Contenu du sommaire : Partis et partisans dans le monde arabe post-2011
Revue | Confluences Méditerranée |
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Numéro | no 98, automne 2016 |
Titre du numéro | Partis et partisans dans le monde arabe post-2011 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Partis et recompositions politiques : quelques enseignements du « Printemps arabe » - Robin Beaumont, Xavier Guignard p. 9-19
- De la difficulté à « faire parti » dans la Tunisie post-Ben Ali - Vincent Geisser, Déborah Perez p. 21-44 Aux lendemains de la fuite de Ben Ali, la renaissance du pluripartisme en Tunisie s'inscrit dans une double logique. D'une part, elle consacre le retour sur le devant de la scène politique tunisienne de forces politiques anciennes, issues pour la plupart de la « résistance » au régime autoritaire (islamistes, gauchistes, forces libérales et socio-démocrates) qui profitent du nouveau contexte de libéralisation pour s'organiser matériellement, remobiliser leurs militants et partir à la conquête de leurs électorats. D'autre part, elle se traduit par l'émergence de nouveaux modes d'expression politique qui, tantôt empruntent la forme partisane ordinaire, tantôt cherchent à s'en éloigner pour mieux signifier leur désir de rupture avec l'ancien régime, le stigmate partisan étant lié notamment au traumatisme du parti unique. Dans cet article, il ne s'agit pas de nier la centralité du rôle des partis dans la période post-dictature mais de déplacer le regard au-delà de l'espace partisan, afin de dévoiler les enjeux latents qui sont cristallisés par les conflits politiques et les rapports de force.
- Yémen : des partis politiques toujours pertinents ? - Laurent Bonnefoy p. 45-59 Depuis l'unification de 1990, le Yémen a été marqué par un champ partidaire dynamique et divers, donnant naissance à une formule politique originale. La phase de transition qui a suivi le soulèvement révolutionnaire de 2011 et la chute du Président Saleh a eu un effet ambivalent sur la place et le rôle des partis politiques. Elle a été marquée par une surprenante stabilité du paysage puis par une relégation apparente des formations politiques institutionnalisées, en particulier du parti al-Islah, branche yéménite des Frères musulmans. Ce processus s'est indéniablement produit au bénéfice d'acteurs armés : la rébellion houthiste, le mouvement sudiste et les jihadistes. La guerre qui a débuté en mars 2015, marquée notamment par l'implication saoudienne, semble avoir approfondi une telle dynamique de marginalisation des partis. Pourtant ce processus n'est encore une fois pas univoque. À la lumière du cas yéménite, l'objet de cet article est d'interroger le devenir et la résilience des partis dans un contexte marqué par la faillite des transitions institutionnelles, la violence et le maintien des structures autoritaires.
- Émergence de nouveaux groupes contestataires urbains et dynamiques de la semi-clandestinité au Soudan - Clément Deshayes p. 61-73 Au tournant des années 2010, le Soudan a vu l'émergence de nouveaux mouvements de contestation en rupture avec des partis politiques perçus par une part importante de la jeunesse urbaine comme inefficients et obsolètes. Ces mouvements vont progressivement se structurer et mettre en place un répertoire d'actions innovant, notamment par la réappropriation d'un espace urbain largement dépolitisé. Subissant une forte répression du pouvoir, ces groupes vont développer des savoir-faire et des pratiques de semi-clandestinité pour continuer de contester l'ordre établi. L'émergence de ces mouvements provoque des perturbations dans l'espace politique et pousse ces nouvelles organisations protestataires, les partis ainsi que les organes de coercition à s'adapter.
- L'espace politique kurde dans le conflit syrien : intégration régionale et polarisation partisane - Yohanan Benhaim, Arthur Quesnay p. 75-87 Historiquement déterminé par des dynamiques régionales et structuré par des logiques étatiques, l'espace politique kurde est profondément affecté par les conflits que connaissent aujourd'hui la Syrie et l'Irak. Tandis que la guerre remet en cause la souveraineté des États, elle bénéficie largement à deux partis kurdes, le PDK et le PKK, qui tentent d'imposer leur propre modèle partisan. Cette contribution analyse deux stratégies partisanes d'intégration régionale, qui, appuyées sur des cultures institutionnelles et des pratiques politiques opposées, accroissent la polarisation au sein de l'espace politique kurde.
- Hamas and the Springs of Others - Thomas W. Hill p. 89-101 The encounter between Gaza, Hamas and the Arab Spring was unique. In particular, the unimaginable events of 2011-12 in neighbouring Egypt briefly unblocked a radical geopolitical dead-end for both Gaza and Hamas since the 2008-09 Israeli war on the Strip. The week-long war of November 2012 came to crown what seemed an unstoppable, regional ascendancy for Hamas, in its various overlapping guises as national liberation and resistance movement ; de facto part of the regional Muslim Brotherhood family on the rise ; sweeping winner of the last (and its only) elections ; and incumbent government without power outside of Gaza under siege. The 2013 coup in Egypt, followed by the unprecedently bloody 2014 war, put a brutal end to hopes that the regional Spring might prove Gaza's salvation. This article examines the lasting meaning of this « 2012 moment » in Palestinian collective memory ; the relationship it reinvented between Gaza and Hamas ; and how, despite its brevity, that moment may have paradoxically reinforced the ability of both Gaza and Hamas to endure the Israeli-Egyptian siege, now a decade old.
- « La cause c'est nous » : militants du Hezbollah au Liban face à la guerre en Syrie - Erminia Chiara Calabrese p. 103-114 Cet article analyse la façon dont les militants du Hezbollah libanais ont adopté et vécu la décision du parti de s'engager militairement en Syrie, aux côtés des troupes de Bachar al-Assad. S'appuyant sur des entretiens biographiques avec des militants et des combattants dans la banlieue sud de Beyrouth, des observations ethnographiques et des sources secondaires, il éclaire les pratiques militantes au sein du Hezbollah depuis 2011. En dépit de la diversité d'attitudes de la part des militants vis-à-vis de cette intervention, l'article montre combien les ressorts de la loyauté au Hezbollah ne se limitent pas à la question de la résistance contre Israël, qui n'est qu'une déclinaison d'une cause plus générale.
- Syrie : Une vie politique à inventer sous les bombes - Salam Kawakibi p. 115-123 Salam Kawakibi revient sur l'alternance de séquences brèves de pluralisme politique et de diverses formes de domination autoritaire qui ont marqué la constitution de la vie politique syrienne, avant de décrire la paralysie politique sous l'effet du régime « sécuritocratique » d'Hafez al-Assad. De là, il dresse le constat amer des obstacles qui se sont dressés devant la génération révolutionnaire pour faire émerger sa direction politique et les conséquences de la militarisation du conflit sur le type de forces politiques et sur la société civile naissante.
- Irak : « la malédiction du trop-plein partisan » - Loulouwa Al Rachid p. 125-134 Loulouwa Al Rachid rend compte de la construction historique du fait partisan irakien et du moment de l'intervention étrangère de 2003 qui opère le passage d'un État-parti à un oligopole partisan, d'un parti-idéologie à des partis-confessions. Elle dresse le constat d'une société politique extrêmement diverse, mais dont la diversité, contrainte par un champ partisan à la fois violent, verrouillé et hyperconcurrentiel, ne trouve à s'exprimer que sur des modes armés et confessionnalisés à outrance.
- « Qui fait parti trahit » : la lente émergence d'une Libye politique après la révolution - Seif Eddine Trabelsi p. 135-143 Seif Eddine Trabelsi décrit la difficile constitution d'une opposition politique et militaire sous Kadhafi, depuis les années 1980 jusqu'à son renversement en 2011. Il revient ensuite sur les conditions d'une formation étatique prise entre un élan révolutionnaire et une dynamique de guerre civile.
- De Jérusalem à Damas : les imaginaires nationalistes de la gauche jordanienne - Nicolas Dot-Pouillard p. 145-157 L'histoire de la gauche jordanienne est indissociable de celle de la gauche palestinienne. Depuis le début des années 1990, elle s'est pourtant nationalisée. Active dans les mouvements sociaux et syndicaux, membre de l'opposition démocratique, elle a participé en 2011 aux mouvements de contestation de la monarchie hachémite. Certaines de ses composantes se sont rapprochées du gouvernement, tandis que d'autres adoptent une rhétorique de plus en plus nationaliste, s'appuyant sur les tribus de l'est du pays. Un calendrier proprement jordanien s'est imposé. Pourtant, la gauche a encore des agendas transnationaux. Elle reste tournée vers Jérusalem et regarde de plus en plus vers Damas. Les spectres nationalistes arabes (ou machrékiens) la taraudent. Entre utopies transnationales et acceptation de l'État-nation, la gauche jordanienne a ses horizons d'attente conflictuels.
- « Un parti, ça participe ! » Retour sur le repositionnement du Front des forces socialistes algérien (2011-2012) - Layla Baamara p. 159-174 À travers le cas du Front des forces socialistes algérien, cet article s'interroge sur les processus de recomposition qui peuvent affecter un parti d'opposition en situation de contrainte. Fin 2011, la question de la participation aux élections législatives – boycottées depuis deux scrutins – est réinscrite à l'ordre du jour après un renouvellement de l'équipe dirigeante. Il ne s'agit pas de considérer que, jusque 2011, le FFS n'a pas connu de recomposition, mais d'analyser comment se redéfinit concrètement, entre 2011 et 2012, sa polarisation autour des espaces, des règles et des enjeux de la politique institutionnelle. Plutôt que de chercher à déterminer si le parti participe ou non à la reproduction du pouvoir autoritaire, nous proposons d'éclairer ce qui se joue en interne et de souligner que ce repositionnement est l'enjeu et le produit de luttes qui donnent lieu à des adaptations et des contestations.
- Les libéraux face à la libéralisation du marché politique : le Wafd au défi de la concurrence - Clément Steuer p. 175-186 Représentant de la famille libérale, le Wafd est le plus ancien parti d'Égypte. Au cours des dernières années, alors que le système partisan égyptien a connu deux transformations brutales, passant d'hégémonique (1977- 2010) à bipartite (2011-2013), avant de devenir fragmenté (2015), la position du Wafd au sein de ce système s'est elle aussi modifiée. Principal parti de l'opposition légale face au PND dans les années 2000, il est devenu en 2011 le principal parti de l'opposition séculière face aux Frères musulmans et aux salafistes, mais n'est aujourd'hui que le troisième parti représenté dans un Parlement dominé par les députés indépendants. De fait, le Wafd n'a que très partiellement profité de l'importante croissance dont a bénéficié dans son ensemble le segment libéral du marché politique. Cette sous-performance s'explique par l'apparition de nouveaux concurrents, mais aussi par l'ambiguïté de sa stratégie, qui a brouillé son identité et indisposé une partie de l'électorat libéral.
Variations
- En Arabie Saoudite, une révolution de palais synonyme de remise en cause du modèle agricole ? - Matthieu Brun, Romain Calvary p. 189-200 Dans les années 1970, l'Arabie Saoudite a décidé de verdir son désert. Mais cette politique a un prix. Or depuis deux décennies, avec l'épuisement des ressources hydriques et surtout avec les difficultés économiques induites par la baisse des cours du pétrole et la croissance démographique, le modèle agricole saoudien est à bout de souffle. La révolution de palais qui a suivi l'arrivée au pouvoir du Roi Salman a donné à l'exécutif la possibilité de prendre à bras le corps ce problème. La politique qui sera définie sera-t-elle synonyme d'une nouvelle révolution agricole ?
- Palestine, l'héritage oublié de Michel Rocard - Bernard Ravenel p. 201-207 Michel Rocard s'est éteint en juillet 2016 après une vie politique des plus fécondes. Cet homme aux multiples engagements n'a pas déserté la question de Palestine si importante dans les relations internationales. Bernard Ravenel qui a côtoyé Michel Rocard revient ici sur cet engagement.
- Nice et ses musulmans : une intégration refusée ? - Robert Bistolfi p. 209-223 Endeuillée par l'un des attentats les plus meurtriers liés à Daech, Nice n'a pas été choisie au hasard. La Promenade des Anglais est bien connue, son prestige est associé au soleil et à la légèreté des vacances. L'écho médiatique de l'événement ne pouvait être que mondial. On dit que l'État islamique en recul au Proche-Orient a ainsi voulu rappeler que sa capacité de nuisance demeurait forte. D'autres analyseront cette dimension-là de l'événement, mais pour ce qui est de la France, le choix de Nice n'a pas été anodin pour d'autres raisons. Le paravent trompeur des palmiers masque des inégalités et des frictions bien réelles. Le nombre de musulmans est aujourd'hui significatif, et ils sont visibles – légitimement – dans l'espace public. La droite extrême qui domine ici a préféré manipuler les questions identitaires plutôt que d'affronter les défis et les efforts d'une réelle intégration sociale. La réalité des tensions sociétales a fait croire aux terroristes que la situation était exploitable, que la tuerie susciterait des violences antimusulmanes en retour. Leur choix du 14 juillet a voulu de même manifester symboliquement le refus d'une communauté politique égalitaire. Le but recherché – un déchaînement des affrontements – n'a pas été atteint. Pour le moment ? On doit se féliciter des réactions dignes, de la retenue dont, en général, la ville a su faire preuve. Mais, après l'émotion, le temps du deuil doit déboucher sur celui de la réflexion. Dans la démarche d'accueil des musulmans, la société niçoise avait-elle su affronter à la juste hauteur les défis d'une diversité culturelle inédite ? Sauf brillantes exceptions, le personnel politique a sur ce point été défaillant. Le riche particularisme nissart (catholicisme de tradition, dialecte original…) a été utilisé dans une démarche de repli et d'exclusion concernant l'Islam. Dans l'espace urbain, on a voulu contraindre la présence musulmane, l'effacer au maximum, la maintenir dans l'espace clos et discret de la famille, à la périphérie du cœur actif de la cité. Avec un simple dépouillement de la presse, on peut suivre au fil du temps ce refus des édiles d'admettre véritablement la composante musulmane de « leur » ville, cela en lui imputant l'intégrale responsabilité de son exclusion. N'en déplaise au Premier ministre qui avait affirmé qu'expliquer c'est déjà excuser, un rapprochement est inquiétant : les départs en Syrie à partir des Alpes-Maritimes ont été parmi les plus nombreux de l'Hexagone.
- Notes de lecture - p. 225-230
- En Arabie Saoudite, une révolution de palais synonyme de remise en cause du modèle agricole ? - Matthieu Brun, Romain Calvary p. 189-200