Contenu du sommaire : L'ennemi

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 5, février 2002
Titre du numéro L'ennemi
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

    • Éditorial - Sandrine Lefranc, Marc Sadoun p. 3-7 accès libre
  • Dossier

    • De l'ennemi public aux amitiés particulières. Quelques hypothèses sur le rôle du Diable (15e-17e siècles) - Sophie Houdard p. 9-27 accès libre avec résumé
      Du 15e au 17e siècle, l'Europe moderne invente, traque et persécute l'hérésie diabolique. Si l'invention de cet ennemi public numéro un des Temps modernes reste, au fond, une énigme historique, on peut essayer de voir comment la passion de l'Union (chrétienté, corps mystique de l'Atat), de l'Un, sans place pour l'autre, a produit ce massacre collectif. Le Diable figure peut-être l'empreinte de tous les rêves de totalité et de fusion ; dernière construction totalisante de la langue chrétienne, il est l'empreinte, ici et là, aujourd'hui et naguère, de la passion meurtrière pour le Même.
    • L'invention racialiste du Juif - Pierre-André Taguieff p. 29-51 accès libre avec résumé
      L'appel, lancé par Drumont, à défendre la « vieille France » contre la « conquête juive » est au coeur de l'antisémitisme moderne à la française qui implique une conception raciste de l'antagonisme entre les « races » respectivement aryenne et sémitique ainsi qu'un recours au mythe de la « conspiration juive ». Dans cette configuration antisémite illustrant un racisme dirigé contre les Juifs, ces derniers sont identifiés comme les représentants d'une « race » étrangère et ennemie, en même temps qu'ils sont fantasmés comme l'incarnation d'une puissance internationale occulte, visant la domination totale. Le type négatif qu'est « le Juif » est construit comme une quasi-espèce biologique dont les attributs sont l'infériorité intellectuelle et morale, la propension à comploter, le parasitisme. La diffusion de cet antisémitisme politique à base racialiste est inséparable de l'émergence du nationalisme ethnoracial qui, à la fin du 19e siècle, se présente comme un corps de doctrines et un projet de refonte sociale : défendre et protéger l'identité française substantielle qu'on suppose menacée par la « puissance juive », puissance de domination, de dissolution, de souillure et de destruction.
    • L'ennemi « ethnique » - Luc de Heusch p. 53-67 accès libre avec résumé
      La chasse aux têtes et le cannibalisme pratiqués par certains groupes amérindiens sont des tentatives d'intégration systématique des voisins, considérés comme ennemis, dans le champ des relations sociales. Il arrive aussi que la chasse aux têtes vise des peuples lointains, comme chez les Wuli du Cameroun, qui accordent un pouvoir de fécondité aux têtes coupées des ennemis. Ces pratiques, quelles que soient leur violence et leur cruauté, institutionnalisées et ritualisées, participent d'une recherche de définition ou de renforcement de l'identité collective. Elles n'ont en tout cas rien en commun avec les génocides ethniques modernes fondés, à des fins politiques, sur la volonté d'extermination de l'Autre qui n'est pourtant, bien souvent, que le Même.
    • La Révolution française : généalogie de l'ennemi - Jean-Clément Martin p. 69-79 accès libre avec résumé
      Si la Révolution française est marquée par l'exclusion des ennemis, pourchassés sous d'innombrables désignations, le processus qui est alors en jeu concerne tous les protagonistes de cette période et résulte d'une mise en place progressive d'une lecture politique collective. L'étude des étapes qui ont conduit à cette situation, et qui ont contribué ensuite à sa transmutation en identifiant l'ennemi avec l'étranger à l'Atat-nation montre combien il est nécessaire de comprendre cette historicisation pour se déprendre de l'historiographie qui a fixé la Révolution française dans un paroxysme conjoncturel.
    • Des ennemis, un ennemi : l'amalgame hitlérien - Pierre Ayçoberry p. 81-93 accès libre avec résumé
      Le fantasme du Juif universel, maître à la fois du capitalisme occidental et du bolchevisme oriental, a été développé par Hitler à partir de 1919-1920 et n'a cessé ensuite, jusqu'à ses derniers jours, de légitimer ses expressions de haine et sa politique de génocide. Ce discours sur la menace de l'ennemi unique, éternel et omniprésent, n'aurait pu être transposé dans la pratique s'il n'avait été adopté par les trois types d'antisémites allemands, les activistes de la force brutale, les conservateurs plus ou moins réticents et les penseurs-bourreaux SS.
    • Ce qui rattache les fascismes et le communisme à la modernité - Richard Wolin p. 95-107 accès libre avec résumé
      Un tabou historiographique de gauche a longtemps proscrit toute comparaison entre communisme et fascisme. Bien que ce tabou ait été levé avec la chute du communisme, de nombreuses questions relatives à cette comparaison demeurent sans réponse. Doit-on mettre l'accent sur les similitudes entre les régimes totalitaires (l'Union Soviétique de Staline et le Troisième Reich de Hitler) ou insister sur leurs différences ? En mettant au premier plan la thèse de l'« inimitié fraternelle » et les traits politiques communs aux deux régimes, ce qu'a fait Ernst Nolte dans son dialogue avec François Furet, on court le risque de tomber dans l'apologie du nazisme. Le fait que le nazisme ait touché l'une des sociétés les plus industrialisées d'Occident et que le stalinisme se soit enraciné dans une société économiquement sous-développée suggère que les différences entre ces formations totalitaires l'emportent sur leurs similitudes.
    • Origine et finalité de la Cité idéale : la guerre dans la philosophie grecque - Frédéric Ramel p. 109-125 accès libre avec résumé
      Dans la Grèce antique, la guerre semble être l'état normal des Cités. Toutefois, la philosophie écarte ce phénomène lorsqu'elle examine l'origine ou la finalité des unités politiques. Platon et Aristote prônent un idéal d'autarcie et du juste milieu qui fait de l'inimitié un mécanisme risquant de briser l'essence même de la Cité. Un tel positionnement s'explique par la peur de la démesure, la recherche de la vertu et du bien en soi et, enfin, par la nécessité de la sagesse, source de perfection en toute chose.
    • Renoncer à l'ennemi ? Jeux de piste dans l'Argentine postdictatoriale - Sandrine Lefranc p. 127-143 accès libre avec résumé
      Comme beaucoup d'autres démocraties nouvelles, l'Argentine est entrée, dans les années 1980, dans un processus de régulation d'une violence politique depuis longtemps érigée en composante normale des échanges politiques et systématisée par le régime militaire. Les acteurs en concurrence pour le pouvoir ont commencé de se considérer comme des adversaires courtois et non plus comme des ennemis absolus. Les gouvernements démocratiques successifs ont tenté d'amener les agents et victimes de la répression militaire à se « réconcilier ». Néanmoins, ce processus démocratique de régulation de la violence montre ses limites : la violence resurgit aux marges de l'espace politique et une logique d'inimitié imprègne encore les relations entre les anciens bourreaux et leurs victimes. Les formes de mobilisations des mères et des enfants des « disparus » montrent que la démocratie argentine n'est pas venue à bout de l'ennemi.
    • Schmitt et les Allemands - Claire-Lise Buis p. 145-156 accès libre avec résumé
      Pendant plus de cinquante ans, l'oeuvre de Carl Schmitt a suscité, en Allemagne, de nombreuses controverses. Si l'engagement du juriste aux côtés du NSDAP a longtemps été au coeur des argumentations, sa mort, puis la réunification ont permis aux débats de se décharger d'enjeux personnels pour se concentrer sur des questions proprement philosophiques. Le « cas » Carl Schmitt est, par ailleurs, devenu un objet d'histoire des intellectuels. La réception de Schmitt en Allemagne peut s'étudier à partir de différents critères d'engagement : l'opinion politique, la génération, les liens personnels, l'université d'origine et la discipline et, enfin, les origines socio-culturelles et géographiques des acteurs du débat. Mais l'histoire du lien entre Schmitt et les intellectuels allemands livre surtout des indices de la culture politique de la République fédérale et, au-delà, de l'image que la démocratie allemande contemporaine veut donner d'elle-même.
  • Varia

    • De la réparation à la restitution : trajectoires philosophiques d'une histoire - Ariel Colonomos p. 157-169 accès libre avec résumé
      Historiquement, réparation et restitution sont deux notions inséparables l'une de l'autre lorsqu'est envisagé le dédommagement de victimes à la suite d'un conflit international. L'exigence de compensation qui, aujourd'hui, se fait entendre à l'échelle planétaire exige de préciser les différences entre l'une et l'autre de ces deux conceptions. Celles-ci sont le fruit d'une histoire qui, dans la modernité, a connu principalement trois moments : la transition westphalienne avec Grotius, les Lumières avec Kant, la première guerre mondiale avec la critique de Carl Schmitt. Aujourd'hui, un demi-siècle après Nuremberg, une ère nouvelle voit le jour, à la faveur de nombreuses demandes de restitution et de compensations individuelles. Cette évolution du droit et de l'économie pose la question morale fondamentale de la compensation financière de la perte humaine dans toute sa singularité.
  • Lectures critiques