Contenu du sommaire : L'ami et l'ennemi
Revue | Astérion |
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Numéro | no 6, 2009 |
Titre du numéro | L'ami et l'ennemi |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Présentation - Michel Senellart
- Utrum regis ad subditos sit amicitia : droit, politique et amitié dans la pensée de Giovanni da Legnano (vers 1320-1383) - Christian Zendri Ami/ennemi est le binôme dans lequel, au xxe siècle, on a essayé de fondre le principe politique. Mais l'amitié est aussi l'objet d'un tractatus spécifique de l'un des juristes les plus représentatifs du xive siècle, Giovanni da Legnano (1320 ?-1383). Selon Giovanni, c'est dans l'amicitia que réside la réalité profonde de tous les ordres de relations, depuis celui de l'univers jusqu'à l'ordre juridique et politique. À cette dernière acception de l'amicitia, Giovanni consacre sa réflexion, qui prend la direction d'un véritable commentaire juridique du huitième livre de l'Éthique à Nicomaque d'Aristote. Si l'amicitia est ainsi la description du rapport qui lie le prince et les sujets, l'inimitié finit en revanche par décrire la tyrannie, c'est-à-dire la négation même de l'ordre juridique et politique.
- « Se pourvoir d'armes propres » : Machiavel, les « péchés des princes » et comment les racheter - Jean-Claude Zancarini Dans les textes de Machiavel, la question de la guerre est souvent l'horizon même de la question de la politique. La politique et la guerre y sont en permanence mêlées, souvent indissociables ; cela dans les relations que les États établissent entre eux, mais aussi à l'intérieur même des États, des provinces et des cités. Il ne s'agit pas ici de couvrir l'ensemble de ce champ des liens entre la politique et la guerre, tâche impossible à mener dans le cadre d'un article, mais seulement de traiter un des aspects de cette question : il s'agira de voir comment la polémique de Machiavel contre les armes mercenaires et auxiliaires et en faveur des « armes propres » est un des axes structurants de l'ensemble de l'œuvre, un des éléments qui donnent sens aux textes. L'erreur consistant à ne pas avoir compris l'importance des « armes propres » et le rôle déterminant de l'infanterie est un des « péchés des princes » de l'époque des guerres d'Italie ; dans l'écriture des textes de Machiavel on ressent un effort constant pour faire comprendre comment on pourrait racheter, « rédimer » (redimere), ces péchés. C'est cet effort que cet article tente de mettre en évidence.
- « Contre-révolution », « guerre civile », « lutte entre deux classes» : Montlosier (1755-1838) penseur du conflit politique moderne - Marie-France Piguet Cet article vise à préciser les relations entre les notions de « contre-révolution », de « guerre civile » et de « lutte entre deux classes » dans les écrits de celui qui a joué un rôle pionnier dans l'émergence de l'idée de lutte de classes, le comte de Montlosier. Il établit, dans une première partie, comment « la guerre civile » se distingue des autres troubles civils (« tueries civiles », « séditions », en particulier) par sa capacité à fournir une ultime résolution aux conflits politiques internes à une nation, et pourquoi, dans les circonstances du moment, elle reste la seule manière de mettre en œuvre la « contre-révolution ». Il analyse ensuite, dans la deuxième partie, ce que Montlosier entend précisément par une « lutte entre deux classes », et montre qu'il s'agit pour lui d'un schéma d'intelligibilité de l'histoire profonde de la Révolution. Ce schéma rend compte d'un processus d'affrontement culturel, social, économique et politique entre les classes sociales, inhérent aux nations qui ont laissé se développer les forces et les valeurs de la société moderne en détruisant progressivement celles de la société féodale.
- Radiographie de l'ennemi : Carl Schmitt et le romantisme politique - Christian E. Roques C'est grâce à son essai Politische Romantik, publié en 1919, que Carl Schmitt fait une entrée remarquée sur la scène intellectuelle allemande. L'ouvrage se présente comme une charge systématique et radicale contre la tradition allemande du « romantisme politique », et fut vivement discuté dans les années qui suivirent sa publication. Mais aujourd'hui il se trouve relégué parmi les œuvres de jeunesse de Schmitt et reste rarement étudié par la recherche, qui le lit au mieux comme une belle contribution à l'histoire culturelle du xixe siècle.Pourtant, une étude approfondie de l'essai, ainsi que du contexte historique dans lequel il s'insère, fait apparaître que ce n'est pas dans une telle perspective que Politische Romantik manifeste toute sa portée : bien plus qu'une étude historique, cet essai constitue un élément de réponse à la crise du conservatisme allemand tel qu'il apparaît dans l'après-guerre. Le rejet du « romantisme politique » marque la rupture de Schmitt avec l'idéal « apolitique » des intellectuels allemands de l'époque, et par là constitue le premier moment du projet schmittien, tel qu'il se verra développé de manière croisée dans son étude sur le catholicisme et sa Théologie politique.
- Carl Schmitt, lecteur de Bakounine - Jean-Christophe Angaut Mentionné à plusieurs reprises bien qu'aucun de ses écrits ne soit cité, Bakounine occupe une place particulière dans quelques-uns des principaux textes de Carl Schmitt (Théologie politique, La dictature, Le concept de politique). Les thèmes que Schmitt choisit de repérer chez Bakounine (satanisme, naturalisme, nature religieuse de l'autorité, refus de la médiation), s'ils sont l'indice d'une connaissance précise de l'œuvre du révolutionnaire russe, permettent également de l'inscrire dans une opposition terme à terme avec les théoriciens de la contre-révolution. La lecture attentive que Schmitt semble avoir faite des textes de Bakounine ne doit donc pas masquer que dans l'œuvre du théoricien allemand, Bakounine est avant tout une figure : celle de l'anarchiste russe, ennemi par excellence qui prétend en finir avec le politique. Apparemment adventice, la convocation de cette figure partiellement mythique touche dès lors à un thème central chez Schmitt, celui de la conception de la politique.
- Enjeux de la polémologie heideggerienne : entre Kriegsideologie et refondation politique - Servanne Jollivet Face au double écueil qui consiste à ne voir en la pensée de Heidegger qu'une pure dégénérescence idéologique ou, à l'inverse, à nier son engagement et ses enjeux proprement politiques, nous désirons ici questionner frontalement son projet politique tel qu'il apparaît dès le début des années 1930. Plus que de céder à la polémique, nous nous proposons ici, partant des présupposés propres à la révolution conservatrice, de retracer l'usage, dès Être et Temps et surtout dans le discours de Rectorat (1933), des notions de conflit ou combat (Kampf), qui trouveront par la suite à s'approfondir à travers la notion héraclitéenne de polemos. L'enjeu est pour nous d'éclairer le projet de refondation politique qui sous-tend cette « polémologie » en nous appuyant sur l'interprétation que donne Heidegger de la théorie hégélienne de l'État (cours de 1933-1934) et de la polis grecque, principalement dans l'Introduction à la métaphysique.
- Pacifisme ou guerre totale ? Une histoire politique du droit des gens : les lectures de Vitoria au XXe siècle - Julie Saada À travers les lectures opposées faites de Vitoria par les internationalistes du début du XXe siècle, souvent d'inspiration normativiste, et par Carl Schmitt, cet article montre comment l'histoire du droit des gens constitue une histoire politique. Les premiers font du théologien de Salamanque le père du droit international contemporain, inspirateur lointain du pacifisme universaliste qui s'est développé au tournant du XIXe et du XXe siècle et cristallisé dans la Société des Nations, tandis que le second voit dans le retour de la doctrine vitorienne de la guerre juste la justification de la guerre totale. La conception particulière de l'ennemi, ou des « régimes de l'ennemi », que l'on peut repérer chez Vitoria, y est tantôt oblitérée, tantôt mise en avant, manifestant dans les deux cas une reconstruction politique de l'histoire du droit des gens.
- Les génocides et l'état de guerre - Ninon Grangé La définition du mot « génocide » relève d'emblée d'ambiguïtés lexicales et conceptuelles. À l'origine juridique, le terme divise les historiens qui y voient tantôt une spécificité du xxe siècle, tantôt un hapax avec la « solution finale », tantôt un phénomène plus ancien avec le moment fondamental de la colonisation ouverte à l'idée d'extermination. Ainsi, la prudence fera préférer la notion de « massacre de masse ».L'instrumentalisation politique de la référence à l'état de guerre est un parallélisme plutôt qu'une comparaison. Contexte favorable, prétexte, arrière-fond du discours génocidaire, la guerre est faux ami avec le génocide. Huis clos autophage dans une entité politique, le génocide connaît une plus grande proximité avec la guerre civile : la désignation d'ennemis intérieurs, la barrière du corps qui tombe, la « brutalisation » des sociétés favorisent la discrimination d'un ennemi qu'il faut rendre visible pour mieux le faire disparaître. La « bascule » dans le génocide révèle les mécanismes fantasmatiques du politique qui concrétisent l'éventualité destructrice de l'État. Aussi faut-il se demander si le génocide appartient en propre à une terrible modernité du xxe siècle ou à la substance de l'État. La question de la rationalité folle ou de la logique irrationnelle du génocide repose le problème du mal radical et du mal politique : dans la réinvention du politique à travers les pratiques génocidaires, l'existence et l'identité de l'État se redéfinissent hyperconflictuelles.
Varia
- Des présupposés philosophiques de l'iconologie : rapport de Panofsky à Kant et à Hegel - Audrey Rieber Cet article a pour but de réviser la lecture traditionnelle, (néo)kantienne de l'iconologie et de souligner sa dimension hégélienne. Certes Panofsky reprend la notion cassirerienne de « forme symbolique », mais il en fait un usage inédit en déplaçant la question de l'activité de l'esprit vers celle de son mode de signification. Quant au concept de « vouloir artistique » (Kunstwollen) qui semble renvoyer aux idées de noumène et de liberté transcendantale, il doit être compris de manière hégélienne comme la mentalité de base propre à un cosmos culturel. Parmi les aspects anti-kantiens de l'iconologie, il faut également mentionner la critique du génie et celle de l'universalité du jugement esthétique. Enfin, si l'idée d'une dialectique historique rapproche une nouvelle fois Panofsky de Hegel, il y a néanmoins une spécificité de l'iconologie, y compris dans la conception de l'histoire. En posant en son centre le problème de la signification, elle écarte la question du beau, adopte une conception non normative de l'art et de l'histoire et plaide pour une vision humaniste de l'histoire de l'art.
- Vulnérabilité, non-domination et autonomie : l'apport du néorépublicanisme - Marie Garrau, Alice Le Goff L'anthropologie philosophique est l'un des fronts sur lesquels s'est développée, ces dernières années, la critique du libéralisme politique : à la figure d'un sujet rationnel et souverain, déjà autonome, certains courants de la théorie politique ont tenté d'opposer une conception alternative du sujet et c'est dans ce contexte qu'a émergé la thématique de la vulnérabilité dont le développement est apparu comme le fondement éventuel d'un dépassement de la problématique libérale. On ne s'étonnera pas de voir la référence à la vulnérabilité figurer en bonne place dans la réflexion néorépublicaine et en particulier dans la théorie de liberté comme non-domination élaborée par Philip Pettit. Comment les néorépublicains définissent-ils la vulnérabilité et quel statut lui accordent-ils ? Quel rôle la vulnérabilité joue-t-elle dans la définition d'une perspective républicaine originale et dans l'élaboration d'une conception non libérale de l'autonomie ? Que nous apprend-elle enfin sur les limites éventuelles du projet néorépublicain ? C'est à ces questions que tentent de répondre les deux articles rassemblés ici. Ces deux textes correspondent aux deux volets d'une étude sur le statut de la catégorie de la vulnérabilité dans la théorie néorépublicaine. Le premier article (« Vulnérabilité, non-domination et autonomie : l'apport du républicanisme ») correspond au volet proprement analytique de notre étude : il propose un état des lieux du statut de la vulnérabilité dans le cadre des théories néorépublicaines, de Pettit à Iseult Honohan, en passant par John Maynor... L'examen de l'articulation entre vulnérabilité et non-domination met en lumière les ressources du néorépublicanisme et son potentiel d'élargissement (via l'intégration des problématiques socialistes, multiculturalistes, écologistes et féministes). Le second article (« Vulnérabilité, non-domination et autonomie : vers une critique du néorépublicanisme ») part de la manière dont les néorépublicains ont souligné la convergence entre l'autonomie telle qu'elle est pensée à l'aune de la non-domination et les approches relationnelles de l'autonomie. Il s'agit pour nous d'interroger ce rapprochement et par là de dégager certaines limites de l'approche néorépublicaine de la vulnérabilité en la confrontant de façon systématique à d'autres conceptions mises en avant dans la théorie des capabilités, dans les théories de la reconnaissance et dans les éthiques du care.
- Vulnérabilité, non-domination et autonomie : vers une critique du néorépublicanisme - Marie Garrau, Alice Le Goff L'anthropologie philosophique est l'un des fronts sur lesquels s'est développée, ces dernières années, la critique du libéralisme politique : à la figure d'un sujet rationnel et souverain, déjà autonome, certains courants de la théorie politique ont tenté d'opposer une conception alternative du sujet et c'est dans ce contexte qu'a émergé la thématique de la vulnérabilité dont le développement est apparu comme le fondement éventuel d'un dépassement de la problématique libérale. On ne s'étonnera pas de voir la référence à la vulnérabilité figurer en bonne place dans la réflexion néorépublicaine et en particulier dans la théorie de liberté comme non-domination élaborée par Philip Pettit. Comment les néorépublicains définissent-ils la vulnérabilité et quel statut lui accordent-ils ? Quel rôle la vulnérabilité joue-t-elle dans la définition d'une perspective républicaine originale et dans l'élaboration d'une conception non libérale de l'autonomie ? Que nous apprend-elle enfin sur les limites éventuelles du projet néorépublicain ? C'est à ces questions que tentent de répondre les deux articles rassemblés ici. Ces deux textes correspondent aux deux volets d'une étude sur le statut de la catégorie de la vulnérabilité dans la théorie néorépublicaine. Le premier article (« Vulnérabilité, non-domination et autonomie : l'apport du républicanisme ») correspond au volet proprement analytique de notre étude : il propose un état des lieux du statut de la vulnérabilité dans le cadre des théories néorépublicaines, de Pettit à Iseult Honohan, en passant par John Maynor... L'examen de l'articulation entre vulnérabilité et non-domination met en lumière les ressources du néorépublicanisme et son potentiel d'élargissement (via l'intégration des problématiques socialistes, multiculturalistes, écologistes et féministes). Le second article (« Vulnérabilité, non-domination et autonomie : vers une critique du néorépublicanisme ») part de la manière dont les néorépublicains ont souligné la convergence entre l'autonomie telle qu'elle est pensée à l'aune de la non-domination et les approches relationnelles de l'autonomie. Il s'agit pour nous d'interroger ce rapprochement et par là de dégager certaines limites de l'approche néorépublicaine de la vulnérabilité en la confrontant de façon systématique à d'autres conceptions mises en avant dans la théorie des « capabilités », dans les théories de la reconnaissance et dans les éthiques du care.
- Des présupposés philosophiques de l'iconologie : rapport de Panofsky à Kant et à Hegel - Audrey Rieber
Lectures et discussions
- Catherine Secrétan, Tristan Dagron et Laurent Bove (dir.), Qu'est-ce que les Lumières « radicales » ? Libertinage, athéisme et spinozisme dans le tournant philosophique de l'âge classique, Paris, Éditions Amsterdam (Caute !), 2007, 404 pag - Mogens Lærke
- Marc Fleurbaey, Capitalisme ou démocratie ? L'alternative du xxie siècle, Paris, Grasset, 2006, 214 pages, 13,50 €.Caroline Guibet Lafaye, Justice - Vincent Bourdeau
- André Charrak, Contingence et nécessité des lois de la nature. La philosophie seconde des Lumières, Paris, Vrin, 2006, 224 pages, 26 €. - Raphaële Andrault
- Hervé Le Bras, Naissance de la mortalité. L'origine politique de la statistique et de la démographie, Paris, Gallimard-Seuil (Hautes Études), 2000, 371 pages, 22,87 €. - Luca Paltrinieri
- Georges Canguilhem, Il fascismo e i contadini, M. Cammelli (éd.), Bologne, Il Mulino, 2007, 162 pages, 14 €. - Marie Gaille
- Serge Audier, Machiavel, conflit et liberté, Paris, Vrin-EHESS (Contextes), 2005, 313 pages, 25 €. - Sébastien Roman