Contenu du sommaire : Politiques des droits
Revue | Gouvernement & action publique |
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Numéro | no 4, octobre 2014 |
Titre du numéro | Politiques des droits |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Politiques des droits
- Entre mobilisations et institutions : Les politiques des droits dans l'action publique - Pierre-Yves Baudot, Anne Revillard p. 9-33 À l'interface entre sociologie du droit, sociologie des mouvements sociaux et sociologie de l'action publique, la notion de politiques des droits proposée par Stuart Scheingold dans son ouvrage fondateur The Politics of Rights a été définie et utilisée de différentes façons. L'accent a pu être mis, comme Scheingold lui-même le proposait, sur la dimension mobilisatrice de la référence aux droits, permettant d'activer la citoyenneté des individus et de bousculer les équilibres politiques. Dans une perspective différente, plusieurs travaux ont défini les politiques des droits comme un style de politique publique, favorisant un cadrage spécifique des mobilisations, facilitant l'accès de certaines catégories d'acteurs et de certains enjeux à des arènes de formation des politiques publiques, et produisant des effets (policy feedback) spécifiques. Ces deux façons de définir les politiques des droits invitent à s'interroger sur les reconfigurations que le recours aux droits produit, dans les rapports entre institutions gouvernantes, dans les structures de l'État ainsi que dans les relations entre institutions et mouvements sociaux. Ces trois perspectives sont au cœur de ce numéro.Between mobilizations and institutions
At the interface between the sociology of law, social movement theory, and public policy analysis, the notion of politics of rights put forward by Stuart Scheingold in his famous eponymous book was defined and used in various ways. Some scholars have focused, as Scheingold himself had pointed to, on the mobilizing dimension of the reference to rights, analyzing the capacity of this reference to activate individual citizenship and to question the existing balance of political power. In a different perspective, several authors have defined the politics of rights as a distinct policy style, favoring a specific framing of mobilizations, facilitating policy access to categories of actors and certain problems, and producing specific policy feedbacks. These two ways of defining the politics of rights lead to questions regarding the reconfigurations produced by the invocation of rights, in the relations between governing institutions, within state structures, as well as in the relations between institutions and social movements. These three perspectives are at the heart of this special issue. - Adaptation et réflexivité : Sur les mobilisations juridiques des groupes d'intérêt publics transnationaux européens - Sophie Jacquot, Tommaso Vitale p. 35-55 Cet article part d'un premier constat, relatif à un usage très différencié des mobilisations juridiques par deux acteurs collectifs transnationaux, le Lobby européen des femmes (LEF) et le Forum européen des Roms et des gens du voyage (FERV) qui pourtant appartiennent au même secteur européen de la lutte contre les discriminations. Il a pour objectif d'expliquer les raisons de cet usage différencié, et de discuter les dimensions d'analyse pertinentes. Il s'inscrit dans la problématique plus générale de la réponse des acteurs collectifs au changement de l'action publique. Les données empiriques ont été recueillies sur la base d'un principe de triangulation entre sources secondaires, sources documentaires et entretiens semi-directifs et elles ont été élaborées dans une optique qualitative de process-tracing. Dans une première partie nous explorons les différentes stratégies de promotion des droits du LEF et du FERV (le droit comme référence et le droit comme ressource), pour nous concentrer ensuite sur les principaux facteurs à l'origine de cette situation contrastée : le rôle des ressources organisationnelles des groupes et des cadres d'identité collective, mais également le rôle des effets itératifs liés aux interactions entre groupes et leur positionnement au sein du système européen de gouvernance. L'apport principal de ce travail comparatif est de montrer que face aux évolutions des modalités de gouvernance, les acteurs collectifs ont dû s'adapter de façon réflexive, pas seulement en regardant les marges de manœuvre et les incitations existantes, mais avec une forte attention à leur propre composition, à la recherche de formules organisationnelles et stratégiques capables de prendre en compte les conflits internes et à leur environnement concurrentiel.Adaptation and reflexivity
The paper aims to explain a highly differentiated use of the law by two transnational collective actors, the European Women's Lobby (EWL) and the European Roma and Travellers Forum (ERTF), and this despite them belonging to the same domain of anti-discrimination policy at the EU level. It addresses the more general topic of the response of collective actors to policy change. Empirical data has been collected on the basis of a triangulation between secondary sources, documentary sources and semi-structured interviews and has been analysed in terms of process-tracing. In the first part we explore different strategies to promote human rights (the law as a reference and the law as a resource). Then we focus on the main factors behind the contrast studied : the role of groups' organizational resources and of collective identity frames. In the final section we discuss the relevance of iterative effects associated with interactions between groups and their positioning within the European system of governance. The most important result of the comparison shows that to respond to changes in governance arrangements, collective actors have had to adapt reflexively. To do so, they not only assess the available margins of manœuvre and incentives, but look deeply at their own composition, seeking organizational and strategic formulae able to cope with internal conflicts and at their competitive environment. - Effets d'état : Mobilisations et action publique au Liban à l'épreuve du pluralisme juridique - Samer Ghamroun p. 57-82 Malgré un format institutionnel classique, l'État libanais ne présente pas la plupart des propriétés par lesquelles la sociologie politique caractérise le pouvoir étatique. Il figure ainsi régulièrement dans la liste des États faibles ou même en échec. Cet article remet en question la pertinence de cette qualification en comparant trois mobilisations de droits qui se sont déroulées au Liban ces dix dernières années (protection de l'enfant en danger, protection des femmes victimes de violences familiales, augmentation de l'âge de garde de l'enfant en faveur de la mère dans la communauté sunnite). Ces mobilisations ont eu lieu dans le domaine du droit de la famille où l'État n'a jamais mis en œuvre des politiques publiques centrales, laissant à chaque communauté religieuse une autonomie juridique et judiciaire importante. Ce travail conteste cette absence étatique présupposée en étudiant des transformations et des outputs inexplicables par le simple rapport de force entre acteurs des mobilisations et contre mobilisations. Ces effets d'État ne passent pas par les éléments traditionnels recherchés par la sociologie de l'action publique : des budgets, une bureaucratie, des règles centrales obligatoires. Il s'agit ici de formes originales d'étatisation par concurrence, par standardisation ou par synthèse entre aspirations juridiques opposées difficilement conciliables en dehors des institutions centrales.State effects
The Lebanese state is often depicted as failing to possess most of the properties through which political sociology usually defines state power. Therefore, scientific literature often describes it as a weak state or a failed state. This article questions the relevance of this description through a comparison between three legal mobilizations that took place in Lebanon over the last ten years (protection of endangered children, protection of women victims of domestic violence, modification of the custody age in favor of the mother in the Sunni community). These mobilizations occurred within the field of family law where the Lebanese state had never previously implemented any kind of central policies, and where every religious community has important legal and judicial autonomy. This article disputes the claim of an absence of the state by studying outputs and transformations that cannot be explained by the relations of power between the actors of mobilizations and counter-mobilizations. These state effects do not operate through traditional policy tools as identified by policy studies: budgets, bureaucracies, or central compulsory norms. Rather, what is at stake here are original forms of stateness that unfold through competition, standardization or synthesis between conflicting socio-legal aspirations, all of which are incapable of being conciliated outside central institutions.
- Entre mobilisations et institutions : Les politiques des droits dans l'action publique - Pierre-Yves Baudot, Anne Revillard p. 9-33
Varia
- L'autonomie de l'équilibriste : Contribution à une sociologie de la production institutionnelle des droits - Pierre-Yves Baudot, Anne Revillard p. 83-113 Alors que les travaux sur la « politique des droits » menés dans le prolongement de ceux de Stuart Scheingold abordent la concrétisation des droits des individus à partir d'une focale sur l'arène judiciaire et les mobilisations qui l'entourent, cet article s'intéresse à l'action plus discrète et quotidienne des institutions administratives. Il prend appui sur la comparaison de deux institutions ayant pour mission de favoriser l'accès de leurs publics aux droits qui leur sont juridiquement reconnus, le Médiateur de la République et les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Toutes deux fonctionnent comme des intermédiaires institutionnels de la concrétisation des droits, dont l'action porte plus précisément sur la définition de l'éligibilité des individus aux droits auxquels ils prétendent. En amont, leur intervention est subordonnée à la soumission d'un dossier par des usagers et, en aval, l'effectivité des droits qu'elles défendent ou notifient dépend de l'action d'autres institutions. Médiateur et MDPH se trouvent donc dans une position d'interface entre les demandes des usagers et l'environnement institutionnel auquel elles donnent accès. Dans cette configuration, elles apparaissent comme des équilibristes, constamment soumises aux forces opposées de la défense des usagers d'un côté et de la préservation de l'administration de l'autre. Leur autonomie institutionnelle s'incarne dans leur capacité, toujours fragile, à intégrer les contraintes contraires de leur environnement et afficher l'autonomie de leurs décisions.The autonomy of balancing acts
Whereas scholarship on the “politics of rights” inspired by Scheingold's work tackles the issue of how rights become concrete based on a focus on Courts and the mobilizations around them, this article looks at the more discrete and daily action of administrative institutions. We compare two institutions endowed with a mission of favoring their constituents' access to the rights legally recognized by them: the French ombudsman (Médiateur de la République), and local agencies in charge of disability rights allocation (Maisons départementales des personnes handicapées, or MDPH). Both institutions function as institutional intermediaries in the realization of rights. More specifically, they intervene at the level of the definition of individual entitlement. Upstream, their intervention depends upon their clients' submission of an application. Downstream, the effectiveness of the rights they promote or allocate is in the hands of other institutions. Hence both institutions stand at the interface between their constituents' demands and the institutional environment to which they enable access. In this configuration, they perform a balancing act, being constantly submitted to the opposed forces of their constituents' interests and the interests of the administration. Their institutional autonomy is embodied in their capacity to integrate the opposing constraints coming from their environment and to assert autonomous decision-making. - La différenciation des modèles standards urbains : Le cas de la réception d'un système de vélos en libre-service à Barcelone - Maxime Huré p. 115-143 Cet article questionne les facteurs politiques qui ont conduit à différencier les systèmes de vélos en libre-service en Europe à partir d'une comparaison transnationale entre les villes de Lyon et Barcelone. Loin de refléter un simple transfert de politiques publiques standards, la réception d'un dispositif de vélos en libre-service à Barcelone a suscité la construction d'un nouveau modèle économique et organisationnel. Les transformations du modèle lyonnais se sont opérées à partir du contexte politique et institutionnel local. L'article insiste sur la nécessaire prise en compte des variables politiques dans les processus de transfert. D'une part, la différenciation des systèmes de vélos en libre-service vise à assurer la légitimité des élus par rapport aux acteurs politiques et associatifs locaux, et par rapport aux entreprises du mobilier urbain. D'autre part, la différenciation permet de transformer le marché et l'organisation générale de la compétition que se livrent les villes sur la scène internationale. Les logiques de compétition ne sont ici pas incompatibles avec une territorialisation accrue de l'action publique urbaine.Differentiation within standard urban models
Using a cross-national comparison between the cities of Lyon and Barcelona, this article deals with the political causes of bike sharing systems' differentiation in Europe. Far from reflecting a simple transfer of standard public policies, the introduction of bike sharing systems involved Barcelona decision makers attempting to build a new economic and organizational model based on the political and institutional context of Barcelona. This article aims to reintroduce political variables into the processes of policy transfer. On one hand, differentiation of bike sharing systems occurred in order to legitimate political decision makers as regards local political and associative actors, as well as big companies. On the other hand, differentiation transformed the organization of competition between cities at the international scale. Nevertheless, these logics of competition are not incompatible with a greater territorialisation of urban public policies.
- L'autonomie de l'équilibriste : Contribution à une sociologie de la production institutionnelle des droits - Pierre-Yves Baudot, Anne Revillard p. 83-113
Lectures
- Comptes rendus - p. 145-163