Contenu du sommaire : Søren Kierkegaard, la tâche et l'art d'écrire
Revue | Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques — RSPT |
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Numéro | Tome 93, no 3, 2009 |
Titre du numéro | Søren Kierkegaard, la tâche et l'art d'écrire |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Søren Kierkegaard, la tâche et l'art d'écrire
- Kierkegaard, la tâche et l'art d'écrire : Préambule - Jacques Message p. 433-435
- Kierkegaard écrivain - Flemming Fleinert-Jensen p. 437-440
- Kierkegaard : Être, écrire, devenir - Vincent Delecroix p. 441-462 L'écriture kierkegaardienne dit le devenir, le « devenir chrétien » comme devenir soi de la subjectivité existante. Mais l'écriture est aussi chez Kierkegaard un acte ou une activité existentielle (ou éthiquement qualifiée) qui participe elle-même de ce devenir. On analyse ici cette opération de l'écriture, sa force formatrice, qui est tout autre chose que la logique de la création littéraire et qui ne se résorbe pas non plus dans la nécessité d'une écriture « thérapeutique ». Il s'agit de voir d'abord en quoi la disposition à écrire est ancrée dans les structures de la subjectivité existante, comment elle se trouve au lieu de l'émergence de la subjectivité. On analyse ensuite l'opération propre de l'écriture, qui doit être comprise comme l'acte même de la reprise. On achève enfin cette rapide exploration par ce que l'on peut appeler le « risque de l'écriture », celui d'un blocage du devenir, autrement dit la substitution de la logique de l'œuvre à la logique du devenir soi.Kierkegaard's writing recounts emergence, the ‘emergence of the Christian', as the process of an existing subjectivity coming to be itself. But in Kierkegaard, writing is also an existential (or ethically qualified) act or activity, which plays its own part in this process of emergence. The present article examines this formative power of writing, a function which has nothing whatever to do with the logic of literary creation, and which is not simply reducible to the need for a ‘therapeutic' form of writing. First of all, we see how the readiness to write is anchored within the structures of existing subjectivity, and is to be found at the point of the emergence of that subjectivity. There follows an analysis of the writing process itself, which is to be understood as the very act of a reprise. This brief exploration concludes with what might be called the ‘risk of writing', that of foreclosing the process of emergence, i.e. of substituting the logic of the literary work for the logic of coming to be oneself.
- Ironie, littérature, philosophie : Kierkegaard à l'aune de la théorie littéraire - Christine Baron p. 463-478 Cette contribution porte sur l'usage de la forme littéraire comme communication indirecte chez Kierkegaard, mais aussi sur l'ironie comme notion centrale des théories de la littérature confrontées à son œuvre. Il existe une fonctionnalité de l'ironie kierkegaardienne, la pseudonymie constituant le champ commun de l'individualité et de la conceptualité qui permet de « penser le singulier ». Mais, contrairement aux Romantiques, pour Kierkegaard, si la subjectivité est « vérité », elle est erreur au regard d'une théanthropie. Cette perspective suppose l'ironie radicale d'un sujet qui cesse de placer dans la création artistique l'espoir d'une omnipotence du moi, mais se reconnaît hétéronome, et renonce à un projet d'auto-fondation par l'art. Kierkegaard est enfin confronté à l'héritage déconstructiviste. Salué comme le « penseur de la modernité », Richard Rorty reprend à la lettre l'aphorisme nietzschéen sur le « monde fable » faisant des figures littéraires autant de redescriptions égales de la réalité. Ce nihilisme radical suppose une esthétisation de la pensée et une version relativiste de l'ironie qui ne pouvait, dans sa forme historique, que « manquer » la spécificité de l'ironie kierkegaardienne.This article concentrates on the use of literary form as indirect communication in Kierkegaard, as well as on irony as a central notion in theories of literature which apply to his work. There is a functional aspect to Kierkegaardian irony, whereby the use of pseudonyms constitutes the common ground between individuality and conceptuality, which allows him to ‘conceive the singular'. But unlike the Romantics, if subjectivity is ‘truth' for Kierkegaard, from the point of view of a theanthropy it is erroneous. His perspective presupposes the radical irony of a subject that no longer expects to become an omnipotent self through artistic creation, but recognises itself as heteronomous and refuses the attempt to ground itself by art. Finally, Kierkegaard is compared with the deconstructionist tradition. Hailed as the ‘thinker of modernity', Richard Rorty takes literally Nietzsche's aphorism concerning the ‘world as fable', making literary forms all to be equivalent redescriptions of reality. Such a radical nihilism presupposes the aestheticising of thought, not to mention a relativist version of irony that, in its historical form, could only ‘miss' the specificity of Kierkegaardian irony.
- D'une écriture à l'autre : Pensée et édification dans l'œuvre de Søren Kierkegaard - Darío González p. 479-493 La distinction entre les écrits esthétiques et religieux de Søren Kierkegaard nous invite à interroger le rapport entre ses pseudonymes et ses Discours édifiants en tant que formes complémentaires d'une parole « non-autorisée ». Dans le premier cas, entre la position fictive d'un « éditeur » et celle du « lecteur » de ses propres ouvrages, la perte de la certitude du cogito dans l'expérience de l'écriture se présente comme condition d'une identité redoublée. Dans le deuxième cas, l'apparence de simplicité de la figure de l'auteur dépend de la réinscription d'une parole qui n'est pas la sienne – notamment la parole biblique – et de l'appel à un destinataire singulier capable de la « vocaliser » dans la lecture.The distinction between the aesthetic and religious writings of Søren Kierkegaard encourages investigation into the relation between his pseudonyms and his edifying Discourses as complementary forms of an ‘unauthorised' word. In the former, the loss of certainty on the part of the cogito in the experience of writing presents itself as the condition of an intensified identity, between the fictive position of an ‘editor' and that of a ‘reader' of his own works. In the latter, the apparent straightforwardness of the authorial figure is dependent upon the reinscription of a word that is not his own – above all the biblical word – and upon the appeal to a single reader capable of ‘vocalising' this word in the act of reading.
- Dire l'indicible - Gérald Cahen p. 495-508 Résumé« C'est là le paradoxe suprême de la pensée que de vouloir découvrir quelque chose qu'elle même ne peut penser » (Kierkegaard, Les Miettes philosophiques). En s'appuyant sur cette affirmation de Kierkegaard, on tente de montrer comment tout écrivain, s'efforce toujours de s'approcher au plus près d'un « quelque chose » qu'il ne parvient jamais entièrement à dire, qu'il ne fait qu'effleurer, évoquer, sans doute parce que ce « quelque chose » n'est pas, n'est plus de l'ordre des mots, mais de l'ordre de l'existence. Et pourtant il faut bien trouver des mots pour le dire – des mots pour dire ce qui ne peut se dire – que ce soit par l'ironie, la métaphore poétique ou de toute autre façon.‘It is the supreme paradox of thought that it seeks to discover something which it is itself incapable of thinking' (Kierkegaard, Philosophical Fragments). Drawing on this statement by Kierkegaard, we seek to demonstrate how every writer always seeks to approximate as nearly as possible to ‘something' he can never entirely express, and which he only ever manages to skirt around, to evoke; and that, no doubt, because this ‘something' does not inhabit, or no longer inhabits, the realm of words but of existence. And yet, the attempt still needs to be made to find words to express it – words to speak the unspeakable – whether through irony, poetic metaphor or in an altogether different way.
- Esthétique seconde : Réflexions d'un théologien - Jean-Pierre Jossua p. 509-514 Apport de Kierkegaard à un théologien. Interrogation sur l'absence dans son œuvre d'une esthétique seconde dans la foi, parallèle à l'éthique seconde. Deux textes des Papirer semblant aller dans ce sens et prolongements théologiques possibles. Hypothèses sur l'abstention de Kierkegaard : critique du piétisme et du travestissement esthétique de la foi ? Iconoclasme réformé ? Une certaine compréhension du romantisme allemand, que l'on peut critiquer pour repartir dans la réflexion.Kierkegaard's influence on a theologian. An investigation into the absence in his work of a second aesthetics in faith, parallel to a second ethics. Two texts from the Papirer which appear to point in that direction, and some possible theological expansions. Hypotheses for Kierkegaard's omission: criticism of Pietism and of the aesthetic travesty of faith? A reformed iconoclasm? A particular understanding of German Romanticism which can be criticised en route to a return to reflexion.
- La mesure d'une difficile sincérité : Rachel Bespaloff lectrice et juge de Kierkegaard - Jacques Message p. 515-531 Rachel Bespaloff (1895-1949) voit chez Kierkegaard, dont elle fut en France une des premières grandes lectrices, une pensée où s'inscrivent des tensions autour de « la source invisible de l'amour ». Mais l'amour est requête à la liberté. Une critique de la culpabilité issue d'une foi idolâtre, et une réflexion sur la répétition (bouleversement introduit par l'éternité dans le temps) ouvrent l'auteur de Cheminements et Carrefours (1938) à découvrir la fonction la plus haute de l'art littéraire, quand il s'approche du pouvoir de toucher le réel en abolissant sa « loi d'indifférence ».Rachel Bespaloff (1895-1949) one of the first great readers of Kierkegaard in France, sees his thought as being inscribed with tensions surrounding the ‘invisible source of love'. But love makes a demand upon freedom. Criticism of the guilt arising from an idolatrous faith, together with a reflection on repetition (the disruption caused by eternity in time), allow the author of Cheminements et Carrefours (1938) to discover the highest function of literary art, which is almost to succeed in touching the real when it sets aside its ‘principle of indifference'.
- Kierkegaard et Pessoa : Pseudonymie et hétéronymie - Alain Bellaiche-Zacharie p. 533-550 Søren Kierkegaard et Fernando Pessoa utilisèrent deux procédés littéraires similaires, la pseudonymie et l'hétéronymie auxquels ils donnèrent un contenu différent. Le premier tente par ce biais de se rapprocher de l'Individu sans avoir à endosser l'esthétique ni le religieux qu'il ne saurait atteindre pleinement ; le second, sous la figure de Caeiro, esquisse les traits d'un nouvel individu qu'illustrent à leur façon des êtres de fiction, les hétéronymes. Mais pour les deux auteurs, le souci d'exister est au cœur de leur démarche.Søren Kierkegaard and Fernando Pessoa used two similar literary procedures, pseudonyms and heteronyms, to which each attached a different content. Kierkegaard tries in this way to approach the Individual, without having to assume the aesthetic or religious, which he does not fully know how to attain; in the person of Caeiro, Pessoa sketches the characteristics of a new individual, which fictional beings, heteronyms, illustrate in their own way. But it is the concern to exist that is at the heart of the techniques adopted by both authors.
- La femme, l'écriture et l'existence - Rodolphe Adam p. 551-559 In vino veritas, sublime discours de Victor Eremita, convive du banquet kierkegaardien. Une théorie s'y expose selon laquelle ce sont par « des relations négatives que la femme rend l'homme productif dans l'idéalité ». On s'attache ici à déplier les raisons de cet énoncé pour montrer comment « le plus aigu des questionneurs de l'âme avant Freud » (Jacques Lacan) y noue trois termes : une femme, l'écriture, l'existence. Quelle est la logique de ce nouage ? Comment exister ? Pourquoi écrire ? Les réponses de Kierkegaard, en acte et comme penseur, sont autant de vérités incontournables pour le psychanalyste.In vino veritas, the sublime speech of Victor Eremita, a guest at the Kierkegaardian banquet. A theory is proposed whereby it is through ‘negative relations that women make men productive in ideality'. Here, we attempt to unpick the reasons behind this statement, showing how ‘the most penetrating investigator of the soul before Freud' (Jacques Lacan) ties together three terms: a woman, writing, existence. What is the logic behind these ties? How is one to exist? Why write? Kierkegaard's responses to these questions, in action as well as in thought, are all inescapable truths for the psychoanalyst.
- Une âme pliant sous le poids de ses tâches - Jacques Colette p. 561-570 L'œuvre publiée et les écrits posthumes de Kierkegaard et de Nietzsche témoignent à quel point les deux penseurs s'acharnèrent à écrire et à publier pour leur temps (et non moins pour la postérité), dans le souci de venir en aide à une époque qu'ils estimaient malade et déclinante. Écrivain autant que philosophe, Kierkegaard fut à la tâche jusqu'au dernier moment, faisant don de son œuvre en faisant don de son temps mesuré par l'approche de l'issue fatale. Si la consistance de l'œuvre (en danois : la productivité dialectique) échappe à son auteur, qu'après coup il se dise avoir été guidé par la Providence, le travail est bien le fait de l'écrivain qui a l'art de donner ce qu'il a reçu.The published work and posthumous writings of Kierkegaard and Nietzsche indicate just how much these two thinkers struggled to write and publish for their time (and equally for posterity), as they sought to come to the aid of an age they took to be sick and in decline. A writer as much as a philosopher, Kierkegaard stuck to the task right to the end, offering his work by offering his time, measured by the approach of its fatal end. Even though the substantial consistency of the work (in Danish: the dialectical productivity) escapes the author's grasp, and though he subsequently claims to have been guided by Providence, his efforts remain the work of a writer capable of giving what he has received.
- La tâche de ne pas écrire. L'écriture comme non-art - Ettore Rocca p. 571-581 Le colloque pose le problème de l'écriture à la fois comme tâche et comme art, c'est-à-dire comme un acte en même temps éthique et esthétique. L'article tente de renverser ces points de vue, en montrant d'abord que, pour Kierkegaard, le fait de ne pas écrire ou bien d'interrompre l'écriture peut se présenter comme une tâche éthico-religieuse, si l'écriture relève de la mélancolie et en même temps la nourrit. En second lieu, une écriture éthico-religieuse doit être désintéressée, ce qui, pour Kierkegaard, veut dire qu'elle ne doit pas essayer d'être une œuvre d'art, puisque, pour lui, chaque acte esthétique est intéressé. Enfin, l'article montre l'impossibilité d'assurer à l'écriture un caractère éthico-religieux et d'effacer chaque intérêt esthétique. Cependant une écriture éthico-religieuse est possible.The present conference has posed the problem of writing both as task and as art, i.e. as an act that is simultaneously both ethical and aesthetic. This article seeks to invert these perspectives, showing first of all that, for Kierkegaard, the fact of not writing, or of interrupting writing, can be seen as an ethical-religious task, if writing is born out of melancholy while at the same time nourishing it. Secondly, an ethical-religious piece of writing must be disinterested, which for Kierkegaard means that it may not attempt to be a work of art, since he takes any aesthetic act to be an interested act. Finally, the article demonstrates the impossibility of guaranteeing the ethical-religious character of a piece of writing, and of eschewing all aesthetic interest. And yet, ethical-religious writing remains a possibility.
Note
- Sur le seuil de la foi : André Suarès d'après sa correspondance et son œuvre ultime - Jean-Pierre Jossua p. 583-600 La correspondance d'André Suarès atteste une attirance à l'égard de Jésus et du christianisme, au sein d'une attitude religieuse convaincue qui ne semble pas être devenue une foi. Après quelques indications biographiques, on analyse plusieurs correspondances en étant attentif à l'ambiguïté des mots. Ch. Péguy, A. Gide, R. Rolland, P. Claudel, F. Jammes, A. Bourdelle, J. Doucet, J. Paulhan, G. Rouault. Les convertisseurs le rebutent, l'humble Rouault le touche, qu'il encourage dans son art et sa foi. L'écrit ultime, Le Paraclet, confirme ces analyses.The correspondence of André Suarès is testimony to his attraction towards Jesus and Christianity, which took the form of a religious conviction that does not seem to have become a faith. After some biographical remarks, several series of correspondence are analysed, paying attention to the ambiguity of words. C. Péguy, A. Gide, R. Rolland, P. Claudel, F. Jammes, A. Bourdelle, J. Doucet, J. Paulhan, G. Rouault. Suarès is put off by those who would convert him, but touched by the humble Rouault whom he encourages in his art and his faith. His final piece of writing, The Paraclete, confirms this analysis.
- Sur le seuil de la foi : André Suarès d'après sa correspondance et son œuvre ultime - Jean-Pierre Jossua p. 583-600
Bulletin
- Bulletin d'histoire de l'image dans le monde chrétien - Kristina Mitalaité p. 601-657
- Recension des revues - p. 659-685
- Notices bibliographiques - p. 687-696