Contenu du sommaire : Marges urbaines et résistances citadines
Revue | Cultures & conflits |
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Numéro | no 101, printemps 2016 |
Titre du numéro | Marges urbaines et résistances citadines |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Pratiques sociales et spatiales de résistances discrètes dans la ville : Introduction - Gülçin Erdi Lelandais, Bénédicte Florin p. 7-17
- Pratiques discrètes de résistance des migrants roms à Turin et à Marseille - Elisabetta Rosa p. 19-34 Cet article émane d'une recherche concernant les pratiques habitantes des migrants roms en condition de précarité à Turin et à Marseille. Il porte notamment sur la manière dont ces pratiques mettent en défi les processus de marginalisation dont sont victimes ces migrants. S'installer en ville, contourner le manque d'eau, faire la manche, récupérer les déchets, parcourir la ville : l'analyse fine de ces pratiques permet de montrer leur caractère « discrètement » résistant et de reconnaître les capacités d'action de ces migrants, toujours oubliées derrière l'étiquette « rom ». Les résistances à la précarisation et à la marginalisation portées par les politiques publiques deviennent ainsi l'expression d'un ancrage territorial et d'une revendication silencieuse de citadinité.This article stems from research on the housing practices and the precarious living conditions of Roma migrants in Turin and Marseille. It focuses on how the marginalization processes to which Roma migrants fall victim are constantly challenged by spatial practices in urban settings. Settling down in cities, bypassing the lack of water, begging, recovering waste, roaming the city: a careful analysis of these practices allows for a demonstration of their discretely resistant character while recognizing the agency of these populations, which is itself often denied and forgotten behind the label “Roma”. Resistance to precariousness and marginalization caused by public policies also translates into expressions of territorialization and silent claims of urbanity.
- Pratiques politiques subalternes dans un quartier populaire de Tokyo: des formes de résistance? - Nicolas Pinet p. 35-56 Cet article, qui s'appuie sur une ethnographie des pratiques politiques dans un quartier populaire de Tokyo, se propose de voir dans quelle mesure l'utilisation du concept de résistance pour décrire et analyser ces pratiques fait sens. L'enquête permet de mettre en lumière différents types de pratiques politiques non-institutionnalisées qui sont autant de tactiques pour contester, contourner ou éluder des rapports de pouvoir défavorables – renversement de rapports de pouvoir, négociation, contournement, grignotage, création d'espaces autonomes, pratiques émancipatrices. Ces différents types de pratiques peuvent-ils être considérés comme des formes de résistance ? On verra qu'une réponse affirmative suppose d'opérer une distinction entre résistance pour soi et résistance en soi. Cette distinction permet en outre de replacer les résistances dans la dynamique plus globale des rapports de pouvoir en cours, dont elles ne constituent que l'un des pôles.Drawing from ethnographic research conducted in a working class neighborhood of Tokyo on subaltern political practices, this article aims to test the relevance of the concept of resistance to describe and analyze such practices. This study sheds light on different types of non-institutionalized political practices that contest, bypass or elude unfavorable power relations. Examples of individual and collective practices include the reversal of power relations, negotiation, bypassing, encroachment, building of autonomous spaces and emancipatory practices. Yet, can these different practices be considered as forms of resistance? In order to suggest the affirmative, it becomes necessary to distinguish between resistance for itself and resistance in itself. This conceptual distinction permits the placement of forms of resistance within a wider dynamic of global power relations, wherein such resistances are only constitutive of one pole of the spectrum.
- Les pratiques de « résistance » dans les malls de Rabat-Salé: accessibilité et usage social d'un espace sélectif - Tarik Harroud p. 57-79 La contribution porte sur les pratiques d'accessibilité et les modalités d'utilisation sociale des centres commerciaux géants qui se présentent, au regard de leur nombre et leur offre, comme des manifestations emblématiques de l'introduction du Maroc dans la mondialisation néolibérale et de l'ouverture de la population locale aux nouvelles formes de la société de consommation. Elle se focalise particulièrement sur le rapport qu'entretiennent des populations à faible pouvoir d'achat issues principalement des quartiers modestes de l'agglomération Rabat-Salé, avec ces lieux marchands et très sélectifs. Sur la base d'observations régulières des pratiques sociales et spatiales qui se déploient dans ces malls, la contribution met en lumière les différentes formes de résistance qu'adoptent ces catégories sociales pour surmonter les barrières physiques et symboliques imposées par leurs gestionnaires. Elle montre comment ces groupes « résistent » et parviennent, à travers un ensemble « d'arts de faire », à transformer un espace de contrainte, sélectif et centré sur des logiques marchandes, en un véritable lieu « ressource » répondant à leurs besoins de socialisation et d'être ensemble.This article examines practices of accessibility and modalities of social use in relation to shopping malls in Rabat-Salé, notably at its urban margins, which are emblematic of Morocco's introduction to neoliberal globalization and of the exposure of local populations to new forms of consumption. It focuses specifically on the relationship between groups with a weak purchasing power, such as modest income families or young people, and these very selective commercial spaces. Based on regular observations of social and spatial practices performed in these malls, this article sheds light on different forms of resistance adopted by the aforementioned social categories in an effort to overcome physical and symbolic barriers imposed by mall managers. It shows how these groups “resist” through “arts of doing” and manage to transform a space of constraint, both selective and centered on market logics, into a “resourceful” space which corresponds to their socialization needs.
- Demander réparation(s). À Budapest, les mobilisations collectives à l'épreuve de leur visibilité - Ludovic Lepeltier-Kutasi, Gergely Olt p. 81-98 Mêlant des dispositifs de renouvellement urbain et des mesures inspirées du management social des quartiers, le « programme Magdolna » a été promu comme l'expérimentation à Budapest de politiques de lutte contre la ghettoïsation, soucieuses du maintien sur place des populations les plus défavorisées. Trois ans après la réhabilitation de leur immeuble, un groupe de locataires municipaux est confronté à des « mauvaises surprises » depuis leur retour chez eux. Voulant « demander réparation », ils épuisent les voies discrètes de l'interpellation institutionnelle et se voient contraints de mettre en visibilité leur mobilisation pour se faire entendre. Se situant dans une région ambiguë de l'espace social, tour à tour dominants et dominés, ces riverains subissent autant qu'ils font subir le stigmate de leur statut résidentiel. L'épreuve de l'expérience publique du mépris, déplace ainsi les enjeux de la mobilisation, du règlement d'un litige ordinaire à celui de la reconnaissance d'une légitimité à agir.The “Magdolna Program” in Budapest's eighth district was promoted as an experimental set of policies against ghettoization. By blending more mainstream urban renewal schemes with measures based on principles of social urban management, the program set out to ameliorate the poor housing conditions of the most disadvantaged residents in the area. Once the renovations were completed, a group of municipal tenants were confronted with a number of “unpleasant surprises” upon returning home. After seeking redress through the established institutional channels, a few of these residents began to mobilize to make their voices heard. This paper argues that these residents occupy an ambiguous social space, simultaneously dominating and dominated. As such, these residents suffer the consequences of stigmas associated with their residential status, while at the same time reproducing them. Their contempt with public institutions changes the stakes of their mobilization from an ordinary dispute over grievances into a struggle for recognition of their legitimacy to act.
- De l'indignité à l'indignation : petites luttes, résistances quotidiennes et tentatives de mobilisation des récupérateurs de déchets à Istanbul - Bénédicte Florin p. 99-119 Cet article se fonde sur des entretiens menés avec des récupérateurs qui parcourent la ville pour collecter dans les poubelles d'Istanbul des matériaux recyclables. En raison de leur proximité aux déchets, ces récupérateurs sont assignés aux marges de la ville et aux marges de la société. Leurs espaces de vie et de travail sont caractérisés par une forte dégradation et menacés par de grands projets de rénovation urbaine ; leurs activités de collecte ne sont pas reconnues et encore moins intégrées aux réformes du système de gestion des déchets qui excluent, de fait, ces récupérateurs « pauvres », « sales » et « archaïques ». L'analyse des petites et discrètes pratiques de résistance mises en œuvre par les récupérateurs alors que le ramassage des déchets leur est interdit ainsi que leurs mobilisations pour s'organiser en tant « travailleurs des déchets » montrent que, loin d'être passifs, ils résistent à l'exclusion et élaborent un discours de justification de leur rôle dans la société.This paper is based on interviews held with Istanbul waste collectors who cross the city to collect recyclable waste. Bound in some sense to garbage, these waste collectors are cast to the edges of the city and to the margins of society. Their working and living spaces are both degraded and threatened by encroaching urban renovation projects and real-estate developments; associated waste-management reforms do not recognize the work of waste collectors as legitimate and therefore exclude these “poor”, “dirty, and “archaic” waste collectors. Through an analysis of small and discrete practices of resistance of waste collectors, namely by continuing to collect waste despite its illegal status as well as through mobilization efforts to become organized as “waste workers”, this article argues that far from being passive, these waste collectors resist against exclusion and elaborate a justificatory discourse to defend their role in society.
- Sur les bords de la protestation sociale. Illustrations sud-africaines - Jérôme Tournadre p. 121-138 Cet article fait écho aux appels désormais récurrents en faveur d'un « élargissement » de la conceptualisation des mouvements sociaux. S'écartant des définitions consacrées, l'auteur y fait l'hypothèse que l'on peut comprendre certains éléments de l'activité contestataire en étudiant ses acteurs dans le cadre de relations sociales ordinaires et quotidiennes, loin de tout rapport au pouvoir politique. Il s'appuie pour cela sur une enquête conduite depuis 2009 dans différentes zones urbaines sud-africaines, au contact d'activistes sociaux actifs dans des organisations encadrant le mécontentement social. Il s'agit, plus précisément, d'aborder ces collectifs au travers des liens qu'ils cultivent avec leur environnement social le plus immédiat, celui que composent les quartiers populaires.This article echoes the now recurring calls to broaden the conceptualization of social movements. Moving away from classic definitions, the author suggests that certain elements of protest activity can be better understood through an examination of its actors in their most ordinary and daily social relations as opposed to the exceptional moments when they face political power. This study is based on a series of inquiries conducted since 2009 in various South African urban areas with active militants affiliated with organizations shaping the agenda on social discontent. More specifically, this article draws attention to how these collectives develop ties with their most immediate social environment, that is in impoverished, working-class neighborhoods.
- Le quartier comme espace de résistance et de politisation : La Vallée de Dikmen à Ankara face à un projet de transformation urbaine - Gülçin Erdi Lelandais p. 139-167 Depuis le début des années 2000, on observe une véritable transformation des villes métropoles turques en termes d'urbanisation. Les gecekondus disparaissent, de grandes communautés de logement émergent, les frontières urbaines s'élargissent à l'infini. Dans ce contexte, des quartiers entiers disparaissent avec leur population d'origine pour laquelle le centre-ville devient banni et les logements trop chers. Cette injustice socio-spatiale n'engendre pas toujours une contestation visible au sein de la société et l'opinion publique ne semble pas se préoccuper toujours du coût humain de ces politiques d'urbanisation réalisées sous un régime néolibéral et un fonctionnement autoritaire. Cependant, il arrive parfois qu'une résistance émerge et persiste même si elle ne paraît pas au départ visible. L'ambition de cet article est d'étudier, sous l'angle de la politisation et de ses dimensions spatiales, un de ces multiples exemples de résistance qui émergent un peu partout en Turquie. Que peut-on dire de la genèse de cette politisation ? Par quels outils et mécanismes les habitants se mobilisent et se politisent-ils ? Il présentera, enfin, les acteurs de la politisation et les différentes stratégies de résistance à la fois individuelles et collectives qu'ils mettent en œuvre.Since the early 2000s, Turkish metropolitan cities are witnessing a deep transformation in terms of urbanization. Gecekondus disappear, large housing communities emerge and new urban frontiers expand infinitely. In this context, whole neighborhoods disappear, along with their former populations for whom the city center becomes inaccessible and housing overpriced. This type of socio-spatial injustice does not always produce visible discontent in society and public opinion does not always seem concerned about the human cost of such urbanization policies carried out under a neoliberal regime and authoritarian functioning. However, sometimes resistance emerges and persists even if it does not appear to be visible from the onset. In considering politicization and its spatial dimensions, this article examines one of the many examples of resistance that is emerging throughout Turkey. What can one say about the genesis of this politicization? Through which tools and mechanisms are residents becoming mobilized and politicized? Alongside such discussions, this article will present politicization actors and different strategies of resistance, both individual and collective, implemented by residents.
Chronique bibliographique
- Empowerment et « rebellité » - Nora Semmoud p. 171-180
Hors thème
- Faire la « guerre contre la drogue ». Relations asymétriques et adoption d'un régime répressif - Jacobo Grajales p. 181-198 L'importation du régime global de prohibition des drogues dans des pays dépendants apparaît à première vue comme le signe éclatant de l'hégémonie de certains États dans la conduite des affaires du monde. Or, si l'asymétrie de ces relations est réelle, l'importation d'un agenda répressif, des normes qui lui sont attachées et des instruments politiques de leur mise en œuvre ne résultent pas moins des jeux politiques et bureaucratiques internes. Par une étude de l'engagement de l'État colombien dans la lutte contre la drogue entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, cette contribution se propose de réfléchir à la manière dont la politique interne et les relations internationales s'entremêlent. La méthode consiste alors à analyser les rapports qu'entretiennent avec l'international les processus d'émergence, de politisation et de transformation d'un problème public.At first glance, the adoption of a repressive agenda against drug trafficking by dependent countries appears as a clear sign of the influence of hegemonic states over world affairs. However, even if this asymmetry is real, the importation of repressive norms and law enforcement instruments is intrinsically linked to internal political and bureaucratic dynamics. Based on a case study of the progressive involvement of the Colombian state in the war against drugs from the late 1970s to the early 1990s, this paper proposes a reflection on the ways in which internal politics and international relations can be intertwined. The method of analysis essentially rests on retracing links between the international and the emergence, politicization, and transformation of drugs into a public problem—that is an assessment of the relationship between endogenous games, on the one hand, and international processes and resources on the other.
- Faire la « guerre contre la drogue ». Relations asymétriques et adoption d'un régime répressif - Jacobo Grajales p. 181-198