Contenu du sommaire : L'islam de France : nouveaux acteurs, nouveaux enjeux
Revue | Confluences Méditerranée |
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Numéro | no 95, automne 2015 |
Titre du numéro | L'islam de France : nouveaux acteurs, nouveaux enjeux |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Islam de France : défis collectifs - Robert Bistolfi, Haoues Séniguer p. 9-11
- La porte étroite : les musulmans dans la République - Robert Bistolfi p. 13-27 En quelques décennies, une « communauté » musulmane s'est constituée en composante significative, très diverse, active et visible, de la société française. Cette modification du paysage culturel est intervenue à un moment où le pays était fragilisé par une double crise : crise d'un projet social hérité de la Résistance et des Trente Glorieuses, aujourd'hui miné par la mondialisation économique libérale ; crise aussi d'une Union européenne qui s'affichait porteuse d'idéaux mais a été incapable de dessiner un avenir autre que conforme aux exigences d'un marché sans entraves. En l'absence d'un nouveau projet social et sociétal réellement égalitaire, qui serait apte à intégrer avec un minimum de conflits ses diversités, le pays voit maintenant toutes ses composantes dangereusement taraudées par des inquiétudes identitaires que des acteurs divers exploitent. Jugée contestable en raison de certains usages, notamment à la droite et à l'extrême droite de l'échiquier politique, avec l'idée d'une menace musulmane globale au plan intérieur, la notion d'« insécurité culturelle » caractérise assez bien, pourtant, cette période où chacun s'interroge sur l'avenir qui sera le sien : à une crainte du déclassement largement présente, s'ajoutent des blessures touchant aux liens d'appartenance symbolique. Ces diverses fragilités ne sont pas propres à la société majoritaire ; elles traversent et structurent aussi les mouvances minoritaires. Les affronter simultanément, en réduisant les instrumentalisations de l'identité, est sans doute un enjeu politique central de la période.
- L'islam et l'Etat français : histoire d'une relation particulière - Bernard Godard p. 29-41 La relation entre l'islam et l'Etat est intimement liée à son histoire coloniale et plus particulièrement à l'Algérie. Aujourd'hui encore, elle influence la conception que l'Etat français a des rapports avec « ses » musulmans, au risque même de privilégier une option diplomatique ou sécuritaire au détriment de l'existence d'un islam « réel » au sein des territoires. La tendance des pouvoirs publics à hisser le culte musulman au même rang que les autres religions , va être plus marquée dès les années 2000. En même temps, le cheminement d'une « laïcité de reconnaissance » va voir se dresser un camp « républicaniste » partisan d'une neutralisation absolue de l'espace public, dont l'islam est la première cible.
- Leaders musulmans et fabrication d'un « islam civil » - Romain Sèze p. 43-58 Les responsables musulmans font l'objet, en France, d'une approche normative (quelle est la nature de l'influence qu'ils exercent ?), recouvrant des enjeux intégrationnistes et sécuritaires qui ont trouvé une nouvelle actualité avec les débats sur la radicalisation. Dans la mesure où la capacité des responsables musulmans à incarner un islam socialement acceptable (l'« islam de France ») en public tend à devenir une ressource de légitimation de l'autorité religieuse, ceux-ci s'impliquent dans l'élaboration de l'islam civil que l'État et la société recherchent depuis les années 1980/1990.
- Les musulmans dans l'espace social et politique français : modalités et enjeux de leur mise en visibilité - Marc-Olivier Del Grosso p. 59-68 Cet article se propose de comprendre l'émergence des nouveaux enjeux de société relatifs à l'islam et aux musulmans, en procédant à une analyse de leur mise en visibilité depuis l'après-guerre. Cette mise en visibilité relève de composantes endogènes touchant à l'histoire migratoire spécifique des musulmans français, mais également exogènes comme l'inscription de ces derniers sur les agendas politique et médiatique. Cette mise en perspective permet de mieux comprendre l'imposition d'une grille de lecture religieuse sur des problématiques beaucoup plus complexes et multidimensionnelles. En outre, au-delà de la multiplication des débats publics liés à l'islam, elle dégage des phénomènes de continuité et de rupture dans la problématisation des enjeux, nous invitant à évaluer l'emprise des données de départ dans leurs développements ultérieurs.
- Le salafisme en France – Socialisation, politisation, mondialisation - Mohamed-Ali Adraoui p. 69-80 Cet article traite de la question du salafisme en France, plus spécifiquement dans sa version quiétiste. Si la velléité de revenir à l'exemple des Sages Anciens (Salaf Salih)touche un nombre croissant de musulmans dans le monde, cette contribution tente de faire la lumière sur les contours et logiques de la socialisation, politisation et mondialisation (du Golfe, dont ce courant est originaire à l'époque contemporaine, jusqu'à la France) de ce mouvement. Approche empirique tirée d'un travail de thèse de plusieurs années, nous essayons notamment de resituer l'émergence de cette religiosité dans le temps plus long de l'islam militant, de ses évolutions et de ses ruptures.
- Féminisme-s islamique-s - Ismahane Chouder p. 81-90 L'interpellation des musulmans sur la place accordée aux femmes est récurrente, en définissant une vision essentialiste de l'islam. D'où l'impérieuse nécessité de sortir des simplismes, des apriorismes et/ou des polarisations idéologiques de tous bords ; cela pour débattre et construire une pensée critique à même de servir les connaissances, lesquelles nourriront un débat, une analyse, une posture à même de penser la complexité du monde social, les enjeux du vivre en commun, et en expérimenter enfin les conditions possibles. Ce positionnement est crucial car, au moins depuis une vingtaine d'années, l'argument féministe est au cœur des justifications d'« une guerre de civilisations » entre un Orient musulman, prétendument chantre de l'asservissement des femmes, et un Occident prétendument chantre de leur libération et voulant définir pour tou-te-s les bonnes manières de se libérer. Or, loin d'être unipolaire et unidimensionnel, le féminisme est une pratique avant d'être un objet en soi. Il ne se réduit pas à une demande d'égalité, il s'attaque à un ensemble d'oppressions, systémiques et structurelles. Le féminisme islamique s'inscrit dans cette dynamique de libération et s'articule aux luttes menées en commun pour faire advenir un monde meilleur.
- Comment la « norme halal » travaille le Paysage Islamique Français - Florence Bergeaud-Blackler p. 91-108 Qu'en est-il des relations d'influence entre « marché halal » et « offre islamique » aujourd'hui en Europe ? Peut-on établir un lien entre contrôle de la garantie halal et composition et recomposition du paysage religieux ? Cet article montre que la question du contrôle de la norme halal marchande a émergé récemment dans l'espace public et joue un rôle croissant dans la structuration de l'offre religieuse islamique française. Après avoir mis en lumière le contexte d'émergence d'une bataille mondiale autour d'une « norme halal » opposant pays musulmans et non-musulmans, l'article retrace le cheminement par lequel un projet de norme halal est arrivé dans les instances de normalisation européenne (le CEN) et l'impact que ce projet, toujours en cours, a d'ores et déjà sur le paysage islamique français.
- Enseignement d'un parcours militant - Moustafa Mansour, Haoues Séniguer p. 109-118 Dans l'entretien accordé à « Confluences Méditerranée », Moustafa Mansour revient sur un engagement actif de vingt-cinq ans contre les discriminations raciales et les inégalités de classe. Ses multiples expériences, sa connaissance du terrain et ses responsabilités associatives (en particulier au sein du CRI : « Coordination contre le racisme et l'islamophobie ») lui permettent avec le recul de porter des critiques fortes sur de nombreux sujets : les instrumentalisations politiques, le positionnement de diverses associations ayant pignon sur rue, les formes de lutte contre l'islamophobie, l'élitisme d'une certaine intelligentsia musulmane… La déception ayant été au bout de tous les dialogues classiques comme des promesses d'intégration, une démarche radicalement autonome s'imposerait désormais en privilégiant l'auto-organisation de tous les mouvements de libération de l'immigration postcoloniale et des quartiers populaires.
- Prégnance de l'essentialisme dans les discours publics autour de l'islam dans la France postcoloniale - Philippe Corcuff p. 119-130 Dans nombre de discours publics à l'œuvre dans la France des années 2000-2010, l'islam se présente comme un objet compact, une « essence ». Cette tendance suppose de revenir sur la critique philosophique et sociologique de l'essentialisme. Cet essentialisme est porté par différentes catégories d'acteurs : des acteurs véhiculant des stéréotypes islamophobes, en premier lieu, mais aussi certains critiques de l'islamophobie. Dans cet article, quelques cas sont repérés à titre exploratoire : Caroline Fourest et le « couple » Eric Zemmour/Nadine Morano du côté islamophobe, Emmanuel Todd et les dirigeants des Indigènes de la République du côté de la lutte contre l'islamophobie. Indépendamment des intentions des acteurs, ce processus, au bout du compte impersonnel, participe au contexte d'extrême droitisation idéologique et politique.
- La transversalité politique de l'islamophobie : analyse de quelques ressorts historiques et idéologiques - Marwan Mohammed p. 131-142 Les musulmans - ou présumés tels - de France suscitent un rejet important et transpartisan au sein de la société, alors même que le rejet de l'Autre constitue généralement un facteur très clivant politiquement. Pour saisir cette transversalité politique, il faut éviter de s'enfermer dans l'idée que « la France est islamophobe » ou que l'islamophobie s'appuie sur des ressorts communs à gauche comme à droite. On interroge ici plus précisément la pluralité des cadres idéologiques et symboliques rendant possible une adhérence aussi large à l'islamophobie.
- Islamophobie : construction et implications - Raphaël Liogier, Haoues Séniguer p. 143-152 Dans l'entretien qu'il a accordé à « Confluences Méditerranée », Raphaël Liogier revient sur les raisons qui l'ont conduit, alors qu'il n'était pas islamologue au départ, à s'interroger sur l'imaginaire occidental et la construction d'une vision négative de l'islam et des musulmans. En France, il en est découlé un respect inégal des principes républicains de liberté, égalité et fraternité, ainsi qu'une approche plus idéologique de la laïcité. Le mythe touchant à une islamisation menaçante doit être déconstruit, et d'abord en s'appuyant sur les données démographiques. Ses racines historiques – les chocs de la décolonisation, la révolution islamique en Iran… – sont bien sûr à prendre en compte aussi. Puis, avec les jeunes générations issues de l'immigration qui sont mieux conscientes de leurs droits, l'idée a crû que l'identité française était menacée : d'où, entre autres, une « laïcité patrimoniale » promue en défense. L'islamophobie – bien réelle – est niée ; le terme lui-même critiqué. Est-ce parce qu'il renverse de manière gênante les termes de problème, ceux que la présence musulmane agresse étant confrontés à leurs propres agressions, qui relèvent d'un racisme culturel ? Le problème ne se réduit cependant pas à une dénonciation plus active de l'islamophobie : tous les autres facteurs économiques et sociaux sont à prendre en compte.
- Pour une refondation de la pensée théologique islamique - Ghaleb Bencheikh p. 153-163 Le texte suivant nous avait été remis par Ghaleb Bencheikh avant les attentats parisiens du 13 novembre dernier. Ce qu'il a écrit prend aujourd'hui une résonance particulière. S'il met l'accent sur la nécessité d'un profond renouvellement interne de la pensée islamique, c'est du cœur de la croyance qu'il l'interroge. La relation entre la religion, la démocratie et les droits de l'homme est au cœur de son questionnement. Ce faisant, il met l'accent sur « les disciplines des sciences de l'homme et de la société, ainsi que (sur leur) outillage intellectuel ». Multiples sont les sujets que, sans tabous, Ghaleb Bencheikh aborde après avoir réclamé « la déconstruction d'un patrimoine sclérosé ». Citons quelques uns seulement des thèmes abordés : la « déjuridisation » de la révélation » ; l'organisation de la Cité en tant qu'entreprise humaine ; l'éthique de la discussion et du désaccord ; la nécessité derenouer avec une tradition ouverte, – celle qu'honorèrent entre autres un Djamel Eddine al Afghani ou un Mohamed Abdou… En bref, ce dont Ghaleb Bencheikh parle, c'est de l'indispensable entrée de la oumma dans la modernité intellectuelle, avec un peuple à « délivrer du piège de la religiosité sauvage »…
Variations
- Repenser les dynamiques migratoires pour la coopération euro-méditerranéenne - Colette Alcaraz p. 167-178 Sur les rives méditerranéennes, l'immigration revêt depuis ces dernières mois un caractère particulièrement dramatique. Vingt ans après le lancement du partenariat euro-méditerranéen, les positions des acteurs concernés par cette thématique se sont cristallisées autour d'enjeux sécuritaires. Dans un contexte régional où les menaces de divers ordres constituent le terreau du repli de l'Union européenne (UE), l'objectif de cet article n'est pas tant de brosser un portrait caricatural de l'écueil de pensée européenne de ces vingt dernières années, ni même encore de faire porter la responsabilité d'une situation sur deux épaules déjà malmenées. A l'aune d'une période riche de changements, il s'agit plutôt de tenter de saisir toutes les opportunités d'une réflexion nouvelle sur ce sujet transversal, intégrant de nouvelles pistes d'échanges dans le cadre euro-méditerranéen.
- Notes de lecture - p. 180-184
- Repenser les dynamiques migratoires pour la coopération euro-méditerranéenne - Colette Alcaraz p. 167-178