Contenu du sommaire : Le philosophe et le marchand
Revue | Astérion |
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Numéro | no 5, 2007 |
Titre du numéro | Le philosophe et le marchand |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Présentation - Éric Marquer
- Peut-on être riche et bon citoyen ? L'Aristote humaniste au secours de l'esprit du capitalisme florentin - Marie GAILLE-NIKODIMOV La relation qu'entretient Leonardo Bruni à sa ville d'adoption, Florence, tant comme lettré humaniste que comme personnalité politique, est complexe. Elle constitue une « entrée » pertinente pour s'interroger sur le statut moral de la richesse privée à Florence au début du xve siècle. Peut-on être riche et bon citoyen ? En s'interrogeant sur les motivations qu'avait Leonardo Bruni en offrant une nouvelle traduction du traité pseudo-aristotélicien l'Économique à Cosimo de Médicis, on comprend que ce geste s'inscrit dans un débat vivace, marqué par des prises de position théologiques et séculières initialement favorables à la pauvreté, mais aussi par une évolution de la relation entre l'Église et les marchands à Florence. En rupture avec toute idéalisation morale de la vie à la campagne, Bruni avance que la recherche privée de la richesse n'est pas nécessairement un vice. Il entend en proposer la démonstration à travers la peinture d'un homme qui réalise ses vertus dans la cité, en prônant par l'exemple une vie dans l'aisance et en contribuant à la prospérité et à la puissance de la cité.
- Sens et statut de la théorie des échanges commerciaux dans le système de Fichte - Isabelle Thomas-Fogiel Il s'agit, dans cet article, de faire saillir les traits les plus marquants de la pensée économique de Fichte. On montre que l'organisation du marché et des échanges en général participe d'une vision franchement étatique et protectionniste. Mais l'interventionnisme de l'État a pour fondement la théorie juridique de la propriété comme espace de liberté. Si communisme fichtéen il y a, il s'agit d'un communisme de la liberté, conçu comme répartition des sphères d'action. Là est sans doute l'un des traits les plus originaux de Fichte puisque la mise en commun propre à la notion de communisme ne repose pas sur l'idée d'une égalité stricte entre les citoyens, mais bien plutôt sur l'idée de la liberté de chacun d'entre eux. L'étatisme a paradoxalement ici pour fondement une certaine forme d'individualisme. En un mot, toujours plus de liberté égale toujours plus d'État.
- Leçons de choses. L'invention du savoir économique par ses premiers professeurs : Antonio Genovesi et Cesare Beccaria - Philippe Audegean C'est en territoire italien, à l'université de Naples, qu'est créée la toute première chaire d'économie, inaugurée en 1754 par Antonio Genovesi. La seconde chaire italienne est inaugurée en 1769 à Milan par Cesare Beccaria. Ces professeurs doivent répondre à une exigence de justification et de définition : pourquoi un nouveau savoir, et quelle est sa compétence ? Le savoir économique apparaît alors comme la première des « sciences humaines » qui n'ait pas vocation à interpréter des textes, puisqu'elle se donne pour tâche d'analyser des choses. À l'ère de l'herméneutique succède celle de l'anthropologie. En ce sens, l'économie prolonge un geste déjà tenté par le droit naturel moderne, qui avait voulu soustraire la science du droit au règne des textes. Mais en prolongeant ce geste, elle veut aussi dépasser cette discipline, comme une jeune science qui non seulement pallie les imperfections de son aînée, mais prend définitivement sa relève.
- Sujet de droit et sujet d'intérêt : Montesquieu lu par Foucault - Céline Spector Dans les cours au Collège de France réunis dans Naissance de la biopolitique, Foucault soutient qu'une science économico-juridique est rigoureusement impossible. Or cette thèse radicale mérite discussion, à partir d'un auteur trop souvent ignoré des historiens de la genèse de l'économie politique. Montesquieu, à sa façon, contribue à la constitution de ce savoir économico-juridique, susceptible de penser ensemble sujet d'intérêt et sujet de droit. L'esprit de cette étude ne sera pas de critiquer Foucault en montrant que Montesquieu ne « rentre » pas dans l'opposition de ses paradigmes, mais plutôt de tenter de mesurer l'originalité d'une pensée qui conçoit des échanges entre propriété et liberté qui ont pour effet d'unifier rationalité économique et rationalité juridique.
- « Les douceurs d'un commerce indépendant » : Jean-Jacques Rousseau, ou le libéralisme retourné contre lui-même - Blaise Bachofen On associe habituellement Rousseau à la tradition républicaine, opposée schématiquement à la tradition libérale. Sans remettre en cause globalement cette thèse, il peut être intéressant de déplacer les termes de la problématique, en présentant la critique rousseauiste du libéralisme comme une critique menée de l'intérieur, plutôt que de l'extérieur. On peut en effet, à l'exemple de John Pocock, identifier un tronc commun aux pensées républicaine et libérale ou, à l'exemple de Charles Larmore, voir dans le républicanisme « une formulation plus lucide de la théorie libérale ». Cela se traduit chez Rousseau par une stratégie consistant à se réapproprier les promesses contenues dans les prémisses du libéralisme, pour mieux en dénoncer les conséquences dogmatiques. De fait, on trouve chez Rousseau une défense des droits individuels, un souci de l'indépendance individuelle dans les relations économiques et plus généralement dans les rapports sociaux, une justification jusnaturaliste de la propriété privée, et même des emprunts à l'idée selon laquelle la mise en concurrence permettrait de définir les conditions d'un choix optimal. Cependant l'analyse de certains textes de l'Émile montre que Rousseau vise en définitive à dissiper l'illusion d'une autorégulation optimale des rapports sociaux et économiques : l'opacité et les distorsions des rapports économiques ainsi que l'usage spontanément irrationnel de la liberté individuelle impliquent la nécessité de gouverner la liberté, par l'éducation et par la législation.
- Hobbes et l'économique - Pierre Dockès Hobbes intéresse l'économiste de deux manières. La première consiste en une lecture de Hobbes avec les lunettes de l'économiste d'aujourd'hui. Il fonde, avant Locke, le lien social sur l'échange et le contrat ou la convention. Mais, à la différence de la voie qu'Adam Smith empruntera ultérieurement, le programme hobbésien place le pouvoir au cœur de sa réflexion. Il faut également retenir l'analyse des coalitions menée par Hobbes, particulièrement celle des coalitions autoritaires (l'Union se distinguant de la simple association ou Consent) et de la république comme une grande coalition autoritaire, et être impressionné par la proximité de ses analyses de la formation du contrat social et de l'autorité avec les théories contemporaines de l'agence. En second lieu, Hobbes est un mercantiliste qui livre certaines observations économiques non dépourvues d'intérêt. Il s'agit principalement de ses analyses de la valeur et des prix et du chapitre XXIV du Léviathan intitulé « Of the Nutrition and Procreation of a Commonwealth ». Hobbes y traite successivement de la production (plenty), étudie ensuite sa répartition (distribution) et ce qu'il nomme la digestion (concoction) ou transformation des richesses réelles en argent. Enfin vient l'acheminement (Conveyance) ou circulation monétaire du flux nourricier dans le corps de la république.
- Le « commerce d'amour-propre » selon Pierre Nicole - Dominique Weber La notion de « commerce d'amour-propre » telle qu'elle a été élaborée par Pierre Nicole constitue-t-elle une sorte de préfiguration de l'utilitarisme moderne ? Il est commun de le penser. Mais c'est peut-être là faire trop peu de cas du soubassement théologique augustinien de la doctrine de Nicole. Pour analyser le problème, il convient de confronter la pensée de Nicole à celles de Pascal, de Hobbes et de saint Augustin lui-même.
- Leibniz : assurance, risque et mortalité - Jean-Marc Rohrbasser Dès 1678, Leibniz, dans plusieurs manuscrits, propose la fondation d'une caisse d'assurance. Il évoque également un fonds de réserve et un mont-de-piété. Selon une approche à la fois théorique et pratique, le philosophe pose et explicite les deux principes fondateurs de l'assurance : précaution et équité. Il recommande par ailleurs la constitution de rentes viagères. Afin de déterminer leur taux, il approfondit la notion d'espérance de vie, elle-même dépendante d'une estimation des probabilités ou risques de décéder. Leibniz conçoit l'ordre de la mortalité comme un processus aléatoire. Il fournit des indications qualitatives et quantitatives sur le risque de décéder pour des grands groupes d'âge, puis entreprend, au moyen d'un modèle simplificateur, de trouver une durée probable de la vie humaine. En présentant le processus d'extinction d'une population comme une combinatoire de risques, ces recherches donnent l'occasion d'établir un dialogue entre le certain et le possible, entre la nécessité et la contingence.
- Avoir commerce : Spinoza et les modes de l'échange - Maxime Rovere Spinoza n'a pas élaboré de grande pensée sur le commerce, mais il l'a activement pratiqué. Le présent article mesure l'impact de cette pratique sur sa philosophie politique, en prenant en compte la manière dont l'histoire des idées s'articule à l'histoire de l'auteur, et en suivant comment l'élaboration d'une métaphysique du commerce le conduit à évacuer le négoce de son anthropologie.
Varia
- Analyse géopolitique et diplomatie au XVIe siècle. La qualification de l'ennemi dans les relazioni des ambassadeurs vénitiens - Romain Descendre Cet article examine la textualité des relations des ambassadeurs vénitiens du xvie siècle. S'attachant en particulier à la partie finale des relazioni, traditionnellement consacrée aux amitiés et inimitiés princières, l'analyse rend visible la façon dont ces discours constituent l'une des premières matrices de la pensée des relations internationales à l'époque moderne.
- Théories de la connaissance en économie : théories rationnelles appliquées à l'économie et théorie intuitive selon Edgar Salin - Bertram Schefold, Gilles Campagnolo Il n'est pas toujours évident de rappeler aujourd'hui que l'économie politique contemporaine est née d'une fusion, et non seulement d'évictions successives, entre le formalisme moderne, des conceptions non formalisées – et peut-être dûment impossibles à formaliser – mais rationnelles, et des intuitions dont le statut philosophique a été – et demeure – l'une des grandes questions traitées en théorie de la connaissance, telle que l'a en particulier illustrée la tradition allemande depuis Kant jusqu'à nous. Une des tentatives majeures pour donner un statut à l'Anschauung dans la théorie économique a été conduite en Allemagne, puis en Suisse, par Edgar Salin (1892-1974) dont l'œuvre, fut inspirée par l'atmosphère régnant dans le cercle réuni autour du poète Stefan George dans l'Entre-deux guerres. Elle se présenta comme une conception alternative à celles de Popper et de Weber, tant quant à l'usage possible de l'intuition en regard du cadre de la rationalité scientifique qu'eu égard à l'architectonique et aux visées de l'économie politique. La présente étude restitue, d'une part, une brève généalogie du concept philosophique d'intuition et, d'autre part, constitue un des rares exposés en français de la doctrine développée par Salin, une pensée que le travail mené par les auteurs les a conduits à revaloriser dans l'optique d'épistémologie comparative qu'ils ont ici adoptée.
- Analyse géopolitique et diplomatie au XVIe siècle. La qualification de l'ennemi dans les relazioni des ambassadeurs vénitiens - Romain Descendre
Lectures et discussions
- Fabrice Audié, Spinoza et les mathématiques, Paris, PUPS, 2005, 197 pages, 18 €. - Cécile Nicco
- Lorenzo Vinciguerra, Spinoza et le signe. La genèse de l'imagination, Paris, Vrin, 2005, 334 pages, 30 €. - Cécile Nicco
- Pascal Sévérac, Le devenir actif chez Spinoza, Paris, Honoré Champion, 2005, 476 pages, 75 €. - Cécile Nicco
- Hélène Prigent, Mélancolie, les métamorphoses de la dépression, Paris, Gallimard (Découvertes Gallimard), RMN (Arts), 2005, 159 pages, 13,90 €. - Claire Crignon-De Oliveira
- Robert Burton, Anatomie de la mélancolie, traduction Gisèle Venet, Paris, Gallimard (Folio classique), 2005, 463 pages, 5,40 €. - Claire Crignon-De Oliveira
- Bernard Andrieu (dir.), Herbert Feigl. De la physique au mental, Paris, Vrin, 2006, 220 pages, 28 €. - Pascale Gillot