Contenu du sommaire : Humanisme - Cultures politiques en Italie (XVIe-XIXe siècle) - Théories économiques et sciences sociales
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 68, no 3, juin 2013 |
Titre du numéro | Humanisme - Cultures politiques en Italie (XVIe-XIXe siècle) - Théories économiques et sciences sociales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Humanisme
- La naissance de l'humanisme comme mouvement au tournant du XVe siècle - Clémence Revest p. 665-696 Cet article propose une réflexion d'ensemble autour de la mutation fondamentale de l'humanisme en tant que « mouvement culturel », en distinguant une période charnière – les années 1400-1430 en Italie – et en interrogeant la notion même de mouvement comme catégorie d'analyse spécifique et stimulante pour l'histoire intellectuelle. Un effet de seuil décisif est caractérisé, fruit de processus mémoriels, sociologiques et savants corrélés. L'émergence d'une conscience de groupe ancrée dans un rapport réflexif à l'histoire, l'élaboration d'une gamme de pratiques et de références associée à la constitution d'une sociabilité dynamique, la fixation enfin de repères identitaires à la fois distinctifs et producteurs d'adhésion concourent à structurer un « espace des possibles » doté d'une puissante valeur symbolique, à partir du paradigme de la « redécouverte de l'Antiquité ». Dans l'interaction entre circulation des idées, pratiques sociales et imaginaires collectifs se joue l'essor d'un phénomène culturel de longue portée qui, au-delà des grands auteurs, se déploya de multiples façons et créa une « actualité » pensée comme telle.Humanism Becomes a Movement (Early Fifteenth Century) This article provides an overview of how humanism evolved into a “cultural movement” in Italy during the pivotal years between 1400-1430. It examines the very notion of movement as a specific and challenging concept for intellectual history. It also identifies a significant threshold effect that resulted from related memorial, sociological, and literary processes. The emergence of a collective consciousness grounded in a reflective relationship to history on the one hand, the development of practices and references connected to the creation of a dynamic form of sociability on the other, and the establishment of several distinctive markers of inclusive identity converged to produce a powerfully symbolic “realm of possibility” based on the paradigm of the “rediscovery of antiquity.” The development of an enduring cultural phenomenon was at work through the circulation and interaction of ideas, social practices, and elements emerging from the collective imagination. This phenomenon flourished well beyond the works of the period's major authors and created a certain “topicality.”
- La naissance de l'humanisme comme mouvement au tournant du XVe siècle - Clémence Revest p. 665-696
Cultures politiques en Italie (XVIe-XIXe siècle)
- Coeur de l'État, lieu de tension : Le tournant archivistique vu de Venise (XVe-XVIIe siècle) - Filippo De Vivo, Aurore Clavier p. 699-728 Depuis plusieurs années, une nouvelle tendance historiographique s'intéresse aux archives non pas comme simples réserves de documents, mais comme objets d'enquête à part entière. Certaines études analysent l'évolution de leur organisation et de leur administration, dans la mesure où s'y reflètent les présupposés politiques des institutions qui les contrôlent. Cet article prend acte de ce tournant documentaire et en offre une illustration tirée du célèbre cas de la Chancellerie vénitienne entre le XIVe et le XVIIe siècle, à un moment de fort développement de la gestion des archives. Il propose toutefois une approche plus large, replacée dans son contexte social, afin de montrer que les archives n'étaient pas seulement des instruments de pouvoir, mais aussi des lieux de conflits économiques, sociaux et politiques. Une lecture attentive fait apparaître, dans le document précis qui inspira l'image institutionnelle des archives vénitiennes comme « cœur de l'État », l'inquiétude des dirigeants patriciens concernant la fragilité de leurs archives et la fiabilité des notaires qui en avaient la charge. Cette perspective nous aide à expliquer la glorification des archives au Moyen Âge tardif et à l'époque moderne – représentation qui, dans son interprétation littérale, n'a cessé d'inspirer certaines analyses historiques, proposées encore aujourd'hui – en dévoilant les difficultés matérielles des pratiques de l'époque en matière de conservation. L'histoire des archives fait émerger un champ d'enquête prometteur, par sa capacité précise à éclairer à la fois l'histoire de l'État et le contexte social dans lequel ce dernier devait traiter.Heart of the State, Site of Tension: The Archival Turn Viewed From Venice, c. 1400-1700 In recent years, a new historiographical trend has focused on archives not as mere repositories of sources, but as objects of inquiry in their own right. Particular attention has been paid to how their continually evolving organization and management reflect the political presuppositions of the institutions presiding over them. This article acknowledges this archival turn and provides an example drawn from the famous case study of the Venetian chancery between the fourteenth and seventeenth centuries, at a time of substantial developments in the management of archives. It proposes a more inclusive and socially contextualized approach in order to demonstrate that archives were not just tools of power but also sites of economic, social, and political conflict. A close reading of the very document that led to the institutional view of the Venetian archive as the “heart of the state” reveals that the patrician rulers worried about both the fragility of their archive and the reliability of the notaries in charge of it. This perspective helps to explain the exalted representation of the archive in the late Middle Ages and the early modern era–a representation that, taken at face value, continues to inspire historical analysis today–by illuminating the practical difficulties surrounding archival methods at the time. The history of archives emerges as a promising field of inquiry precisely because it can shed light on both the history of the state and the social context in which the state's actions had to be negotiated.
- Porteurs, mendiants, gentilshommes : La construction sociale du pouvoir politique (Rome, XVIe-XVIIe siècle) - Eleonora Canepari p. 729-753 À travers l'utilisation de la notion de configuration de Norbert Elias et de modèles fondés sur la nature relationnelle du pouvoir (la relation patron-client, l'entrepreneur et le big-man), l'article a pour but de porter l'attention sur le rôle clé joué par les liens entre les élites et les couches populaires dans le processus de construction du pouvoir local. La forte mobilité sociale des élites romaines fait du quartier un espace politiquement ouvert : aucune liste officielle des membres de l'aristocratie n'existe avant le XVIIIe siècle, et le Statut de Rome (1580) se contente de définir le candidat aux charges municipales comme « un homme illustre du quartier ». Dans ce contexte, l'ancrage territorial est un élément essentiel dans la conquête du pouvoir local. Des chaînes d'interrelations unissent verticalement les couches les plus basses de la population aux familles de la noblesse. Grâce à des sources judiciaires, aux actes notariés et aux livres de comptes, l'article s'attache à montrer la forte personnalisation des échanges entre élites et couches populaires et l'enchevêtrement entre transactions économiques et relations sociales, ce qui est à la base de la formation de réseaux de clientèle locaux.Holders, Beggars, and Gentlemen: The Social Construction of Political Power in Rome During the Sixteenth and Seventeenth Centuries Employing Norbert Elias's notion of configuration and referring to models based on the relational nature of power (patron-client relationship, entrepreneur and big man), this article highlights how the relationship between the elite and the lower classes played a crucial role in the establishment of local power. The high degree of social mobility amongst the Roman elite made the neighborhood a politically open space: an official list of the aristocracy's members was not available until the eighteenth century, and the Statute of Rome (1580) simply defined an eligible candidate for local offices as “a notable man from the neighborhood.” In this context, strong territorial connections were key when it came to gaining local power. An interconnected network of relationships linked the lower classes and noble families vertically. Through judicial sources, notarial records, and account books, this article presents the highly personalized nature of exchanges between the elite and the lower classes in addition to the complex web of economic transactions and social relations, which was essential to the creation of a local network of clients.
- L'imaginaire de la secte : Littérature et politique aux origines de la camorra (seconde moitié du XIXe siècle) - Francesco Benigno, Maria Novella Borghetti p. 755-789 Ce travail entend proposer une nouvelle réflexion sur les « classes dangereuses », concentrée sur l'étude des origines historiques de la camorra napolitaine, phénomène de criminalité organisée parmi les plus importants à l'échelle mondiale. Dans la Naples des Bourbons, l'expression camorristi renvoie à des sujets sociaux marginaux, des malfaiteurs vivant de l'extorsion exercée dans les bagnes, les tripots et les maisons à femmes. Au cours des turbulents jours de l'unification italienne, on commence à les imaginer comme membres d'une secte légendaire, toute-puissante et influente, la camorra, une société secrète réglée, avec une hiérarchie, des coutumes et son propre argot, qui s'étendrait à la société tout entière. L'article analyse les raisons de cette transformation, étudiant les sources (essentiellement littéraires) et les dynamiques (essentiellement politiques), montrant ainsi les processus de criminalisation et de folklorisation qui marquent une transformation discursive très importante pour l'imaginaire collectif italienne jusqu'à nos jours.Sectarian Imagery: Literature, Politics, and the Origins of the Camorra in the Second Half of Nineteenth Century This article reconsiders the so-called “dangerous classes” by focusing on the historical origins of the Neapolitan camorra, one the world's major criminal organizations. In the Bourbon kingdom of Naples, the term camorristi referred to marginalized individuals, and extortionists who operated in prisons, gambling halls, and brothels. During the turbulent period of Italian unification, such figures were increasingly seen as belonging to a legendary, omnipotent, and influential sect: the camorra, an organized secret society with its own hierarchy, customs, and jargon. This image eventually permeated Italian society. This article examines the reasons behind this evolution by focusing on the (mainly literary) texts and (essentially political) dynamics behind it, which reveal a process of criminalization and folklorization. Such a discursive transformation had a major impact on the Italian collective imagination, one that persists today.
- Coeur de l'État, lieu de tension : Le tournant archivistique vu de Venise (XVe-XVIIe siècle) - Filippo De Vivo, Aurore Clavier p. 699-728
Théories économiques et sciences sociales
- Vices tyranniques : Résistance au monopole, idéologie et marché à l'aube de la modernité - Riccardo Rosolino, Maria Novella Borghetti p. 793-819 Dans l'Europe catholique du début de l'époque moderne, certains théologiens ont imaginé et légitimé la possibilité qu'un monopole puisse être combattu par un monopole de même force, mais de sens contraire. Les dynamiques de marché furent ainsi décrites en empruntant à la pensée politique le principe du droit de résistance. Dans les sociétés d'Ancien Régime, le monopole, habituellement associé aux formes d'accaparement dont le but était de créer la pénurie et de provoquer la cherté, était précisément l'un des crimes dont il fallait défendre le marché et ceux qui y opéraient. Les monopoleurs pouvaient être un ou plusieurs marchands et il était indifférent que ces comportements relèvent des acheteurs ou des vendeurs. On s'y référait normalement avec le terme de « conspiration », chargé d'une évidente connotation politique. Il s'agissait d'un crime mais aussi d'un péché, d'un acte de violence et de l'une des principales formes de violation du principe de justice commutative. On pensa cependant qu'il était moralement acceptable de neutraliser le monopole par une action de même nature. L'idée ne demeura pas dans le domaine étroit de la théologie mais elle fut reprise par les juristes. Ainsi, le marché, lieu de règles et de justice et forum où les biens recevaient un prix, commença à être aussi conçu comme un espace où il était possible de se défendre de ceux qui en manipulaient le fonctionnement, en employant les mêmes armes criminelles.Tyrannical Vices: The Moral Basis of Anti-Monopolistic Conspiracies Between Resistance Theory and Market Logic In early modern Catholic Europe, certain theologians imagined and legitimized the possibility that one monopoly could be fought by an equal and opposite monopoly. Market dynamics were thus described in terms of the theory of resistance derived from political thought. During the Old Regime, it was necessary to defend the market and its actors from monopoly, which was associated with hoarding and meant to create scarcity and higher prices. A monopolist could be either a single merchant or a group of them, and there was no distinction between buyers and sellers who behaved in such a way. Monopolistic behavior was usually referred to as a “conspiracy,” which carried obvious political connotations. It was both a crime and a sin in addition to being considered an act of violence and one of the primary means of violating the principle of commutative justice. Neverthless, many thought that it was morally acceptable to neutralize a monopolistic action with a similar one. This idea was not restricted to the field of theology and was also taken up by jurists. Thus, the market was no longer simply a place of rules and a forum where goods were valued, but also a space where it was possible to defend oneself against those who manipulated it by applying the very same criminal tactics.
- L'insoutenable ambiguïté du don - Alain Guery p. 821-837 Dans son livre Pour une histoire naturelle du don, François Athané remet en cause les discours sur le rôle social fondamental que la pensée anthropologique, sociologique et philosophique a attribué au don. À partir de la notion de transfert d'un bien ou d'un service, composante élémentaire aussi bien du don que de l'échange, il procède à la déconstruction de certains de ces discours, à commencer par le premier d'entre eux :l'Essai sur le don de Marcel Mauss (1923). Cette méthode, en ne permettant pas d'envisager en bloc la triade « don – réception – contre-don », ne fait plus cas d'une obligation de rendre que M. Mauss avait mise en valeur, privant le don de sa raison constitutive d'un lien social. Ce terrain argumentaire ainsi dégagé permet à F. Athané de proposer une nouvelle interprétation de la place qu'occupe malgré tout le don dans nos schémas mentaux et nos comportements sociaux. Elle renvoie à la nature universalisant le don comme manifestation de l'altruisme parental. Mais, si un pont est ainsi jeté entre nature et culture – le don serait la forme culturelle de cet altruisme parental naturel –, il n'est pas fait appel aux travaux de la sociobiologie, autrefois critiquée par les auteurs aux analyses ici récusées. Ce nouveau renvoi à la nature où la société et ses règles trouveraient leurs sources devrait susciter de nouveaux débats.The Unbearable Ambiguity of the Gift In his book, Pour une histoire naturelle du don, François Athané questions the various anthropological, sociological, and philosophical discourses surrounding the fundamental social role of the gift. Taking as his point of departure the notion of the transfer of goods or services as a basic factor both in the exchange of gifts and of the gift itself, the author proceeds to deconstruct certain theories, beginning with Marcel Mauss's The Gift: Forms and Functions of Exchange in Archaic Societies (first published in French in 1923, and later published in English in 1954). Since such an approach does not permit the consideration of the “gift– receipt–reciprocation” trichotomy as a whole, it does not take into account the obligation to reciprocate that Mauss highlighted and thus deprives the gift of its constitutive role as a social link. Athané thus proposes a new interpretation of the place the gift occupies in human perception and social behavior. He refers to the universalizing nature of the gift as an expression of parental altruism. However, while this establishes a connection between nature and culture (the gift being the cultural form of this natural parental altruism), Athané makes no reference to the social and biological studies that were previously challenged by the authors he cites. This reconsideration of nature, in which society and its rules are said to originate, should give rise to new debates.
- Détours et contours de la rente : Les structures pérennes de la transmission entre générations - Robert Descimon p. 839-848 André Masson propose de remplacer le « théorème » de l'altruisme générationnel de Gary Becker par une explication structurale qui est inspirée du célèbre Essai sur le don de Marcel Mauss (1923), celle des réciprocités indirectes entre trois générations. Il construit ainsi une critique feutrée des a priori moraux qui sous-tendent souvent les analyses des économistes libéraux (tels « l'effet de démonstration », le disenfranchisement ou la théorie de l'homo reciprocans). A. Masson, assumant les ambitions de la science économique, conserve cependant une conception plus concurrentielle que coopérative des sciences sociales et développe une analyse convaincante des fondements économiques et sociaux des transferts entre générations de nos jours. L'argument développé dans cette note critique propose à la fois une lecture historique de l'idéologie de l'équité intergénérationnelle, qui n'est pensable que dans le passage des Trente Glorieuses aux Trente Piteuses, et une lecture structurale qui argue que, pour les possédants de l'Ancien Régime européen, la réussite des transferts entre générations répondait aux mêmes exigences formelles qu'au XXIe siècle.The Detours and Contours of Income: The Enduring Structures of Intergenerational Transmission André Masson proposes replacing Gary Becker's “theory” of generational altruism with a structural explanation inspired by Marcel Mauss's famous essay The Gift: Forms and Functions of Exchange in Archaic Societies (1923), which was rooted in indirect reciprocities between three generations. Masson thereby elaborates a gentle critique of the moral principles often lying beneath the analyses of liberal economists (such as the “demonstration effect,” disenfranchisement, or the theory of homo reciprocans). Accepting the ambitions of economic science, Masson nonetheless maintains a conception of the social sciences that is more competitive than cooperative and provides convincing analysis of the economic and social foundations of current intergenerational transfers. The argument developed in this critical note proposes both a historical reading of the ideology of intergenerational equity, which is only conceivable in the transition from the Trente Glorieuses to the Trente Piteuses, and a structural reading arguing that, for the wealthy classes during the European Old Regime, successful transfers of wealth between generations followed to the same formal requirements as those in the twenty-first century.
- Vices tyranniques : Résistance au monopole, idéologie et marché à l'aube de la modernité - Riccardo Rosolino, Maria Novella Borghetti p. 793-819
Comptes rendus
- Comptes rendus. Histoire culturelle - p. 851-939