Contenu du sommaire : Travail et politique
Revue | Politique africaine |
---|---|
Numéro | no 133, mars 2014 |
Titre du numéro | Travail et politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Avant-propos - Didier Péclard, David Ambrosetti p. 5-6
Le Dossier : Travail et politique
- Le travail : un phénomène politique complexe et ses mutations conjoncturelles - Laurent Bazin p. 7-23
- Pourquoi travail et travailleurs africains ne sont plus à la mode en 2014 dans les sciences sociales : Retour sur l'actualité d'une problématique du xxe siècle - Jean Copans p. 25-43 L'apparition, l'enracinement inter-africain et international, puis la mutation thématique récente et la disparition, de fait, de l'intérêt porté au monde du travail et des travailleurs dans les études africaines, entre 1950 et 2000, est manifeste. La conjonction entre des perspectives théoriques, inspirées peu ou prou par les marxismes, et un activisme tiers-mondiste internationaliste a produit un corpus collectif important de travaux empiriques, mobilisé par un comparatisme entre aires continentales tout à fait efficace. Le passage à des nouvelles thématiques, moins directement centrées sur les travailleurs, comme les migrations et la pauvreté, ont déconnecté le travail d'une approche sociétale globale et d'une sensibilité pour les mobilisations syndicales et politiques.The interest for labour, workers and labour action during the 1950-2000 period in African studies, notably French social sciences, is undisputed. The relation between theoretical insights more or less guided by a marxist inspiration and a third worldist and internationalist activism has produced an important collective ouput of empirical studies enlarged by a very efficient comparatist approach between continental areas. The transformation of this domain into new thematics these last fifteen years, like migration or poverty, have partly disconnected the study of labour from an embedded anthropological perspective and from an activist concern for union and political struggles.
- Un travail de pros : Réforme de la Sodecoton et redéploiement des formes de mobilisation du travail paysan en zone cotonnière dans l'Extrême-Nord au Cameroun - Guillaume Vadot p. 45-67 L'ajustement structurel au Cameroun a frappé durement l'agro-industrie. Au sein de la filière coton, il a provoqué la crise du modèle mis en place dans les dernières années de la colonisation. L'article revient sur la manière dont la Sodecoton a pu faire face à cette crise, en réduisant une part significative de ses coûts par une sollicitation accrue du travail des cotonculteurs. Ce processus dénommé « professionnalisation » a permis, sous couvert d'un discours pro-paysan, le redéploiement de la capacité de contrôle de la société monopoliste sur les villages, via des mécanismes nouveaux que l'on se propose d'analyser.Structural adjustment in Cameroon hit the agro-industrial sector harshly. In the monopolistic cotton industry, it challenged the pattern built during the late colonization period. This article analyses how the Sodecoton tried to manage this crisis, by transferring a large part of its costs on the cotton growers. This process called “professionalization” enabled, under the cover of a pro-peasant rhetoric, the redeployment of the control capacity of the monopolistic firm via new mechanisms which are at the center of the inquiry.
- Politisation du travail des étrangers: repenser la variable « sans-papiers » - Ange Bergson Lendja Ngnemzué p. 69-92 Cet article analyse une figure particulière de la politisation de l'immigration en Europe : l'instrumentalisation des travailleurs étrangers illégaux par l'État. Si l'approche conventionnelle ne considère que les coûts et bénéfices de cette main-d'œuvre à comprimer, l'article montre que le paradoxe de la répression et de l'intégration se trouve au cœur d'un dispositif où les « sans-papiers » représentent une variable stratégique du marché du travail dérégulé. Cette instrumentalisation est contemporaine d'une transformation plus globale : le contrôle politique de la société par la production de dispositifs sécuritaires comme Europol et d'autres agences technocratiques, qui forment des « archipels bureaucratiques » situés en dehors du champ démocratique traditionnel. Cette transformation liquéfie les grands équilibres anciennement établis dans l'économie de la main-d'œuvre et escamote le débat démocratique sur le travail. Figure moderne de la précarisation du travail, les sans-papiers sont le marqueur sociologique de la fin du salariat.This article looks at a particular feature of the politicization of immigration in Europe: the instrumentalisation of illegal foreign workers by the State. Conventional approaches have thus far only considered the issue in terms of the costs and benefits of a particular work force that needs to be strictly controlled. By contrast, this article argues that policies of repression and integration of this work force constitute a paradox which is at the heart of a wider system of regulation. In this system, illegal immigrant workers (“sans papiers”) represent a central category in a de-regulated labour market. This process of instrumentalisation is part of a wider transformation: the political control of society through security apparatuses such as Europol and other technocratic agencies which form “bureaucratic archipelagos” outside and beyond the traditional democratic sphere. This transformation unsettles former equilibriums in the economy of the work force and it eschews any democratic debate about labour. “Sans-papiers” are both a modern expression of the increasing insecurity of labour and the sociological marker of the end of paid employment (“salariat”).
- Des chercheurs d'or aux diplômés chômeurs : émigration, travail et politique entre Égypte et Golfe (2006-2012) - Lucile Gruntz p. 93-110 L'article traite des rapports au politique de travailleurs égyptiens au gré de leurs allers-retours entre Égypte et Golfe au tournant des années 2000 -2010. L'émigration de travail vers les monarchies pétrolières, puis la migration de retour, constituent un enjeu tant pour le régime autoritaire égyptien que pour ses opposants ; elles génèrent des subjectivations critiques, quoique circonscrites dans des temps et espaces sociaux spécifiques, en immigration comme au retour au Caire ; elles alimentent les imaginaires politiques et les répertoires d'action. Ces différentes échelles sont articulées à partir de données ethnographiques recueillies entre 2006 et 2012 au Caire et aux Émirats arabes unis.The article focuses on political relations developed by Egyptian labour migrants to the Gulf, and back home, in the late 2000s. Labour migration and returns are an issue for both the authoritarian Egyptian regime and its opponents. Migration experiences also give birth to critical subjectivization processes on the part of emigrants and returnees. Last, migration feeds evolving political imagination and repertoires. Ethnography helps to articulate various scales and stakes, through inquiries led in Cairo and the Arab United Emirates between 2006 and 2012.
- Marikana : répression étatique d'une mobilisation ouvrière indépendante - Judith Hayem p. 111-130 L'article* analyse les raisons de la répression violente de la grève des mineurs de Marikana en Afrique du Sud, qui a fait 34 morts le 16 août 2012. Il examine le contexte économique et productif dans lequel les Rock Drill Operators (RDO), les mineurs les moins payés, revendiquent une augmentation, hors des négociations salariales classiques. Il se concentre ensuite sur l'examen de leur subjectivité et de leurs principes dans la grève. Parce qu'elle est organisée en dehors du syndicat majoritaire, le National Union of Mineworkers, par des mineurs réclamant de s'entretenir directement avec leur employeur, comme symbole de reconnaissance, cette grève reflète une crise de la représentation et incarne une forme politique alternative. L'auteur fait l'hypothèse que ce sont ces caractéristiques qui ont rendu cette mobilisation extraparlementaire et populaire si gênante pour le gouvernement ANC, au point d'ordonner à la police de tirer sur les manifestants.The article analyses the reasons why Marikana mineworkers' strike has been violently repressed, killing 34 people on 16 th August 2012 in South Africa. It looks at the economic and productive context in which the RDO, the less payed mineworkers, demand a rise, outside of the usual bargaining session ; it then focuses on their subjectivity and principles in the strike. Organized outside the main Trade Union, National Union of Mineworkers, the strikers require to talk to the employer directly, as a sign of recognition; in so doing, the strike illustrates a crisis of representation and constitutes an alternative politics. The author's hypothesis is that the ANC governement ordered the police to shoot in order to crush this extra parlementary and popular mobilization because it is uncomfortable with it.
Recherches
- Les politiques de « loisir » et le génocide des Tutsi rwandais : Du racisme culturel aux donjons de la mémoire (1957-2013) - Thomas Riot p. 131-151 Au cœur de la vingtième commémoration officielle du génocide des Tutsi au Rwanda, cet article montre le rôle joué par des mouvements de jeunesse à vocation sportive et pédagogique dans la maturation pratique et idéologique du massacre. De 1957 à nos jours, ces activités ont alimenté des appareils de contrôle social et de mobilisation politique des membres et responsables de ces mouvements de jeunesse. Il s'en dégage un ensemble de politiques culturelles impliquées dans la fabrication « émulatrice » de l'idéologie du génocide, aujourd'hui appréhendée comme le principal combat des « gardiens de la mémoire ».While Rwanda is commemorating the victims of the genocide of the Tutsi twenty years after the events, this article highlights the role of youth movements dedicated to leisure, sports and moral education in the practical and ideological maturation of the massacre. From 1957 to the present day, such activities have fuelled devices of social control and political mobilization for the members and leaders of these movements. The paper deals with a set of cultural policies in the “play-time” manufacture of genocide ideology, now understood as the main struggle of the gatekeepers of the “memory”.
- Les politiques de « loisir » et le génocide des Tutsi rwandais : Du racisme culturel aux donjons de la mémoire (1957-2013) - Thomas Riot p. 131-151
Conjoncture
- Retour sur les Printemps arabes - Jean-François Bayart p. 153-175 L'analogie établie entre le « Printemps arabe » et celui des Peuples européens, en 1848, n'est pas sans utilité heuristique. Plus problématiques sont la caractérisation de ces mobilisations en termes d'arabité ou d'islam, et leur périodisation de courte durée qui a prévalu, au risque de les dissocier de mouvements sociaux et politiques antérieurs dans les pays concernés ou dans d'autres sociétés considérées comme musulmanes. Le « Printemps arabe » se décline en plusieurs scénarios de réponse conservatrice à la mobilisation populaire dont les partis islamiques ont pu être le vecteur, de restauration autoritaire, de modernisation conservatrice, ou de guerre civile. Dans cette diversité, il doit être replacé à la lumière d'enjeux qui le transcendent : ceux de la reproduction ou de la remise en cause des « situations autoritaires » dans lesquelles il s'est inscrit, de leur économie politique, de la formation asymétrique de l'État sur les décombres des empires ottoman et coloniaux, du dédoublement des structures de pouvoir, du rapport ambivalent qu'entretenaient les anciens régimes avec les sociétés et notamment les masses populaires.Drawing an analogy between the so-called « Arab Spring » and the sense of rebirth that wafted across Europe in 1848 proves useful from a heuristic perspective. Related exercises are more problematic. Among these are attempts to explain the events in question in terms of « Arabness » or « Islam » and to understand them as short-term developments, unrelated to social and political movements, whether local or further afield. The « Arab Spring » is many things simultaneously : conservative responses on the part of Islamic parties to popular mobilizations ; resurgences of authoritarianism ; conservative modernization ; civil war. Within the broader context of this diversity, the « Arab Spring » must be understood in light of stakes that transcend it. These include the reproduction and/or questioning of associated « authoritarian situations », the political economy thereof, asymetrical formations of the State on the ruins of the Ottoman and colonial empires, overlapping structures of power, ambivalent relationships entertained by ex-regimes with the social order and, notably, with the masses.
- Retour sur les Printemps arabes - Jean-François Bayart p. 153-175
Lectures