Contenu du sommaire : Musique en politique
Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 208, juillet-septembre 2004 |
Titre du numéro | Musique en politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Musique et politique : nouvelles approches - Christophe Prochasson p. 3-5
- Une institution musicale entre repli et implication politique : le quotidien de l'Opéra de Paris pendant la guerre de 1870 et sous la Commune - Déborah Cohen p. 7-28 Cet article interroge avant tout la notion d'institution musicale pour décrire une tension entre la volonté de repli sur une logique propre à l'institution et l'implication de fait dans une sphère politique. Durant la période politiquement troublée qui va de la chute de l'Empire à la solidification de la République versaillaise sur les ruines de la Commune, l'Opéra de Paris a tenté de préserver, individuellement et collectivement, la continuité d'un monde qui se veut à part et s'est délibérément placé hors du champ politique, affirmant, contre tous les aléas, la nécessité d'une continuité qui se traduit par une volonté de reprendre les répétitions, de préserver l'unité et les hiérarchies internes, de ne pas bouleverser le répertoire. Mais, si la République en guerre s'occupa finalement assez peu de remodeler un Opéra symboliquement associé aux fastes de l'Empire, la Commune a tenté de construire du nouveau et de faire rentrer cette institution à part dans la sphère politique commune : contre cette volonté, il n'y eut pas d'affirmation politique ferme ou d'opposition construite, mais la résistance passive d'un corps constitué qui n'est politique qu'à force de vouloir ne pas l'être.
- Musique et socialisme en Italie (1880-1922) - Marco Gervasoni p. 29-43 Notre article montre les rapports entre les socialistes italiens et la musique. En premier lieu, il analyse les considérations de la presse socialiste sur l'opéra italien et étranger, à partir de Verdi considéré comme père de la patrie. Ici l'opposition à Verdi est représentée par Wagner, considéré par les socialistes italiens comme un artiste révolutionnaire et « communiste ». En deuxième lieu, il montre comment la musique participe des pratiques militantes et quotidiennes des chefs socialistes, des permanents et des militants, comment la musique est utilisée dans les fêtes de parti. Enfin, il analyse la fonction des chants politiques produits par des intellectuels socialistes, leur diffusion à l'intérieur du parti et à l'intérieur de la société italienne, leur usage comme arme identitaire et politique contre les ennemis.
- « Les Allemands et les Boches » : la musique allemande à Paris pendant la Première Guerre mondiale - Esteban Buch p. 45-69 A Londres, « on n'a pas encore opéré la distinction entre les Allemands et les Boches », déplore un critique français en décembre 1916. A Paris, par contre, pendant toute la durée du conflit cette distinction est observée avec une certaine rigueur : si Mozart, Beethoven et même Schumann continuent à être joués par les orchestres français, Wagner et tous ses successeurs, y compris des contemporains tels que Strauss ou Schoenberg, sont frappés d'un ostracisme complet. Mais la mise en place de ce clivage, sur le plan des pratiques musicales comme sur celui des discours, ne va pas sans tensions et hésitations, qui reflètent autant les débats idéologiques généraux ? par exemple les applications de la thèse des « deux Allemagnes » ? que des positions contradictoires à l'intérieur du champ musical, notamment les différentes attitudes face à la musique d'avant-garde. Si Camille Saint-Saëns n'hésite pas à prôner l'exclusion totale des Allemands dès septembre 1914, nombreux sont également ceux qui, tel Vincent d'Indy, sont prêts à envisager une après-guerre où Wagner serait remis à l'honneur ? comme ce sera d'ailleurs le cas dès décembre 1919. En fait, la crispation des champions du rejet à partir des premiers mois de 1916 ? avec notamment la création de la Ligue pour la défense de la musique française ? semble coïncider avec une relative banalisation de la présence d'?uvres allemandes dans les programmes des principales associations de concerts.
- La politique de la transcendance : l'idéologie dans la musique d'Olivier Messiaen dans les années 1930 - Jane F. Fulcher p. 70-90 A la différence de la plupart des études consacrées au jeune Messiaen et au mouvement Jeune France, qui s'en tiennent le plus souvent à une approche musicologique ou à l'analyse du contexte politique ou religieux qui les entourèrent, cet article met l'accent sur la façon dont Messiaen et Jeune France se sont situés par rapport aux grands courants idéologiques et esthétiques des années 1930. Après avoir évoqué les principales sensibilités esthétiques et politiques qui s'exprimèrent au sein du Front populaire comme dans les mouvements qui lui étaient le plus opposés, l'article s'arrête sur les positions esthétiques et politiques prises par la jeunesse « non-conformiste ». Il met enfin en évidence l'impact de ce dernier mouvement sur Messiaen et met au jour les différents niveaux qui composent le style catholique « progressiste » du compositeur.
- Musicographes réactionnaires des années 1930 - Philippe Gumplowicz p. 91-124 Musicographes prolifiques, André C?uroy et Hugues Panassié ont occupé une place centrale dans les milieux de la musique savante et du jazz des années 1930. Publiés dans des revues qu'ils ont créées ou animées, certains de leurs écrits ont été prescriptifs dans le domaine du goût musical. D'autres, plus tardifs, leur ont valu l'appellation de « réactionnaires », autrement dit, une discrétisation définitive. Cet article propose un réexamen de leurs textes. Il remarque que leur profil politique ? idéologiquement marqué à droite ? a été la condition d'une ouverture aux avant-gardes et à une vision large de leur discipline. Il situe leurs positions dans un contexte intellectuel marqué par le sentiment du déclin (décadence morale, déclin de l'Occident) et une apparition de musiques, de langages et de sensibilités nouvelles. Il s'efforce de repérer les liens logiques ? intellectuels et historiques ? qui pourraient expliquer leur basculement dans une position indéfendable. Il s'inscrit enfin dans une réflexion assez nouvelle sur une analyse politique du goût musical.
- Pablo Casals ou les modalités et les significations de l'engagement d'un musicien - Phryné Pigenet p. 125-143
- La découverte de Bela Bartok en France après 1945 : enjeux et controverses - Michèle Alten p. 145-165 En France l'?uvre musicale de Bela Bartok reste quasiment inconnue jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, la mort du compositeur hongrois sur le sol américain éveille la curiosité des mélomanes français avides de nouveauté. A Paris on assiste alors à un engouement spectaculaire pour sa musique. Mais, à partir de 1948, le regard porté sur sa vie et son ?uvre devient un enjeu politique et idéologique. Le parti communiste français veut montrer que Bartok appartient au camp socialiste par son attachement à sa patrie, par son amour du peuple et par son écriture musicale fondée sur le folklore. Face à cette image imprégnée d'idéologie, le camp pro-américain dénonce l'interdiction des ?uvres majeures de Bartok en Hongrie et proclame le caractère universel de sa musique. Après 1953 le développement des travaux musicologiques et la fin du stalinisme permettent la construction d'une vision plus précise et plus juste de l'artiste.
- L'invention du « grand répertoire ». : Processus d'institutionnalisation et construction des canons lyriques contemporains : le cas de Aïda - Emmanuel Pedler p. 166-179 Comme le montre Edward W. Said, Aïda représente pour Verdi ? du fait d'une première et exemplaire inscription de son ?uvre dans un contexte international ? un tournant dans sa carrière. Prenant à revers de nombreux musicologues qui ont tenté de découper l'?uvre verdienne en « manières », suggérant l'existence de changements esthétiques majeurs et l'avènement d'une maturité musicale et expressive ? souvent placée du reste plus tard avec l'écriture d'Ottello et Falstaff ?, Said montre l'importance que revêtent le contexte et les perspectives de la composition de cet opéra, créé au Caire. Si les pages que consacre Edward W. Said à Aïda restent décisives et d'une grande acuité, on a peut-être insuffisamment tiré les conséquences de la lecture politique qu'il propose. A partir de la fin de la Première Guerre mondiale, le répertoire français ? très tourné vers une culture franco-française de l'opéra pendant près d'un siècle ? s'est marginalisé au sein du répertoire international dont les canons s'usinent alors. L'opéra italien du XIXe siècle jusqu'alors connu en France, mais non reconnu et adopté, fait alors son entrée, introduit par la carrière internationale de Aïda. Écrire l'histoire de l'émergence du répertoire lyrique et contemporain ? dont le répertoire est d'une étonnante stabilité depuis les années 1920 et 1930 ? est encore une tâche hors de portée. Nous voudrions plus modestement, par une analyse liminaire, poser quelques jalons afin d'esquisser quelques articulations de cette histoire et de l'histoire politique du théâtre lyrique ( XIXe - XXe siècle).
- Notes de lecture - p. 180-209