Contenu du sommaire : Les mille peaux du capitalisme II
Revue | L'Homme et la société |
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Numéro | no 195-196, 1er et 2ème trimestre 2015 |
Titre du numéro | Les mille peaux du capitalisme II |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- À Véronique - p. 7-18
- Éditorial (1). La science asservie - Michel Kail p. 19-24
- Éditorial (2). Le terrorisme djihadiste : ses causes, ses effets et ses suites - Daniel Bachet p. 25-28
Les mille peaux du capitalisme (II)
- Les mille peaux du capitalisme (II) - Olivier Dard, Claude Didry, Florent Le Bot, Cédric Perrin p. 29-32
- Les rapports de subordination au cœur de la cité par projets : étude de cas dans l'industrie des machines - Jean-Michel Bonvin, Nicola Cianferoni, Morgane Kuehni p. 33-50 Cet article traite de l'impact de l'implantation de l'organisation par projets sur la relation de travail dans une entreprise de construction ferroviaire helvétique. Cette forme d'organisation remet en question l'échange « subordination vs sécurité » à l'œuvre dans le modèle taylorien faisant émerger des formes de précarité plus ou moins importantes pour les travailleurs, mais fait également place à une plus grande autonomie et responsabilité dans la manière d'organiser son travail. Partant d'entretiens semi-directifs menés auprès de salariés et responsables de ressources humaines, notre propos vise à souligner l'implantation partielle et sélective de ce mode d'organisation du travail qui ne supprime pas les rapports de subordination mais les transforme, contribuant à l'exacerbation des tensions à l'intérieur du groupe ouvrier. Prêtant une attention particulière à l'ancienneté, nous montrons que les critères de sélection et de promotion en vigueur dans l'entreprise sont particulièrement défavorables aux jeunes recrues qui font les frais de cette transformation inachevée tant sur le plan matériel que symbolique.The paper investigates how the introduction of an organization by projects (in line with Boltanski and Chiapello's projective city) impacts on the work relationships within a firm of the Swiss metal sector. Such an organization questions the classical Taylorian-Fordist wage relation based on the exchange « subordination at work vs. material security » : on the one hand, it induces forms of precariousness among workers ; on the other hand, it creates spaces for more autonomy and responsibility at work. On the basis of semi-structured interviews with workers and human resource managers, the paper shows that the implantation of the organization by projects has been only partial and selective in the investigated firm, that it has not abrogated subordination but transformed its concrete modalities. This has exacerbated tensions among workers, especially along seniority lines. Indeed, the selection and promotion criteria mobilized in the firm penalize young workers who are the main losers of this partial transformation, both in material and symbolic terms.
- Un dépassement capitaliste du salariat ? : Une sociohistoire en trois actes et impasses - Claude Didry, Florent Le Bot p. 51-72 Notre texte part de l'idée que le capitalisme ne fait pas corps avec un salariat qu'il trouverait comme une donnée dans son développement. Il consiste plutôt en une règle de calcul permettant d'escompter un profit par une transaction commerciale. Dans cette perspective, le salariat ne se dégage que progressivement par la projection du travail sur le droit aboutissant à cette base institutionnelle que constitue le droit du travail.Ce cadre étant posé, nous déterminons trois temps dans un capitalisme cherchant à se déprendre de ses responsabilités à l'égard de ses producteurs. L'acte 1 consacre le registre du commerce comme pseudo-fondement de la liberté économique à travers le marchandage dérivé du louage d'ouvrage défini par le Code civil, avant qu'un Code du travail n'établisse la relation employeur-employé. L'acte 2 installe le salariat au cœur de la crise des années 1930, tout en ouvrant sur des tentatives d'échappées en forme d'utopies rationalisatrices. L'acte 3 voit le salariat se diluer dans le chômage de masse, tandis que l'injonction « tous entrepreneurs de sa vie », figure modernisée du loueur d'ouvrage, cherche à occulter la permanence du travail salarié dans la vie quotidienne. Avec cette proposition de sociohistoire, il s'agit d'interroger la notion de salariat grâce aux outils croisés de l'historien et du sociologue, les sources du droit du travail et de la pratique, en vue de considérer cette notion à travers l'étendue sociologique des champs d'expérience et l'épaisseur historique des horizons d'attente.Our text is based on the idea that capitalism is not naturally associated with wage labor. Rather, it is a rule for calculating an expected profit gain with a commercial transaction. In this perspective, the wage system emerged only gradually by the projection of labor on the law leading to the institutional base that is the right of labor. This framework in mind, we identify three stages in a capitalism trying to free itself of its responsibilities toward producers. The first deed establishes the trade register as pseudo-foundation of economic freedom through the haggling deriving from the work contract defined by the Civil Code, before than a Labor Code establishes the employer-employee relationship. The second deed puts the wage system in the heart of the crisis of the 1930s, while opening some utopias about rationalizing in a form of breakaway. Third deed shows the wage system is diluted in mass unemployment, while the injunction « all entrepreneurs of his life », is a try for hiding the permanence of wage labor in our everyday life. With this sociohistory's proposal, it is to examine the concept of wage labor through crossed tools of the historian and sociologist, the sources of labor law and practice, and to consider this notion through the sociological scope of fields of experience and the historic horizons of expectations.
- De la coopération intégrale à la réforme de l'entreprise : l'intéressement salarial au prisme du Familistère de Guise - Jessica Dos Santos p. 73-86 La Société du Familistère de Guise est une entreprise démocratique fondée en 1880 par Jean-Baptiste Godin, industriel partisan d'un socialisme réformiste. Il y applique les principes coopératifs de la « participation », terme à comprendre comme un partage avec les ouvriers de la gestion de l'entreprise, de son capital et de ses bénéfices. Jusqu'en 1968, cette société conserve, malgré les épreuves, ce fonctionnement original et devient ainsi un modèle pour les défenseurs de la participation aux bénéfices. À travers leur histoire et leurs archives, on constate une forte évolution du sens pris par ce terme de « participation » : d'abord prônée par les partisans de la coopération, cette politique salariale est ensuite envisagée par une partie du patronat avant de finalement prendre une forme législative très éloignée des idéaux d'origine.« Guise Familistère Society » is the name of a democratic company founded in 1880 by Jean-Baptiste Godin, a socialist manufacturer. This company has an organization based on the idea of letting the workers « participate », which means that the management, the capital and the profits are to be shared between the employer and the employees. Despite many difficulties, the Familistère manages to keep this organization until 1968, and becomes quickly a model forwarded by many tenants of this idea of « participation ». Through the Familistère history appears the important evolution of this idea : formerly defended by the cooperative movement, it is slowly commended by some employers whishing to modernize french industry and finaly inspires a very different law from the original ideals.
- Le travailleur taylorien : une « figure » dépassée ? - Thomas Le Bon p. 87-102 Les discours économique et sociologique soulignent régulièrement l'originalité du type du travailleur contemporain en le distinguant du modèle taylorien. Tout en reconnaissant l'émergence d'un type de travailleur nouveau, caractérisé par sa flexibilité, l'article tente d'évaluer la portée des transformations culturelles induites par la reconfiguration de l'activité technique de travail à l'œuvre depuis le début des années 1970. Distinguant les concepts de type et de figure en rattachant le premier à la singularité technique de l'acte de travail et le second à la conscience produite par cette activité, il s'agit finalement de voir si le type du travailleur flexible ne masque pas la pérennité d'une figure ancienne, celle du travailleur taylorien. Au terme d'une analyse comparative des traits intellectuels et moraux du travailleur taylorien et du travailleur flexible, il apparaît que la métamorphose du type du travailleur s'apparente à une pseudomorphose dans la mesure où les traits fondamentaux de la figure du travailleur taylorien structurent encore la conscience du travailleur flexible.Economic and social discourses regularly emphasize the originality of the type of the contemporary worker by differentiating it from the Taylorian model. While recognising the emergence of a new type of worker, characterised by flexibility, the article puts forward an assessment of the extent of the cultural changes resulting from the reorganisation of the technical activity of work in operation since the early 1970s. By distinguishing the concepts of type and figure, associating the former with the technical singularity of the act of work and the latter with the consciousness produced by the activity, the aim of the paper is to determine if the type of the flexible worker masks the persistence of a past figure, that of the Taylorian worker. Following a comparative analysis of the intellectual and moral characteristics of the Taylorian worker and the flexible worker, the metamorphosis of the type of worker appears to be a pseudomorphosis in as far as the fundamental traits of the figure of the Taylorian worker continue to structure the consciousness of the flexible worker.
- Le postfordisme comme mythe et idéologie de la sociologie économique. Du consommateur à la construction sociale du marché automobile - Bernard Jullien, Tommaso Pardi p. 103-126 Ce papier déconstruit le modèle explicatif postfordiste de la crise des années 1970 en se focalisant sur la transformation de l'industrie automobile occidentale depuis le début des années 1980. Les auteurs montrent que le passage à une offre de plus en plus pléthorique de modèles renouvelés plus rapidement n'était pas tiré par la demande « postfordienne » d'un nouveau « consommateur roi », mais poussé par une évolution des stratégies des entreprises endogène à la conception du contrôle du secteur. Ils questionnent ainsi la tendance de la sociologie économique française à traiter exclusivement le marché comme un espace de transactions centré sur le consommateur.This article deconstructs the postfordist explanation of the 1970s crisis by focusing on the transformation of the automobile industry since the 1980s. The authors show that the proliferation of models, their faster renewal and the increasing technological content of new cars have not been pulled by the “ postfordist ” demand of the new “ king consumer ”, but pushed by corporate strategies within a well defined conception of control. As a result, they question the tendency of the French economic sociology of treating the market mainly as a place of transactions centered on the consumer.
- Sortir de la crise par la technique et par la science ? Les réponses de l'abondancisme de Jacques Duboin - Olivier Dard p. 127-146 Le bouillonnement né de la crise des années trente a accouché d'une doctrine connue sous le nom d'abondancisme portée par son infatigable fondateur, Jacques Duboin. Elle postulait que la crise des années trente était un faux problème tandis qu'une « ère nouvelle », synonyme de « changement total » s'offrait à l'humanité. Une sortie du système capitaliste par l'abondance pour tous, une abondance rendue possible par la machine. Libératrice, elle permettrait d'éviter à l'homme de consacrer son temps au travail, notamment, aux tâches pénibles. Ayant réglé, grâce à ses possibilités d'extension réputées sans limites, le problème de la production, l'humanité n'aurait donc qu'à se consacrer à la question de la distribution. Centrée sur l'étude de l'itinéraire et des idées de Jacques Duboin, cette étude porte sur la genèse, le contenu, les réceptions, la diffusion et la postérité de son projet abondanciste et distributiste.
The crisis of the 1930's gave birth to a doctrine called « abundancism » and founded by Jacques Duboin. According to abundancism, the crisis of 1930's was not a problem. A « New Era », an « entire change » were now possible for Humanity. Machine could allow Humanity to work less and was able to solve the problem of the production process. By the way, the only important question was the distribution. Focused on the case of Jacques Duboin, his itinerary and his ideas, this contribution studies genesis, content, reception, influence and posterity of the duboinist project of abundancism from the 1930's to 2014.
Hors dossier
- Le stade, terrain de jeu de l'extrême droite italienne : soupape de sécurité ou fabrique du consensus ? - Lynda Dematteo p. 147-174 En Italie, le stade est un lieu privilégié d'observation des stratégies politiques des groupes radicaux et de leurs interactions avec les élus locaux. La Ligue du Nord s'est insérée dans le monde du sport en promouvant des personnalités issues de la sous-culture ultrà. L'étude ethnographique de deux tifoserie parmi les plus violentes en Italie, celles de l'Atalanta de Bergame et celle du Hellas de Vérone, permet de démêler les liens entre la production d'une masculinité agressive, la radicalité politique et l'exercice du pouvoir à l'échelle locale. Il existe d'étroites corrélations entre les comportements rituels des supporters et les modalités d'action de la Ligue du Nord. Les élus issus de l'extrême droite décrivent le stade comme une « soupape de sécurité » où les milieux les plus révoltés trouveraient un exutoire à leur violence, mais il constitue plus probablement un lieu où promouvoir la tribalisation des masses pour renforcer leur consensus.In Italy, the stadium is a privileged place to observe the political strategies of radical groups and their interactions with local officials. The Northern League succeeded in inserting itself in sports by promoting personalities from the hardcore subculture of football supporters. The ethnographic study of the two most violent tifoserie, the Atalanta of Bergamo and the Hellas of Verona, allows us to understand the links between the production of an aggressive masculinity, political radicalism and the exercise of power at the local scale. There are strong correlations between the ritual behaviors of football fans and the Northern League's action modalities. Elected representatives from the extreme right-wing describe the stadium as a « safety valve » in which the most rebellious social groups can find an outlet to their violence, but the stadium seem to be a place where they promote tribalization of the masses in order to reinforce their consensus.
- Le modèle paysan à l'échelle nationale ou la pesanteur des conditions socioéconomiques sur la construction d'une nation - Anna Zadora p. 175-196 Le présent article analyse la problématique de la construction identitaire sur l'exemple biélorusse. Les conditions socioéconomiques de la mise en place des liens identitaires jouent un rôle majeur dans la construction. L'évolution historique des Biélorusses est liée à des situations de subordination politique et d'affaiblissement économique, ce qui n'a pas créé de conditions propices pour la consolidation de l'identité nationale. Les Biélorusses peuvent être qualifiés de « nation paysanne », car les paysans prédominent dans la structure démographique jusqu'aux années 1970. Les traditions et modes de vie paysans dominent encore aujourd'hui dans la société, et ce fait peut expliquer la faiblesse de l'identité biélorusse.This article analyzes the issue of identity construction on the Belarusian case. Social and economic conditions play a major role for identity building. The historical development of Belarus is linked to political subordination and economic weakening, which has not created favourable conditions for the consolidation of national identity. Belarusians can be called « peasant nation » because peasants had being dominant group in the demographical structure until 1970. Peasant traditions and lifestyles still dominate in society today, and this fact may explain the weakness of the Belarusian identity.
- Vers une lutte des cadres ? - Gaëtan Flocco p. 197-222 Au cours des années 2000, plusieurs enquêtes ont mis en évidence des résistances et des luttes menées par les cadres contre les pratiques organisationnelles et managériales des entreprises. Cet article interroge les portées et les limites de ces résultats à la lumière de deux enquêtes de terrain réalisées auprès de cadres d'entreprises en France. Il montre que cette catégorie spécifique de salariés n'est certes pas étrangère à l'expression de critiques, aux contournements des règles organisationnelles, voire à des formes de retrait à l'égard du travail. Ces représentations et ces pratiques peuvent cependant difficilement être rassemblées sous les catégories de résistance, de lutte ou de rébellion. Leur portée demeure effectivement relative et limitée au regard des facteurs de consentement qui, eux, subsistent et sont multiples.During the 2000s, several surveys have highlighted resistances and struggles led by high skilled employees against organizational and managerial practices of companies. This paper questions the impact and limits of these results thanks to two surveys carried out about high skilled employees (executives and engineers) in France. It demonstrates that this specific category of employees is able to express some criticism, to bypass organizational rules and even to exit from their work. However these speeches and practices can hardly be called with terms as resistance, struggle or rebellion. Their impact actually remains relative and limited with regards to factors of consent that persist under many aspects.
- Le stade, terrain de jeu de l'extrême droite italienne : soupape de sécurité ou fabrique du consensus ? - Lynda Dematteo p. 147-174
Note critique
- Le capital de la sociologie - Roland Pfefferkorn p. 223-230
- Comptes rendus - p. 231-254