Contenu du sommaire : Conférences inédites de Lucien Febvre sur le syndicalisme
Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 238, janvier-mars 2012 |
Titre du numéro | Conférences inédites de Lucien Febvre sur le syndicalisme |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Conférences inédites de Lucien Febvre sur le syndicalisme
- L'originalité du syndicalisme français selon Lucien Febvre (1919-1920) - Jean Lecuir p. 3-15 Le dossier contenant le texte des quatre conférences que Lucien Febvre a données en 1920 sur l'histoire du syndicalisme français était demeuré dans l'ombre de son œuvre ultérieure, bien qu'il l'ait conservé et enrichi de références. Le sujet abordé n'a guère de rapport avec ses préoccupations d'historien du XVIe siècle. Il reflète ses engagements de jeunesse. Condisciple d'Albert Thomas à la rue d'Ulm, il a suivi l'évolution du mouvement socialiste et syndical au tournant du siècle. Il a représenté la section socialiste à l'université populaire de Besançon et publié, anonymement, une trentaine d'articles dans Le Socialiste comtois entre 1907 et 1909. Puis il s'est éloigné, par attachement à son indépendance et aussi parce que la préparation de ses thèses et sa carrière d'enseignant l'ont orienté dans d'autres directions. Après avoir fait la guerre, d'où il est revenu avec, notamment, la Légion d'honneur à titre militaire et le grade de capitaine, il a débuté le 4 décembre 1919 à l'Université de Strasbourg un enseignement de quatorze années. La préparation des conférences se situe pendant cette période charnière du retour à la vie active. Celles-ci constituent un précieux témoignage sur la manière dont Lucien Febvre se livre à ce que nous appellerions aujourd'hui un essai d'« histoire immédiate ».The file including the papers for the four conferences that Lucien Febvre gave in 1920 on the history of French trade unionism long remained in the shadow of his later work, although he kept it and enriched it with new references. The subject matter has little to do with the historian of the 16th century's interests. It rather reflects his youthful commitments. As a fellow student of Albert Thomas in the rue d'Ulm, he closely followed the evolution of the socialist and trade unionist movement at the turn of the century. He represented the socialist committee at the popular university of Besançon and anonymously published some thirty articles in Le Socialiste comtois between 1907 and 1909. He then became removed from these because of his attachment to his own independence and because the preparation of his theses and his teaching career oriented him in different directions. After returning from the war and having been awarded the Légion d'honneur and the rank of Captain for his military merit, he started teaching at the University of Strasbourg on the 4th December 1914 where he remained for fourteen years. The preparation of the conferences took place during the key period of his return to a professional career. These constitute a precious testimony of the way in which Lucien Febvre attempted what we would today call an essay in “immediate history”.
- Quatre leçons sur le Syndicalisme Français (août-septembre 1919 et été 1920) - Lucien Febvre p. 17-51 Aborder l'histoire du syndicalisme français au sortir de la guerre, c'est se heurter à une triple difficulté : il s'agit d'un mouvement contemporain sur lequel chacun a ses préjugés, la documentation est rare et la guerre a causé des bouleversements dont on peine à prendre la mesure. Cette histoire prend place dans une évolution internationale, mais il s'agit ici de rendre compte de l'originalité du cas français. Elle ne tient pas d'abord à l'existence, face au capitalisme, de deux adversaires distincts, le socialisme et le syndicalisme, car cette dualité existe ailleurs qu'en France. Mais il y a en France quelque chose d'irréductible dans l'opposition entre syndicalisme et socialisme. Cette irréductibilité tient à la condition même du prolétariat ouvrier, à son expérience de l'histoire, à ses formes d'organisation et à ses pratiques d'action. Les divergences d'opinions qui opposaient, au sein de la première Internationale, les marxistes et les bakouninistes, eux-mêmes héritiers de Proudhon, puis, dans les premiers congrès ouvriers français, les guesdistes aux militants libertaires, anti-étatistes et anti-politiciens, sont les mêmes qui, avant 1914, séparent le mouvement syndicaliste révolutionnaire du mouvement socialiste parlementaire. La solidarité de classe de la condition ouvrière fonde le syndicat ; la solidarité du groupement d'opinion, sociologiquement hétérogène, fonde le parti. Le parti s'attaque par le suffrage majoritaire à la conquête du pouvoir ; le syndicalisme, lui, ne compte que sur l'action directe de la minorité consciente, qui n'est pas forcément violente et qui profite à la majorité. Le clivage entre révolutionnaires et réformistes passe à l'intérieur des deux institutions et n'est pas le clivage majeur. Il faut d'ailleurs distinguer entre une révolution socialiste qui suppose assuré le contrôle de l'État et une révolution syndicaliste qui part d'en bas, de l'autonomie de l'organisation ouvrière. Dans la crise générale qui fait suite à la guerre, le mouvement ouvrier français semble hésitant. La guerre a causé autant de désillusion que d'espérance. Les conquêtes obtenues par la voie législative prouvent surtout la capacité de l'État bourgeois à lâcher du lest pour obtenir la production et la stabilité nécessaires. Le syndicalisme français est travaillé par les débats d'interprétation de la révolution russe, mais à la fin de la guerre, la CGT s'est orientée décidément vers la tactique réformiste. Le bolchevisme est un mythe, au sens de Georges Sorel, et à supposer que l'on sache vraiment ce qui se fait en Russie, cela ne peut être transféré dans la société française.Tackling the issue of French trade unionism after the First World War entails three main difficulties: it is a contemporary issue on which each has his own pre-conceived opinions, documentation is rare and the disruption caused by the war is yet difficult to fathom. Although this history is set in an international evolution, this paper particularly seeks to bring to light the originality of the French case. It does not owe to the existence of two distinct adversaries of capitalism - socialism and trade unionism - because this duality also exists outside of France. Yet there is in France something implacable in the opposition between socialism and trade unionism. This implacability owes to the very conditions of the working proletariat, to its experience of history, its forms of organisation and its forms of action. The opinion divergences that opposed Marxists and Bakouninists - heirs of Proudhon themselves - within the First International, then Guesdists and libertarian, anti-statist and anti-political activists in the first French working class congresses, are the same as those that separated the revolutionary trade unionist movement from the socialist parliamentary movement before 1914. The class solidarity of workers founded trade unionism; the (sociologically heterogeneous) solidarity of common opinion founded the party. The party is set on taking over power by obtaining majority suffrage whereas trade unionism only relies on the direct action of the conscious minority, which is not necessarily violent and benefits the majority. The divide between revolutionaries and reformists goes through those two institutions and is not the main divide. Socialist revolutions that suppose that state control is assured and trade unionist revolutions that take root in the base, that is the autonomy of the working class organisation, must be differentiated. The French trade unionist movement seemed hesitant in the general crisis that followed the war. The war spurred as much hope as disillusion. The victories obtained through legislative means merely proved the capacity of the bourgeois state to make concessions in order to obtain the necessary production and stability. Although French trade unionism was preoccupied with the debates over the Russian Revolution, the CGT decidedly opted for the reformist tactic after the war. Bolshevism was a myth, at least according to Georges Sorel's definition, and if the events undergone in Russia were indeed understood, it remained doubtful that they could be applied to France.
- L'originalité du syndicalisme français selon Lucien Febvre (1919-1920) - Jean Lecuir p. 3-15
Sociabilités urbaines et contrôle social
- Marchands ambulants, réglementation et police à Bruxelles au XIXe siècle - Anneke Geyzen p. 53-64 En 1875, les autorités urbaines de Bruxelles rédigèrent un rapport concernant l'opinion publique hostile face aux échoppes mobiles, lors de la rédaction d'un règlement sur le colportage. Les autorités conclurent que maintes villes européennes, confrontées au danger supposé de désordre de l'espace public, lançaient une politique répressive vis-à-vis du commerce ambulant. L'article vise à analyser le processus de décision sociopolitique concernant le commerce ambulant à Bruxelles au XIXe siècle, en étudiant les lois, les intentions et les effets sur les marchands ambulants. Sur la base des archives policières et de documents administratifs (notamment le Bulletin communal de la Ville de Bruxelles), l'article se propose d'explorer les questions suivantes : Quelles furent les mesures prises afin – ou non – d'abolir ou prohiber le commerce ambulant ? Quels en furent les motifs ? La politique sociale fut-elle efficace ? La politique changea-t-elle au cours du XIXe siècle ? Finalement, l'article tente de comprendre si l'idée d'un espace public net et ordonné, dans lequel les marchands ambulants n'avaient pas leur place, guida les autorités urbaines de Bruxelles.In 1875, the city council of Brussels wrote a report on the hostile public opinion towards itinerant trading, when drafting a set of regulations concerning this type of commerce. The authorities concluded that many other European cities, when confronted with the danger of a supposedly disordered public space, had imposed a repressive social policy towards hawkers who wandered the city streets. This article aims to analyse policies concerning the itinerant trade in Brussels during the nineteenth century by studying their regulations, intentions as well as their effects on the commercial activities of the hawkers. Based on an investigation of police archives and administrative documents (especially the Bulletin Communal de la Ville de Bruxelles), this article seeks to question several aspects of these policies: What measures did the Brussels city council take in terms of restraining itinerant trading? What were its motives? Was the social policy efficient? Did it change over time and if so, how? Finally, this article seeks to discover whether or not the ideal of a clean and well-ordered public space played a significant role in the decision-making process.
- Du terrain à la buvette : diffusion du football et contrôle social en région parisienne durant l'entre-deux-guerres - Julien Sorez p. 65-80 Espace emblématique des sports modernes, le stade est en passe de devenir un objet d'étude hégémonique des travaux sur le sport en sciences sociales. La dimension monumentale, spectaculaire des enceintes sportives, ainsi que leur instrumentalisation politique et idéologique monopolisent l'attention de la recherche actuelle. L'objectif de cet article est de proposer un déplacement du regard historique des enceintes spectaculaires vers les lieux de pratiques amateurs afin de montrer la manière dont les espaces de pratique sportive participent à la mise en place d'un dispositif de contrôle social plus ou moins explicite au service des autorités sociales et politiques de la France de l'entre-deux-guerres.As the symbolic space of modern sport, the stadium is on the verge of becoming a predominant research subject for work on sport in the field of social science. The monumental and spectacular dimensions of sports structures, together with their political exploitation and ideology, are the focus of attention in current research. This article aims to take a different look, moving away from the historical view of spectacular structures towards places of amateur practice, in order to demonstrate, through the example of football, how spaces for sport participated in implementing a system of social control that served the interests of social and political authorities in France during the interwar period.
- Marchands ambulants, réglementation et police à Bruxelles au XIXe siècle - Anneke Geyzen p. 53-64
Controverse
- Peut-on dévoiler les imaginaires ? Questions sur l'interprétation d'un massacre - François Buton p. 81-86 Le livre de Raphaëlle Branche, L'embuscade de Palestro, Algérie 1956, a le mérite de proposer une définition plus exacte des faits qui se sont produits le 18 mai 1956 dans la vallée de l'Isser, d'interroger la transformation de l'embuscade en massacre et d'éclairer l'événement à partir de l'étude du passé colonial de la région depuis la fin des années 1860. Palestro est traité comme un fait anthropologique dont la compréhension exige de prendre en compte la participation de la population locale, elle-même enjeu du conflit entre l'armée française et l'ALN. Mise en relation avec la mémoire de l'insurrection de la Kabylie en 1871, qui avait provoqué un premier cycle de résistance et de répression, cette violence est abordée à partir de sa réception du côté français, où l'auteur s'efforce de faire la part des représentations coloniales. Mais l'importance même de Palestro aurait mérité un traitement plus approfondi. L'hypothèse selon laquelle ce nom fait écho dans l'imaginaire collectif au massacre des premiers colons en 1871 est insuffisamment étayée. La démarche historienne demeure incomplète et se heurte au problème logique et méthodologique de l'inférence causale dès lors qu'il s'agit de rendre compte des intentions d'agir des individus à partir de données d'observation de leurs comportements.Raphaëlle Branche's book, L'Embuscade de Palestro, Algérie 1956, offers to give a more exact definition of the events that took place on 18th May 1956 in the Isser Valley, to question the transformation of the ambush into a massacre and to bring the event to light based on the study of the colonial past of the region since the end of the 1860s. Palestro is treated as an anthropological fact whose comprehension requires to take into account the participation of the local population, being itself the stake of the conflict opposing the French Army to the ALN. This violence - linked here to the memory of the 1971 insurrection in Kabylia which had already spurred a first cycle of violence and repression - is tackled from the viewpoint of its reception in France, whose share of colonial representations is brought to light by the author. But the very importance of Palestro demanded further analysis. The hypothesis according to which it recalls to collective memory the first colonisers' massacres in 1871 are insufficiently developed. The historic approach remains incomplete and runs into the logical and methodological problem of causal inference as it seeks to recount the acting intentions of individuals from behavioural observation data.
- Le récit historique et les intentions des acteurs. Réponse à François Buton - Raphaëlle Branche p. 87-93 La réponse propose de revenir sur trois questions, celle des sources, celle de l'intentionnalité des acteurs et celle de la tension entre vraisemblance et vérité. Faire l'histoire de l'Algérie coloniale, c'est se confronter à l'inégalité des traces conservées selon les lieux et les périodes. Dans la région de Palestro, la population est encore très majoritairement rurale ; les sources sont ou orales, ou issues du petit nombre des notables indigènes, ou administratives. Le contexte de crise permet de comprendre que, du côté français, l'imaginaire collectif ait eu tendance à se rabattre sur des souvenirs et des images qui associaient ce lieu à la violence des indigènes. La question de l'intention individuelle semble non seulement hors d'atteinte par les sources mais aussi peu pertinente dans le cadre d'analyse choisi ici, qui s'intéresse aux groupes et aux identités collectives. Si le cadre colonial est structurant pour l'ensemble des acteurs, l'autonomie des villageois est dans leur manière de se positionner dans la construction d'une identité collective sur laquelle le FLN prétend exercer une direction exclusive. Pour expliquer les mutilations, aucun lien de causalité simple n'est postulé : l'événement reste fortuit, et identifier la transmission d'un passé violent chez quelques individus ne permet pas d'affirmer que tous ont agi en fonction de ce passé.The response offers to go back over three issues: sources, intentionality of the actors and tension between plausibility and truth. Writing colonial Algeria's history is to confront oneself with the inequality of the traces conserved depending on different places and periods. The population is still rural as a majority in the region of Palestro, sources are either oral, based on a small number of indigenous notables, or administrative. The crisis context enables to understand that, from a French viewpoint, the collective imagination has tended to focus on memories and images which associated this place to the violence of the indigenous population. The issue of individual intention here seems not only out of reach through sources but also little pertinent in the chosen analytical context, focusing on groups and collective identities. If the colonial context is structuring for the actors as a whole, the autonomy of the villagers is to be found in their manner of positioning themselves on the construction of a collective identity over which the FLN claims to exert an exclusive direction. No simple causal link is offered to explain the mutilations: the event remains fortuitous and identifying the transmission of a violent past with some individuals does not allow to say whether all have acted according to that past.
- Ce que je crois savoir sur Marcel David (1920-2011) - Jacques Girault p. 95-96
- Peut-on dévoiler les imaginaires ? Questions sur l'interprétation d'un massacre - François Buton p. 81-86
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 97-118
Informations et initiatives
- Informations et initiatives - p. 119-123