Contenu du sommaire : L'organisation des professions intellectuelles
Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 214, janvier-mars 2006 |
Titre du numéro | L'organisation des professions intellectuelles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les professions intellectuelles entre l'État, l'entrepreneuriat et l'industrie - Gisèle Sapiro p. 3-18
- Médecins, éthique médicale et État en France 1789-1947 - Robert A. Nye p. 19-36 Entre la réorganisation de la médecine pendant la Révolution Française et le régime de Vichy, le processus de professionnalisation de la médecine française n'a pas inclu un ensemble fiable et écrit de consignes éthiques. L'État a autorisé les médecins à exercer mais ne leur a pour ainsi dire pas assuré de protection légale contre la concurrence de la médecine irrégulière. Les praticiens ont été obligés de s'organiser de façon informelle pour protéger leurs intérêts et leur réputation. Ils l'ont fait au sein de sociétés médicales et de syndicats médicaux, jusqu'à la formation de l'Ordre des Médecins sous Vichy. Une déontologie informelle d'étiquette médicale a émergé, concernant notamment les besoins intra-professionnels de la pratique médicale, mais seulement indirectement la défense des droits des patients et de la personne humaine.
- L'impossible professionnalisation du métier d'ingénieur-conseil (1880-1954) - Odile Henry p. 37-54 Parce qu'ils prétendent à l'exercice d'un pouvoir symbolique d'expertise, les consultants auraient eu tout intérêt à s'organiser, comme l'ont fait les membres des professions voisines (architectes, experts-comptables, conseillers d'orientation), sur le modèle des professions libérales, dotées d'une instance centrale de réglementation et de contrôle. Or les nombreuses tentatives d'organisation qui ont ponctué l'histoire de la profession entre 1938 et 1954 sont restées inabouties. Hérités des luttes de concurrence au cours desquelles se construit, au XIXe siècle, la profession d'ingénieur-conseil, les principes de clivage qui structurent le groupe des organisateurs-conseils pendant l'entre-deux-guerres expliquent en partie les résistances à la création d'un Ordre des Conseils en Organisation (OCOS). D'une part, l'intériorisation profonde de l'interdit, hérité de la construction de grands corps de l'État au XIXe siècle, de « faire commerce de la science » constitue un obstacle à la définition professionnelle du métier, fondée sur les revenus. De l'autre, avec l'augmentation numérique des organisateurs-conseils, à partir de la fin des années 1930, l'identité professionnelle du groupe se construit par analogie avec la médecine et accorde alors une place prépondérante aux qualités personnelles (l'intuition, la psychologie, le charisme) les plus rebelles à toute forme de codification.
- L'organisation des architectes sous la IIIe République - Denyse Rodriguez Tomé p. 55-76 Émergeant au début du XIXe siècle en tant que profession libérale, les architectes ont dû définir la spécificité de leur rôle dans le processus de la construction face à des rivaux de deux types, les ingénieurs issus des grands corps d'État et les entrepreneurs du bâtiment. Cette différenciation fonde la figure de l'architecte-artiste, un intellectuel dont le projet est à la base de la production architecturale. Croissant de façon notable dans la seconde partie du XIXe siècle, la profession d'architecte présente une extrême hétérogénéité, tant dans les formations que dans les situations. Le cadre législatif établi par la IIIe République va permettre à la profession de s'organiser en associations professionnelles pour faire valoir ses revendications. La vie associative, si elle écarte alors l'instauration d'un titre officiel limitant l'exercice, contribue pourtant à la codification de la profession. L'approbation par les sociétés d'architectes d'un texte déontologique présenté par la société dominante signale l'adhésion à une culture professionnelle et à un ensemble de valeurs libérales et méritocratiques. L'identification au statut d'intellectuel légitime ainsi la distinction sociale d'avec la profession commerciale et artisanale d'entrepreneur.
- La lutte contre le « chômage intellectuel » : l'action de la Confédération des Travailleurs Intellectuels (CTI) face à la crise des années trente - Alain Chatriot p. 77-91 La question du chômage intellectuel est posée dans la France des années trente, en particulier par une confédération syndicale atypique : la CTI (confédération des travailleurs intellectuels). Créée après la Première Guerre mondiale, elle a pour but de réunir l'ensemble des professions intellectuelles. Son projet se heurte à l'ampleur de la crise économique et sociale. Elle ne parvient pas à obtenir des caisses de chômage efficaces malgré un lobbying parlementaire affirmé. Échouant sur ce point, son action passe par l'entraide et l'ETI (Entraide des travailleurs intellectuels) qui existe grâce un financement original : celui des surtaxes de timbres-poste. La thématique du chômage intellectuel est débattue aussi par les universitaires et les étudiants qui posent nettement le problème de l'avenir de la jeunesse intellectuelle diplômée. C'est durant cette période qu'est créé le Bureau universitaire de statistique (BUS).
- Profession : critique ? : Les défis de l'Association syndicale professionnelle de la critique littéraire de la Belle Époque à la fin des années trente - Marie Carbonnel p. 93-111 Depuis la fin du XIXe siècle, l'entrée dans l'ère de la culture de masse transforme considérablement la structure du champ littéraire français, affectant autant les auteurs que leurs indispensables relais auprès d'un public sans cesse élargi, les critiques littéraires. Prêts à lutter contre la pression croissante des lois du marché qui, dans les secteurs industrialisés de la presse et de l'édition, défient leur autorité et les valeurs esthético-morales auxquelles ils sont attachés, ces derniers accueillent cependant avec réticence la fondation, en 1902, d'une association de type syndical chargée de défendre leurs intérêts. L'individualisme de ce milieu élitiste et très hétérogène, dépourvu d'un véritable statut, l'empêche en effet d'adhérer au processus de professionnalisation qui vaut au même moment à nombre d'autres formes de travail intellectuel une reconnaissance en tant que « métiers ». Ainsi, le nouveau groupement connaît des débuts difficiles, qu'il consacre à la recherche d'une identité propre et à l'affirmation de sa légitimité, en marge des modèles offerts par les écrivains ou les journalistes. Sa renaissance des années trente, analysée dans la seconde partie de cette étude, lui permettra de réexaminer comment il peut prétendre devenir un représentant efficace de la « profession » de critique littéraire.
- Propriétaires ou travailleurs intellectuels ? : Les écrivains français en quête d'un statut - Gisèle Sapiro, Boris Gobille p. 113-139 L'écrivain oscille entre plusieurs figures sociales : propriétaire de son bien, il tient aussi du travailleur rémunéré pour le fruit de son travail, mais se différencie des travailleurs manuels et des salariés par la dimension intellectuelle de son activité, qui peut être assimilée à la catégorie des services. Alors que la conception de l'auteur propriétaire de son ?uvre prédominait dans la première moitié du XIXe siècle, les transformations des conditions d'exercice du métier d'écrivain, avec notamment le développement du capitalisme d'édition, et les luttes pour l'obtention d'acquis sociaux du Front Populaire à Mai 68 ont conduit à la promotion de la figure du « travailleur intellectuel », sans que cette définition puisse l'emporter. Portées par des individus et des organisations professionnelles concurrentes, ces différentes conceptions se sont affrontées des années 1930 aux années 1970 autour d'une série d'enjeux qui sont successivement examinés dans l'article : le droit d'auteur, le domaine public payant, le statut d'auteur.
- La transformation par la participation ? : Le mouvement de 1968 et la « démocratisation des conditions de la production littéraire » - Ingrid Gilcher-Holtey p. 141-163 Tandis que la question de savoir si et comment des livres font des révolutions reste un objet de débat, ce qu'on a appelé la « révolution de la foire du livre » qui se produit à Francfort en 1968 a montré que la mobilisation d'un mouvement social a des effets sur le marché du livre et dans le champ éditorial. Cet article esquisse et analyse les luttes de pouvoir et de concurrence pour la transformation des mécanismes de direction et de décision qui éclatent en 1968 dans une série de maisons d'édition allemandes, et dont l'exemple est fourni par deux expériences concurrentes : la révolte des « lecteurs » chez Suhrkamp pour l'institutionnalisation d'une « charte des lecteurs » ainsi que l'engagement de Günter Grass pour un « statut des collaborateurs » et « un conseil des auteurs » chez Luchterhand. Dans les deux cas, l'analyse vise à problématiser les rapports entre les luttes pour la « cogestion » ou « l'autogestion » à l'intérieur des maisons d'édition et le mouvement de 1968. Cette analyse débouche sur la formulation de quatre thèses sur les effets du mouvement de 1968 dans le champ de la production culturelle, et tout spécialement dans le champ de l'édition.
- Notes de lecture - p. 165-188