Contenu du sommaire : Faut-il avoir peur du relativisme ?
Revue | Tracés |
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Numéro | no 12, 2007/1 |
Titre du numéro | Faut-il avoir peur du relativisme ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Qui a peur du relativisme ? - Florent Coste, Paul Costey, Éric Monnet p. 5-22
Articles
- Qui (n')a (pas) peur du relativisme (culturel) ? - Nader N. Chokr, Paul Costey, Yann Fuchs, Marc Lenormand, Victor Moisan, Éric Monnet p. 25-59 J'examine la thèse du « relativisme culturel » (dans sa version à la fois descriptive et normative) dans une tentative pour déterminer et mettre en doute plus clairement les raisons du fort attrait qu'il continue d'exercer aujourd'hui dans un monde se mondialisant/globalisant. Je crois que nous pouvons faire avancer le débat et, par là, améliorer notre compréhension du problème en posant la question suivante : « Qui (n')a (pas) peur du relativisme (culturel) ? » En reprenant l'instructive analyse et recommandation de Williams, j'affirme essentiellement que bien que le relativisme culturel évoque un problème moral général, il est en réalité soit trop tôt soit trop tard, et dans notre cas à ce moment de l'histoire, il est plutôt tard. Seul un mouvement s'écartant du relativisme culturel vers quelque chose comme un « universalisme éthique historiquement éclairé et pluraliste » peut nous aider à poser les questions morales auxquelles nous faisons tous face, et dans lesquelles nous formons maintenant une nouvelle communauté morale et conversationnelle confrontée à des problèmes urgents et de nouveaux défis. Je me tourne ainsi vers la proposition audacieuse, consistante et opportune de Nussbaum, et conclus que, bien que toujours en prise à bon nombre de problèmes et difficultés, elle est persuasive et recommandable ? en dépit des revendications contraires de ses critiques.
- Who is (not) afraid of (cultural) relativism ? - p. 60 I examine the thesis of "cultural relativism" (in both its descriptive and normative version) in an effort to ascertain and impeach more perspicuously the reasons for the strong appeal it continues to exert today in a globalizing/glocalising world ?and this, despite the fact that it has been shown repeatedly to be inconsistent, self-defeating and misguided. Because of its highly objectionable and deeply troublesome consequences, especially from an ethical and political point of view, it should be clear to anyone who cares to make such an assessment that we have good reasons for fearing relativism, and that such a fear (both as an emotional and intellectual response) is furthermore not only warranted but reasonable. My answer to the normative question of whether we should be afraid follows obviously from that. However, I believe that we stand to advance the debate further and thereby gain in our understanding of the issue by addressing the following question: ?Who is (not) afraid of (cultural) relativism?? Taking my lead from Williams' insightful analysis and recommendation, I argue essentially that though cultural relativism conjures up a general moral problem, it is in reality either too early or too late, and in our case, at this juncture of history, it is rather late. Only a movement away from cultural relativism and towards something like a ?pluralistic, historically enlightened ethical universalism? can help us address the moral questions that we all face together in a globalizing/ glocalising world, and in which we now form a new moral and conversational community confronted with urgent problems and new challenges. For this purpose, I consider two possibly viable options, those of Williams and Nussbaum. After showing briefly why Williams' case against ethical theory is far from being convincing or conclusive, and why his proposal of ?reflection' as an alternative is ultimately inadequate, I turn to Nussbaum's bold, substantial, and timely proposal in an effort to ascertain whether it is ultimately a viable and defensible one. I conclude that, though still fraught with various problems and difficulties, it is nevertheless compelling and commendable ?despite her critics' claims to the contrary. In closing, I distinguish several ways to ?justify? ?ethical universalism' and consider at least two variants of ?pluralism' in an effort to show further some of the real philosophical problems and difficulties confronting Nussbaum's proposal, and more generally, the fundamental challenge we face today. Keywords : cultural relativism, fundamentalism, moral cosmopolitanism, fear, diversity, uniformity, globalization, glocalisation complexity, tolerance, pluralism, historical enlightenment, ethical universalism
- Le paradoxe de la règle et les limites du relativisme - Sacha Bourgeois-Gironde p. 61-76 Wittgenstein a soutenu l'idée qu'aucun fait mental ne pouvait garantir que le comportement d'un sujet soit l'application d'une règle donnée. Saul Kripke a proposé une version sceptique de cet argument qui vise à faire clairement apparaître en quel sens toute tentative de subsumer un comportement sous une norme donnée ne peut garantir qu'une autre norme est en réalité celle sous laquelle doit être subsumé ce comportement. Nous examinons en quel sens la reconstruction de l'argument de Wittgenstein proposée par Kripke repose sur des usages contrastés de la notion sémantique de rigidité de l'application d'une règle. Selon la manière dont on envisage le rapport entre une norme et un comportement à partir de la notion kripkéenne de rigidité, il en découlera des conceptions différentes de leur inadéquation cognitive de principe. Une perspective wittgensteinienne sur les relations entre normes de rationalité et comportements déviants suggère une position originale à l'intérieur du débat sur la rationalité des années soixante-dix/quatre-vingt qui s'appuyait conjointement, d'un point de vue anthropologique, sur le principe de charité de Quine et Davidson et, d'un point de vue psychologique, sur le rôle critériologique joué par l'idée d'adéquation cognitive entre norme et comportement dans l'évaluation de la rationalité des sujets. Nous pensons offrir dans cet article un certain prolongement des réflexions de Vincent Descombes sur le principe de charité en indiquant comment le paradoxe de la règle et ses possibles reconstructions kripkéennes mettent à jour les présupposés conceptuels des différentes conceptions relativistes de la rationalité qui s'appuient directement sur le principe de charité.
- Relativismes, universalisme et réalisme en morale. Approches naturalistes - Jérôme Ravat p. 77-89 Il s'agit, dans le cadre de cet article, d'examiner dans quelle mesure la naturalisation de l'éthique, s'appuyant sur les recherches interdisciplinaires menées dans le domaine des sciences cognitives et de la biologie évolutionniste, permet de reconsidérer la question du relativisme moral, qui a exercé et exerce encore une influence considérable dans le champ philosophique et dans celui des sciences sociales. Les travaux récents liés à la naturalisation de l'éthique tendent en effet à remettre en cause les présupposés empiriques et métaéthiques inhérents au discours relativiste, au profit d'une conception universaliste des phénomènes moraux. L'approche naturaliste, en ce sens, permet de rendre intelligible les mécanismes cognitifs et biologiques qui conditionnent de manière universelle l'émergence et le développement des systèmes moraux. Toutefois, si la naturalisation de l'éthique favorise l'idée d'un universalisme moral descriptif, elle ne conduit pas pour autant, sur le plan normatif, à un réalisme moral naturaliste, c'est-à-dire à la théorie selon laquelle une morale fondée en nature serait intrinsèquement vraie, bonne ou juste.
- Feyerabend, relativiste et réaliste - Jean-luc Gautero p. 91-101 L'une des raisons pour lesquelles le relativisme cognitif fait peur est que ses adversaires y perçoivent un déni de la réalité des éléments dont les sciences de la nature nous disent que se compose le monde. On se propose de montrer, en prenant l'exemple de Paul Feyerabend, qu'un certain relativisme et un certain réalisme scientifique sont pourtant parfaitement compatibles. On sera amené pour cela à étudier les évolutions et les constantes de la pensée de cet auteur et à montrer comment défendre certaines de ses positions d'allure paradoxale.
- La théorie des « capabilités » d'Amartya Sen face au problème du relativisme - Éric Monnet p. 103-120 Cet article se propose d'étudier les fondements philosophiques que donne Sen à sa théorie des capabilités. La notion de capabilité se construit en opposition à l'utilitarisme et dans un rapport critique à la théorie de la justice de Rawls. Elle fait appel au concept de « relativité par rapport à l'agent », introduit par Parfit et Nagel, dans le but de dépasser les insuffisances du conséquentialisme, mais prétend également réintégrer l'évaluation des résultats dans l'évaluation morale. Pour éviter le subjectivisme moral et permettre des comparaisons entre individus, Sen s'écarte cependant de la notion de « relativité par rapport à l'agent » pour forger celle d' « objectivité positionnelle ». Cette dernière notion a donc pour but de fonder une éthique universaliste à partir d'un relativisme descriptif. Toutefois, le caractère très abstrait de la notion de « position » pose problème.
- Jürgen Habermas et Charles Taylor : jugement interculturel et critique de la tradition - Janie Pélabay p. 121-135 L'article développe une comparaison des positions de Charles Taylor et Jürgen Habermas au regard de l'opposition entre relativisme et universalisme. De par la posture conciliatrice, voire ambivalente, qu'ils tiennent au sein du débat libéraux/communautariens, ces deux auteurs sont ici convoqués dans le but de clarifier ce qui se joue en amont, d'un point de vue théorique, dans les controverses autour du multiculturalisme. Leur ambition commune de « situer la raison » dans les contextes concrets du monde vécu, mais aussi et surtout les désaccords qu'ils entretiennent à l'égard des dangers d'une version « forte » du contextualisme sont plus particulièrement étudiés à partir de leur lecture respective de Gadamer. Deux visions divergentes apparaissent quant aux questions du dialogue interculturel et de la critique de la tradition : l'une principalement animée par la quête d'authenticité des communautés, l'autre avant tout soucieuse de préserver la vocation émancipatrice de la raison.
- Rorty : critique davidsonienne du réalisme putnamien - Christophe Schinckus p. 137-152 L'objectif avoué de Putnam dans l'élaboration de son réalisme interne est de justifier la supériorité (en matière de vérité) de la pratique scientifique. Rorty, même s'il reconnaît que son pragmatisme est relativement proche de celui de Putnam, ne peut accepter pareille démarche et déplore le fait que la science soit aujourd'hui considérée comme la seule discipline qui offre une vérité digne d'intérêt. Ce papier s'inscrit directement dans ce débat, désormais classique en philosophie des sciences, entre le réalisme et l'anti-réalisme. Dans le cadre de cet article, le débat se verra limité au cadre néo-pragmatiste puisque nous proposons d'expliciter l'argumentation d'inspiration davidsonienne que propose Rorty pour, d'une part, s'opposer aux positions de Putnam et, d'autre part, justifier indirectement un certain relativisme épistémologique.
- Relativité et relativisme : la réception de la théorie d'Einstein - François-Xavier Demoures p. 153-165 Parmi les interprétations philosophiques de la théorie de la relativité, une controverse surgit entre des néo-relativistes et des néo-thomistes entre 1920 et 1935. Les deux parties, en s'opposant notamment sur les questions d'invariance et de relation et en s'appuyant sur la confusion portée par le nom de « principe de relativité », appliquent des doctrines philosophiques sur les travaux d'Einstein. Comment ceux-ci ont-ils pu faire l'objet d'un tel traitement contradictoire ? On montre que la distinction entre relativité et relativisme n'est pas aussi nette qu'elle en a l'air et que, au-delà du débat strictement doctrinal, c'est la question de la vérité et de la référence qui se trouve au centre de la controverse.
- Relativisme et jurisprudence. Un dialogue entre philosophes et historiens - Aurélien Robert p. 167-180 Bien qu'ils partagent une large part de leur questionnement épistémologique, historiens et philosophes ont souvent peiné à trouver un terrain d'entente et il est remarquable que les réflexions sur la méthode en histoire se soient souvent développées séparément. Le relativisme constitue un exemple paradigmatique de thème commun dont le traitement varie dans chaque discipline. Cette contribution a donc pour but d'esquisser quelques pistes pour renouer ce dialogue rompu autour de la question du relativisme. Si l'histoire et la philosophie en donnent chacune une définition propre, la confrontation et la combinaison des deux approches permettront néanmoins de dépasser cette divergence dans les définitions ainsi que la peur chronique et partagée du relativisme de part et d'autre de cette frontière artificielle. Pour entrer dans cette discussion, nous avons choisi de partir des points de vue de deux historiens de la philosophie médiévale, Claude Panaccio et Alain de Libera, dont l'opposition tient à un désaccord théorique sur l'adoption ou non d'une forme de relativisme historique. L'analyse de ce débat permettra d'envisager une forme de relativisme modéré qui ne doit effrayer ni le philosophe ni l'historien.
- Qui (n')a (pas) peur du relativisme (culturel) ? - Nader N. Chokr, Paul Costey, Yann Fuchs, Marc Lenormand, Victor Moisan, Éric Monnet p. 25-59
Note
- Des menaces postmodernistes au défi relativiste. À propos de Fear of Knowledge de Paul Boghossian - Ophélia Deroy p. 183-192
Entretiens
- Entretien avec Serge Gruzinski - Boris Jeanne p. 195-206
- Un stigmate épistémologique. Le relativisme dans le strong programme de David Bloor (note) - François Briatte p. 207-213
- Entretien avec David Bloor - François Briatte, Marc Lenormand p. 215-228
Conférence
- À propos de Par-delà nature et culture - Philippe Descola p. 231-252