Contenu du sommaire : L'antijudaïsme à l'épreuve de la philosophie et de la théologie
Revue | Le Genre humain |
---|---|
Numéro | n°56-57, novembre 2016 |
Titre du numéro | L'antijudaïsme à l'épreuve de la philosophie et de la théologie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Liminaire - Maurice Olender p. 13
- Note d'édition - Danielle Cohen-Levinas et Antoine Guggenheim p. 15
Première partie : Continuités
- Si l'autre est juif. Réflexions sur une supposition - Silvano Facioni p. 17 Pendant longtemps, on a cru que l'antisémitisme était une question fondamentalement religieuse et, surtout, que son origine devait être recherchée presque exclusivement dans l'histoire des débuts du christianisme, qui a cherché à construire sa propre identité en projetant l'image d'un judaïsme spectral, survivant. Le texte voudrait montrer (avec une approche philosophique plutôt que philologique) comment nous trouvons déjà mentionnées – dans certains moments de la tradition philosophique et littéraire grecque et latine – des réflexions sur le problème de l'autre avant l'avènement du christianisme : mais, si l'autre est juif, nous trouvons aussi en excédent des images qui ont tendance à lui en refuser la présence.
- Tertullien. Continuité et distinction de la disposition divine - Jérôme Alexandre p. 31 Chrétien intransigeant, défenseur farouche des vérités de la foi contre les multiples hérésies de son temps, Tertullien a certes produit un Adversus Judaeos. Cet écrit de petite dimension ne vient cependant pas contredire l'immense entreprise de sa vie : le combat contre Marcion et le marcionisme, l'hérésie de la rupture entre le christianisme et le judaïsme.
- La foi chrétienne et la racine d'Israël. Origène et les juifs - Michel Fédou p. 45 S'il est vrai qu'Origène conteste l'exégèse juive en tant que trop littérale, cette critique même est liée, chez lui, à sa vision du Christ comme accomplissant les Écritures. Origène connaissait de toute manière l'exégèse juive, il était lui-même en relation avec des rabbins, et sa propre exégèse en était marquée. Il sut d'autre part défendre le peuple juif contre les attaques du philosophe païen Celse, et, surtout, prit au sérieux la profonde méditation de Paul sur la destinée d'Israël dans l'Épître aux Romains.
- Exégèse chrétienne de la Bible au Moyen Âge et antijudaïsme ? - Gilber Dahan p. 57 En quoi les interprétations juive et chrétienne de la Bible au Moyen Âge ont-elles suscité une « concurrence exégétique » qui a favorisé l'émergence d'un antijudaïsme ? L'antijudaïsme théologique trouve ici des prolongements dans l'antijudaïsme exégétique.
- "Juifs et païens". Qui sont les incroyants dans le Cur Deus homo de saint Anselme - Bernd Goebel p. 77 Dans son dialogue Cur Deus homo, saint Anselme affronte les « incroyants » qui avancent des objections contre la foi en l'incarnation. De quelle sorte d'incroyants s'agit-il ? Dans le sillage de René Roques et Julia Gauss, on les a souvent identifiés aux critiques juifs et musulmans du christianisme. Or, plus récemment, Gilbert Dahan et Anna Sapir Abulafia ont soutenu que les incroyants en question étaient des anciens chrétiens ayant perdu la foi ; si Anselme avait visé les juifs ou les musulmans, il n'aurait pas appuyé son raisonnement sur la doctrine du péché originel. L'article révise les arguments en faveur de chacune de ces interprétations. Est examinée en particulier la question de savoir si l'idée du péché originel fait partie ou non des prémisses de la preuve anselmienne cherchant à établir la nécessité de l'incarnation. En conclusion, nous revendiquerons l'interprétation de Roques et de Gauss. Le Cur Deus homo est un ouvrage apologétique qui s'inscrit très bien dans le débat du christianisme médiéval avec le judaïsme et l'islam. Mettant en scène un entretien entre deux chrétiens, c'est pourtant un dialogue interreligieux.
- Eckhart et la mystique juive - Marie-Anne Vannier p. 105 Même s'il ne peut le dire explicitement, Maître Eckhart est fortement marqué par la mystique juive, qu'il a dû connaître par l'intermédiaire des communautés juives d'Erfurt et de Strasbourg, ainsi que par la lecture de Maïmonide. Ainsi peut-on noter des convergences mais aussi des divergences dans la conception de la vie en Dieu et de la figure de l'homme juste dans les deux mystiques.
- Antijudaïsme et philosémitisme, de Luther à Calvin - Bernard Cottret p. 121 Au xvie siècle, la rupture de la catholicité latine conduit les contemporains à se pencher à nouveau sur deux lignes de faille dont ils repèrent les traces dans leur propre histoire : la séparation du ier siècle entre juifs et chrétiens, le schisme de 1054 entre Églises d'Orient et Églises d'Occident. Ces blessures ont été tellement vives qu'elles se réveillent périodiquement encore aujourd'hui dans la mémoire du christianisme. La vieille idée qu'il convient de déjudaïser le christianisme refait surface de façon inégale dans les Réformes protestantes. Alors que Luther est gagné avec les années par une judéo-phobie de plus en plus affirmée, à l'inverse chez Calvin ce sont les catholiques qui jouent le rôle de repoussoir naguère tenu par les juifs. La dépréciation de l'Église romaine débouche sur un philosémitisme accentué dans les milieux réformés.
- Le bonne nouvelle de L'Antéchrist - Antoine Guggenheim p. 133 En écrivant L'Antéchrist, Nietzsche ne renonce pas au propos essentiel du Christ : proposer un évangile, une « bonne nouvelle ». Il veut délivrer l'humanité des religions et de leur mépris de la vie par la révélation de leurs contresens et de leurs mensonges. « En vérité, on n'est pas philologue et médecin sans être aussi du même coup “antéchrist”. Philologue, on va en effet regarder derrière les Livres Saints, médecin, derrière la dégradation physiologique du chrétien type » (§ 47).Nietzsche fait aux religions un procès d'alliance, à la manière de la tradition biblique, non au nom de l'Esprit prophétique, mais au nom de l'esprit critique. Il entend nouer une nouvelle alliance avec la science grecque au-delà de la parenthèse chrétienne.La critique de Nietzsche bute sur la figure du Christ, qui lui échappe en partie, en raison même de la trahison des disciples qui ne l'ont pas compris. Son antéchrist est ainsi plutôt un antichristianisme. A-t-on remarqué que s'il mène un combat décidé contre Paul, « ce dysangéliste », Nietzsche semble épargner le disciple bien-aimé, dont les écrits lui fournissent son titre : L'Antéchrist (1 Jn 2,18-22 ; 4,3 et 2 Jn 7) ?L'Évangile du Verbe incarné justifie l'amor mundi et le complète par un discernement de l'idolâtrie. C'est peut-être pour cela que l'antichristianisme de Nietzsche, malgré sa dimension gnostique, ne verse pas dans l'antisémitisme. Le mouvement étudiant de résistance au nazisme de « la Rose blanche » s'en souviendra.
- Vatican II. Pour une nouvelle approche de la théologie chrétienne du judaïsme - Etienne Michelin p. 145 Cet article présente principalement l'histoire de l'ultime rédaction du numéro 4 de Nostra Aetate. Cela donne au texte final un relief qui éclaire les cinquante années écoulées depuis sa promulgation.
- Si l'autre est juif. Réflexions sur une supposition - Silvano Facioni p. 17
Deuxième partie : Discontinuités
- Paul et Israël, du retranchement à la greffe - Rivon Krygier p. 165 Le présent article constitue une tentative de réévaluer l'antijudaïsme de l'apôtre Paul à la lumière des recherches modernes et à partir d'un point de vue rabbinique soucieux de mettre en perspective le discours théologique que christianisme et judaïsme ont pu porter dans la justification de soi et dans le dénigrement de l'autre. Il en ressort un portrait contrasté. S'il est bien un triomphalisme qui, du côté chrétien, tend à produire une théologie de la substitution (les chrétiens se considérant comme le vrai Israël) et qui, du côté juif, attend que les chrétiens s'en repentent (et rendent aux juifs ce statut électif), il se trouve que le motif commun de la greffe d'une religion sur l'autre comme métaphore du dénouement eschatologique, signant la vérité de l'une sur l'autre, révèle a contrario combien chacune des religions est soucieuse d'inclure l'autre dans la réalisation ultime, laissant poindre une nécessaire réconciliation. Il en va notamment ainsi de la fameuse théologie d'inspiration paulinienne, opposant la justification efficiente « par la grâce » (christique) à la justification stérile « par les œuvres » (les commandements) du judaïsme.Cette dernière a été jugée par bon nombre de théologiens chrétiens comme l'expression d'une indécente cupidité, tandis que, du côté juif, bon nombre ont eu tendance à ne voir de salut que dans l'obéissance et l'exécution des commandements desquels ils sont plus que tout autre investis. Une relecture des deux traditions montre une possible et nécessaire conciliation de la foi et de la loi en lieu et place d'une opposition irréductible alimentant la dénégation.
- Antijudaïsme dans le christianisme. Une récurrence inavouée de marcionisme : qu'en penser et qu'en faire ? - Pierre Gisel p. 191 Ce texte s'attache à une tension inscrite dans ce qu'est le christianisme même. Il le fait en lien avec Marcion, une figure officiellement répudiée mais aux retours inavoués. Marcion comprend la proclamation chrétienne comme nouveauté valant pour elle-même, renvoyant à un Dieu autre que celui du judaïsme antérieur et autre que celui de la création et de ce qui la configure. Par-delà, la question : « Comment comprendre la nouveauté, selon quel rapport à l'ancien, quelle légitimité et pour quelle visée ? », se retrouve au cœur de la modernité. De manière radicalisée, Schmitt le donne à voir au plan sociopolitique, Harnack au plan d'une reprise moderne du christianisme, validant alors une fondation directe, un ordre propre, la quête d'une Bible unifiée pour une Église homogène, un Évangile reposant sur lui-même et une théologie qui ne soit que biblique. C'est là l'occasion de reprendre une réflexion de fond sur la manière dont le christianisme comprend son rapport à ce dont il s'autorise (un fondement direct, et du coup divin ?) et son rapport au monde (fait d'une visée idéale, et du coup potentiellement englobante ?).
- L'antijudaïsme dans l'exégèse patristique grecque (hors Origène) - Marie-Hélène Congourdeau p. 209 À partir du moment où la Grande Église, au milieu du iie siècle, a rejeté Marcion qui voulait couper le christianisme de ses racines juives, s'est posée la question d'une lecture chrétienne des Écritures juives. Cette question est inséparable de celle des relations entre le judaïsme et le christianisme, de leurs évolutions respectives et de leurs progressives définitions comme deux religions distinctes et pourtant inséparables, l'Ancien Testament formant comme un cordon infrangible entre les deux. D'où l'importance de l'exégèse. Le caractère conflictuel de cette séparation impossible explique que l'exégèse des auteurs chrétiens grecs des premiers siècles se soit exprimée essentiellement en termes de rejet et d'appropriation.
- La législation antijuive de Nicolas de Cue en Allemagne au XVe siècle - Jocelyne Sfez p. 225 L'appréciation positive de la pluralité des opinions, défendue par Nicolas de Cues (1401-1464), pouvait constituer une base nouvelle pour favoriser le dialogue interconfessionnel et la « tolérance ». La Paix de la foi, écrite en réponse à la prise de Constantinople par les Turcs et sous le choc de cette nouvelle, est généralement célébrée comme un modèle d'œcuménisme, préfigurant la Lettre sur la tolérance de Locke ou Nathan le sage de Lessing. En réalité, Nicolas de Cues fut l'auteur d'un décret de mesures antijuives, Quoniam ex iniuncto, qui régit pour deux siècles la vie juive allemande.
- A l'origine de la philosophie. Sur une rémanence des Maximes des Pères dans le De Intellectus Emendatione de Spinoza - Dan Arbib p. 241 Au début du De Intellectus Emendatione, Spinoza énonce une critique des faux biens : honneurs, sensualité et richesses. Cette triade est classique en philosophie ; mais elle pourrait provenir d'un traité talmudique, les Maximes des Pères, que Spinoza ne pouvait ignorer ; or, en les rapportant, le Talmud proposait aussi le moyen de conjurer leur séduction. Ainsi, la via philosophica dont le traité spinoziste raconte l'initiation charrierait implicitement mais intrinsèquement, déjà, la critique d'une via talmudica abandonnée en conscience.
- l'"Ancien" Testament. Miroir inversé et informant des fondements de la politique moderne du philosémitisme à l'antijudaïsme théolologico-politique - Bernard Bourdin p. 253 Les théories du contrat (ou du pacte) au xviie siècle, en particulier chez Hobbes et Spinoza, si séculières soient-elles, ont recouru aux textes politiques de la Bible, notamment ceux de l'Ancien Testament. C'est dès lors reconnaître une nouvelle entente entre l'avènement de la raison philosophique moderne, par le truchement du contrat, et les sources bibliques. Cette observation appellera deux questions : la modernité politique séculière ne s'est-elle pas fondée sur un paradoxe théologico-politique d'un nouveau type ? Ce paradoxe a-t-il justifié un antijudaïsme philosophique et théologique ou, au contraire, ne procède-t-il pas d'un philosémitisme ?
- Le jeune Marx, l' "Etat chrétien" et l'émancipation politique. Contexte et généralisation d'une polémique. - Jean-Claude Monod p. 269 L'écrit du jeune Marx, La Question juive (1843), mêle des registres polémiques divers : explication avec Bruno Bauer, réduction « feuerbachienne » de la religion juive à son « fondement mondain », critique des limites de l'émancipation civique au profit d'un horizon d'émancipation économique, comparaison entre Allemagne, France et États-Unis sur le degré d'émancipation des juifs et d'avancement de la sécularisation. Dans ce feuilleté, faut-il parler d'antijudaïsme ou d'antisémitisme pour certains passages qui font du « trafic » le « fondement mondain » du judaïsme ? Sans nier la violence rhétorique de Marx, celle-ci ne doit pas masquer le fait que sa cible politique immédiate est le concept d'« État chrétien » avancé dans l'Allemagne de 1840 pour dénier leurs droits civiques aux juifs.
- L'Orient et le Midi - Bernard Marcadé p. 285 L'Orient et le Midi : telle est la double tentation qui permet à Nietzsche de s'éloigner des brumes septentrionales de la métaphysique allemande. Philosophe artiste, Nietzsche est constamment tiraillé entre sa dette envers le grand style luthérien et son désir de ré-orientaliser et de méditerranéiser la pensée.
- Le distinction nécessaire entre antisémitisme et antijudaïsme dans le monde juif - Joël Sebban p. 295 Cette étude présente, sous une forme brève, la thèse d'une étroite dépendance du judaïsme contemporain à l'égard du christianisme, à travers le regard porté par quelques voix juives françaises sur l'antijudaïsme religieux pluriséculaire et l'antisémitisme racial contemporain. Il nous semble, en effet, que l'entrée sur la scène européenne à la fin du XIXe siècle du postulat racial fait définitivement éclater l'image d'une autonomie absolue du judaïsme à l'égard du christianisme. Le principe racial, se voulant fondé en raison à travers l'autorité de la science, appelle les penseurs juifs à concevoir davantage la solidarité entre les deux traditions, et non en raison du seul jeu des circonstances. Les articles écrits au cours des années 1930 dans la revue Esprit de deux penseurs israélites, le philosophe Emmanuel Levinas et l'homme d'action Georges Zérapha, en donnent la mesure.
- Peut-on parler d'antijudaïsme dans le protestantisme ? - Florence Taubmann p. 309 Pétri de culture biblique et attaché à l'histoire du peuple hébreu, le protestantisme semble protégé de l'antijudaïsme. Pourtant la réalité a toujours été plus complexe. Et aujourd'hui, en plus de l'opposition traditionnelle entre la foi chrétienne et la loi juive, le conflit israélo-palestinien crée de nouveaux clivages qui ne sont pas seulement politiques. On assiste par ailleurs au développement rapide d'un protestantisme évangélique, marqué par un fort sionisme, mais qui revendique le droit et le devoir d'évangéliser le peuple juif, en contradiction avec le travail de reconnaissance mené depuis cinquante ans par l'Église catholique et la Communion des Églises protestantes d'Europe.
- Paul et Israël, du retranchement à la greffe - Rivon Krygier p. 165
Troisième partie : Antijudaïsme
- Amaleq ou l'archi-antisémite - Daniel Krochmalnik p. 321 Comme de toute chose, il y a un archétype de l'antisémite radical dans la Bible. Personnage mi-mythique, mi-historique, mi-collectif, mi-individuel, Amaleq incarne la volonté de l'extermination du peuple juif. C'est sous le titre d'Amaleq que la tradition juive réfléchit à la « solution finale ». Cette réflexion a une place dans le calendrier juif, le shabbat avant la fête de pourim, dit « shabbat zakhor, souviens-toi d'Amaleq ! » (Dt 25,17). C'est à ce propos que le midrach rabbinique et les commentateurs médiévaux se penchent sur la question antisémite. Nous privilégions Rachi, non pas seulement parce qu'il est le commentateur juif par excellence, mais parce qu'il fut contemporain d'une explosion de haine antisémite inédite, la première croisade ; il sait donc parfaitement de quoi il parle. À travers ses explications nous voulons mesurer l'ombre d'Amaleq in nostra aetate.
- Les antécédents antique. Le discours antijuif des intellectuels et des politiques greco-romains - Marie-Françoise Baslez p. 335 L'antijudaïsme antique s'analyse à trois niveaux : un discours intellectuel, parfois même exégétique, des réactions populaires violentes qui s'en réclament, un discours politique assorti de mesures répressives, voire de persécutions. Il ne s'agit pas de racisme, mais d'un discours xénophobe qui conduit à se demander pourquoi le juif a représenté une figure d'altérité extrême dans des situations particulières, mais en créant des stéréotypes durables. Dans un second temps, la lecture inversée de la Bible à laquelle ont procédé les intellectuels alexandrins permet d'apprécier de quelle manière le judaïsme était visé comme religion. Cette question sera reprise à travers le discours politique et les mesures de persécution, du point de vue de l'exception religieuse dans un État pluraliste.
- Du droit médiéval au Code de droit canonique. Les juifs et le droit de l'Église. Etude du canon 868 § 2, ) partie de l'affaire Mortara - Emmanuel Petit p. 357 L'enlèvement du jeune Mortara, en 1858, à Bologne, a mis en exergue la complexité de la situation des juifs face au droit canonique. Le droit de l'Église a affirmé la liberté des non-chrétiens en matière religieuse. Cette liberté a cependant été limitée par des règles de vie civile et par l'obligation des convertis de se conformer à la nouvelle foi. C'est dans ce contexte qu'apparaît la question des enfants baptisés en dehors de la volonté de leurs parents.
- Antijudaïsme, antisémitisme. Érasme au péril des mots - André Godin p. 381 Après avoir rappelé l'état d'une question, ouverte en 1969, relancée en 1996, et présenté les assertions principales d'Érasme sur le judaïsme et les juifs, on tente de démonter les mécanismes de l'antijudaïsme théologique d'Érasme, pivot autour duquel tourne le kaléidoscope de ses formulations antijuives, troué çà et là d'énoncés à tonalité judéophobe marquée et d'interprétation difficile, même s'ils n'accréditent, d'aucune manière, le grief d'antisémitisme au sens racial et sociologique qu'a pris ce vocable depuis le XIXe siècle. Somme toute, Érasme a pratiqué un antijudaïsme bien tempéré, quand on le compare, entre autres, à celui de Luther, mais qui s'inscrit bien, comme chez ce dernier, dans une ligne doctrinale des plus traditionnelles, inaugurée par le paulinisme, amplifiée par la patristique et sa théologie de la substitution, vulgarisée par la prédication médiévale et officiellement interrompue depuis le concile Vatican II (Déclaration Nostra aetate).
- L'antijuaïsme à l'époque des Lumières. Moses Mendelssohn, Johann David Michaëlis t la controverse autour de "De la réforme politique des Juifs" (1781) de Christian Wilhelm von Dohm - Sylvia Richter p. 401 La présente contribution vise à faire ressortir la controverse entre Moses Mendelssohn (1729-1786) et Johann David Michaëlis (1717-1791) qui porte sur le livre de Christian Wilhelm von Dohm (1751-1820) De la réforme politique des Juifs (titre original : Über die bürgerliche Verbesserung der Juden, parution du premier tome en 1781, du second en 1783). Sur les conseils de Mendelssohn, qui lui avait suggéré le sujet, Dohm a traité dans cet ouvrage de l'émancipation des juifs en Prusse. Michaëlis, célèbre théologien de son époque, critiqua violemment les propositions de ce jeune fonctionnaire prussien en lui opposant un argumentaire très sévère. Celui-ci a exercé par la suite une influence négative sur le débat autour de l'émancipation des juifs. Dans ce qui suit, nous souhaitons ainsi montrer, à travers le cas de Michaëlis, l'émergence dès le XVIIIe siècle d'un antisémitisme moderne qui se fonde sur une différence raciale et non plus religieuse entre juifs et non-juifs.
- "La race la plus pure en Europe..." - Marc de Launays p. 411 Nietzsche n'était pas antisémite ; il est aisé de le montrer. Mais son antijudaïsme, effectif, est l'exact pendant de son antichristianisme : il vise la décadence de l'un comme de l'autre. Et il a également loué les phases ascendantes de l'un – le Pentateuque, par exemple – et de l'autre – la figure du Christ qu'il oppose à toute institution. À ceci près que la conversion des valeurs maintient ouvert à certaines conditions un avenir juif et n'en aperçoit aucun pour le christianisme. Il s'agit alors d'analyser le « prophétisme » nietzschéen qui est le masque porté par sa philosophie de l'histoire, et de montrer les affinités de cette dernière avec une structure fondamentalement gnostique.
- Carl Schmitt et le drame de la pensée contemporaine - Alain Juranville p. 425 On voudrait ici comprendre, dans le cadre de l'histoire universelle, les positions qu'a prises Carl Schmitt, et notamment son engagement si « problématique » auprès du régime nazi. Et cela en suivant en quelque manière les moments de la vie de Schmitt. On présente d'abord le cadre d'histoire universelle dans lequel se situe sa position de départ (avec son antijudaïsme). On dégage ensuite la contradiction fondamentale propre à l'époque contemporaine, entre Kierkegaard et Marx, contradiction dans laquelle Schmitt est pris entièrement (l'antijudaïsme devenant antisémitisme). Puis on explique comment il est entraîné par cette contradiction dans l'abîme du nazisme. Enfin on montre qu'il reste, au sortir de la guerre, paralysé devant la catastrophe, ne pouvant renoncer à ses positions anciennes, ne comprenant pas le monde nouveau qui a commencé après l'Holocauste.
- Martin Heidegger et l'antijudaïsme philosophique - Philippe Capelle-Dumont p. 441 La question du rapport de Martin Heidegger au judaïsme se décline selon quatre topiques distinctes. La première concerne la période de son adhésion à l'idéologie nazie et de son engagement politique (I). La deuxième topique, qui ne lui est pas réductible, tient à ses relations personnelles, complexes, avec le monde juif (II). La troisième oriente vers une série de débats sur son rapport au corpus biblique (III). La quatrième se concentre sur les connexions entre plusieurs concepts fondamentaux de son œuvre, les motifs de pensée inscrits dans les traditions philosophiques et théologiques, et le lexique des idéologies allemandes (IV). L'état du dossier fera apparaître ce qu'il est permis d'appeler l'« antijudaïsme philosophique » de Heidegger.
- L'antijudaïsme d'Alain Badiou. Le nom de vérité - Gérald Sfez p. 463 Alain Badiou critique la circulation politique du mot « juif » qui, à l'en croire, fait du juif une figure d'exception renvoyant à une appartenance communautaire, nationale ou religieuse. L'opération de Badiou n'a de portée qu'en fonction d'une idée de l'universalité abstraite, qu'il extrait du paradigme paulinien tenu pour la seule fondation d'un universalisme en totale rupture avec la loi juive. Cet antijudaïsme s'appuie sur une philosophie de l'Idée dont le critère est le rejet de toute particularité, et, par là, de toute détermination d'une forme de vie quelconque, qu'elle soit grecque, juive ou chrétienne.
- L'antijuadaïsme et son dépassement dans la pensée russe et chrétienne orthodoxe contemporaine - Antoine Arjakovsky p. 479 On trouve plusieurs points communs entre Alexandre Soljenitsyne, Vladimir Soloviev, Nicolas Berdiaev et Serge Boulgakov. Tous condamnent toute forme d'antijudaïsme et d'antisémitisme et attendent que l'Église orthodoxe purifie sa doctrine et ses pratiques à l'égard du peuple juif. Tous reconnaissent le rôle déterminant que jouèrent « les Juifs » (au sens politique du terme) au xxe siècle dans la machine et les rouages du pouvoir soviétique, mais tous considèrent que la responsabilité première de la révolution revient au peuple « russe » (idem). Tous tirent enfin de leurs observations historiques, philosophiques et théologiques une compréhension aiguë de l'historiosophie. Mais c'est probablement le père Serge Boulgakov qui est allé le plus loin dans la voie ouverte par Vladimir Soloviev en proposant comme horizon métahistorique (avec sa conséquence politique de réconciliation politique) l'avènement du judéo-christianisme.
- Antijudaïsme et antisémitisme en ce début de XXIe siècle - Marc Knobel p. 499 Dans la France des années 2000, l'hostilité à l'endroit des juifs s'est largement développée chez les jeunes qui vivent dans des quartiers dits sensibles. De fait, le conflit israélo-palestinien joue-t-il un rôle très important ? Au-delà, ce conflit ne sert-il pas aussi d'alibi à l'expression de l'antisémitisme dans des milieux socialement plus privilégiés ? Bref, le conflit israélo-palestinien n'est-il pas un (faux) prétexte qui a fait sauter et de façon durable le tabou de l'antisémitisme ? Et puis, il y a ces stéréotypes infâmes. Le meurtre tragique d'Ilan Halimi est-il le fruit, le résultat de la survivance d'un antisémitisme structurel qui s'appuie sur de vieux clichés nauséeux, les mêmes qui perdurent depuis des siècles ?La guerre étant jugée comme l'un des maux qui accablent les humains, elle ne peut qu'être imputée à l'incarnation de la causalité diabolique, « les juifs » (en Occident jusqu'en 1945, et aujourd'hui dans le monde arabo-musulman) ou « les sionistes » (en Occident et ailleurs)1.
- De la pensée juive à la "pensée" antijuive. Jalons pour une véritable prise de conscience - Raphaël Draï p. 513 Dans cette recherche, on s'attache à identifier l'expression de l'antijudaïsme dans la consistance même de la pensée religieuse et philosophique occidentale. On examine ainsi l'altération du concept de pensée (Mah'aChaVa), inhérent à la tradition biblique, par son retrait déjà malheureux dans les récits évangéliques où se forgent à cet égard les traits singuliers d'une « haine à visage d'amour ». À partir de quoi, cette propension tenace, étayée et prorogée par l'« enseignement du mépris », va migrer, imposant consciemment et inconsciemment sa forme, sa gestalt, à la pensée philosophique la plus séparée, en apparence, de la théologie (Kant, Hegel, Schopenhauer). Au point, notamment, de mettre le judaïsme à charge pour de nombreux penseurs juifs montrés en exemple du seul fait de leur désistement. Un dialogue interreligieux digne de ce nom oblige à rendre compte de cette pathologie intellectuelle de trop longue durée.
- Amaleq ou l'archi-antisémite - Daniel Krochmalnik p. 321
Quatrième partie : Judaïsme et Destin
- Un antijudaïsme bric-à-brac ? Retour sur une controverse doctrinale de 1939 - Michel Fourcade p. 537
- Le peuple témoin. Saint Augustin et les juifs - Alban Massie p. 551 La défense de l'unité de l'Ancien et du Nouveau Testament contre les manichéens conduit Augustin à reconnaître un développement du statut propre au peuple juif dans l'économie du salut. Prophète du Christ et de l'Église, en conservant ses rites au milieu des nations, il est la nation témoin de la vérité chrétienne qui accomplit la Loi et les Prophètes. L'exégèse figurative conduit ainsi à un discours original qui manifeste la fidélité de Dieu dans l'élection d'Israël.
- "Cette obscure petite tribu de Sémites". La psychologie collective des juifs selon Gustave Le Bon - Franklin Rausky p. 567 Avec Gustave Le Bon apparaît une nouvelle vision, d'inspiration résolument moderniste, raciologique, biologique, du juif et de son rôle dans la civilisation, à partir de l'idée du caractère parasitaire, nomadiste, non créatif des juifs, expression du sémitisme incapable de science, de philosophie et d'art.
- Ludwig Wittgenstein, un juif sans qualités ? - Ariane Monteil p. 575 Nous proposons une analyse de la lecture wittgensteinienne de l'identité juive, et particulièrement de la « forme de vie » des juifs viennois assimilés, sous la double influence de l'antijudaïsme hérité de la philosophie occidentale (Schopenhauer, Weininger) et de la montée de l'antisémitisme. La visée introspective, le regard critique et l'exigence éthique dominent cette quête avant tout personnelle, qui détermine les choix d'existence de Wittgenstein, et trouve un écho particulier à un moment crucial de son évolution philosophique, au début des années 1930.
- Le juif de Milner. Les juifs peuvent-ils sortir de l'histoire ? - Perrine Simon-Nahum p. 593 La théorie du Nom juif dont Milner est l'un des principaux tenants ne se contente pas de réfuter toute position interne à l'histoire et d'exclure les juifs de toute forme d'existence réelle, passée ou présente. En remettant en cause l'ensemble des valeurs à partir desquelles on peut lire l'histoire des deux derniers siècles, elle interdit de lire l'avenir à leur lumière. La question posée par Jean-Claude Milner est donc double : le juif peut-il encore se reconnaître dans la modernité ? Peut-il, à l'inverse, se concevoir hors de la modernité ? Mais, à travers le juif, c'est en réalité l'humanisme sous sa forme démocratique que cette théorie vient ébranler.
- "Un champ de bataille actuel". Le judaïsme en avant-garde de la dépaganisation - Agata Bielik-Robson p. 607
- Existe-t-il un antisémitisme musulman ? - Sadek Beloucif p. 625 L'islam n'a pas de tension ou de rivalité théologique avec le judaïsme et le christianisme, se plaçant dans une logique de continuité du message divin entre les trois monothéismes. Des tensions récentes, d'essence politique, et non théologique, sont apparues à la suite des bouleversements postcoloniaux du XXe siècle. Ces tensions, qui peuvent conduire à des expressions d'extrémismes encore inconnus il y a peu et toujours choquants, devraient s'effacer derrière un dialogue interreligieux fructueux, une même quête d'absolu.
- Culture et barbarie. La réplique d'Erich Auerbach à l'antijudaïsme de l'idéologie nazie ? - David Banon p. 645 Figura et Mimésis, deux ouvrages d'Erich Auerbach publiés respectivement en 1938 et 1946, sont-ils strictement des textes de philologie romane ou bien peut-on aussi les considérer comme une réponse oblique à la volonté d'éradiquer les juifs de la culture germanique et de la civilisation européenne ?En mettant en lumière le rôle central que la méthode figurative a eu au sein de l'interprétation chrétienne qui soudait les deux Testaments – fût-ce en faisant du premier le faire-valoir du second –, Auerbach réplique à l'idéologie nazie qui voulait effacer les traces de la contribution juive à la civilisation occidentale et, d'une certaine manière, renouait avec le marcionisme. De surcroît, il place la « représentation de la réalité dans la littérature occidentale » que décrit Mimésis sous l'égide de la Bible hébraïque.
- Un exister païen. Heidegger, Rosenzeaig, Levinas - Danielle Cohen-Levinas p. 657 Le présent texte éclaire d'un jour nouveau la question de l'antijudaïsme philosophique. Nous connaissons désormais les écrits confidentiels de Heidegger, tenus jusqu'alors au secret. Il s'agit des Cahiers noirs, dont les premiers volumes ont été édités en 2014 chez Klostermann par Peter Trawny. Par-delà le trouble que suscite la lecture des trois premiers volumes, nous nous proposons, non pas de faire l'exégèse de ces écrits disparates et fragmentaires, mais d'interroger leur véritable portée philosophique à ce jour encore incommensurable. Comment une des pensées majeures du XXe siècle s'est-elle construite à l'ombre d'un antijudaïsme qui se confond dramatiquement avec l'antisémitisme en vigueur sous le national-socialisme ? Y a-t-il un lien entre le sens de la vérité de l'être telle que l'entend Heidegger et cet antisémitisme porté par une époque caractérisée par un nihilisme radical ? Notre réflexion prend appui sur la confrontation entre deux figures fondamentales de la philosophie et de la pensée juive que représentent Rosenzweig et Levinas, à l'épreuve de l'œuvre de Heidegger que la récente publication des Cahiers noirs permet de revisiter et situer autrement. L'aventure de la pensée occidentale ne commencerait-elle pas avec un impensé dont la force de plasticité et de contamination a revêtu la forme de l'antijudaïsme ?
Épilogue
- Entretien. Antijudaïsme ou antisémitisme ? - Jean-Luc Nancy et Danielle Cohen-Levinas p. 675
- Index - p. 691