Contenu du sommaire : Barbarisation et humanisation de la guerre
Revue | Astérion |
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Numéro | no 2, 2004 |
Titre du numéro | Barbarisation et humanisation de la guerre |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Introduction - Jean-Louis Fournel, Isabelle Delpla
- La qualification de l'ennemi chez Emer de Vattel - Michel Senellart Michel Senellart partant de la lecture de Vattel (1714-1767) pose la question de l'« Étatisation de la guerre » et de la « qualification de l'ennemi », centrales pour réfléchir sur l'humanisation de la guerre fondée moins sur la définition du type de guerre que sur celle de ceux contre qui on se bat, ce qui permet le maintien d'un lien entre jus in bello et jus ad bellum. Les lectures divergentes de Vattel faites par Schmitt et par Bluntschli conduisent à poser le problème de la place des États dans les lois de la guerre, le second défendant la création d'une législation supranationale, au nom d'une logique de paix et de respect du droit des gens, alors que le second considère une telle instance supra étatique comme un des facteurs de « barbarisation » de la guerre car elle criminalise l'ennemi et brouille la distinction traditionnelle entre « ennemi » et « brigand ». M. Senellart conclut son intervention en posant que la vraie distinction n'est peut-être pas celle qui différencie normativisme (Bluntschli) et décisionnisme (Schmitt) mais celle qui oppose conception républicaine (reconnaissant une légitimité au peuple en armes) et conception étatiste, d'où une distinction possible entre ennemi actif et ennemi passif.
- Industrialisation et mécanisation de la guerre, sources majeures du totalitarisme (XIXe-XXe siècles) - Laurent Henninger Laurent Henninger intervenant sur les « révolutions militaires » (notion située au carrefour du débat historique lancé dans les années 1980 par Geoffrey Parker – en polémique avec Jeremy Black – et du débat stratégique américain dans les années 1990) souligne que les avancées dans l'art de la guerre ont été depuis cinq siècles une des composantes majeures de la barbarisation et du totalitarisme. La notion de « révolution militaire » est aujourd'hui contestée par ceux qui y voient un outil interprétatif de trop longue durée et lui préfèrent l'idée de « mutations militaires » (selon laquelle l'accumulation de changements millimétriques sur la longue durée débouche sur des ruptures). Après avoir passé en revue la première révolution militaire – XVe-XVIIe siècles – fondée sur la mise à distance de la cavalerie grâce à l'infanterie nouvelle, à l'artillerie du champ de bataille, Henninger s'interroge sur le critère discriminant pour qualifier les nouvelles guerres de la Renaissance (l'hyperviolence n'en est pas un à ses yeux) et voit dans les armes à feu la vraie rupture car elles influent de façon radicale sur la peur et le courage des combattants et sont source d'une véritable « inhumanité » dans la mesure où leur feu est « imparable ». Il insiste sur l'émergence d'un nouveau type de courage guerrier non archaïque et plus « stoïcien » marqué par l'acceptation de la mort. Dans cette perspective, l'« inhumanisation » technique porterait en elle la possibilité de la barbarisation. L. Henninger développe ensuite cette thèse à partir de l'examen des guerres mécanisées de la période 1860-1950 en s'attardant sur la guerre de Sécession puis sur la Grande Guerre. Il relie aussi la question du totalitarisme à la réflexion sur les « bombardements stratégiques massifs » et les débuts de la dissuasion nucléaire (terme qui ne s'impose que vers 1960). Il conclut en insistant sur le fait que, selon lui, la brutalisation des conflits naît toujours d'un retard de la pensée de la guerre et sur le paradoxe d'une culture occidentale qui produit en même temps barbarie de la guerre et codes qui tentent de l'enrayer.
- De Grotius à Srebrenica. La violence et la régulation de la violence dans l'espace yougoslave : réflexions critiques sur l'archéologie de la balkanisation - Joseph Krulic Joseph Krulic intervenant sur la logique de longue durée des affrontements dans les Balkans récuse le lieu commun des « haines ancestrales » au profit d'une analyse des violences de longue durée entre les communautés, mais aussi à l'intérieur des communautés (notamment en Serbie), à partir de l'examen du système international et d'une comparaison entre périodes de calme et périodes de troubles. Il a manqué dans l'espace balkanique une double régulation traditionnelle de la violence : d'une part, la régulation impériale après la guerre de Trente Ans instaurant la paix comme non-guerre et instituant une guerre légale et limitée entre États ; d'autre part, la régulation par le droit par l'intermédiaire de la conjonction des théories de la souveraineté et de la raison d'État assurant un monopole étatique de la violence doublé d'un processus de « civilisation » (selon les théories de Norbert Elias). J. Krulic définit ainsi la balkanisation comme un effet d'un mélange de violence sociétale, de résidu d'empire, de déficit d'État et de prolifération étatique.
- La « brutalisation » de la guerre. Des guerres d'Italie aux guerres de Religion - Jean-Louis Fournel Jean-Louis Fournel, abordant la période des guerres d'Italie, tente de montrer comment ces nouvelles guerres modifient l'intensité et le rythme de la guerre guerroyée : la conscience d'une violence et d'une rapidité inédites fait planer une menace de mort sur les États eux-mêmes et la question de la guerre est dès lors placée au cœur de la pensée politique. Trois manifestations de ces « nouvelles » guerres marquent particulièrement les contemporains et autorisent l'analyste à évoquer ici une « brutalisation » ou un ensauvagement des conflits, bien avant la Première Guerre mondiale qui a fondé récemment le développement d'une telle problématique : les sacs de ville, la mise en coupe réglée des territoires conquis avec le développement d'une véritable guerre contre les civils et, enfin, l'augmentation exponentielle du nombre de morts durant les batailles (du fait entre autres des modifications dans l'armement et du nombre de soldats constituant les nouvelles armées « nationales »). S'ensuivent des tentatives d'une nouvelle « humanisation », très relative des conflits armés fondée sur un nouvel examen du jus in bello (par opposition à une quasi disparition de la question du jus ad bellum). Il est notable à cet égard que le lexique de la « barbarie » est très peu utilisé chez les chroniqueurs et historiens des guerres d'Italie alors même qu'il a une forte présence chez les historiens et témoins des guerres de Religion en France. On peut se poser la question de savoir s'il ne faudrait pas voir là une certaine « rechristianisation » du discours sur la guerre. De la sorte, cette « rechristianisation » d'une partie de la réflexion sur la violence de guerre, au croisement du déclin de l'idéologie chevaleresque, des réflexions philosophiques, théologiques ou juridiques nées des massacres commis par les conquistadores dans le « nouveau monde » (Cortez avait fait ses premières armes sur les champs de bataille italiens) et des réactions face aux atrocités de la guerre civile, permettrait peut-être tout à la fois d'inscrire la barbarie dans le présent des conflits, de permettre un nouveau discours pacifiste, de confier paradoxalement au souverain comme instance laïque, au-dessus des choix religieux personnels, le rôle d'arbitre et de régulateur des guerres (cf. les politiques), et, enfin, de relancer la question du jus in bello (le jus ad bellum n'étant plus vraiment opératoire, pas plus que le rôle d'arbitre du pape qui s'effondrera bientôt définitivement dans l'Europe née du traité de Westphalie).
- Barbarisation moderne des guerres dans l'empire global : le paradigme de la guerre de banlieue - Alain Joxe Alain Joxe entend quant à lui partir du champ stratégique (vs juridique, psychologique, politique, social, religieux), d'où sa proposition d'un examen d'« identités stratégiques » (identités préconstituées des forces en présence projetées dans un temps long d'avant le combat) pourvues elles-mêmes de « modules génétiques » de leurs représentations (par exemple Gilgamesh) et où comptent les échelles d'organisation de la protection (la fixation des échelles étant un moyen de donner un lieu aux mutations importantes qui rapprochent de la barbarisation). Il s'interroge sur le fait que nous soyons ou non aujourd'hui à un moment de « rupture systémique ». Les États-Unis depuis la chute du mur constituent un nouvel empire dans la mesure où, pour la première fois, il peut apparaître comme « unique ». Sous Bill Clinton, cet empire d'abord économique n'était pas stratégiquement fondé sur l'existence de « barbares » dans un « ailleurs » quelconque et était donc dépourvu de limes, ce qui est en train de changer avec George W. Bush par la redéfinition d'un ennemi déterminé et présent. Le nouveau militarisme américain relève d'une régression vers une nouvelle territorialisation liée à la perte initiale de l'ennemi, d'où une contradiction du point de vue des échelles entre la conquête du monde par le capital et le maintien d'une présence militaire délimitée, sans pour autant que n'émerge une représentation claire de la sécurité des États-Unis ni une pensée claire de ce que peut être dans ce cas la fonction de protection de l'État. L'horizon est celui de la reconstitution d'une périphérie barbare dans un monde pourtant dépourvu de limes (cf. paradigme de la guerre de banlieue, la création d'un ennemi étant nécessaire pour réaffirmer le rôle protecteur de l'État). La logique de la nouvelle guerre asymétrique du fort au faible fait que la force des uns est tellement supérieure qu'elle les rend incapables de penser les éléments nouveaux et différents d'une situation. Voulant maîtriser toutes les échelles, l'hyperpuissance court le risque d'arriver ainsi à toutes les échelles de barbarie.
- L'état de nature, modèle et miroir de la guerre civile - Ninon Grangé Intervenant sur l'« état de nature comme modèle et miroir de la guerre civile », Ninon Grangé s'interroge sur l'oxymoron que constitue le couple barbarie/cité au nom d'un recouvrement de la politique par l'humanisation. La guerre civile complexifie les rapports politiques et n'est pas une régression dans la mesure où, contrairement à l'état de nature, il ne s'agit pas d'une hypothèse d'étude de nature fictionnelle : à ce titre elle est un arrêt plus qu'une rupture, une anomalie, un envers, un dérèglement du modèle de l'État qui, selon Hobbes, ne s'édifie pas contre la guerre mais contre la guerre civile (les conflits perpétuels entre les États relevant d'une sorte d'état de nature des républiques). Guerre et guerre civile posent le problème d'une permanence de l'état de nature au cœur même de l'état social. Le mode de sortie de ce paradoxe peut être perçu dans la question de l'amnistie (qui consiste à « ne pas rappeler les malheurs » selon l'étymologie grecque) comme nouveau départ de l'histoire et abolition de la distance entre les ennemis.
- Penser la guerre à partir des femmes et du genre : l'exemple de la Grande Guerre - Françoise Thébaud Françoise Thébaud, en posant la question de savoir comment le genre structure les politiques de guerre, présente une intervention qui fait le point sur la « barbarisation » de la guerre dans le cadre de l'histoire du genre, à partir de la mise en évidence du passage du problème de l'émancipation, ou de l'autonomisation (cf. travaux des années 1960-1970), des femmes à celui de la réflexion plus récente sur la violence de guerre (depuis les années 1980) qui conteste la thèse de la guerre « émancipatrice » (si provisoire et superficielle qu'ait été cette émancipation). Dans ce cadre-là, la guerre en ex-Yougoslavie a pu jouer un rôle d'accélérateur de la prise de conscience du caractère très relatif de l'émancipation des femmes par la guerre des hommes. Certains historiens récents de la Première Guerre mondiale en viennent à travailler sur la culture de guerre qui serait le fondement d'une « brutalisation » du conflit au nom d'une « ethnicisation » de l'ennemi. Leurs thèses sont contestées par ceux qui rejettent l'idée d'un simple consentement à la guerre au profit d'un mélange complexe de contraintes, fraternité, patriotisme et refusent que la « culture de guerre » prenne le pas sur les autres cultures pré-existantes. La place des femmes et du genre dans la guerre est d'abord abordée par F. Thébaud à la lumière d'une double mythologie sexualisée (l'équation pureté nationale/pureté sexuelle et la féminisation de l'ennemi comme décadent) et de l'autre mythe de la femme « naturellement » pacifiste en tant que mère potentielle. Or, les féministes ont adhéré massivement à l'effort de guerre et l'internationalisme « féministe » s'est effondré. Par ailleurs, la relative « humanisation » du conflit dont sont porteuses les femmes aux armées se fait toujours au service exclusif de la patrie. Dans un dernier volet de son intervention, F. Thébaud s'attarde sur la réalité des violences faites aux femmes et les réactions qu'elles ont pu susciter. Les viols ont eu lieu pendant l'invasion plus que pendant l'occupation et le débat sur l'« enfant de l'ennemi » s'il a été animé d'un point de vue discursif ne permet pas d'en savoir beaucoup plus sur la réalité. Les déportations de femmes hors des villes occupées suscitèrent, quant à elles, suffisamment de réactions violentes pour que les Allemands mettent fin à cette pratique dès 1916. Certaines interventions féministes visèrent à modifier les lois de la guerre mais on en sait peu sur la place des femmes dans l'humanisation de la guerre. Par ailleurs, une comparaison s'avérerait nécessaire entre les histoires respectives de la guerre dans les pays dits occidentaux et dans les pays de l'Est.
Point de vue
- La place de l'horizon de mort dans la violence guerrière - Général André Bach Le général André Bach dans une réflexion sur l'« horizon de mort dans la violence de guerre » part d'une approche anthropologique du phénomène de violence et de la peur (quasiment biologique) qu'il engendre en soulignant les difficultés des sociétés occidentales à penser la mort. C'est l'État qui donne à la guerre un sens politique et sacré et qui crée les catégories fonctionnelles de la guerre (les concepts de paix et de guerre ne sont pas en eux-mêmes opérationnels). Dans le cadre d'une réflexion clausewitzienne sur la montée aux extrêmes, l'« extrême » pour le soldat est toujours sa propre mort (plus que celle de l'ennemi). Les notions de barbarisation et humanisation ne peuvent en ce sens rendre compte de la violence et de la peur radicales présentes dans toute guerre où le rôle du commandement est toujours de mettre en œuvre un degré de violence supérieur à celui de l'adversaire, sans aucune considération de « proportionnalité » de cette violence. La mise à distance technique ne diminue pas la violence mais l'augmente à proportion de l'éloignement de la peur. Seul le politique peut et doit mettre des limites à cette violence militaire par nature illimitée. La modernisation des armes ne relève jamais d'une humanisation du combat mais d'une recherche d'une violence plus efficace. L'entraînement du soldat en temps de paix n'est jamais entraînement à la violence mais apprentissage de savoir-faire et effort de constitution d'un groupe soudé, doté d'un bon moral. L'ordre et la formation tentent de limiter la sauvagerie mais il existe une constitution endogène de comportements propres au soldat, que la hiérarchie tente de canaliser dans une symbolique guerrière fondée sur le sentiment de l'honneur (destiné à compenser la peur d'être une proie vouée à mourir et à faire préférer la lutte au coude à coude sur l'instinct de conservation). Le couple violence/honneur fait que l'armée dépourvue de contrat social n'est pas soluble dans le politique (aujourd'hui dans les écoles militaires on ne parle plus d'« honneur » mais d'« éthique »…, mais pour dire la même chose). La conscription fut une rupture de la logique endogène de l'armée et introduisit une brèche dans ce système archaïque. Mais religion (au Moyen Âge) ou logique démocratique (de nos jours) s'avèrent surtout des « béquilles idéologiques » qui, en définitive, sont souvent plus efficaces pour accroître la barbarisation que pour l'éviter (exemple de la colonisation algérienne où une armée de paix, fonctionnarisée et rigoureusement canalisée, appartenant à une génération n'ayant jamais connu de violence de guerre, développe des massacres de masse).
- La place de l'horizon de mort dans la violence guerrière - Général André Bach
Témoignages
- La lettre de Nusreta Sivac - Nusreta Sivac Nusreta Sivac, ancienne juge à Prijedor, détenue au camp d'Omarska en 1992, retrace quant à elle le processus qui conduit de l'occupation de la ville par l'armée nationaliste serbe au licenciement des non Serbes, à l'expulsion des logements, à l'arrestation et enfin à l'emprisonnement dans le camp d'Omarska, proche de la ville, processus auquel ont participé aussi bien ses anciennes collègues – femmes – dans une forme de barbarie ordinaire qui va au-delà des combats. Elle décrit les conditions de vie dans ce camp, où les diverses lois et conventions juridiques ne lui sont plus apparues que comme du papier, et les circonstances de sa libération fin 1992. Réfugiée puis personne déplacée de 1993 à 1996, elle a récupéré son appartement, toujours occupé par une ancienne collègue, en 2001, mais ne peut y résider (tout y a été détruit et l'hostilité de ses voisins est manifeste). N. Sivac caractérise la situation actuelle par l'absence d'affrontement et l'absence de remords. Face à sa totale impuissance dans le camp devant les exactions commises, le témoignage pour la justice internationale lui est dès lors apparu comme une évidence, même si les effets de cette justice restent à Prijedor, en dépit d'un nombre important de procès, bien minces.
- Les charniers en Bosnie-Herzégovine. Les crimes contre les survivants - Amor Masovic Amor Masovic, responsable de la commission de recherche des disparus en Bosnie-Herzégovine et ancien responsable de la commission pour l'échange des prisonniers pendant la guerre de 1992-1995, nous présente ensuite un tableau accablant des disparitions dans les guerres récentes en ex-Yougoslavie, et des pratiques pour faire en sorte que ceux-ci ne soient ni retrouvés ni, encore moins, identifiés (d'où des fosses communes de deux types : « primaires » – où les corps furent enterrés initialement – et « secondaires » – où ces mêmes corps furent ré-enterrés, souvent démembrés, après avoir été déterrés pour être dispersés et moins aisés à repérer). 28 000 des 40 000 disparus ex-Yougoslaves relèvent du conflit en Bosnie et sont à 95 % des civils protégés par les conventions de Genève. Sur les 280 charniers identifiés la plupart se trouvaient à l'arrière et non sur le front et les disparitions sont datables à des périodes de non-combat. Le but de la commission est donc d'abord de retrouver et identifier les morts pour « faire savoir » et permettre le deuil (puisque la barbarisation qui a été exercée est double : contre les victimes et contre leurs familles qui ne peuvent « vivre » tant qu'elles n'ont pas de certitude). En outre, faute de disposition légale et d'une absence de droit spécifique des disparus personne ne peut être incriminé pour une disparition devant le TPIY où les « disparus » ne sont donc pas représentés. Amor Masovic tire quatre conclusions de son exposé : 1) la barbarie exprimée aujourd'hui est pour partie un résultat des manques de la justice à l'égard des crimes de guerre de la seconde guerre mondiale ; 2) la guerre contre les civils augmente en même temps qu'augmentent les dispositions internationales contre ces exactions qui restent donc purement formelles ; 3) en Bosnie, la barbarisation s'est exercée sur les corps des victimes de façon redoublée puisque l'anéantissement des preuves du crime fait que la mort n'est pas une vraie fin. D'où une forme particulière de barbarisation d'après-guerre ; 4) seul élément plus « positif » : en Bosnie des échanges de prisonniers eurent lieu pendant la guerre sans attendre la fin du conflit ce qui est rarissime et va au-delà des exigences posées par les conventions de Genève en matière de libération des prisonniers.
- La lettre de Nusreta Sivac - Nusreta Sivac
Varia
- Mythe de l'ancien et perception du moderne chez Machiavel - Emanuele Cutinelli Rendina L'auteur de cet article propose une relecture inédite d'une vieille question machiavélienne, le rapport entre le modèle antique romain et les temps modernes corrompus, qu'il revisite à la lumière d'un troisième terme : le jugement de Machiavel sur la religion chrétienne. Emanuele Cutinelli Rendina développe ici l'hypothèse d'une césure dans la pensée de Machiavel, représentée par le début du deuxième livre des Discours sur la première Décade de Tite-Live. À partir des premiers chapitre du livre II, le modèle romain ne semble plus être actualisable : inconciliable avec un présent trop corrompu, l'idéal va devenir un mythe.
- Le De regia sapientia de Botero et De la naissance, durée et chute des Estats de Lucinge - A. Enzo Baldini Dans le cadre d'une recherche plus vaste sur les origines françaises du débat italien sur la raison d'État à la fin du XVIe siècle, Enzo Baldini étudie les liens étroits des deux livres de Giovanni Botero et de René de Lucinge. L'auteur montre comment le dialogue que les deux hommes entretinrent durant les années 1580 fut décisif non seulement pour le traité que Lucinge consacra à la Naissance, durée et chute des Estats, mais aussi pour la réflexion de Botero sur la « raison par laquelle on gouverne un État ».
- Le Léviathan dans la doctrine de l'État de Thomas Hobbes : sens et échec du décisionnisme politique - Emmanuel Tuchscherer Présenté en 1938, le Der Leviathan de Carl Schmitt clos un ensemble de réflexions que le juriste et politologue allemand a consacré au décisionnisme politique. Au long de son commentaire sur Hobbes, Schmitt aboutit toutefois à un résultat inattendu. Naguère loué comme « le cas classique de la pensée décisionniste », Hobbes s'est métamorphosé à son insu en « ancêtre spirituel » de l'État législateur et libéral-constitutionnel. Schmitt a trouvé chez son allié le plus précieux les germes d'une pensée qu'il n'a cessé d'éreinter sous toutes ses formes, qu'on la décline dans sa version techniciste, positiviste, constitutionnaliste bourgeoise et libérale, individualiste ou pluraliste. C'est en ce sens que le Der Leviathan résume à bien des égards le sens et l'échec du décisionnisme politique.
- Hobbes, les pirates et les corsaires. Le « Léviathan échoué » selon Carl Schmitt - Dominique Weber Parmi les nombreux problèmes que pose l'ouvrage de Carl Schmitt Le Léviathan dans la doctrine de l'État de Thomas Hobbes, il en est un, majeur, qui concerne l'utilisation de la « mythologie politique » pour expliquer la réalité ou les doctrines politiques. Il y a là, à n'en pas douter, l'expression de l'un des versants de l'irrationalisme de Schmitt. La thèse de l'auteur est très claire : parce que Hobbes ne possédait aucun « sens mythologique », il s'est trompé de monstre biblique, appelant Leviathan son traité consacré au pouvoir d'État, alors qu'il aurait dû l'appeler plus adéquatement Behemoth, manquant du coup la Meeresbild caractérisant l'Angleterre de son temps. La thèse peut paraître séduisante, elle s'appuie néanmoins sur un présupposé fort contestable, car Hobbes ne vise nullement à créer des mythes. Il s'agit donc d'interroger la théorisation hobbesienne de la piraterie, d'une part, et de la dissidence religieuse « sauvage », d'autre part, afin de montrer que le choix par Hobbes des monstres du Livre de Job est un choix rationnellement assumé.
- Mythe de l'ancien et perception du moderne chez Machiavel - Emanuele Cutinelli Rendina
Lectures et discussions
- Paolo Carta, Il Poeta e la Polis – Colpa e responsabilità in Wystan H. Auden, Padoue, CEDAM, 2003, 170 p., Index des noms, 15 €. - Marie GAILLE-NIKODIMOV
- Jean Levi, Propos intempestifs sur le Tchouang-tseu, Paris, Éditions Allia, 2003, 169 p., 6,10 €. Jean-François Billeter, Leçons sur Tchouang-tseu, Paris, Éditions Allia, 2002, 152 p., 6,10 €. - Morgan Gaulin
- Mike Davis, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales (1870-1900). Aux origines du sous-développement, Paris, La Découverte, 2003, 479 p., trad. Late Victorian Holocausts, El Niño Famines and the Making of the Third World, 2001. - Cyrille Ferraton
- Guy Petitdemange, Philosophes et philosophies du XXe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2003, 510 p. - Henri Laux
- Emmanuel Renault, Yves Sintomer (dir.), Où en est la théorie critique ?, Paris, La Découverte, coll. « Recherches », 2003, 286 p., 31 €. - Alexandre Dupeyrix