Contenu du sommaire : Politique des formes de vie
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 57, mars 2015 |
Titre du numéro | Politique des formes de vie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Politique des formes de vie - Estelle Ferrarese, Sandra Laugier p. 5-12
Dossier : Politique des formes de vie
- Towards an Immanent Critique of Forms of Life - Rahel Jaeggi p. 13-29 Une critique des formes de vie est-elle possible ? Peut-on dire que des formes de vie sont bonnes, réussies ou même rationnelles ? Tandis que la philosophie a abandonné la question socratique de la vie bonne, la politique des démocraties libérales constitutionnelles se présente comme une manière d'organiser la coexistence en restant neutre quand aux différentes formes de vie. La façon dont nous devons vivre notre vie est reléguée à la sphère privée, comme une préférence singulière qui ne peut pas être questionnée. Dans cet article, l'auteur avance la possibilité d'une critique sociale immanente des formes de vie, dépassant ainsi les distinctions contraignantes entre l'éthique et la morale, la vie bonne et les principes moraux, le bien et le juste. Cela suppose d'expliquer d'abord ce que sont les formes de vie, comment elles fonctionnent, et quelle en est l'ontologie qui les rend réactives à la critique. Pour qu'une critique ne soit pas arbitraire, l'auteur montre ensuite que les raisons et les standards de la critique se trouvent dans la structure même des formes de vie, une fois qu'on les comprend comme des processus historiquement situés de résolution de problèmes. Les formes de vie sont donc en interaction avec leur critique ; celle-ci peut alors être immanente et émancipatrice.Is a critique of forms of life possible ? Does it make sense to say that forms of life are good, successful or even rational ? While philosophy has given up on the Socratic question of “how we ought to live” [actually we say the “good life” when talking Plato in English, but I think Jaeggi says “how we ought to live” in her article, right ?], the political order of the liberal constitutional state presents itself as a way of organizing a coexistence that is ethically neutral towards different forms of life. The way we ought to lead our lives is relegated to the private sphere, treated as mere preferences that cannot be questioned. In this paper, the author proposes a way in which we can viably criticize forms of life by means of a social, immanent critique that overcomes the constraining distinctions between ethics and morality, the good life and moral principles, or the right and the good. This approach first requires an exposition of what forms of life are, how they work, and how their ontology renders them amenable to immanent critique. For this critique to have more than merely arbitrary normative force, the author goes on to show that its reasons and standards can be found in the very structure of forms of life, once they are understood as historically situated problem-solving processes. Thus, forms of life interact with their critique through a dynamic that ultimately yields immanent and emancipatory critique.
- La démocratie comme revendication et comme forme de vie - Albert Ogien p. 31-47 Depuis 2011, une forme d'action politique originale se déploie en régime démocratique hors des canaux institués du système représentatif tout une revendiquant une extension de la démocratie. Cet article propose de rendre compte de ce phénomène en montrant comment la démocratie peut être conçue comme une « forme de vie » – en revenant à la définition qu'en a donné Wittgenstein. Il montre ensuite la proximité de cette notion avec celle de situation, telle qu'elle est proposée par Goffman. Finalement, à partir des thèses de Dewey à propos de l'enquête, l'article décrit le contenu de la conception de la démocratie comme mode de vie–l'instauration de pratiques favorisant l'autonomie des citoyens et garantissant le pluralisme des manières d'être. L'analyse vient rappeler que, dans chaque société d'État, un processus de production de la démocratie est continûment à l'œuvre qui s'accomplit dans les incessants échanges entre deux modes de conceptualisation de la démocratie : comme système de représentation et comme forme de vie.Democracy as claim and as form of life
An original form of political action has appeared in democratic regimes which takes place outside of the established channels of the representative system while claiming an extension of democracy. This article proposes to account for this phenomenon by showing how democracy can be conceived as a “form of life” – by reference to Wittgenstein's definition. It then shows the proximity of this notion with that of “situation” devised by Goffman. Finally, relying on Dewey's theses about inquiry, the article describes the practical content of democracy as form of life – aiming it promoting the autonomy of citizens and warranting pluralism of ways of living and thinking. The analysis reminds that in every State society, democracy achievement is a ceaseless process relying on the constant interweaving of two modes of conceptualization of democracy : as a system of representation and as form of life. - Le projet politique d'une vie qui ne peut être séparée de sa forme : La politique de la soustraction de Giorgio Agamben - Estelle Ferrarese p. 49-63 Cet article examine la posture critique de Giorgio Agamben, telle qu'elle est fondée sur l'idée de vie nue. Il montre que la critique que pourrait permettre le concept antonyme de forme-de-vie et le type de politique qu'il suggère sont brouillés par deux tendances des travaux d'Agamben : d'une part, la forme-de-vie est définie comme l'autre d'une vie nue dont le signifié flotte ; d'autre part deux figures parallèles et renversées de son œuvre, le réfugié et le Franciscain (l'un et l'autre dés-assujettis au souverain), analysées ensemble, révèlent qu'Agamben fait de la soustraction le geste politique par excellence, et que la vie, ressort critique de sa dénonciation de la souveraineté, est paradoxalement évacuée de la communauté politique qu'il appelle de ses vœux.The political project of a life which can not be separated from its form
This paper analyses Giorgio Agamben's critical position, inasmuch it is based on the idea of bare life. It shows that the critique that the opposite concept of form-of-life enables, and the kind of politics it calls for, are nullified by the fluctuating definition of the phrase “form-of-life”. By studying two symmetric but reversed figures of his work (the refugee and the Franciscan, both de-subjected from the sovereign), I also reveal that subtraction is the political action par excellence for Agamben, and that life, which is the fundamental tool of his critique of sovereignty, strangely disappears as such from his project of political community. - La vulnérabilité des formes de vie - Sandra Laugier p. 65-80 La notion de forme de vie se retrouve dans plusieurs contextes théoriques, de Wittgenstein au biopolitique et à la théorie critique. Les Lebensformen sont des configurations de coexistence humaine, dont la texture est faite des pratiques ou agencies qui les produisent ou les modifient. Mais il reste à préciser cette texture, cette forme que prend notre vie dans le langage. C'est dans une approche pragmatique, fondée sur les analyses de Wittgenstein, Veena Das et de Stanley Cavell que l'ont cherche ici une réponse ; la vulnérabilité de la forme de vie et l'éthique du care comme protection de la continuité des formes de vie ; la naturalité et l'expressivité des formes de vie humaines ; le passage de la pluralité des formes de vie humaine à celle d'une vulnérabilité essentielle de la forme vitale, du vivant.The vulnerability of forms of life
This paper is meant to strengthen the connection between the ethics of care and ordinary language philosophy, as represented by Wittgenstein, Austin, Cavell, and thus to find some resources in OLP and the idea of the Ordinary for a reformulation of what is at stake in the present discussions on vulnerability. The point of the paper is to show the relevance of OLP for ethical and political issues. This exploration of the (theoretical and practical) question of the ordinary is anchored in the “rough ground” of the uses and practices of language ; it leads to further investigating the concept of forms of life. - Against Manichaeism : The Politics of Forms of Life and the Possibilities of Critique - Robin Celikates p. 81-96 Les formes de vie sont souvent entendues comme étant « données », et donc protégées de la critique et de la réflexivité. Dans cet article, l'auteur montre d'abord pourquoi cette approche problématique vient d'une lecture partiale de Wittgenstein, puis montre que cette même approche nourrit la conception de la sociologie critique de Bourdieu. En s'appuyant sur une sociologie pragmatique de la critique, l'auteur s'oppose à de telles conceptions « manichéennes » qui opposent l'« intérieur », caractérisée par l'immersion non-réflexive, et l'« extérieur », lieu de la perspective de l'observateur-théoricien. Il insiste au contraire sur le caractère fondamentalement hétérogène, réflexif et conflictuel des formes de vie. Ainsi peut émerger une conception bien plus large des possibilités de la critique, ainsi qu'une compréhension alternative (non-conventionnaliste et non-conservatrice) de la politique des formes de vie.Forms of life are often understood to be pre-reflexively “given” and thus immune to critique and reflexivity. In this paper I first show how this problematic view arises from a one-sided reading of Wittgenstein. I then go on to argue that a similar view also informs Bourdieu's conception of a critical social science. Building on the pragmatist sociology of critique, I argue against such “Manichaean” visions that contrast the “inside” characterized by unreflective immersion with the “outside” perspective of the theorist-observer, instead emphasizing the essentially heterogeneous, reflexive and conflictual character of forms of life. Against this background, a much broader view of the possibilities of critique and an alternative–non-conventionalist and non-conservative–understanding of the politics of forms of life emerges.
- Quand des formes de vie se rejoignent : Langue des signes et citoyenneté en France au tournant du 19e siècle - Sabine Arnaud p. 97-110 Cet article recourt à la notion de forme de vie pour examiner le rôle assigné au langage – parole ou langue des signes – dans l'affirmation des droits civiques et dans l'empowerment de ceux que l'on appelle alors les « sourds-muets » en France au tournant du 19e siècle. Il procède à partir de trois cas exemplaires : un procès conclu par l'acquittement d'un élève sourd-muet, une mise en accusation par un sourd-muet victime de vol, et une pétition soumise par un professeur sourd-muet, concernant les droits accordés aux sourds dans le Code civil de Napoléon. Une lecture attentive des textes permet de considérer le rôle de trois fonctions linguistiques – le performatif, la construction grammaticale, la définition – pour affirmer une compréhension commune de l'expérience et du rôle du langage, c'est-à-dire une même forme de vie. Attestant des attentes partagées par rapport au langage, ces fonctions langagières jouent un rôle stratégique en établissant l'appartenance des dits sourds-muets à la société, leur compréhension des devoirs qui leur incombent en tant que citoyens, et la nécessité de leur accorder pleinement accès aux droits civiques. Le concept de forme de vie permet de mettre en avant la dimension politique des attentes linguistiques et les possibilités dépendant de leur satisfaction.When Forms of Life Meet : Sign Language and Citizenship in France at the Turn of the Nineteenth Century. This article uses the notion of forms of life to examine the role assigned to language – spoken or signed – in the legal rights and empowerment of “deaf-mute” people in France at the turn of the nineteenth century. It sets out three case studies : the trial and acquittal of a deaf-mute pupil, an allegation made by a deaf-mute pupil, and a petition submitted by a deaf-mute teacher regarding the legal rights accorded to deaf-mute people by the Napoleonic Civic Code. A close reading of the material reveals the role of three linguistic functions – performative acts, grammatical construction, definition – in ascertaining a shared experience and understanding of language, that is, a common form of life. Attesting common access to and expectations of language, these functions were strategic in establishing “deaf-mute” people's membership of society, their understanding of their duties as citizens, and the need to grant them full civil rights. I use the concept of forms of life to pinpoint the political dimension of linguistic expectations and the possibilities that may arise when these expectations are fulfilled.
- Towards an Immanent Critique of Forms of Life - Rahel Jaeggi p. 13-29
Lecture critique
- Lecture critique - Marianne Fougère p. 111-120
Recension critique
- Recension critique - Félix Blanc p. 121-122