Contenu du sommaire : Mobilité humaine et circulation des savoirs techniques (XVIIe-XIXe siècles)
Revue | Extrême-Orient, Extrême-Occident |
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Numéro | no 36, 2014 |
Titre du numéro | Mobilité humaine et circulation des savoirs techniques (XVIIe-XIXe siècles) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Catherine Jami p. 5-17
I. Itinéraires dans l'espace chinois
- La carrière de Mei Wending (1633-1721) et le statut des sciences mathématiques dans le savoir lettré - Catherine Jami p. 19-47 Cet article s'intéresse aux quatre grandes étapes de l'itinéraire et la carrière de Mei Wending, spécialiste de sciences mathématiques, et montre ce que ces étapes doivent à certains traits de l'État et de la société des Qing : le système des examens de recrutement, le patronage impérial des savoirs, reproduit par les hauts fonctionnaires, ainsi que la mobilité géographique de ces derniers. Les liens entre certaines caractéristiques des lieux de savoir où a vécu Mei, d'une part, et l'écriture et la circulation de ses nombreux traités, d'autre part, sont mis en lumière afin de montrer comment il finit par être reconnu comme « un grand mathématicien et astronome » alors même que les disciplines dans lesquelles il se spécialise acquièrent le statut de savoirs lettrés.This paper shows that there were four major stages in the career of Mei Wending, a specialist in the mathematical sciences, and goes on to analyse how these stages where shaped by certain features of the early Qing state and society. These included the civil examination system, imperial patronage of learning (which was itself emulated by high officials) as well as these officials' geographical mobility. The links between certain characteristics of the sites of knowledge where Mei lived, on the one hand, and the production and circulation of his many treatises are highlighted, on the other hand, so as to show how he was finally recognized as “a great mathematician and astronomer” just at the time when the disciplines in which he specialized were gaining the status of scholarly learning.
- Les traductions de François-Xavier Dentrecolles (1664-1741), missionnaire en Chine : localisation et circulation des savoirs - Huiyi Wu p. 49-80 Cet article propose d'examiner les contributions savantes du jésuite français François-Xavier Dentrecolles – l'un des missionnaires les plus prolifiques et éclectiques qui aient travaillé en Chine dans la première moitié du XVIIIe siècle – en rapport avec son itinéraire géographique. Formé dans la province jésuite de Lyon, après son arrivée en Chine il travailla pendant vingt ans dans les provinces du Fujian et du Jiangxi, puis pendant vingt ans à Pékin. Son œuvre a la caractéristique d'être essentiellement traduite des sources chinoises, et son itinéraire, celle de n'être jamais passé par la cour impériale. La mise en regard de ces deux éléments permet de réfléchir sur les conditions de production et de circulation des savoirs sur la Chine dans le contexte de la mission catholique, ainsi que sur les limites de cette circulation.This article examines the scholarly contribution of the French Jesuit François-Xavier Dentrecolles, one of the most prolific and eclectic missionaries who worked in China during the first half of the eighteenth century, in relation to his geographical itinerary. Trained in the Jesuit province of Lyon, he worked for twenty years in the provinces of Fujian and Jiangxi after his arrival in China ; he then spent another twenty years in Beijing. His work mainly consists of translations of Chinese sources, and his itinerary did not include the Chinese court. Confronting these two facts enables us to reflect on the conditions of the production and circulation of knowledge about China in the context of the Catholic mission, as well as on the limits of this circulation.
- La carrière de Mei Wending (1633-1721) et le statut des sciences mathématiques dans le savoir lettré - Catherine Jami p. 19-47
II. Relations diplomatiques et circulation des livres
- Journeys of the Modest Astronomers : Korean Astronomers' Missions to Beijing in the Seventeenth and Eighteenth Centuries - Jongtae Lim p. 81-108 Cet article s'intéresse aux astronomes de cour coréens qui se sont rendus à Pékin aux XVIIe et XVIIIe siècles. Conditionnés par la hiérarchie politique et épistémique entre les deux pays, les astronomes coréens allaient à Pékin pour y acquérir les secrets des calculs astronomiques détenus par le Bureau de l'astronomie des Qing. Ces voyages, riches en opportunités et en déceptions, devinrent un élément central dans la construction par les astronomes coréens de leur propre image. Ils se représentaient modestement comme les astronomes d'un « État marginal » qui ne pouvaient être compétents dans leur domaine sans effectuer des pèlerinages à la métropole impériale. Cette rhétorique de la modestie reflète la position conflictuelle des astronomes officiels coréens, qui ne pouvaient promouvoir leurs intérêts socio-culturels qu'en niant leur capacité à être compétents par eux-mêmes dans leur domaine.This article focuses on the Korean court astronomers who made the journeys to Beijing in the seventeenth and eighteenth centuries. Conditioned by the politico-epistemic hierarchy between the two countries, Korean astronomers traveled to Beijing with the task of acquiring the secrets of astronomical calculation possessed by the Qing Bureau of Astronomy. The author argues that in the course of these journeys that offered the Korean astronomers both frustrations and opportunities, traveling to the metropolitan center became crucially incorporated into their self-portrait. They presented themselves modestly as the astronomers of a “marginal state,” who could not expect to be competent in their specialty without making pilgrimages to the imperial metropolis. This rhetoric of modesty reflected the conflicted position of the Korean official astronomers, who could promote their sociocultural interests only by negating their ability to be competent in their specialty on their own.
- Commerce des livres et diplomatie : la transmission de Chine et de Corée vers le Japon des savoirs médicaux liés à la pratique de l'acuponcture et de la moxibustion (1603-1868) - Mathias Vigouroux p. 109-154 Les archives des entrepôts de Nagasaki et la transcription des conversations entre médecins chinois et coréens, d'une part, et médecins japonais, d'autre part, mettent en lumière les différents canaux par lesquels le savoir médical circula depuis la Chine et la Corée vers le Japon à l'époque d'Edo (1603-1868). Les textes jouèrent un rôle plus important que les hommes dans la transmission des savoirs liés à la pratique de l'acuponcture. Les médecins chinois ou coréens qui se rendirent au Japon ne contribuèrent pas directement à la diffusion de l'acuponcture. Peu de questions portent sur le sujet dans leurs entretiens avec les médecins japonais et leurs réponses font surtout apparaître des divergences sur la manière d'interpréter les classiques chinois ou sur l'emploi des aiguilles d'acuponcture. Plusieurs conservations révèlent néanmoins que certains savoir-faire, tels que la prise des pouls ou certaines techniques de poncture, furent transmis oralement plutôt que par les textes.The archives of the Nagasaki trade and the transcription of the conversations between Chinese and Korean physicians on the one hand and Japanese physicians on the other provide information about the different channels through which medical knowledge circulated from China and Korea to Japan during the Edo period (1603-1868). Texts rather than men played an important role in the transmission of knowledge related to the practice of acupuncture. The Chinese and Korean physicians who went to Japan did not contribute directly to the diffusion of acupuncture. Only a few questions on this topic were asked in their conversations with Japanese physicians, and their answers mainly reveal differences in the interpretation of the Chinese classics or in the use of acupuncture needles. However, several conversations show that certain elements of know-how, such as pulse diagnosis or some acupuncture techniques, were transmitted orally rather than by texts.
- Journeys of the Modest Astronomers : Korean Astronomers' Missions to Beijing in the Seventeenth and Eighteenth Centuries - Jongtae Lim p. 81-108
III. Industrialisation et innovation
- Shimomura Kôtarô (1863-1937) and the Circulation of Technical Knowledge between the United States, Japan, and Belgium - Aleksandra Kobiljski p. 155-189 À travers la carrière du chimiste et ingénieur Shimomura Kôtarô, cet article explore l'intersection entre un itinéraire individuel et les début de la cokéfaction avec récupération des sous-produits au Japon au tournant du XXe siècle. Formé au Japon puis aux États-Unis, Shimomura a adapté au traitement du charbon japonais, à haute teneur volatile, des fours importés de Belgique, conçus pour traiter les charbons extraits en Europe. En analysant la manière dont les savoirs et l'expertise liés à la production du coke ont circulé, on peut montrer que dans ce cas précis le mouvement des techniques s'est accompagné d'une part significative d'innovation. Sur la base d'archives récemment découvertes et jusque-là inexploitées, cet article s'interroge également sur le rôle des ingénieurs et de l'innovation dans l'industrialisation de l'époque Meiji (1868-1912).Using the career of the Japanese chemist and engineer Shimomura Kôtarô as its focus, this article explores the intersection of an individual itinerary and the beginnings of byproduct coking in Japan at the turn of the twentieth century. Trained in Japan and then in the United States, Shimomura adapted coking ovens designed to process coal extracted in Europe for processing Japanese coal, which had a higher volatile content. By analyzing the way in which knowledge and expertise of the manufacture of coke traveled, it can be shown that in this particular case the circulation of technology involved a significant degree of innovation. Based on recently discovered and hitherto unstudied archival material, this article seeks to raise the question of the place of engineers and innovation in Meiji period industrialization (1868-1912).
- Shimomura Kôtarô (1863-1937) and the Circulation of Technical Knowledge between the United States, Japan, and Belgium - Aleksandra Kobiljski p. 155-189
Regards extérieurs
- Revisiting Social Theory and History of Science in Early Modern South Asia and Colonial India - Dhruv Raina p. 191-210 Les historiographies des sciences en Asie ont connu un changement majeur au cours des trois dernières décennies, changement inspiré par ceux de la théorie sociale des sciences, par un fort contextualisme et par le développement des recherches en histoire locale. Ce changement résulte aussi des interactions entre théorie sociale et pratique historique. En réponse à la question du rôle des « itinérants » – lettrés, missionnaires, fonctionnaires ou savants – dans la circulation et la transmission des savoirs en Asie orientale, cet essai se tourne vers l'Asie du Sud, et tente d'esquisser le paysage de la circulation des savoirs dans cette région au cours de la première modernité et de la période coloniale. Dans une seconde partie, la traduction des mathématiques modernes dans l'Inde coloniale est prise comme exemple pour illustrer les différentes stratégies de légitimation de nouveaux savoirs dans différents contextes culturels et nationaux.Historiographies of the sciences in Asia have undergone a major revision over the last three decades—inspired by changes in the social theory of science, a robust contextualism, and growing scholarship in local histories. These revisions have equally been an outcome of the mutual shaping of social theory and historical practices. Responding to the role of “itinerants,” be they scholars, missionaries, officials, or scientists in the circulation and transmission of knowledge in East Asia, the present essay synchronously moves to the geographical region of South Asia and attempts to draw the landscape of the circulation of knowledge in early modern and colonial South Asia. In the second part, it briefly instantiates the process of translation of modern mathematical knowledge in colonial India, illustrating the different strategies of legitimation of new knowledge in varied national and cultural contexts.
- La loupe et le miroir - Christian Jacob p. 211-217 L'histoire des savoirs est une discipline neuve, qui se développe au carrefour des humanités et des sciences sociales. Aux grandes généralisations et aux paysages diachroniques, elle préfère les études de cas, focalisées sur des lieux, des personnages, des moments particuliers. Les études de cas permettent cependant de réfléchir sur les objets mêmes de l'histoire des savoirs, sur ses enjeux, sur ses formes de problématisation. Ces notes tentent de formuler quelques-unes des questions théoriques découlant des textes réunis dans ce numéro d'Extrême-Orient, Extrême-Occident et d'en souligner les apports pour un historien des savoirs travaillant sur d'autres aires culturelles.History of knowledge is a new discipline, one which has developed at the intersection of the humanities and the social sciences. Rather than broad generalisations and diachronic landscapes, this discipline works by case studies, focussing on particular times, places, and persons. Case studies, however, enable one to reflect on the objects, stakes, and modes of problematization of the history of knowledge. The notes proposed here attempt to formulate some of the theoretical questions stemming from the studies included in this issue of Extrême-Orient, Extrême-Occident, and to underline what they can offer to a historians working on other cultural areas.
- Revisiting Social Theory and History of Science in Early Modern South Asia and Colonial India - Dhruv Raina p. 191-210