Contenu du sommaire : Morts et fragments de corps
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 41, mars 2011 |
Titre du numéro | Morts et fragments de corps |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Editorial
- Les morts, leurs lieux et leurs liens - Arnaud Esquerre, Gérôme Truc p. 5-11
Dossier
- Réapparaître. : Retrouver les corps des personnes disparues pendant la guerre en Bosnie - Élisabeth Claverie p. 13-31 Près de 30 000 personnes ont disparu en Bosnie-Herzégovine pendant la guerre. Les fragments de corps retrouvés, une fois identifiés, permettent de faire passer les « disparus » au statut de « victimes », et sont mobilisés comme preuves judiciaires par le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie. L'article analyse tout d'abord les processus de localisation, d'exhumation, d'identification et de ré-inhumation des corps. Puis il décrit un cas exemplaire, celui de Srebrenica, qui met en exergue le problème des déplacements des corps de fosses primaires vers des fosses secondaires et tertiaires. La réapparition des fragments de corps a changé la qualification du conflit, qui n'a pas été un combat opposant des combattants contre des combattants, mais un nettoyage ethnique.
- Ground Zero entre chantier et charnier : Sur les rapports entre pulvérisation de corps humains, mémoire et lieux - Gérôme Truc p. 33-49 Depuis les attentats du 11-Septembre, le site de Ground Zero à New York est un vaste chantier, mais reste aussi, aux yeux de beaucoup, un charnier ayant le statut de « terre sacrée ». Près de la moitié des personnes mortes dans l'effondrement des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 n'ont en effet jamais été identifiées, leurs corps ayant été réduits en poussière. À partir de ce cas, cet article vise à interroger l'impact sur un lieu de mort de la pulvérisation de corps humains. Pour cela, y sont examinées tour à tour les opérations de déblaiement et de tri des gravats et d'identification des restes humains, les controverses suscitées par les découvertes de nouveaux restes humains à Ground Zero lors de sa reconstruction, la mobilisation des familles de victimes réclamant une sépulture décente pour leurs morts, et les formes de patrimonialisation de Ground Zero contribuant à en faire un lieu de mémoire plutôt que de mort.
- Continuités et discontinuités du corps chrétien : Une ethnographie des reliques de Thérèse de Lisieux - Damien de Blic p. 51-67 L'article vise à montrer que les contradictions généralement suscitées par les restes humains sont redoublées dans un contexte dévotionnel catholique par des frontières incertaines entre des usages légitimes et illégitimes de reliques de saints. Il s'appuie sur une enquête ethnographique auprès de différentes formes de vénérations des reliques de sainte Thérèse de Lisieux. Cette enquête montre comment la variété des dispositifs dévotionnels manifeste autant de tensions entre l'inscription de la vénération des reliques dans une tradition rituelle et dogmatique et un encadrement institutionnel visant à écarter les reproches de déviance superstitieuse, sans que ces tensions se résolvent dans définition unique d'un bon usage des reliques.
- Les morts mobiles : Étude sur la circulation des cendres en France - Arnaud Esquerre p. 69-85 Alors que la crémation a été autorisée à partir de 1887 en France, ce n'est qu'en 1976 que, sous la pression des associations des partisans de la crémation, les « crématistes », la libre circulation des cendres et leur dispersion dans la nature sont permises. Alors que le taux de crémation augmente fortement jusqu'à représenter environ 22 % des décès en 2005, le nombre d'urnes cinéraires remises aux proches est rapidement élevé. Voulant encadrer le devenir des cendres, les parlementaires ont, par la loi du 19 décembre 2008, interdit que celles-ci, désormais assimilées à des restes de personnes décédées, puissent se trouver dans un espace privée, et ils ont rendu obligatoire leur localisation, même en cas de dispersion, au nom du travail de deuil. Cependant ce changement alimente aussi une idée de la nation, dans laquelle les morts sont « enracinés » sur un territoire.
- Enterrer, submerger, oublier : Invention et subversion du souvenir des morts en Mongolie - Grégory Delaplace p. 87-103 Cet article traite d'une réforme des pratiques funéraires conduite en Mongolie à partir du milieu des années 1950. Instituant l'obligation d'enterrer les morts, son enjeu principal est de rendre illégal le rituel pratiqué jusqu'à lors, consistant à déposer les cadavres des défunts à même le sol. Cette pratique, en effet, est jugée inconvenante et inadaptée à la vie urbaine. Le succès de la réforme est mitigé : si l'inhumation semble avoir été adoptée sans trop de difficulté par la population, les cimetières, en revanche, ne prennent pas le tour que les réformateurs avaient souhaité. Imaginés comme des espaces enclos et fleuris, où le souvenir des morts pourrait être dignement célébré, ils se présentent jusqu'à aujourd'hui comme de vastes terrains vagues, évités autant que possible, où les tombes sont livrées à l'oubli et au délabrement. Il s'agira ici de comprendre les raisons de la subversion du projet de cette réforme, en tentant de caractériser l'idéologie funéraire qui sous-tend la configuration singulière des cimetières mongols.
- Du poids relatif des morts : Entretien avec Marcel Detienne - Marcel Detienne, Arnaud Esquerre p. 105-119 Dans cet entretien, Marcel Detienne explique tout d'abord comment, pour les Grecs de l'Antiquité qui partent fonder des colonies, les morts sont « légers » : ils ne sont pas attachés aux vivants ni à un endroit particulier. Le rapport aux morts mis en place par les historiens en France depuis le 19e siècle jusqu'à Braudel est très différent : il lie ensemble les morts et les vivants dans une communauté nationale, « enracinée » dans un territoire. Pour mieux comprendre la place des morts en France et en Europe aujourd'hui, Marcel Detienne propose, enfin, de travailler en procédant à des comparaisons.
- Réapparaître. : Retrouver les corps des personnes disparues pendant la guerre en Bosnie - Élisabeth Claverie p. 13-31
Varia
- Nostalgie de la Mitteleuropa et engagement politique : Vies et destins de trois poètes déracinés : Else Lasker-Schüler, Benjamin Fondane, et Czeslaw Milosz - Yaël Hirsch p. 121-139 À partir des trajectoires et des œuvres de trois poètes nés en Mitteleuropa et ayant du quitter l'Europe, cet article propose une analyse politique de la nostalgie. Repensée depuis l'exil, la Mitteleuropa est sublimée par ce sentiment. Ce mythe littéraire de la Mitteleuropa fonctionne comme un point de repère pour les trois poètes, qui formulent leurs visions du monde en fonction de la perte de leur patrie. La nostalgie se développe ainsi sous le signe du manque : un monde a disparu et rien ne peut le ramener. Face à ce sentiment, les individus peuvent développer deux types de comportements : soit œuvrer pour la construction d'un monde qui soit à la hauteur de ce qu'ils ont perdu, soit se replier sur leur sphère privée. Ainsi, cette nostalgie incite Czeslaw Milosz à s'engager dans ses écrits. Lus et appris dans son pays natal, les textes de Milosz ont un impact politique fort. En revanche, l'œuvre de Else Lasker Schüler montre comment l'intellectuel déraciné et nostalgique peut se figer pour se fermer au monde. Entre ces deux types de réaction, Benjamin Fondane se détourne des questions formelles pour amorcer un engagement politique dans ses derniers écrits. Mais le poète déporté à l'âge de 46 ans n'a peut-être pas eu tout à fait le temps de développer cet engagement.
- Les habits de la mort : Sur la différence morale entre terrorisme et guerre légale - Nicolas Tavaglione p. 141-169
- Nostalgie de la Mitteleuropa et engagement politique : Vies et destins de trois poètes déracinés : Else Lasker-Schüler, Benjamin Fondane, et Czeslaw Milosz - Yaël Hirsch p. 121-139
Lectures critiques
- Lectures critiques - p. 171-181