Contenu du sommaire : Altérités, inégalités et mobilités dans les îles de l'océan Indien

Revue Etudes rurales Mir@bel
Numéro no 194, 2014
Titre du numéro Altérités, inégalités et mobilités dans les îles de l'océan Indien
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Altérités, inégalités et mobilités au sud-ouest de l'océan Indien

    • La fabrique des mondes insulaires : Altérités, inégalités et mobilités au sud-ouest de l'océan Indien - Laurent Berger, Sophie Blanchy p. 11-46 accès libre
    • Intégrations et exclusions : La production différenciée des hiérarchies sociales aux Comores - Sophie Blanchy p. 47-62 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans l'archipel des comores, les îles de Ngazidja et Anjouan présentent deux cas contrastés de production des hiérarchies et de régulation sociale, contraste que la migration met en valeur. Les deux organisations sociales sont décrites ici, l'une comme un emboîtement complexe de hiérarchies capable d'absorber même les anciennes exclusions, l'autre comme un clivage difficile à réduire. Peuplées par des Africains bantous puis par des musulmans d'origine persane et arabe, les îles subirent ensemble le joug de la colonisation française. À Ngazidja, une organisation sociale et politique très élaborée et ne tenant pas compte de l'origine arabe évolua vers une intégration grandissante des dominés. À Anjouan, les musulmans d'origine hadramie développèrent une société urbaine lettrée et raffinée, élite commerçante dont les réseaux s'élargirent encore avec les escales européennes. La colonisation y renforça le fossé entre urbains et ruraux. La manière dont les deux sociétés insulaires font usage de la migration pour atteindre des buts économiques et sociaux en partie différenciés éclaire la permanence ou l'évolution des hiérarchies locales.
      The islands of Ngazidja and Anjouan in the Comoros archipelago provide contrasting examples of the production of hierarchies and social regulation, a contrast highlighted by migration. This paper describes two contrasting social organisations: one a complex interlocking of hierarchies capable of absorbing even the most ancient and deep-rooted exclusions and the other an irreducible divide or split. Inhabited by African Bantu and later by Muslims of Persian and Arab origins, both Ngazidja and Anjouan subsequently came under French colonial rule. On Ngazidja, there emerged a highly elaborate social and political organisation wholly unrelated to the Arab origins of the local population, resulting in an increasing integration of the subjugated populations. On Anjouan, the Muslim population of Hadhrami origin developed a refined and highly literate urban culture, with the local business elite developing even larger networks under the influence of European trade. The gap between urban and rural populations became even wider under colonial rule. The ways in which the two insular societies have employed migration to achieve partly differing economic and social goals highlight the permanent or changing nature of local hierarchies.
    • Ritual as a Social Diagnostic and Lens of Comparison in Mayotte and Its Neighbours - Michael Lambek p. 63-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les sociétés du canal du Mozambique – sociétés apparentées qui s'interpénètrent – le rôle majeur que jouent les rites dans la constitution de la personne et des relations sociales peut servir de point de comparaison. Ngazidja (Grande Comore), décrite et analysée par Sophie Blanchy, incarne la société du don telle que l'a présentée Marcel Mauss. À Ngazidja, la circulation du don – à savoir des choses qui ont le plus de valeur – s'articule autour du Grand mariage, institution qui à la fois reproduit les personnages (matérialisés par leurs maisons) et produit et reproduit les distinctions entre personnes et entre familles. Ceux qui parlent le kibushi à Mayotte ont pris leurs distances vis-à-vis de la hiérarchie comorienne et ont transformé le Grand mariage en shungu, institution qui met en œuvre toute une série de rites de passage comprenant non seulement le statut acquis par la circoncision et le mariage mais aussi les statuts donnés par la naissance et la mort, de manière à produire plus une égalité de distinction que de l'inégalité. Ici, le don se trouve dans l'acte, c'est-à-dire dans le travail réciproque de reproduction et de reconnaissance des autres. Comparé à Ngazidja et Mayotte, Madagascar met l'accent sur les rites mortuaires. Les actes de reproduction et de témoignage y sont constitutifs, là aussi, de hiérarchie : chez les Sakalava, la production des ancêtres royaux implique la reproduction des distinctions sociales entre, d'une part, les membres du clan royal et, d'autre part, les razan'olo formant une caste de serviteurs royaux et une « espèce particulière » de personnes (karazan'olo).
      Ritual plays a major role in the formation of social persons and relations in the related and overlapping societies of the Mozambique Channel, but can also serve as a useful point of comparison. Ngazidja (Grande Comore), as described and analyzed by Sophie Blanchy, epitomizes the society of the gift as developed by Marcel Mauss. The circulation of the gift – of those things of greatest value in Ngazidja – is articulated through the Grand Mariage, which both reproduces personnages (as materialized in houses) and produces and reproduces distinctions among persons and families. Kibushi speakers in Mayotte, sceptical of Comorian hierarchy, transformed the Grand Mariage into a pattern called shungu, which takes place across a series of rites de passage, not only the achieved status of marriage and circumcision but also the ascriptions of birth and death and in a manner such as to produce equality of distinction rather than inequality. Here the gift is located in the act, i.e. in the reciprocal work of reproducing and recognizing others. By comparison with both Ngazidja and Mayotte, in Madagascar the focus is on mortuary rituals. Here acts of reproduction and witness are again constitutive of hierarchy: among Sakalava, the production of royal ancestors entails the reproduction of social distinctions between royalty and Ancestor People (razan'olo) or Kinded People (karazan'olo).
    • De la pierre à la croix : Interprétation d'un paysage commémoratif (Anôsy, sud-est de Madagascar) - Dominique Somda p. 79-102 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La commémoration matérielle des morts en Anôsy (région du sud-est de Madagascar) renvoie à une dialectique de maintien et de conquête ou de recouvrement de l'honneur. Les édifices funéraires matérialisent des liens familiaux multiples. Leur existence même témoigne de la réussite d'une inscription durable de groupes et d'individus dans le paysage. De leur coût, de leur taille et de leur facture semble dépendre la mesure de l'honneur gagné. Ces stratégies ostentatoires appartiennent à un monde devenu plus égalitaire, où le statut n'est plus attribué une fois pour toutes mais doit être acquis. Les pierres dressées, stèles de ciments et tombeaux ornés fonctionnent comme des indices qui peuvent être interprétés de manière inattendue et contraire aux intentions de leurs propriétaires. Par la juxtaposition des gestes bâtisseurs des groupes, le paysage funéraire révèle un affrontement mémoriel dont l'enjeu est l'honneur.
      The material commemoration of the dead in Anosy (southeastern Madagascar) is rooted in the dialectics of the preservation and gaining or regaining of honour. Funeral monuments are designed to represent and materialise multiple family bonds and relationships. Their very existence is testament to the success of a sustainable inscription of groups and individuals in the landscape. The degree of honour earned appears to be dependent on the cost, size and craftsmanship of monuments. Ostentation is the reflection of an increasingly egalitarian world in which status is no longer a permanent given but must be earned and acquired. Standing stones, cement headstones and decorated gravestones function as signs or symbols that can be interpreted in unexpected ways often at odds with their owners' intentions. This paper argues that through the juxtaposition of the building gestures of groups, the funeral landscape reveals a confrontation in which what is stake is honour.
    • Pourquoi ne pas les épouser ? : L'évitement du mariage avec les descendants d'esclaves dans le sud Betsileo (Madagascar) - Denis Regnier p. 103-122 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pourquoi les descendants de « roturiers » (olompotsy) du sud des Hautes Terres centrales de Madagascar refusent-ils systématiquement de se marier avec des descendants d'« esclaves » (andevo) ? Pour tenter de répondre à cette question, l'auteur s'intéresse à des descendants d'esclaves de cette région, appelés les Berosaiña, qui possèdent des terres et des tombes ancestrales et qui mènent une existence assez comparable à celle des olompotsy sauf quand il s'agit de former des alliances matrimoniales. Il suggère que, contrairement à ce qui a été avancé précédemment, les descendants d'esclaves ne manquent pas de tombes. La détermination de leur statut se fonde sur deux pratiques culturelles bien ancrées – les tetihara (ou discours prononcés lors des funérailles) et l'enquête maritale – qui entretiennent la mémoire sociale des « origines ». Par conséquent, pour expliquer cet évitement du mariage, plusieurs niveaux d'analyse sont nécessaires.
      Why is it that the descendants of “commoners” (olompotsy) in the south of the central highlands of Madagascar typically refuse to marry the descendants of slaves (andevo)? To answer this question, this paper examines the descendants of slaves living in the region (the Berosaiña), who own land and ancestral graves and lead a life similar to that of the olompotsy – except, crucially, when it comes to forming matrimonial alliances. Contrary to what was previously believed, the paper shows that the descendants of slaves are not short of graves. The determination of their status is founded on two entrenched cultural practices: the tetihara (speeches given at funerals) and the marital survey, both of which function to preserve the social memory of “origins”. The paper argues that several levels of analysis are needed to explain the avoidance of marriage.
    • Le prix de l'eau : Hiérarchies urbaines, voisinage hydrique et communalité à Diégo-Suarez (Madagascar) - Camille Al Dabaghy p. 123-143 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À Diégo-Suarez, le sens et la portée de la politique publique de l'eau ont été remis en cause par la marchandisation imposée par différents acteurs de l'aide internationale. Comme dans d'autres contextes urbains post-coloniaux, les inégalités d'accès à l'eau y recoupent les inégalités socioéconomiques. Or, depuis l'instauration de la gestion payante en 2004, le gouvernement municipal ne peut plus garantir l'équité que permettait la dualité d'un système alliant la consommation payante (aux branchements domestiques) à la consommation gratuite (aux bornes-fontaines). Travailler sur les modes de subjectivation, les pratiques sensorimotrices et les transactions liés à l'approvisionnement quotidien en eau permet de saisir la complexité et l'imbrication des dynamiques de stratification sociale et de formation du pouvoir communal telles qu'elles sont localement déterminées par un principe d'autochtonie ethnicisé et un pluralisme normatif institutionnalisé.
      The purpose and scope of water policy in Antsiranana have been redefined by commercialization, a trend driven by a range of actors involved in international aid. As in other post-colonial urban settings, inequalities in access to water have tended to mirror and overlap with socioeconomic inequalities. Since the introduction of water billing in 2004, the municipal government has been unable to guarantee equity in a system combining billed consumption (mains water supply) and free supply (public taps). The study of modes of subjectivation, sensori-motor interactions and the transactions related to daily water supply helps to understand the complexity and overlapping of the dynamics of social stratification and municipal formation processes as determined locally by autochthony principles and normative pluralism.
    • Altérités et clivages en situation coloniale : Fonctionnaires réunionnais à Tananarive - Faranirina V. Rajaonah, Odile Vacher p. 145-172 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Avec la colonisation, Madagascar fut, plus encore qu'au XIXe siècle, une terre d'accueil pour des Réunionnais qui, en majorité, intégrèrent le service public à côté de ceux qui s'établirent à leur compte ou furent recrutés par le secteur privé. Concentrant un grand nombre de postes administratifs et présentant une diversité de situations, Tananarive offre, à cet égard, un point d'observation idéal. Exposés à la condescendance des Français de métropole et à la concurrence des Merina plus instruits qu'eux et bien enracinés dans les réseaux locaux, les fonctionnaires créoles en poste dans la capitale n'échappèrent pas à la stigmatisation. Proches des Malgaches par leurs habitudes sociales mais s'identifiant aux Français, ces Réunionnais eurent du mal à trouver leurs marques dans la cité. L'étude de ces fonctionnaires créoles conduit à réexaminer le processus de construction des frontières ethniques dans les sociétés insulaires indianocéaniques.
      With the rise of colonialism, Madagascar became even more attractive to immigrants from Reunion, some of whom gained employment in the public sector, while others were self-employed or worked in the private sector. Because of its social diversity and its large number of administrative jobs, Antananarivo provides, in this respect, an ideal focus of study. Exposed to the condescendence of Metropolitan France and competition from more highly educated Merina with established links to local networks, Creole civil servants working in the capital have been subject to stigmatisation. Similar to Madagascans by virtue of their social customs but tending to identify with the French, these expatriates from Reunion have struggled to find their place in the city. The study of Creole civil servants leads to a re-examination of the process governing the construction of ethnic frontiers in island societies of the Indian Ocean.
    • Pauvreté et inégalités de classe à la réunion : Le poids de l'héritage historique - Nicolas Roinsard p. 173-189 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis de nombreuses années, La Réunion enregistre, à l'échelle nationale, les taux record de chômage et de recours aux minima sociaux. Si la départementalisation votée en 1946 annonçait des mesures de rattrapage et de mise à égalité avec la métropole, on ne peut que reconnaître aujourd'hui les limites de ce développement caractérisé par la reproduction des inégalités, à la fois externes et internes. Externes dans la mesure où tous les indicateurs de vulnérabilité montrent un écart important entre l'île et la métropole. Internes dans la mesure où la structure sociale de la société réunionnaise reste marquée par de profondes inerties héritées de la société de plantation, par essence inégalitaire. Cet héritage détermine en particulier le rapport au travail et aux relations de dépendance que vivent aujourd'hui les groupes historiquement dominés, surreprésentés parmi les bénéficiaires des minima sociaux.
      Reunion has suffered greatly in recent years from record-high unemployment and welfare dependency rates. The process of “departmentalisation” introduced in 1946 was designed to place Reunion on a par with Metropolitan France. However, it is now clear that the process has largely failed, with the reproduction of inequalities, both internal and external, clear for all to see; external in the sense that all the indicators of vulnerability point to a significant gap between the island and Metropolitan France; internal in the sense that the social structure of Reunion society remains marked by profound inertia inherited from plantation society (by its very nature a deeply unequal social structure). This legacy has had a profound impact on the relation to work and the dependency relations currently experienced by historically dominated groups over represented among welfare recipients.
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  • Articles libres

    • La concentration foncière par la tenure inversée (reverse tenancy) - Jean-Philippe Colin p. 203-218 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      On désigne par tenure inversée (reverse tenancy) des situations dans lesquelles des petits propriétaires cèdent en faire-valoir indirect (location ou métayage) une partie ou la totalité de leurs disponibilités foncières à des tenanciers économiquement plus favorisés : grands propriétaires fonciers, entrepreneurs agricoles, etc. Ce texte propose une caractérisation des configurations de tenure inversée, avance des éléments d'interprétation de leur émergence et traite des questions de l'efficience et de l'équité des pratiques contractuelles dans le cadre de ces configurations.
      Reverse tenancy refers to situations in which small landowners lease land to better-off tenants such as large landowners or agricultural entrepreneurs. This paper outlines the key features of reverse tenancy configurations, goes some way toward interpreting their emergence and discusses the issues of efficiency and equity in the context of such configurations.
    • La non-adhésion des agriculteurs du Sertão brésilien à la conversion de leur modèle agricole - Anne-Laure Collard, Julien Burte p. 219-238 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Fin des années 1990 : le Brésil adopte une politique agricole duale fondée sur l'appui à l'agrobusiness et à l'agriculture familiale. Dans ce contexte, l'un des principaux enjeux porte sur la définition d'un modèle agricole destiné à améliorer le soutien à une agriculture familiale longtemps niée par les politiques agricoles successives. Cet article participe à cette réflexion, toujours d'actualité, en discutant les difficultés d'accompagnement de la « modernisation » de ce type d'agriculture. Sur la base d'une démarche ethnographique et comparatiste, les auteurs s'intéressent à la mise en place, dans neuf communautés du Sertão, d'outils matérialisant les deux projets de développement que sont l'agriculture raisonnée et l'agroécologie. L'appropriation de ces outils revêt diverses formes, allant du rejet au remodelage, selon que les acteurs considérés sont techniciens ou agriculteurs. Toutefois, dans les deux cas, on ne donne pas aux intéressés la possibilité de se saisir des modèles agricoles sur lesquels reposent les outils qu'on leur fournit.
      In the late 1990s, Brazil adopted a dual agricultural policy designed to promote both agribusiness and family farming. One of the main challenges in this area is the design of an agricultural model aimed at improving support to family farming – a form of agriculture largely overlooked by successive agricultural policies. The purpose of this paper is to contribute to our understanding of this issue by examining the challenges involved in promoting the “modernisation” of this type of agriculture. Using a comparative ethnographic approach, the paper examines the implementation of tools that embody two key development projects in nine communities of the Sertão: reasoned agriculture and agroecology. The appropriation of these tools takes different forms ranging from rejection to remodelling, depending on whether the actors involved are technicians or farmers. However, in both cases, those concerned are invariably denied the possibility of taking ownership of the agricultural models upon which the tools provided to them are based.
    • Comptes rendus - p. 239-257 accès libre