Contenu du sommaire : Famille pour tous ?
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 82, été 2015 |
Titre du numéro | Famille pour tous ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Famille pour tous ?
- Éditorial - Catherine Achin, Armelle Andro, Coline Cardi, Virginie Descoutures, Noé Le Blanc, Juliette Rennes, Olivier Roueff p. 7-9
- Les habits neufs du familialisme : Ordre social, ordre familial et ordre du genre dans les dispositifs de soutien à la parentalité - Coline Cardi p. 11-19 La création de nouveaux dispositifs d'aide à la parentalité s'inscrit dans la transformation de l'action sociale en direction des familles, marquée par une remise en cause des formes les plus contraintes et normatives du familialisme. En ce sens, elle participe d'un processus plus large de démocratisation familiale, fondé sur un référentiel égalitaire et émancipateur. Toutefois, le détour par l'histoire de la création de ces dispositifs et l'analyse de leur mise en œuvre oblige à nuancer ce constat. Ces nouvelles formes de gouvernement des familles populaires réactivent en effet, par le registre de la psychologie notamment, les liens étroits entre ordre social, ordre familial et ordre du genre.
- L'injonction au mariage : Le parcours d'un couple binational - Manuela Salcedo Robledo p. 20-27 Au cours de mon enquête qui porte sur les couples binationaux face à la politique d'immigration menée en France depuis une dizaine d'années, j'ai rencontré de nombreux couples de même sexe ou de sexe différent. Ces couples affrontent souvent divers obstacles et épreuves au moment du mariage/pacs ou de la demande de la carte de séjour pour le partenaire étranger. Depuis 2003 et l'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur puis à la Présidence, la politique d'immigration est devenue de plus en plus méfiante à l'égard de ces couples. Ils sont soupçonnés de ne pas être amoureux mais intéressés, de vouloir se marier uniquement pour les papiers. Or, les couples binationaux – formés par une personne de nationalité française ou européenne et une personne de nationalité hors de l'espace européen – sont obligés de se marier ou de se pacser s'ils souhaitent vivre ensemble en France et que le partenaire étranger en situation irrégulière soit régularisé. Autrement dit, la vie commune et le mariage ou le pacs donnent la possibilité de plein droit, en théorie1, à une carte de séjour « vie privée et familiale » qui permet à la fois de rester en France et d'y travailler.Le dispositif de soupçon, doublé de l'injonction au mariage et à la vie commune, fonctionne ainsi comme un régulateur à la fois du mariage (contrôler les « faux » mariages) et de la sexualité (l'institutionnalisation obligatoire des unions, suivant les normes de l'hétérosexualité reproductive).L'entretien qui va suivre nous plonge dans une trajectoire particulière mais par plusieurs aspects tout à fait ordinaires dans le parcours des couples binationaux. Avec son humour et son franc-parler, Anita nous transmet l'absurdité kafkaïenne de la situation qu'elle vit avec son compagnon.
- Des liens et des biens : Patrimoine, genre et classe - Céline Bessière, Sibylle Gollac p. 28-35 Quand on parle de famille, on pense souvent à des liens – d'amour, de filiation, d'entraide ou de conflit... Or la famille est aussi une affaire de biens, comme nous le rappellent Céline Bessière et Sibylle Gollac : on y échange et transmet des choses. Cette dimension patrimoniale de la famille est un lieu majeur de la production des rapports sociaux de classe et de sexe. À partir de leurs enquêtes, les auteures montrent comment la loi et les pratiques des professionnels du droit fabriquent et prolongent les inégalités entre familles et définissent très précisément les contours de la famille, fondée sur une « lignée ». Il vaut bien sûr mieux être riche que pauvre (car les avantages se cumulent), mais aussi un frère qu'une sœur, un descendant qu'une épouse.
- Produire et normaliser les familles par le logement : L'exemple du travail de relogement dans la rénovation urbaine - Camille François p. 36-42 Il n'est de famille qu'à partager le même toit : ce mantra est l'un des piliers indépassables de l'intervention publique sur les familles. À travers le logement, l'État a en effet institué la famille nucléaire et hétérosexuelle comme sujet de droit et modèle d'accès aux droits civils, sociaux, fiscaux. Les dispositifs de la politique du logement, comme les projets de « rénovation urbaine » ici analysés, ne se contentent pas de disqualifier et d'exclure les familles « atypiques » qui leur préexisteraient. Ils produisent et normalisent les familles en les dispersant ou en les regroupant afin qu'elles s'adaptent aux attentes morales et comptables de leurs agents : avec certaines démolitions, c'est jusqu'à 40 % des familles qui se voient recomposées.
- Le nom des femmes et sa transmission - Virginie Descoutures p. 43-48 En France et ailleurs, on pense souvent que les femmes « perdent » leur nom de naissance lorsqu'elles se marient ou encore qu'elles ne peuvent pas transmettre leur nom à leur enfant. En revanche on sait moins que les hommes mariés peuvent aussi porter le nom de leur épouse ou que les deux membres du couple, mariés ou non, peuvent transmettre chacun.e leur nom à leur(s) enfant(s). Le « nom des femmes » (et sa transmission) est une bonne illustration des décalages qui existent entre ce que permet le droit et les usages sociaux qu'en font les individus. Ceci s'explique par la longue histoire patriarcale des sociétés – littéralement dirigées par les pères –, gouvernement remis en cause par une série de politiques publiques qui visent à établir concrètement une plus grande égalité entre les femmes et les hommes depuis la fin des années 1960. En matière de nom, ces « politiques du genre », impulsées par les recommandations de l'Union européenne, sont plus récentes.
- L'égalité des sexes et des sexualités au prisme du droit de la famille - Laurie Marguet, Marie Mesnil p. 49-57 Le droit peut refléter les évolutions de la société, ou parfois les anticiper. En ce qui concerne la famille, Laurie Marguet et Marie Mesnil nous montrent que le processus est paradoxal. D'un côté, le droit a pris en compte depuis les années 1970 l'égalité entre les sexes afin d'améliorer la place des femmes au sein de l'institution familiale, et l'égalité des sexualités en offrant une reconnaissance juridique aux familles homoparentales. Mais de l'autre, il n'a pas bousculé l'ordre du genre traditionnel fondé sur une conception hétéronormée de la famille. Cette ambiguïté, du droit de la famille et de l'ordre juridique en général, est liée à une absence de réflexion transversale sur les rôles parentaux et sociaux, et à la difficulté à penser la production systémique des inégalités entre les sexes et les sexualités.
- Des familles au tribunal : Séparations conjugales et reproduction sociale des inégalités de sexe et de classe - Benoît Coquard, Aurélie Fillod-Chabaud, Muriel Mille, Julie Minoc p. 58-65 Instance de production de normes par excellence, la justice apparaît comme un prisme de choix pour appréhender l'institution familiale et les mécanismes de domination qui s'y jouent. Les résultats d'une enquête sociologique menée par le Collectif Onze1 dans des tribunaux de grande instance montrent ainsi comment la justice familiale contribue, par son intervention brève mais néanmoins décisive, à la reproduction d'un ordre hiérarchisé entre les sexes et entre les classes.
- L'utérus et la patrie : Adoption, origines et politique des identités - Sébastien Roux p. 66-75 L'adoption internationale a longtemps été saluée comme une démarche d'amour et d'humanité. Mais, depuis une vingtaine d'années, des doutes se font jour et troublent le regard porté sur ces formes de filiation. Les compétences parentales requises sont aujourd'hui encadrées, spécifiées et sujettes à des discours experts de plus en plus raffinés. L'origine et l'identité des adopté.e.s posent également question, témoignant d'inquiétudes révélatrices d'enjeux politiques plus profonds. Or, qui sont véritablement ces enfants immigrés ? Sont-ils totalement intégrés, « adoptés », ou demeurent-ils au contraire dans un entre-deux aussi labile que dangereux ? Toujours déjà renvoyé.e.s à leur passé biologique et biographique, les adopté.e.s apparaissent de plus en plus comme des sujets problématiques qui nécessiteraient une prise en charge psychologique et administrative, révélant ainsi des inquiétudes politiques et morales quant aux frontières de la nation et de la communauté.
- L'institution familiale et l'inceste : théorie et pratique - Dorothée Dussy p. 76-80 Le contrat tacite qui lie entre eux les membres d'une famille limite en principe les rapports sexuels intra-familiaux aux relations conjugales. Pourtant, les pratiques incestueuses sont tout autant constitutives de la réalité de l'institution familiale. La lumière crue que jettent ces pratiques sur les rapports de pouvoir qui structurent l'ordre familial explique sans doute le silence qui les entoure. Selon Dorothée Dussy, l'idée que l'interdit de l'inceste serait au fondement de l'humanité même contribuerait à rendre ce silence plus lourd encore.
- L'homosexualité dans la famille : Ce que nous apprennent les recherches états-uniennes - Éric Fassin p. 81-89 Aux États-Unis, les débats sur l'ouverture du mariage aux homosexuels se sont abondamment appuyés sur des recherches empiriques sur l'homoparentalité, initiées dès les débuts de l'épidémie du sida. En France, ce type de recherches n'a émergé qu'à la suite des débats sur le Pacs, et est resté très peu sollicité lorsqu'il s'agissait d'inquiéter ou de rassurer sur « l'intérêt des enfants ». Éric Fassin propose ici un retour sur l'évolution des problématiques de la recherche états-unienne. Il montre comment leur élargissement aux questions de genre, de classe, de race questionne les manières de faire famille. La « normalisation » éventuelle de l'homosexualité s'accompagne ainsi d'une « queerisation » de la famille.
- De la famille à l'entourage, questionner les contours d'une institution - Catherine Bonvalet, Eva Lelièvre p. 90-96 Largement utilisées par les médias, les pouvoirs publics et les chercheur.e.s, les statistiques nationales produites sur la famille contribuent à instituer les normes et les catégories de référence. En dénombrant « les types » de famille, elles donnent à voir certaines formes familiales et en cachent d'autres. Aussi, certain.e.s chercheur.e.s réfléchissent à des outils et catégories d'analyse afin d'appréhender la « nouvelle morphologie sociale » qui découle des transformations sociales de ces dernières décennies. C'est ce que proposent Catherine Bonvalet et Éva Lelièvre : elles invitent à une redéfinition des outils et des concepts de la démographie pour décrire l'évolution actuelle des modes de vie des individus et de leurs enfants. Leurs recherches visent à dépasser le cadre du logement pour redéfinir un groupe familial, à proposer une entité opérationnelle pour les collectes quantitatives permettant d'étudier son rôle dans les stratégies sociales des individus, et d'en saisir la dynamique. Elles permettent en outre de rompre avec les thèses sur la « crise » de la famille pour donner à voir la complexité et la diversité des liens sociaux qui se nouent autour des individus qui « font famille ». La famille ne peut plus se définir par le logement, mais bien davantage par l'existence de liens forts, au-delà de la cohabitation.
- Les institutions d'accueil de la petite enfance en France : Un espace social peu ouvert aux hommes et à l'égalité des sexes - Mike Marchal p. 97-105 Le monde professionnel de la petite enfance est un espace social fortement ségrégé entre les sexes et où la présence des hommes est minoritaire. À travers son parcours d'éducateur de jeunes enfants débuté en crèche parentale et l'expérience de cette ségrégation, l'auteur nous invite à réfléchir aux stéréotypes de genre, qu'ils soient liés au sexe ou à la sexualité, et qui confortent la primauté des mères à investir et performer le souci de l'éducation des enfants, de la même manière qu'ils reconduisent la mise à l'écart des hommes de ce domaine de compétences professionnelles, tout en les confortant à ne pas s'y investir. Cet article est une belle parabole pour regarder de près ce qui se joue également sur la scène domestique.
- Transparentalités contemporaines - Laurence Hérault p. 106-115 Nous sommes désormais familiers du terme homoparentalité qui a débordé largement la sphère des publications en sciences sociales pour s'inviter dans les débats publics, les manifestations dominicales et les conversations ordinaires. Mais nous le sommes beaucoup moins du terme transparentalité tout juste émergeant pour désigner les familles composées au moins d'un parent trans. Revenir sur ses implicites et les mettre en regard avec les expériences des familles concernées, saisies à la fois par des données quantitatives et par des récits de vie, permet d'interroger tout autant les discriminations subies par les trans et leurs proches que les normes véhiculées par l'institution familiale.
- Carrières déviantes. Stratégies et conséquences du choix d'une vie sans enfant - Charlotte Debest p. 116-122 Les personnes qui font le choix de ne pas avoir d'enfant s'écartent de la norme du « faire famille » et interrogent la réception des normes de la parentalité et de sa place dans la trajectoire de vie des individus. En France, la pression sociale à concevoir est telle que ces trajectoires d'hommes et de femmes qui ne veulent pas avoir d'enfant, apparaissent finalement comme des « carrières déviantes », au sens de Howard Becker. Cependant les femmes restent davantage stigmatisées face à ce « non désir d'enfant » que les hommes.
- Au-delà des normes ? : « L'amour libre » et la famille anti-autoritaire (1880-1930) - Cécilia Varela p. 123-131 Au tournant du XXe siècle, une partie des anarchistes, dont une proportion notable de femmes, développe l'idée d'une « utopie amoureuse » et familiale allant à l'encontre des normes sociales et sexuelles dominantes. Critiquant les normes pour en imposer de nouvelles, cette utopie frappe par son caractère imaginatif et émancipateur. L'utopie a toutefois des limites et se heurte à l'inégalité entre les sexes dans la circulation amoureuse et la prise en charge des enfants.
- « Familles, je vous hais ! » - Julie Pagis p. 132-140 Les « soixante-huitards » entendaient mettre en question toutes les hiérarchies établies et les institutions qui les soutiennent. Les plus jeunes de ces militant.e.s ont ainsi souvent imaginé de nouveaux dispositifs de liens amoureux, sexuels et parentaux au sein de communautés. « L'air du temps » consiste alors à mettre en œuvre dans sa propre vie des pratiques déjouant la reproduction des dominations sociale et masculine. À partir d'une vaste enquête menée auprès de 170 familles, Julie Pagis décrit cette expérimentation de structures familiales subversives visant à politiser ce qui se joue dans la sphère privée. Le faible écho de ces expériences communautaires aujourd'hui conduit à s'interroger sur leur emprise sociale marginale et sur la difficulté de la transmission intergénérationnelle à partir d'attentes contrastées.
- Filiation : quelle place pour la volonté ? - Marc Pichard p. 141-147 Les débats actuels relatifs au droit français de la filiation se concentrent sur deux hypothèses : d'une part, l'homoparenté c'est-à-dire le rattachement d'un enfant à deux parents de même sexe ; d'autre part, la gestation pour autrui qui, si elle est sollicitée par des hommes ou des couples d'hommes homosexuels, l'est aussi par des couples de personnes de sexe différent. Les deux ont en commun d'interroger très directement sur la place à accorder à la volonté en matière de filiation. Suffit-il de vouloir être parent pour l'être ou la volonté est-elle nécessairement bridée par des faits – et en particulier des données biologiques ? Construire la filiation sur la volonté et elle seule, ce serait détacher la filiation des corps, et par conséquent s'autoriser à s'abstraire du rôle des uns ou des autres dans la procréation de l'enfant. La volonté s'avère le fondement idéal pour construire un droit de la filiation neutre en termes de genre, « les volontés étant asexuées1 ». S'interroger sur ce qui serait souhaitable, ou ce qui serait possible, exige toutefois d'identifier avant toute chose ce qui est, c'est-à-dire l'état du droit.
- Que deviennent les arts d'aimer avec le néolibéralisme ? : Entretien avec Michel Feher - Catherine Achin, Olivier Roueff p. 148-158 Michel Feher est philosophe, cofondateur des éditions Zone books et de l'association Cette France-là. Mouvements l'a interrogé sur l'histoire des critiques et apologies de la famille, en faisant un détour par la double généalogie des « conditions » et des « érotiques », soit des représentations partagées de la condition humaine et, sur ce fond, des problèmes que l'amour doit surmonter. L'entretien propose ainsi un bilan qui articule de manière inédite les travaux qu'il mène depuis les années 1990 sur les érotiques et depuis les années 2000 sur les « conditions ». Nous vous présentons ici1 ses développements sur la période contemporaine. L'analyse de la condition néolibérale et de ses penchants à la quête du crédit et au partage des goûts, offre un éclairage indispensable pour qui se soucie de redéfinir une politique émancipatrice des liens d'intimité, d'intensité affective et de solidarité que la relation familiale semble désigner. Il ne s'agit rien de moins que de ne pas se tromper d'époque.
Itinéraire
- Naissance de l'homoparentalité : Entretien avec Martine Gross - Armelle Andro, Virginie Descoutures p. 159-170 Martine Gross est membre du Centre d'études en sciences sociales du religieux (CNRS-EHESS) et militante de la lutte contre les discriminations envers les lesbiennes et les gays. Elle a été la première présidente du groupe gay et lesbien juif de France, le Beit Haverim et s'est par la suite engagée auprès de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), qu'elle a co-présidée de 1999 à 2003. Elle a publié de nombreux ouvrages et articles de référence sur l'homoparentalité. Mouvements revient dans cet entretien sur l'itinéraire de Martine Gross.
- Naissance de l'homoparentalité : Entretien avec Martine Gross - Armelle Andro, Virginie Descoutures p. 159-170
Livre
- La famille pour tous : À propos du livre Homosexualité et parenté, sous la direction de Jérôme Courduriès et Agnès Fine, Paris, Armand Collin, 2014 - Michael Stambolis-Ruhstorfer p. 171-174