert Muchembled p. 1063-1094 L'étude de 12 209 écrous d'appelants au parlement de Paris entre 1575 et 1604 révèle une mutation fondamentale des pratiques répressives. Elles privilégient désormais la punition des crimes de sang, dans une perspective très « gendrée » : l'homicide concerne 29 % des hommes et aboutit à 57 % des condamnations à mort masculines, tandis que l'infanticide, imputé à 21% des comparantes, fournit 68 % des exécutées. Dans les deux cas, le profil dominant paraît être celui des jeunes célibataires. Marquée par plus de modération en matière de vol, cette évolution participe à la lente gestation d'un nouveau type de contrat social. Pour mieux détacher les adultes mâles dominant les communautés locales de la loi de la vengeance privée, la monarchie leur propose en échange une tutelle renforcée, garantie par l'éclat des supplices, sur les jeunes trop indociles ou impatients de prendre leur place. En obtenant au nom du Prince le monopole de la violence légitime, le parlement de Paris contribue puissamment à l'enracinement de l'État de justice moderne. Première étape sur le long chemin de la civilisation des m?urs occidentale et d'une sacralisation croissante de la vie humaine, sa rude pédagogie punitive produit prioritairement une criminalisation des traditions viriles sanguinaires des garçons à marier et de la sexualité peu contrainte des célibataires des deux sexes, en particulier de celle des filles se débarrassant trop aisément du fruit de leur péché.
- La violence commanditée : La criminalisation des « tueurs à gages » aux derniers siècles du Moyen Âge - Claude Gauvard p. 1005-1029
Homoérotisme
- Homoérotismes et trames historiographiques du monde islamique - Jocelyne Dakhlia p. 1097-1120 Plusieurs études récentes sont consacrées à la question de l'homoérotisme masculin dans le monde islamique, et elles concernent le monde arabe et ottoman aussi bien que l'Iran. Elles décrivent et analysent une situation de relative légitimité historique de l'homosocialité masculine et de l'homoérotisme, certes assortie de débats, question que l'on connaît notamment par la littérature et la poésie mais aussi par la mystique. Or, ces études ont en commun de révéler avec une grande acuité une forte tension en matière d'écriture de l'histoire dans la manière dont elles envisagent l'évolution de la sexualité et des rapports à l'Occident à cet égard. La thématique foucaldienne de l'invention de l'homosexuel(le) au XIXe siècle induit un schème explicite ou latent de l'« influence » occidentale au XIXe siècle et à l'heure des réformes nationalistes du XXe siècle, ce qui surdétermine dans une certaine mesure la problématique du « contact » avec les sociétés occidentales. Il en résulte une vision passablement traumatique de l'histoire de la sexualité dans l'ère contemporaine. En sens inverse, ces études, pour les périodes du premier âge moderne ou même médiéval, suggèrent volontiers une forte similarité des rapports à la sexualité dans le monde islamique et dans l'Europe chrétienne, avant la constitution catégorielle de l'homosexualité, mais repoussent alors la problématique de la « rupture » ultérieure avec l'homoérotisme et la question de sa périodisation dans une histoire politique et géopolitique toute contemporaines.
- Théologie politique et pouvoir pastoral - Philippe Büttgen p. 1129-1154 L'article propose un examen critique de lanotion de « pouvoir pastoral » forgée par Michel Foucault dans son cours du Collège de France « Sécurité, Territoire, Population» de 1977-1978. Deux moments sont privilégiés pour comprendre la place que prend le pouvoir pastoral dans le dispositif d'une « histoire de la gouvernementalité » : premièrement la prise de position de Foucault dans le débat théologico-politique sur le paradigme de la sécularisation; deuxièmement le lien entre l'analyse du pouvoir pastoral qui se déploie dans le cours avec les réalisations qu'a connues dans les cinquante dernières années le projet d'une histoire des clergés à l'époque moderne. On conclut à la singularité de la critique foucaldienne du théologico-politique dans le contexte intellectuel de la fin des années soixante-dix, et l'on s'interroge sur l'usage qui peut aujourd'hui être fait de cette critique dans la perspective d'une histoire du religieux européen.
- Homoérotismes et trames historiographiques du monde islamique - Jocelyne Dakhlia p. 1097-1120
Foucault
- Présentation - Paolo Napoli p. 1123-1128
- Michel Foucault, l'économie politique et le libéralisme - Jean-Yves Grenier, André Orléan p. 1155-1182 Dans les deux cours qu'il donna entre 1977 et 1979 au Collège de France (Sécurité, territoire, population et Naissance de la biopolitique), Michel Foucault entreprend d'étudier la « gouvernementalité », c'est-à-dire le mode de gouvernement des populations. Délaissant la dimension disciplinaire explorée dans Surveiller et punir (1975), il s'intéresse au libéralisme et aux mécanismes d'auto-limitation gouvernementale. Cet article étudie la façon dont Michel Foucault mobilise à cet effet l'économie politique, qu'il s'agisse de l'économie politique du XVIIIe siècle, de l'ordo-libéralisme allemand ou des théories américaines du capital humain. Il met en évidence l'inventivité conceptuelle dont fait preuve le philosophe mais aussi les contradictions auxquelles il se heurte quand il entend poser l'économie comme la gouvernementalité par excellence. L'article s'achève par une interrogation sur les raisons d'un intérêt si marqué pour le libéralisme, montrant comment ce détour expérimental permet à Michel Foucault de penser autrement et de façon radicale l'autonomie du sujet.
COMPTES RENDUS
- Comptes rendus. Justices et criminalité - p. 1185-1245