Contenu du sommaire : La prison comme « laboratoire » des usages sociaux du droit
Revue | Droit et société |
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Numéro | no 87, mai 2014 |
Titre du numéro | La prison comme « laboratoire » des usages sociaux du droit |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : La prison comme « laboratoire » des usages sociaux du droit
- Ce que les droits fondamentaux changent à la prison. Présentation du dossier - Claire de Galembert, Corinne Rostaing p. 291-302
- L'ordre négocié en prison : ouvrir la boîte noire du processus disciplinaire - Corinne Rostaing p. 303-328 Le système carcéral ne repose pas sur la stricte application des règles, ni sur le repérage systématique des infractions, encore moins sur l'application automatique des sanctions. Cet article propose d'inverser la perspective habituelle et de rendre compte du processus par lequel le constat d'un incident ne conduit pas à une sanction, ce qui nous en apprend beaucoup sur le fonctionnement ordinaire de la détention, les rapports de force, les marges de manœuvre des détenus et le pouvoir « tenu en réserve » des personnels. Le processus disciplinaire en prison, contrairement aux représentations qui le réduisent souvent à un système rigide et parfaitement disciplinarisé, met en jeu toute une pratique de la négociation entre personnes détenues, surveillants, hiérarchie et direction, chacun participant à un ordre négocié.The prison system is not based on the strict application of rules, nor on the systematic identification of infractions, and even less so on the automatic application of penalties. Inverting the usual perspective, this article proposes to analyze the process by which an incident report does not lead to a penalty. This teaches us about the ordinary functioning of detention, the balance of power, inmates' flexibility, and the corrections staff's power “held in reserve.” The disciplinary process in prison, contrary to representations which often reduce it to a rigid and perfectly disciplined system, involves an entire practice of negotiation between prisoners, guards, and corrections administrators: each group contributes to the “negotiated order.”
- Construire sa légitimité à énoncer le droit. Étude de doléances de prisonniers - Corentin Durand p. 329-348 Cet article cherche à rendre compte des modes d'énonciation du droit déployés dans les doléances adressées par des personnes incarcérées au Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). La diversité de ces opérations rhétoriques de mobilisation et d'atténuation du droit permet en effet de mettre en évidence certaines contraintes morales à la tentative, pour des acteurs socialement affaiblis, de placer leur relation avec une autorité administrative sur le terrain du droit. Selon la manière dont le droit lui-même est caractérisé (la justice, le droit, mes droits), les stratégies rhétoriques déployées se transforment, et dessinent en creux une double indignité sociale : indignité à énoncer le droit et indignité à se présenter comme titulaire de droits.This essay accounts for modes of expression of legal references in petitions sent by prisoners to the Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). The diversity of the rhetorical operations stating and qualifying legal references offers an opportunity to outline some of the moral constraints faced by socially weakened actors in establishing their own legitimacy for communicating about the law with an administrative entity. According to the way the law itself is characterized (the legal system, the law, my rights), prisoners' rhetorical strategies change, drawing the contours of a twofold social unworthiness: unworthiness to express the law and unworthiness to present oneself as entitled to any rights.
- « La prière qui n'existe pas? ». Sociologie d'une mise à l'épreuve du droit disciplinaire en maison centrale - Claire de Galembert p. 349-374 Cette ethnographie d'un incident conduisant à une procédure disciplinaire, analysée comme une épreuve, donne un aperçu des usages du droit en prison. On examine symétriquement les raisons ayant conduit le surveillant à opter pour la voie disciplinaire et comment, en réponse, le détenu contraint ses adversaires à prendre le droit au sérieux. On montre ainsi la contingence du recours au droit et la manière dont les interactions le performent. Plus largement, cette ethnographie met en relief les effets perturbateurs de la judiciarisation : ouvrant des opportunités d'action inédites aux détenus, elle suscite inquiétudes et résistances chez les personnels qui se sentent dépossédés d'une partie de leur pouvoir. Le droit apparaît plus comme un instrument, voire une arme, dont se saisissent ponctuellement personnels et détenus dans les conflits qui les opposent qu'un horizon commun et un ensemble de règles pacifiant les relations carcérales.The detailed analysis of a conflict leading to a disciplinary procedure serves as a main thread for delving into the manner in which actors in a French prison mobilize and use the law. More broadly, this study examines the growing impact of rights resulting from recent reforms. The case examines how the disciplinary procedure and, more significantly, the rule of law have been put to the test through a dispute concerning a real or supposed prayer performed by a Muslim detainee in a place where prayer is forbidden. Examining the reasons why a guard decided to use a bureaucratic sanction and how the detainee succeeded in forcing his adversary into taking his rights seriously, this case highlights the contingency of legal recourse and how law is performed in prison. Judicial control offers new opportunities for detainees to resist (here, successfully), but it tends to disrupt the guards' professional culture. In this instance, laws and rights appear to be instruments and weapons rather than rules to pacify the relationship in prison.
- Les proches de détenus et leurs rapports ordinaires au droit pénitentiaire - Caroline Touraut p. 375-392 L'article interroge le droit en prison à partir de l'expérience des proches de détenus. Au-delà des textes juridiques, on en sait encore peu sur la manière dont les droits relatifs à la vie familiale des détenus s'observent de manière concrète. Comment les proches de détenus et les surveillants s'approprient, usent et interprètent le droit ? En quoi leurs interactions impactent sur la mise en œuvre des règles juridiques ? À partir d'une enquête de terrain réalisée en France, l'article montre ce qui motive les décisions des surveillants dans l'application du droit. Il témoigne aussi des usages différenciés que les proches de détenus font de leurs droits qui sont rarement défendus dans le cadre d'une mobilisation collective.This article examines the application of penal law in prisons based on the experience of inmates' families, a perspective rarely explored in penal research. Indeed, beyond the standard legal texts, little is known about the way in which prisoners' rights to family life are exercised in practical terms. How do prisoners' families and prison personnel understand, interpret, and use the law? How do their interactions affect the implementation of legal regulations? Based on a field survey in France, this article reveals the reasoning behind prison officers' law enforcement decisions. Such decisions are by no means arbitrary, but stem from a contextual assessment of the situation with which they are confronted. This article also highlights the different ways in which prisoners' families make use of their rights, which are rarely defended through collective action, given the difficulty for this population category of forming a social group.
Question en débat
- « Si le droit devait changer la prison, ça se saurait depuis longtemps ! » - Bernard Bolze, Claire de Galembert, Corinne Rostaing p. 395-410
- « Je n'ai qu'à défendre les droits fondamentaux, si je puis dire » ! - Jean-Marie Delarue, Claire de Galembert p. 411-432
Études
- Le droit comparé et la violence faite aux femmes : voyages au c?ur de la narration identitaire - Pascale Fournier, Pascal McDougall p. 435-464 Au Canada, et dans plusieurs autres pays occidentaux, les crimes d'honneur ont récemment fait l'objet d'une prolifération de discours au cœur desquels se trouve souvent l'idée d'un Occident civilisé opposé à des droits orientaux figés, rétrogrades. Or, la violence au nom de l'honneur n'est pas étrangère aux droits occidentaux et au droit canadien. Dans cet article, nous retraçons les migrations des crimes d'honneur de l'Occident à l'Orient et vice versa pour établir une généalogie de ce phénomène. Ensuite, nous nous attardons à la « défense de provocation », une institution juridique occidentale qui fait parfois resurgir l'honneur comme motif d'homicide à l'occasion de crimes dits passionnels. À partir de cette analyse de l'hybridité juridique, nous en appelons à une fructueuse rencontre des théories postcoloniales et du droit comparé et à une compréhension plus fine de la violence faite aux femmes.In Canada, as throughout most of the geopolitical West, honor crimes have recently been the object of proliferating discourses that reify the notion of “Oriental” law as inherently contrary, even antithetical, to “civilized” Canadian law. Yet honor is no foreign notion to Western (and Canadian) law. In this article, we outline how socio-legal hybridity manifests itself in the notion of honor crimes, a category which long existed in the West and often travelled to the East. Then, we explore the (Western) “provocation defense,” an institution historically rooted in male honor and whose concrete impact in Canada has sometimes been to uphold bruised honor as a motive for homicide. We close our analysis of legal hybridity by calling for a fruitful encounter between comparative law and postcolonial theory and for a better understanding of gendered violence.
- Les protecteurs des animaux et le droit. Refoulement ou formalisation des émotions ? - Christophe Traïni p. 465-482 Cet article interroge la diversité des rapports au droit qui se nouent au cours des processus d'engagement en faveur de la protection animale. Ce faisant, il relève les diverses manières dont le droit se combine aussi bien aux modes d'action que les protecteurs des animaux privilégient afin de défendre leur cause qu'aux sensibilités préalables à leur engagement. Loin d'apparaître dénué de tout ressort affectif, le recours au droit implique une formalisation des émotions grâce à laquelle les griefs des militants apparaissent plus aisément légitimes au sein de l'espace public. Ainsi, la juridicisation des griefs favorise grandement l'accès des protecteurs des animaux aux sphères politico-administratives.This essay examines how involvement in animal rights draws activists to deal with the law in very different ways. Their relationship to the law depends both on pre-existing sensibilities and on the practices that distinguish different types of animal rights activism. Far from being devoid of affective dimensions, use of the law requires a formalization of emotions in order to legitimate the cause in the public space. Thus, juridicization (animal protection is discussed from a legal perspective) greatly facilitates the access of animal rights activists to political and administrative institutions.
- Le droit comparé et la violence faite aux femmes : voyages au c?ur de la narration identitaire - Pascale Fournier, Pascal McDougall p. 435-464
À propos
- La justice en trois dimensions : représentations, architectures et rituels - Patrícia Branco, Laurence Dumoulin p. 485-508
Chronique bibliographique
- Lu pour vous - p. 511-560