Contenu du sommaire : Sur la sexualité.
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
---|---|
Numéro | no 128, juin 1999 |
Titre du numéro | Sur la sexualité. |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Sur la sexualité.
- Les significations sociales des actes sexuels. - Michel Bozon. Les significations sociales des actes sexuels. Dans la sexualité humaine, l'activité des corps n'est pas affaire d'instinct mais d'apprentissage social. L'imbrication des actes sexuels et des significations qu'ils revêtent est pourtant rarement analysée, en raison de l'invisibilité de la sexualité physique tout d'abord, et également comme effet des difficultés et résistances des sujets à nommer leurs pratiques sexuelles. À aucune époque historique et dans aucune culture, l'activité sexuelle ne s'est en effet donnée à voir, même s'il est vrai que la dissimulation de la sexualité s'est renforcée de façon décisive avec la construction progressive de l'intériorité occidentale. Facile à suggérer métaphoriquement, la sexualité physique est en revanche difficile à dire et à nommer par les acteurs, même dans les enquêtes sur les comportements sexuels. Malgré son caractère secret, l'activité sexuelle a toujours été l'objet de prescriptions, de recommandations et de discours publics. Classer et censurer les actes sexuels a longtemps été une façon de contrôler les rapports sociaux qu'ils impliquaient. Lorsque au XIXe siècle la sphère de la sexualité a pris son autonomie, un langage « scientifique » de description est apparu, permettant aux individus de se situer comme sujets à partir de leurs actes, et accompagnant la psychologisation de leurs comportements. Même si les principes de classement des actes sexuels ont changé, la perception de la sexualité physique, lisible dans les métaphores utilisées pour décrire les actes de base, n'a jamais cessé d'être structurée par la domination de genre. Par ailleurs, l'évolution contemporaine, qui a valorisé et démocratisé la notion de jeu dans les rapports sexuels, n'a pas fait disparaître celle de transgression, comme au-delà dangereux de la normalité sexuelle. En définitive, la dissimulation de l'acte sexuel est sans doute liée au double fait qu'il est perçu comme un rituel fragile et instable, mais d'importance fondamentale, parce que la domination de genre s'y matérialise « magiquement ».On the social meanings of sexual acts In the realm of human sexuality, bodily activity is never a matter of instinct, it is learned socially. Yet the relationship between sexual acts and the meanings they take on is rarely analyzed, first of all because physical sexuality is largely unseen and then because of the difficulties or resistance subjects have in naming their sexual practices. At no time in history and in no culture has sexual activity ever been displayed, even if it is true that the dissimulation of sexuality has been decisively reinforced with the progressive construction of Western interiority. While physical sexuality is easy to suggest metaphorically, it is difficult for the actors to put into words and to name, even in the surveys on sexual behaviors. In spite of its secret nature, sexual activity has always been the object of prescriptions, recommendations and public discourse. The classification and censure of sexual acts has long been one method of controlling the social relations they entailed. With the emerging autonomy of the sexual sphere in the 19th century, a "scientific" descriptive language appeared that enabled individuals to situate themselves as subjects with respect to their acts and accompanied the psychologization of their behaviors. Even if the rules for classifying sexual acts have changed, the perception of physical sexuality, which can be read in the metaphors used to describe the basic acts, is still structured by gender domination. In addition, the contemporary evolution, which has valorized and democratized the notion of sexual play, has not obliterated that of transgression, as the dangerous zone beyond sexual normalcy. Ultimately, dissimulation of the sexual act is no doubt connected with the fact that is perceived both as a ritual that is fragile and unstable and as one whose importance is fondamental because it "magically" materializes male domination.
- Lieux de rencontre et backs-rooms. - P. O. de Busscher, R. Mendès-Leite, B. Proth.
- La femme sans sexualité et l'homme irresponsable. - Brenda Spencer.
- La sexualité à l'épreuve de la médicalisation : le Viagra. - Nathalie Bajos, Michel Bozon.
- Cent ans d'hétérosexualité. - Alain Giami. Cent ans d'hétérosexualité L'apparition de l'hétérosexualité s'inscrit dans le mouvement de dissociation de la fonction erotique de la sexualité par rapport à sa fonction reproductive, c'est-à-dire la « modernisation de la sexualité». À la fin du XIXe, les «pionniers de la sexologie » ont classé « l'hétérosexualité » comme une forme de sexualité visant à l'obtention du plaisir parmi les « aberrations sexuelles ». À l'autre extrême, Kinsey et Masters et Johnson ont fait de l'hétérosexualité, et de l'activité sexuelle visant à l'obtention de l'orgasme dans le cadre du couple conjugal, le modèle « normal et naturel » de la sexualité. Mais ce modèle de la normalité sexuelle a été remis en cause par Masters et Johnson eux-mêmes qui ont instauré, dans une deuxième période de leur œuvre, le principe de l'équivalence généralisée de toutes les pratiques sexuelles. Par la suite, au milieu des années 70, dans le contexte de l'émergence du mouvement féministe américain, la dissociation des fonctions procréatrices et erotiques de l'activité sexuelle s'est amplifiée avec : la remise en cause du rôle central du coït pour l'obtention de l'orgasme féminin; l'affirmation selon laquelle le coït serait une forme de violence sexuelle à l'égard des femmes ; et l'apparition du sida qui a associé le coït avec la possibilité d'une contamination. Le caractère normal et naturel de l'hétérosexualité s'est donc trouvé remis en cause sous l'influence de découvertes scientifiques, de l'action de mouvements sociaux et de l'émergence d'une épidémie.A hundred years of heterosexuality The notion of heterosexuality appears as part of the gradual dissociation between the erotic function of sexuality and its reproductive function, in other words it stems from the "modernization of sexuality". At the end of the 19th century, the "pioneers of sexology" placed "heterosexuality" as a form of sexuality practiced for the purpose of achieving orgasm in the category of sexual deviancies. At the other extreme, Kinsey and Masters and Johnson made heterosexuality and sexual activity for the purpose of pleasure in the context of the married couple the "normal and natural" model of sexuality. But this model of sexual normalcy was later challenged by Masters and Johnson themselves, who initiated, in the second phase of their work, the principle of the generalized equivalence of all sexual practices. Subsequently, in the mid 1970s, in the context of the newborn American feminist movement, dissociation of the procreative and the erotic functions of sexual activity was exacerbated, with the resulting challenge to the central role of coitus in the female orgasm; the affirmation that coitus was a form of sexual violence to women ; and the appearance of Aids, which associated coitus with the possibility of contamination. The normal and natural character of heterosexuality was thus thrown into question under the influence of scientific discoveries, the action of social movements and the emergence of an epidemic.
- Une construction coloniale de la sexualité. A propos du multipartenariat hétérosexuel caribéen. - Michel Giraud. Une construction coloniale de la sexualité. La catégorie foncièrement épidémiologique de multipartenariat qui, pour l'essentiel, explique la gravité et les spécificités de l'infection du sida aux Antilles et en Guyane est, en fait, localement réinterprétée à travers la construction sociale d'une sexualité des hommes noirs, fruit d'une histoire coloniale fortement marquée de l'empreinte de l'esclavage. Une histoire donc souvent invoquée pour comprendre les rapports de genres et les comportements sexuels actuels dans ces pays, y compris en plaçant à l'origine du machisme caribéen une volonté de s'opposer à la domination esclavagiste et coloniale. Au risque de surenchérir sur les stéréotypes qui stigmatisent une prétendue sexualité nègre et sur la volonté de normalisation qui les sous-tend. Les données de l'enquête Analyse des comportements sexuels aux Antilles et en Guyane, tout en confirmant l'existence d'un double standard de comportement sexuel selon le sexe des individus, montrent qu'il n'est pas aussi général que le voudraient cette construction et les analyses qui lui sont soumises. Elles révèlent également une stabilité des relations multipartenariales aux Antilles qui est peu conforme aux présupposés de ladite construction. C'est que la très forte emprise du principe d'une respectabilité mesurée à l'aune des normes de comportement de la petite bourgeoisie coloniale - qui valorise le mariage chrétien, la fidélité conjugale et la naissance d'enfants légitimes - est venue contrebalancer l'impact du principe de réputation qui s'était constitué en opposition à la morale coloniale et dont le donjuanisme est l'élément central. La stigmatisation qu'opère la construction sociale examinée, et donc la défiance qu'elle suscite dans de larges secteurs des populations antillaises et guyanaises, mais aussi la mauvaise appréciation des situations de risque de contamination par le virus du sida affrontées par ces populations, à laquelle conduit cette construction (notamment par la méconnaissance qu'elle induit de l'importance du nombre de « multipartenaires stables»), restent des obstacles majeurs à la prévention du sida dans les départements d'Amérique.A colonial construction of sexuality. The fundamentally epidemiological category of multiple-partners hip which, on the whole, explains the seriousness and the specificities of the aids epidemie in the French West Indies and Guiana is, in fact, locally reinterpreted through the social construction of a black male sexuality stemming from a colonial history strongly marked by slavery. This history is often invoked to explain present-day gender relations and sexual behaviors in these countries, including attributing the origin of Caribbean machismo to an opposition to the domination of slavery and colonization. At the risk of exacerbating these stereotypes which stigmatize a so-called Negro sexuality or the desire for normalization that underlies them. While the findings of the study, Analyse des comportements sexuels aux Antilles et en Guyane, confirm the existence of a double standard for sexual behavior according to the sex of the individuals, they also show that it is not as widespread as this construction and the resulting analyses would have it. They also show a stability in multi-partner relationships in the West Indies which is not consistent with the assumptions of the construction. This is because the strong influence of the principle of a respectability measured by colonial petty bourgeoisie standards - which values Christian marriage, marital fidelity and the birth of legitimate children - counteracts the impact of the principle of reputation, which grew up in opposition to colonial morality and of which the Don Juan complex is the central element. The stigmatization occasioned by this social construction, and therefore the distrust it inspires in broad sectors of the West Indian and Guianese populations, together with the underrating of the situations that present risks of contamination by the Aids virus that is invited by this construction (in particular by the misapprehension it induces as to the importance of the number of "stable multi-partners"), remain the major barriers to Aids prevention in these countries.
- Bonheur dans le ghetto ou bonheur domestique ? Enquête sur l'évolution des expériences homosexuelles. - Philippe Adam. Bonheur dans le ghetto ou bonheur domestique? L'objectif de cet article est d'étudier le processus de construction sociale qui a conduit à l'émergence de nouvelles formes d'expériences homosexuelles masculines moins centrées sur le multipartenariat et l'affirmation identitaire. Sous l'influence d'une augmentation de la tolérance à l'égard de l'homosexualité et de l'épidémie de sida, l'idéal communautaire du « bonheur dans le ghetto » qui semblait prévaloir dans les années 70 a été largement concurrencé par la recherche d'un bonheur dans la sphère privée ou domestique. Dans la mesure où les expériences intimes des gays s'avèrent être structurées par leur position sociale et par diverses expériences biographiques, les nouvelles formes d'expériences homosexuelles sont cependant les plus fréquentes parmi les homosexuels les plus favorisés socialement, les plus précoces sexuellement et les mieux acceptés par leur entourage.Happiness in the ghetto or domestic bliss? The aim of this article is to study the process of social construction that has led to the emergence of new forms of male homosexual experiences, less centered on multiple partners and gay identity. Under the influence of a growing tolerance of homosexuality and the Aids epidemic, the communitarian ideal of "happiness in the ghetto" that seemed to dominate the 1970s has corne into competition with the search for happiness in the private or domestic sphere. Insofar as the private life of gays turns out to be structured by social position and various biographical experiences, the new forms of homosexual experiences are still most frequent among the socially privileged groups, among the most sexually precocious and among those best accepted by their entourage.
- Les usages explicites et implicites de la perspective des scripts dans les recherches sur la sexualité. Présentation de Michel Bozon et Alain Giami. - John H. Gagnon.
- Leçons de choses. - Olivier Christin.
- Les significations sociales des actes sexuels. - Michel Bozon.