Contenu du sommaire : Liberté d'expression à quelles conditions ?
Revue | Raisons Politiques |
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Numéro | no 63, août 2016 |
Titre du numéro | Liberté d'expression à quelles conditions ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Liberté d'expression. Le temps d'en parler - Denis Ramond p. 5-11
Dossier
- La liberté d'expression : état des questions - Charles Girard p. 13-33 Cet article dresse un état des questions relatives à la liberté d'expression en philosophie politique et en philosophie du droit. Les débats contemporains sont abordés à partir de trois interrogations principales, relatives à la nature, aux limites et aux conditions de cette liberté. Premièrement, la liberté d'expression se réduit-elle à une protection juridique contre la censure étatique ou protège-t-elle également contre d'autres sources possibles de censure ? Deuxièmement, les restrictions de cette liberté motivées par la protection d'autres droits ou intérêts sociaux – par exemple en matière de pornographie ou de discours de haine – sont-elles susceptibles d'une justification cohérente ou sont-elles condamnées à l'arbitraire ? Troisièmement, quelles sont les conditions sociales et politiques de réalisation du droit à la libre expression ? Ces difficultés théoriques éclairent les controverses publiques autour la liberté d'expression, notamment suite à l'attaque de janvier 2015 contre le journal Charlie Hebdo.Freedom of expression: A survey
This article surveys contemporary debates on freedom of expression in political and legal philosophy. Three main questions are considered, bearing respectively on the nature, limits and conditions of this freedom. Firstly, does freedom of expression consists solely in a legal protection against state censorship or does it also encompass protections against other potential sources of censorship? Secondly, are the restrictions of freedom of expression aimed at protecting other rights or social interests bound to be arbitrary or can they be justified? Thirdly, what are the social and political conditions for realizing the right to free expression? These theoretical problems shed light on recent public controversies surrounding freedom of expression, especially after the January 2015 attack against the newspaper Charlie Hebdo. - L'avènement des lois contre les discours et les crimes de haine dans les démocraties libérales - Erik Bleich, Denis Ramond p. 35-49 Depuis les années 1960, de nombreuses démocraties libérales ont instauré des lois pénalisant les discours et les crimes de haine, limitant ainsi l'expression du racisme. Cet article examine cette législation et la mise en oeuvre des dispositions punissant l'incitation à la haine raciale, le négationnisme et les crimes motivés par des préjugés raciaux dans l'Europe de l'ouest et aux États-Unis. Sur le long terme, on observe moins un effet de « pente glissante » qu'une évolution lente et graduelle. La portée des lois ainsi que leur application n'ont pas pris la même forme selon les pays et les discours concernés. Cet article rend compte de cette tendance et souligne des aspects préoccupants. Il conclut qu'il est possible d'adopter et d'appliquer des lois qui limitent ces formes de racisme sans menacer de manière excessive les libertés d'expression et d'opinion.The rise of hate speech and hate crime laws in liberal democracies
Since the 1960s, many liberal democracies have instituted laws that penalise hate speech and hate crimes in ways that limit the freedom for racists to express themselves. This article examines the legislation and enforcement of provisions against incitement to racial hatred, Holocaust denial, and crimes motivated by racial bias in Western Europe and the United States. Viewed over time, the pace of change has more closely resembled a slow creep than a slippery slope, and the extent of legislation and enforcement has differed across countries in different domains. This article documents the trend and highlights causes for concern, yet concludes that it is possible to enact and enforce laws that limit these forms of racism without being overly inimical to freedom of expression and opinion. - La « quenelle » d'Anelka - Thomas Hochmann p. 51-66 Le geste de la quenelle, inventé par Dieudonné, pose des problèmes d'interprétation particuliers. Symbole antisémite pour certains, il n'est qu'une provocation « anti-système » pour d'autres. La réalisation de ce geste par le footballeur Nicolas Anelka a donné l'occasion aux instances disciplinaires du football anglais d'analyser en détail les implications de la quenelle. Mais l'intérêt de la décision rendue dépasse largement les faits de l'espèce. Elle permet de réfléchir sur les difficultés juridiques soulevées par les tactiques d'insinuation qu'utilise la « nouvelle vague » du discours de haine, si l'on veut bien appeler ainsi la mouvance qui s'inscrit dans le sillage de Dieudonné.Anelka's “Quenelle” Gesture
The “Quenelle” gesture invented by French comedian Dieudonné raises specific difficultiesfor its interpretation. Some observers see it as a antisemitic gesture, whereas others understand it as a mere “anti-system” provocation. When French footballer Nicolas Anelka celebrated a goal with a “quenelle”, the disciplinary commission of the English Football Association analysed in depth the controversial gesture. This ruling gives an opportunity to reflect on the legal difficulties raised by the strategical use of innuendo, a tactical speech very popular among the “nouvelle vague” of hate speech that has developed especially in France along Dieudonné. - Nos censures au miroir de l'Index librorum prohibitorum - Jean-Baptiste Amadieu p. 67-83 L'Index romain a exercé une censure constante des publications pendant quatre siècles, à travers toute la « République chrétienne », du 16e au 20e siècle. À la lumière de ce dispositif censorial, de son droit et de ses pratiques jurisprudentielles en matière de littérature, le présent article se propose d'interroger les réglementations contemporaines de l'expression publique. Quelques questions traversent l'histoire de la censure en dépit des différences culturelles : s'assume-t-on comme censeur ? Vise-t-on une intention d'auteur, un énoncé ou bien la réception de cet énoncé par le public ? La censure se limite-t-elle aux interdits juridiques ? Une oeuvre offensante est-elle pour autant dangereuse ? La valeur littéraire d'un texte désamorce-t-elle ou aggrave-t-elle le danger ? De quel type d'influence un livre est-il susceptible ? Peut-on et doit-on accorder des dérogations de censure aux lecteurs les moins influençables ?Our censorship mirrored in the Index librorum prohibitorum
The Roman Index continually banned publications throughout the “Christian Republic” for four centuries, from the 16th to the 20th century. In the light of this system of censorship, its laws and jurisprudential practice in matters of literature, the present article questions current-day regulations regarding public speech. Some questions run through the whole history of censorship in spite of cultural differences: Do lawgivers accept their role as censors? Do they target an author's intention, statements or the publicreception of such statements? Is censorship limited to legal prohibitions? Is an offensive book necessarily dangerous? Does the literary value of a text defuse or exacerbate the danger? What type of influence can a book have on the public? Can and should less impressionable readers be granted exemptions from censorship? - Faut-il réprimer le révisionnisme parce qu'il est faux ? - Ulysse Korolitski p. 85-102 Contre l'opinion répandue selon laquelle c'est la fausseté du révisionnisme qui justifie sa répression, il convient de comprendre que celle-ci est avant tout le fruit d'une décision politique, celle d'inscrire ce discours sous l'empire d'un interdit en raison de son caractère insultant et provocant, non par respect pour la vérité. Celle-ci n'est cependant pas du tout oubliée, puisque c'est la vérité historique de l'Holocauste nazi qui a rendu le révisionnisme potentiellement dangereux en France, ce qui peut être estimé le distinguer de la négation d'autres génocides, comme celle du génocide des Arméniens. Que la vérité d'un discours ait en elle-même de la valeur n'est pas indifférent, mais pour qu'elle devienne décisive, il reste à montrer qu'elle compte plus que la protection contre la possibilité de la violence.Should revisionism be suppressed because it's wrong?
Contrary to the widely held opinion that the fallacy of revisionism justifies its suppression, its suppression ought to be chiefly understood as the upshot of a political decision to blacklist revisionist discourse on account of its insulting and incendiary nature, not out of respect for the truth. Truth is not considered wholly beside the point, however, since it is the historical truth of the Holocaust perpetrated by the Nazis that made revisionism potentially dangerous in France, and this danger might be deemed to distinguish it from the negation of other genocides, such as that of the Armenians. That the truth of a certain discourse has value in and of itself is not irrelevant, but for it to become decisive, it has to be shown to count more than protecting against the possibility of violence. - Liberté d'expression et quête de la vérité Monique Canto-Sperber - Monique Canto-Sperber p. 103-112 La liberté d'expression est au fondement de l'État libéral. Selon ses défenseurs les plus radicaux, elle doit se traduire par le fait que tout individu a le droit d'exprimer ses opinions, aussi irrationnelles, choquantes ou immorales soient-elles, les seules limites envisageables ayant trait aux dommages directs qu'elles peuvent produire sur un individu. La justification la plus fameuse de la liberté d'expression tend à la doter d'une vertu cognitive dans la mesure où l'expression sans contraintes des opinions augmenterait les chances d'accéder à des opinions vraies et de perfectionner les raisons de ses opinions. Toutefois les caractéristiques de la culture contemporaine et du domaine public amènent à contester ce fondement (certaines opinions vraies pouvant devoir être prohibées et la réfutation des opinions fausses n'ôtant rien à leur pouvoir de persuasion) et à réfléchir d'autres modes de neutralisation des effets éventuellement nocifs d'une liberté d'expression radicale.Freedom of speech lies at the heart of the liberal state. It requires that every citizen be entitled to freely express his or her opinions, however irrational, outrageous or immoral these opinions could be. The rationale of such fundamental freedom are many, but they all carry limitations which makes its defense plausible. For example, those who argue that freedom of speech allow an easier access to true beliefs and improving of reasons for beliefs, must acknowledge that it could be used in such a way as to exert a prejudice towards other people. Nevertheless, elements of contemporary culture, linked mainly to the making of opinions and beliefs seem to shed a different light on this value and the ways it could be defined. Can we go along with the traditional concept of freedom of speech which constitutes the liberal state? Or should we revise its defense?
- L'épreuve de la tolérance - Thomas M.Scanlon, Jean-Fabien Spitz p. 113-129 Résumé« L'Épreuve de la tolérance » porte non seulement sur la liberté d'expression, mais aussi sur d'autres formes d'activités qui affectent la nature de la société en influençant les croyances et les actions d'autrui. L'article développe en particulier l'idée d'une « politique informelle », et son objet principal est le coût engendré par certains droits généralement reconnus, mais dont le caractère indéfini pose problème. Accepter la possibilité que la société puisse être modifiée par les activités de certaines personnes et de certains groupes dont on ne partage pas les valeurs comporte en effet certains risques. Je défends l'idée selon laquelle l'acceptation de ces risques est la contrepartie du fait de reconnaître ses concitoyens comme des membres égaux de la société, habilités à jouer un rôle dans l'évolution de cette société.The Difficulty of Tolerance“The Difficulty of Tolerance” deals not only with freedom of expression, but also with other forms of activity that affect the nature of a society by influencing what others believe and how they act. This essay develops the idea of “informal politics”. “The Difficulty of Tolerance” is concerned with the costs of having certain rights generally recognized, and with the problems posed by their open-ended character. Its particular concern is with the risks involved in having one's society be always open to being altered by the activities of individuals and groups whose values one does not share. I argue that one must bear this risk as the price of recognizing one's fellow citizens as equal members of society – and thus equally entitled to play a role in determining how that society evolves.
- Addendum à « L'épreuve de la tolérance » - Thomas M. Scanlon, Denis Ramond p. 131-133
- La liberté d'expression : état des questions - Charles Girard p. 13-33
Lectures critiques
- Durkheim, Weber au miroir de la guerre de 1914-1918. Les avatars du nationalisme : Les avatars du nationalisme - François Bafoil p. 135-150
- Prendre philosophiquement au sérieux le concept de race - Alain Policar p. 151-160
- Eurocentrisme, postcolonialisme et marxisme :nouveaux regards ? - Kolja Lindner p. 161-177