Contenu du sommaire : Terrains de je. (Du) sujet (au) géographique

Revue Annales de géographie Mir@bel
Numéro no 687-688, 2012/5-6
Titre du numéro Terrains de je. (Du) sujet (au) géographique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Terrains de je. (Du) sujet (au) géographique - Anne Volvey, Yann Calbérac, Myriam Houssay-Holzschuch p. 441-461 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cette introduction au numéro spécial « Terrain de je » reprend la question du terrain pour en faire un problème scientifique et un objet de recherche épistémologique, en se plaçant à la fois du point de vue du sujet-cherchant – et de la question de son identité – et dans une perspective spatiale. Elle rend compte des principaux débats du colloque qui s'est tenu à Arras sur ce sujet, pour ensuite discuter la question du terrain des points de vue théoriques et épistémologiques. Les apports des épistémologies féministes anglophones (dimension politique, réflexivité et positionnalité, relationnalité, corporalité) sont mis en regard d'une approche française longtemps plus strictement méthodologique mais en plein renouvellement (rapport des spatialités de l'objet et de la pratique, esthétique du terrain, réflexivité). Enfin, cette introduction présente deux propositions : celle d'utiliser le terrain comme levier pour une histoire latourienne de la géographie, où gestes, dimensions matérielles et processus d'écriture seraient centraux ; celle d'aller au-delà des épistémologies existantes pour travailler, avec la psychanalyse transitionnelle, l'idée d'un régime haptique et figuratif de connaissance spatiale autour de l'investigation des dimensions relationnelles et performatives de la pratique et de l'expérience de terrain.
    This introduction to the special issue “Fielding the (geographical) subject” takes up the issue of fieldwork as both a scientific problem and the object of epistemological research, by positioning oneself simultaneously at the view point of the subject researching – and the question of his or her identity – and within a spatial perspective. It presents the main discussions of the symposium on this subject held at Arras, then continues by considering the issue of the field (work) from epistemological and theoretical points of view. The contributions of English-speaking feminist epistemologies on the question (on its political aspects, reflexivity and positionality, relationality, corporality) are confronted to a French approach which has long been strictly methodological but which is now in the throes of an intense process of renewal (relation between the spatialities of the research object and of research practices, aesthetics of the field, reflexivity). Lastly, this introduction offers two proposals. The first is to use the field as a lever for a Latourian history of geography, where practices, materialities along with the processes of writing would be central. The other involves going beyond existing epistemologies to use transitional psychoanalysis to develop the idea of a haptic and figurative regime of spatial knowledge, based on the investigation of the relational and performative dimensions of field (work) practices and experience
  • Carnet de colloque - Hervé Regnauld p. 462-467 accès libre
  • Le terrain : l'Arlésienne des géographes ? - Isabelle Lefort p. 468-486 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les géographes français ont jusqu'à présent peu questionné leur rapport intellectuel et disciplinaire au terrain. En reprenant l'image de l'Arlésienne, cliché langagier de la présence/absence, l'auteur développe l'hypothèse d'une « fiction » collective, simultanément convoquée mais fort peu explicitée. L'article aborde successivement plusieurs registres d'analyse pour cerner les enjeux disciplinaires soulevés par une démarche réflexive sur le « terrain », objet de recherche. Trois approches sont privilégiées : la place et le statut du « terrain » dans les usages académiques et les analyses épistémologiques de la discipline, les relations complexes entre écritures scientifiques et factures littéraires (le géographe comme auteur), enfin les conséquences de la suprématie du visuel dans le rapport du géographe au terrain. L'article invite enfin à s'approprier collectivement une réflexion sur le « terrain » alors que les technologies numériques modifient en profondeur les codes de la représentation, en particulier visuelle.
    Until now, French geographers have rarely questioned their intellectual and disciplinary relationship with fieldwork. Using the image of the “Arlesian woman”, a French cliché of simultaneous presence and absence, the author develops the hypothesis of a collective “fiction”, always evoked but almost never clarified. The paper presents successive analytical levels to assess the disciplinary issues stemming from a reflexive approach of the “field” as research object. Three specific approaches have been chosen : first, the place and status of “fieldwork” in the academic usage and in the epistemological analyses of the discipline, then the complex relationships between scientific and literary ways of writing (the geographer as an author), and last the consequences of the dominance of visualization in the relationship between geographers and their fields. To conclude, the paper invites us to collectively appropriate a reflexion on “fieldwork”, when digital technologies are deeply modifying the codes of representation, particularly for visual representation.
  • Cartographie et participation pour la coopération environnementale : le terrain et la restitution des savoirs traditionnels en Afrique subsaharienne - Federica Burini p. 487-512 avec résumé avec résumé en anglais
    L'objectif de cet article est d'illustrer le rôle de la cartographie participative dans la recherche de terrain au sein de projets de coopération environnementale et de construire en perspective la problématique du terrain. Le texte s'appuie tout particulièrement sur l'expérience de l'auteure en Afrique subsaharienne et analyse le cas de la participatory action research à l'intérieur d'un programme pour la protection environnementale d'une réserve de biosphère de l'UNESCO. Les deux premières parties ont pour objectif de présenter la cartographie participative, ses méthodologies et ses enjeux : la première, articulée par une généalogie des différentes méthodologies, précise les objectifs, les instruments, les procédures qui permettent leur réalisation ; la deuxième est centrée sur la question de la communication des géographies locales dans la cartographie. Après cette introduction, nous illustrons la méthodologie suivie pour la réalisation de systèmes cartographiques participatifs dans le cadre d'un projet de coopération environnementale dans certains villages d'Afrique de l'Ouest situés autour d'une vaste aire protégée. Le cas d'étude présenté montre la potentialité qu'ont ces systèmes de restituer certains aspects des savoirs traditionnels des populations locales. La dernière partie du texte mettra en évidence la question du terrain dans la cartographie participative et interrogera la dimension subjective de la pratique.
    The aim of this paper is to illustrate the role of participatory mapping in field research concerning projects of environmental cooperation and to reflect on the issue of field research. The text is based primarily on the author's experience in Sub-Saharan Africa and analyzes the case of participatory action research in a programme of environmental conservation concerning a UNESCO Biosphere Reserve. The first two parts are intended to present participatory mapping, its methodologies and issues. The first one hinges on a genealogy of the different methodologies and presents the different types of maps and their objectives and the instruments and procedures used to implement them. The second part focuses on the issue of communication of local geographies in mapping practice. After this introduction, we illustrate the methodology for realizing participatory mapping systems within a project of environmental cooperation involving some villages in West Africa sited around a large protected area. The case study presented shows the potential of such systems to represent and convey some aspects of local people's traditional knowledge. The last part of the text will highlight the relation between field research and participatory mapping.
  • Weaving lives together : collaborative fieldwork in North East Arnhem Land, Australia - Kate Lloyd, Sarah Wright, Sandra Suchet-Pearson, Laklak Burarrwanga, Paul Hodge p. 513-524 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'ouvrage Weaving lives together at Bawaka, North-East Arnhem Land traite de la culture de la vannerie. Dans cet article, parmi les co-auteurs du texte, se trouvent des chercheurs allogènes et une femme indigène du Nord de l'Australie. Ils mènent une réflexion sur le processus de création du livre. L'idée que nous y développons est que la co-écriture d'un ouvrage parlant de l'entrelacement des vies a effectivement contribué à entrelacer nos propres vies d'une manière qui remet en question les compte-rendus traditionnels de la recherche et du travail de terrain. A travers les processus de recherche pour et d'écriture de l'ouvrage, nous avons fait l'expérience d'un partage non seulement de savoir mais aussi de famille. En particulier, nous avons appris que les relations ne peuvent être planifiées et que l'incertitude peut conduire à des transformations créatrices.
    Weaving lives together at Bawaka, North-East Arnhem Land is a book about basket weaving and culture. In this paper, some of the co-authors of the text, non-Indigenous academics and an Indigenous woman from northern Australia, reflect on the process of creating the book. We argue that jointly authoring a book about weaving lives has in fact interwoven all our lives in a manner which confronts many traditional academic accounts of research and fieldwork. Through the process of researching and writing the book we have experienced a sharing of knowledge and a sharing of family. In particular, we have learnt that relationships cannot be planned and that uncertainty can lead to creative transformations.
  • Géographie de la sexualité ou sexualité du géographe ? Quelques leçons autour d'une injonction - Marianne Blidon p. 525-542 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    S'il est aujourd'hui admis en épistémologie des sciences sociales que le recours à la réflexivité permet de rendre plus transparents les choix méthodologiques et les opérations de production des connaissances, pour autant certaines pratiques de terrain demeurent extérieures à ces tentatives d'objectivation. L'engagement sexuel et affectif du géographe sur son terrain en est l'exemple le plus emblématique. Considéré comme extérieur au terrain car relevant de l'intimité et de la sphère privée, il demeure largement impensé. Seul le géographe des sexualités fait exception à cette règle et doit faire face à une injonction de vérité ou de transparence du fait même de son objet d'étude. C'est donc à partir de ce champ de la géographie que cet article montre les enjeux de ces questions. La première partie rappelle en quoi consiste la géographie des sexualités tant du point de vue de l'objet que des méthodes. La seconde analyse deux figures archétypiques de l'enquête de terrain : l'observation à couvert et la participation afin d'en montrer les enjeux et les limites. La dernière partie revient sur trois apports de cette géographie.
    Although it is now accepted in the epistemology of social sciences that the use of reflexivity allows more transparent methodological choices and operations for knowledge production, some field practices remain outside these attempts at objectification. The sexual and emotional commitment of the geographer on his working terrain is one example. By its very nature the geography of sexuality is an exception, and poses these questions, or at least highlights the issues involved. My purpose here is not to prescribe rules of conduct on the grounds of meeting a strict order for truth and transparency, but rather to try to highlight the challenges and limitations of reflexivity and intimacy from different approaches to the field.
  • Géographie du mouvement, géographie en mouvement. La mobilité comme dimension du terrain dans l'étude des migrations - Julien Brachet p. 543-560 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le rapport entre mobilité et terrain en géographie est interrogé à partir d'une recherche menée sur les migrations de transit au Sahara central. L'articulation entre la spatialité de l'objet et la spatialité du chercheur est envisagée selon deux aspects : la mobilité sur le terrain, entre les sites distincts d'un terrain archipélagique, et la mobilité comme terrain, c'est-à-dire en tant que situation privilégiée d'enquête et d'observation en mouvement, à l'intérieur des flux migratoires, permettant de saisir la nature des événements et des constructions sociales éphémères que tout voyage engendre.
    This paper investigates the relation between mobility and fieldwork in geography. It is based on research on transit migration in the Central Sahara. Mobility is treated as the spatial dimension of fieldwork, as the opening of new grounds newly perceived which changes the kind of empiric data produced in migration studies. The paper aims to reflect on the mobility of the observer under two aspects : mobility in the field andmobility as fieldwork. Mobility inthe field, i. e. movement between different but related field-sites, helps to contextualise each research locality and each phenomenon observed from different angles. At the same time, mobility is in itself a “field-site”, a privileged moment of observation and discussion. As a consequence, researchers themselves need to become mobile in order to study migration from the inside and to grasp the fleeting and unstable social constructions that mobility produces.
  • “Le terrain, c'est moi ?” Reflections on the emergence of the field in translocal research - Julia Verne p. 561-582 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le terrain est longtemps resté un champ non questionné et non critiqué de la recherche en géographie. Cependant, au cours des dernières décennies, témoignant d'un intérêt croissant pour les méthodologies qualitatives, les géographes ont commencé à examiner de manière critique la signification de leur terrain, leur travail de recherche, et leur position et leur rôle sur le terrain. De manière générale, le terrain est entendu comme l'endroit spécifique où la recherche empirique est menée, et inclut, ce faisant, l'étude des personnes et des objets qui s'y trouvent. Alors que dans la plupart des cas, le terrain correspond à une région, une ville ou un quartier, l'intérêt récent pour les connections et réseaux « trans-locaux » a non seulement accru l'intérêt pour les recherches multi-sites, mais a également permis d'introduire des méthodologies mobiles ce qui contribue à accroître la difficulté de le définir précisément. Plus qu'un point sur une carte, le terrain correspond à un ensemble complexe de relations, et le définir revient aussi à le créer. Suivant alors les développements de Latour ou Deleuze qui nous incitent à suivre les lignes et les différentes connections établies, mais où faut-il fixer les limites ? En d'autres termes, où situer correctement le centre du réseau ou du rhizome d'une recherche ? Et où doit-on s'arrêter de suivre les réseaux ? Au final, il appartient au chercheur de déterminer la manière de circonscrire son terrain. A l'aide d'exemples tirés de mes propres recherches ethnographiques sur la mobilité, la “translocalité” et les relations commerciales des jeunes Zanzibari, je vais tenter de mettre au jour les différents processus qui sont à l'origine de la création du terrain. Tenant compte des idées de Latour et Deleuze, j'ai comme objectif d'analyser de manière critique les rapports entre la méthodologie, le positionnement du chercheur et la construction du terrain, en essayant d'ouvrir le débat sur le caractère arbitraire du terrain, et sa pertinence pour la production du savoir en géographie.
    “Le terrain” or “the field” has long been a rather unquestioned and uncriticized dimension of geographical research. Nevertheless, over the last decades, with an increasing interest in qualitative methodologies as well as the rising importance of a reflexive approach, geographers have begun to examine critically the meaning of the field, fieldwork and the position and role of the researcher within the field. Generally it is agreed that the field refers to the specific location where the empirical research is done, including the people and objects in this place. Whereas in most cases the field is a certain region, city or neighbourhood, the recent interest in translocal connections and networks has led not only to multisited research but also to mobile methodologies which increases the complexity of defining the field. Seeing the field as a set of relations rather than as points on maps, defining the field also means to create the field! Following the ideas of Latour or Deleuze requires one to follow the established lines and connections, but where can the limits be set? Where is the centre of the network or rhizome for the research? And where should the study stop following the networks? Ultimately, it is the researcher's decision how to delimit the field. Using examples from my own mobile ethnographic research on mobility, translocality and commercial connections of young Zanzibari, I will explore the process of creating the field. Considering ideas of Latour and Deleuze, I will critically examine the connections between methodology, the researcher's positionality and the construction of the field, to try to open up discussions on the “arbitrariness” of the field and its relevance for the production of geographic knowledge
  • Le terrain ? C'est ce qui résiste. Réflexion sur la portée cognitive de l'expérience sensible en géographie - Olivier Labussière, Julien Aldhuy p. 583-599 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Une étude des théories non représentationnelles en géographie, parmi lesquelles nous distinguons la pensée de Gilles Deleuze, nous aide à problématiser comment l'expérience sensible, et une plus grande attention au corps, peuvent susciter du nouveau dans le processus d'élaboration des connaissances (la résistance). Nous donnons à cette réflexion les modalités d'une étude plus concrète en portant notre regard sur Le Travail en Sicile (Rochefort, 1961). Ceci nous permet d'ouvrir un débat sur le terrain pris comme un ensemble relationnel (chercheur, objet, méthode, aire d'étude) ouvert et évolutif, jalonné par des défis méthodologiques et théoriques directement liés à l'expérience sensible.
    What field (work) is, is a recent concern in French geography. A study of the non-representational theories in geography, with a special interest taken in a Deleuzian perspective, underlines the role the body and lived experience play in the process of knowledge production (resistance). This thought is based on the study of Le Travail en Sicile (Rochefort, 1961), a masterpiece of a French geographer of the 1960s. This study gives rise to a discussion about the field and fieldwork as a relational set (the researcher, its topic, its method, its area), which is open and changeable, marked by methodological and theoretical challenges directly connected to lived experience.
  • Les arts-de-faire du terrain - Chloé Buire p. 600-620 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Comment obtient-on nos données lorsque l'on s'immerge dans le quotidien d'un quartier pendant des mois ? Cette contribution part de l'analyse des transformations des identités politiques dans les anciens quartiers ségrégués du Cap, en Afrique du Sud pour donner à voir les ajustements théoriques et méthodologiques constants, et souvent inavoués, qui jalonnent la recherche de terrain. Entre les injonctions à la participation orchestrée par le haut et l'héritage d'une culture de l'auto-organisation politique par le bas, l'exemple sud-africain montre en effet l'ambiguïté des aspirations des citadins et oblige à assouplir une vision souvent normative de la démocratie. Mais au-delà des spécificités du post-apartheid, cette relecture du processus de production du savoir scientifique interroge les implications éthiques et politiques de la recherche de terrain en général. Le chercheur est partie prenante de la géopolitique micro-locale qu'il ou elle observe. Plutôt que de chercher à éviter ces interférences, cet article propose de prendre les relations personnelles sur le terrain comme un élément à part entière de la démarche scientifique. Le principe de l'improvisation collective développé dans le free jazz est utilisé comme métaphore pour illustrer une ontologie ancrée dans la pratique de relations réciproques. Les capacités d'improvisation deviennent la clé d'une écoute de l'Autre et ouvrent la voie à une recherche éthique, qui s'inspire de l'esthétique et de la poétique de Michel de Certeau centrée sur les « arts de faire du quotidien ».
    How does one get access to data when operating through ethnographic immersion in a neighbourhood for months ? This paper builds upon an analysis of the transformation of political identities in former segregated neighbourhoods of Cape Town, South Africa, to uncover the constant, and yet untold, adjustments in theory and methodology of any research project on the ground. Between the participation imperative dictated from the top and the inherited political culture of self-organisation from below, the South African case-study reveals how ambiguous city-dwellers' aspirations are and challenges normative understandings of democracy. Reading the production of scientific knowledge goes beyond the particularities of post-apartheid South Africa and questions questions the ethics and politics of fieldwork in general. The researcher is an acting member of the micro-local geopolitics he or she is investigating. Instead of seeking vain provisions against it, this article calls for a full recognition of the intimate relationships in the field as part of the scientific project itself. The principle of collective improvisation used in free jazz is a metaphor for an ontology of performing reciprocal relationships. Improvisation skills become a tool for listening to the Other, and an incentive towards an aesthetics and a poetics of conscious research, following Michel de Certeau's “arts de faire” philosophy on the actual practices of everyday life.