Contenu du sommaire : Justice et Politique (I)
Revue | Droit et société |
---|---|
Numéro | no 34, septembre 1996 |
Titre du numéro | Justice et Politique (I) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Jacques Commaille p. 533
Dossier : Justice et Politique (I)
- Présentation - Alain Bancaud p. 537-539
- La magistrature du parquet et la diabolisation du politique 1830-1870 - Frédéric Chauvaud p. 541-556 Au cœur de l'activité de la magistrature debout, se trouve la surveillance constante des idées et des pratiques politiques. Ces dernières représentèrent le danger extrême et elles furent « diabolisées ». Aussi convient-il d'observer les pratiques de la magistrature du parquet. Sous la monarchie de Juillet, des placards anonymes furent collés sur des bâtiments publics ou près de lieux passants, dans l'obscurité. Les magistrats du parquet considérèrent ces affiches comme des emblèmes séditieux. En 1841, la vie politique devint le sujet d'une vive polémique. Les législateurs n'avaient jusqu'alors pas défini la notion de délit politique. Aussi s'agit-il d'un débat essentiel. Le délit politique devint en effet un « crime public » et, pour la première fois, la magistrature inventa un concept de défense sociale. En 1852, l'État bonapartiste façonna un nouveau personnel : les procureurs impériaux. L'un d'entre eux suggéra une typologie des faits politiques. C'est entre 1830 et 1870 que le délit politique est véritablement né.Public Prosecutors and the « Demonic » Political Offence 1830-1870. At the heart of the Public Prosecutors' activities, lies the constant surveillance of ideas and political practices. The latter represented extreme danger and were « demonized ». Observing just how public prosecutors put surveillance into practice, therefore, is useful. Under the July Monarchy, anonymous posters were stuck on official public buildings or near thoroughfares at night. Public Prosecutors regarded such posters as seditious emblems. In 1841, the political life became the subject of intense debate. Up until then, the law-makers had not defined the notion of a political offence. This, therefore, formed part of an essential debate. The political offence was indeed made a public crime and the judicial authorities invented a concept of social defence for the first time. In 1852, the Bonapartist State made a « new » emperor's judicial personnel : the imperial prosecutors. One of them suggested a typology of political f acts. It is between 1830 and 1870 that the political offence is really born.
- La magistrature et la répression politique de Vichy ou l'histoire d'un demi-échec - Alain Bancaud p. 557-574 La période de Vichy (1940-1944) révèle pourquoi et comment un régime autoritaire, engagé dans une lutte violente pour sa survie, use de la justice, mais aussi comment des juges professionnels réagissent à un gouvernement les impliquant dans une répression partisane et de plus en plus dérogatoire aux principes juridiques traditionnels. Le système d'adaptation apparaît mêler les contraires : l'adhésion et la distance, le zèle et la réserve. Contraires qui prennent des formes différentes selon les conjonctures et les hommes. Contraires qui expliquent que l'expérience vichyssoise du recours à la magistrature se soit soldée par un échec relatif, à moins que ce ne soit un demi-succès.The French Judiciary and the Political Repression of « Vichy » : A Partial Success Story. The period of Vichy (1940-1944) reveals why and how a dictatorial regime uses justice and, inversely, how judges react in front of a government which involves them in upholding a partisan repression becoming more and more opposed to traditional judicial principles. The System of adaptation of French judges appears to be made of oppositions : adhesion and distance, zeal and reserve. Oppositions which take on different forms according to circumstances and people. Oppositions which explain the partial success or the partial failure of Vichy in the matter of justice.
- Justice et politique en Algérie 1954-1962 - Sylvie Thénault p. 575-587 Cet article analyse les rapports entre la justice et le politique pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), territoire alors assimilé au territoire national français. L'état de guerre ne pouvait donc être proclamé et les membres du FLN, considérés comme des criminels, furent poursuivis devant les tribunaux. La justice se soumit ainsi à l'impératif politique du maintien de la souveraineté française en Algérie : d'une part, les gouvernements usèrent des ressources de la technique juridique pour élaborer une législation d'exception qui n'entame pas le principe de l'Algérie française ; d'autre part, la justice renoua avec un double rôle historique qui était de manifester la souveraineté française sur un territoire conquis et de la sauvegarder en condamnant les nationalistes ; enfin, les négociations engagées par le général de Gaulle se répercutèrent sur la répression judiciaire qui tendit à la fois à s'adoucir et à se durcir, suivant la règle de la négociation politique qui suppose des concessions à l'adversaire et un redoublement de l'effort de guerre, dans le but d'obtenir le rapport de forces le plus favorable.Justice and Politics during the Algerian War 1954-1962. This article studies the links between justice and politics during the Algerian War (1954-1962). Algeria was considered a French « county » which explains why the war could not be declared. Algerian nationalists were seen as criminals and were put on trial. Thus, justice gave in to the political imperative, that of maintaining French sovereignty in Algeria. Indeed, governments had to use legal techniques to enforce repressive laws. Nevertheless, they neither recognized the state of war nor Algeria as a nation. Furthermore, justice had to demonstrate French sovereignty and condemn the nationalists who were contesting it. Finally, the negotiations initiated by general de Gaulle modified the judicial repression. Paradoxally enough, it became both lenient and strict at the same time given that any political negotiations imply both compromise solutions and also the taking of a hard line so as to have the upper hand.
Études
- Répertoires juridiques et affirmation identitaire - Baudouin Dupret p. 591-611 Cette étude s'attache au rôle central qu'occupe la problématique identitaire dans la question du droit et du discours portant et jouant sur les différents répertoires juridiques. Le terrain d'enquête est celui de l'Egypte et les répertoires sont ceux du droit égyptien et de la shari'a, le droit islamique. La démonstration, au départ d'un rappel de la nature communicationnelle et classificatoire du droit, vise à mettre en relief sa fonction constitutive d'espaces auxquels il assigne les individus et les objets et, de ce fait, sa participation dans l'établissement de frontières définissant altérité et identité.Legal Repertoires and Identity Assertions. This paper focuses on the central role identity matters occupy in the question of law and discourse dealing with and playing on the various legal repertoires. The field of inquiry is Egypt and Egyptian statute law as well as the shari'a, i. e. Islamic law are the repertoires. It aims at demonstrating, starting from law as a communicational and classificatory system, its function in creating domains to which it ascribes individuals and objects and thus its participation in the establishment of borders defining alienity and identity.
- Aide juridique : des avancées sporadiques - Erhard Blankenburg p. 613-633 La vague d'aide juridique qui concerna nombre de pays dans les années 1970 et 1980 a cédé la place dans les années 1990 à une remise en cause du welfare state et à une crise de l'État-providence qui se sont traduites par d'importantes restrictions budgétaires. Dans ce contexte, les tenants de l'aide juridique cherchent à développer de nouvelles voies d'accès à la justice pour les plus défavorisés. L'assurance privée pourrait constituer une solution. Dans cet article, nous démontrerons tout d'abord comment ces évolutions s'inscrivent dans la tradition de l'histoire de l'accès à la justice. Ensuite, nous nous attacherons aux différences d'approche de cette question à travers l'Europe. Car si toutes les nations sont concernées par le problème de l'aide juridique, son traitement et les questions que cette notion soulève au sein de chaque barreau diffèrent sensiblement d'un pays à l'autre. Enfin, en dernière partie, nous verrons comment l'assurance privée peut s'inscrire ou non comme une solution d'accès à la justice pour les plus démunis.Legal Aid and Legal Insurance : The Waves of Access to Law Reform Move Back and Forth. The wave of access to legal aid of the 1970s and 80' s has given way in the '90s to austerity politics curbing any kind of welfare spending. Legal aid proponents have to look for new ways of financing services for marginal groups. Many therefore look at legal insurance schemes which in some countries contribute largely to financing lawyers' costs. However, insurance costs are quite specific to social risk groups ; existing private insurance services are mainly geared to middle class problems. For the latter they provide an efficient way forward for delivering services, but in no way contribute to providing services for the poor.
- Pauvreté, droits de l'homme et processus démocratique - Paulo Sérgio Pinheiro, Malak El-Chichini Poppovic p. 635-648 Cet article aborde le problème de la pauvreté et de l'exclusion sociale dans la triple perspective des droits de l'homme, du développement et du processus démocratique. La question qui se pose est de savoir comment consolider les droits civils et politiques des nouvelles démocraties qui succèdent à des régimes autoritaires, alors que des inégalités sociales fondamentales persistent dans ces sociétés. Le véritable défi lancé à l'État et à la société civile, dans ces démocraties encore fragiles, est de construire ensemble un modèle de développement qui puisse intégrer la grande masse de ceux qui sont aujourd'hui exclus du système. Le succès d'une politique de développement plus équitable ne dépend pas seulement de l'État, mais aussi de l'appui de ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique et de la mobilisation de ceux qui veulent le partager.Poverty, Human Rights and the Democratic Process. The problems of poverty and social exclusion are analyzed in this article in the triple perspective of human rights, development and the democratization process. The question raised is how to consolidate political and civil rights in new democracies that have succeeded authoritarian regimes, while fundamental social inequalities persist in these societies. The real challenge to the State and to civil society, in these still fragile democracies, is to constuct a model of development capable of integrating the majority of those who are excluded today. The success of a more equitable development policy does not rely on the State alone, but also on the support of those who have the economic and political power, and the effective mobilization of those who want to share it.
- « C'est un oiseau ! » Brancusi vs États-Unis, ou quand la loi définit l'art - Nathalie Heinich p. 649-672 Le procès intenté en 1928 par le sculpteur Brancusi aux douanes américaines, pour faire reconnaître à l'une de ses sculptures le statut d'œuvre d'art, illustre exemplairement l'imbrication entre l'argumentation juridique, appuyée sur les règles formalisées du droit, et l'argumentation esthétique, appuyée sur les conventions informelles délimitant le sens commun de l'art. On y retrouve ainsi, condensé dans l'arène judiciaire, le répertoire des arguments qui, dans l'entre-deux guerres, contribuèrent à la réaction contre l'art moderne, puis à son intégration par les institutions. L'enjeu de ce procès est donc la reconstruction d'un consensus, cadré par le droit, sur la juste délimitation des frontières cognitives de l'art, autrement dit la définition de ce qui peut être considéré comme artistique : de sorte que ce qui, avec Brancusi, emporte la victoire, c'est une « labelling theory » déjà expérimentée par Marcel Duchamp auprès des institutions artistiques et qui, cinquante ans plus tard, sera au cœur d'un tournant majeur dans les sciences sociales, en même temps que dans l'art contemporain.« It's a Bird ! » Brancusi vs USA : When Law Defines Art. In 1928, the sculptor Brancusi filed a suit against the American customs, to obtain the recognition of one of his sculptures as a work of art. This trial dramatically emphasizes the link between a juridical argumentation, leaning on the formal rules of law, and an aesthetic argumentation, leaning on the informal conventions delimiting the common sense of art. It condenses in the judicial arena the repertoire of arguments which contributed first to the reaction against modem art, then to its institutional integration. What is at stake here is the reconstruction of a consensus, framed by law, on the proper delimitation of the cognitive boundaries of art, that is, on the definition of what can be considered artistic. Thus the winner was not only Brancusi, but also a « labelling theory » already experienced by Marcel Duchamp throughout artistic institutions : a theory which was to become, fifty years later, the standing point of a major turn in social sciences as well as in contemporary art.
- Répertoires juridiques et affirmation identitaire - Baudouin Dupret p. 591-611
Chronique bibliographique
A propos de...
- Chevallier Jacques (dir.), L'identité politique, coll. « Publications du CURAPP », 1994 ;; Martin Denis-Constant (dir.), Cartes d'identité. Comment dit-on nous en politique ?, 1994 ;; Martin Denis-Constant (dir.), « Des identités en politique », Revue française de science politique, vol. 42, 1992, n° 4, p. 582-635 et n° 5, p. 747-801 ;; Saez Jean-Pierre (dir.), Identités, cultures et territoires, 1995 - Thierry Delpeuch p. 677-694
Lu pour vous
- Abel Richard L, Politics by Other Means : Law in the Struggle against Apartheid 1980-1994, coll. « After the Law », 1995 - Darbon Dominique p. 695-697
- Abel Richard L. et Lewis Philip S. C. (eds), Lawyers in Society : An Overview, 1995 - Boigeol Anne p. 697-699
- Andrini Simona et Arnaud André-Jean (présentation et commentaires de), Jean Carbonnier, Renato Treves et la sociologie du droit Archéologie d'une discipline. Entretiens et pièces, coll. « Droit et Société», 1995 - Assier-Andrieu Louis, Ghezzi Morris L. p. 699-705
- Collovald Annie et François Bastien (dossier coordonné par), « Le pouvoir des légistes », Politix. Travaux de science politique, n° 32, 4e trimestre 1995, p 1-171 - Milburn Philip p. 705-707
- Dechamps Ivan et Van Ruymbeke Martine, L'aide sociale dans la dynamique du droit, coll. « Bibliothèque de droit social », 1995 - Wyvekens Anne p. 707-709
- Ferrari Vincenzo, Giustizia e diritti umani. Osservazioni sociologico-giuridiche, coll. « Sociologia del diritto », 1995 - Émili Pietro p. 709-713
- Guarnieri Carlo et Pederzoli Patrizia, La puissance de juger. Pouvoir judiciaire et démocratie, 1996 - Guyot Anne-Laure p. 713-715
- Laé Jean-François, L'instance de la plainte. Une histoire politique et juridique de la souffrance, coll. « Droit », 1996 - Dumoulin Laurence p. 715-718
- Neyrand Gérard et M'Sili Marine, Les couples mixtes et le divorce. Le poids de la différence, coll. « Logiques sociales », 1996 - Sayn Isabelle p. 718-719
- Podgôrecki Adam, Alexander Jon et Shields Rob (eds), Social Engineering, 1996 - Dumoulin Laurence p. 719-721
Repères
- Droit de l'aide et de l'action sociales, Michel Borgetto et Robert Lafore, coll. « Domat Droit public », 1996 - p. 723
- Protéger l'enfant Raison juridique et pratiques socio-judiciaires XIXe-XXe siècles, Michel Chauvière, Pierre Lenoël et Éric Pierre (éd.), coll. des « Sociétés », 1996 - p. 723-724
- Les critères de la norme juridique, Xavier Labbée, 19994 - p. 724
- La société incivile. Qu'est-ce que l'insécurité ? Sébastian Roche, coll. « L'épreuve des faits », 1996 - p. 724-725
- La famille en questions. État de la recherche, François de Singly, Claude Martin, Anne Muxel, Isabelle Bertaux-Wiame, Margaret Maruani et Jacques Commaille (dir.), 1996 - p. 725
- Lutter contre la pauvreté et l'exclusion en Europe. Guide d'action et description des politiques sociales, Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS), 1996 - p. 725-726
- Reçu au bureau de la rédaction - p. 727-728