Contenu du sommaire : I. Travaux
Revue | Travaux de linguistique |
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Numéro | no 62, 2011 |
Titre du numéro | I. Travaux |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- La Linguistique fondée sur l'usage : parcours critique - Dominique Legallois, Jacques François p. 7-33 Cet article est une introduction critique à la notion de linguistique fondée sur l'usage. Il discute les principes liés à cette perspective, en particulier ceux de « usage-emploi », de fréquence, d'analogie, d'exemplaire et de schématicité, de prototypicité, de productivité et créativité. Il montre que certains de ces principes sont présents depuis longtemps dans l'histoire de la linguistique : le débat anomalie / analogie depuis Sextus Empiricus, mais – plus récemment – la notion d'exemplaire présente dans les travaux de Saussure et Coseriu. A partir d'analyse d'exemples, le travail distingue entre productivité et créativité (une phrase formée à partir de la « fusion » entre deux constructions ou plus). L'article se conclut par une discussion générale sur l'argument de l'usage dans une conception de la langue comme système adaptatif émergeant de l'interaction entre cognition et culture.The usage-based linguistic theory incorporates the basic insight that usage has an effect on linguistic structure. This paper offers an examination of some principles of this perspective, mainly highlighting the notions of usage-event, usage and frequency, analogy, exemplars and schematicity, prototypicity, productivity and creativity. Where relevant, the paper refers to the history of linguistics: the analogy / anomaly dichotomy since Sextus Empiricus, the anticipation of the notion of exemplar in the works of Saussure (specimen) and Coseriu (ejemplos). Starting from some examples, we can distinguish productivity of constructions and creativity (a sentence formed by merging two or more constructions). The paper concludes with Bybee's conception of language as a complex adaptive system, emerging from the interaction of cognition, culture and use.
- La notion de grammaire usage-based chez Langacker. Emergence et développement - Jean-Michel Fortis p. 35-58 Cet article retrace les étapes qui ont conduit Langacker de la grammaire transformationnelle jusqu'à un modèle qui rend compte de la productivité linguistique au moyen de schémas abstraits des formes en usage. Le rejet par Langacker de la grammaire générative provient avant tout de l'objectif premier qu'il assigne à la linguistique, et qui est de décrire la relation entre sens et forme. Cette approche « médiationnelle » (au sens de Huck et Goldsmith) transparaît dans les travaux de sa première période transformationnelle, par exemple dans ses études sur les interrogatives et dans sa tentative d'explication fonctionnelle des règles de mouvement. Le premier modèle grammatical original qu'il développe est dans la continuité de ces premiers travaux, et est marqué par l'héritage de la sémantique générative. Ce premier modèle évolue ensuite vers une théorie centrée sur la valence plus que sur la constituance. Dans ce modèle fondé sur la valence, la combinaison des signes vient à supplanter les règles génératives en tant que principe d'explication de la productivité linguistique. Cette évolution débouche sur une théorie où la composition des signes est un processus empiriste, fondé sur la reconnaissance de schémas, l'abstraction, et la catégorisation plus ou moins « floue ».This paper retraces the steps which led Langacker away from transformational grammar towards a model in which linguistic productivity rests on patterns extracted from the actual usage of forms. Langacker's rejection of generative grammar stems first and foremost from what he takes to be the primary task of linguistics, that of accounting for the relation between meaning and form. This “mediational” approach (as Huck and Goldsmith describe it) is discernible in his early transformational work, for example on interrogatives, and in his effort to find functional motivations for movement rules. Pursuing along the same line, Langacker's first personal grammatical model retains key ideas of generative semantics. This first model evolves towards a theory centered on valence more than on constituency. In this valence-based model, the assembling of signs comes to supplant generative rules in describing linguistic productivity. Langacker's evolution finally ushers in a theory in which the composition of signs is described as an empiricist procedure, based on pattern recognition, abstraction, and more or less « fuzzy » categorization.
- Les faits statistiques comme objectivation ou comme interprétation : statistiques et modèles basés sur l'usage - Sylvain Loiseau p. 59-78 La notion de fréquence est centrale dans les modèles dits « basés sur l'usage », notamment parce qu'elle permet d'articuler les faits linguistiques observables et les processus cognitifs postulés. La fréquence est alors une notion théorique et abstraite. Dans ce cadre théorique, la fréquence intervient également de plus en plus souvent dans la pratique descriptive, à travers corpus et méthodes quantitatives. Cependant, l'articulation entre la première fréquence, théorique et abstraite, et la fréquence concrète que les méthodes quantitatives permettent d'observer est difficile à établir. Il est souvent souligné que la nature exacte de la fréquence est peu claire, tant d'un point de vue descriptif que conceptuel. Cet article montre d'abord que cette question de « l'opérationnalisation » de la fréquence est ancienne. Il propose des éléments de discussion sur la fréquence qui importent pour l'interprétation des faits quantitatifs et pour leur utilisation dans la description, particulièrement dans les modèles basés sur l'usage.The notion of frequency is of great importance for usage-based models. It is used both as a methodological tool in description and as a theoretical foundation of several key concepts in cognitive processes. However, many authors have stressed that the exact nature of frequency still remains unclear, both from a theoretical and from a methodological point of view, and that the relation of operationalization between these two frequencies is not clearly established. The aim of this paper is twofold. First, it aims at exploring the role played by the concept of frequency in previous linguistic traditions, showing that it is an already old and ubiquitous notion. Second, it aims at discussing several methodological issues in the interpretation of quantitative facts in the linguistic description. It is argued that this interpretation requires a textual point of view.
- Une approche de la complementation verbale guidee par les corpus - Cécile Fabre, Josette Rebeyrolle p. 79-97 Nous adoptons une approche principalement corpus-driven pour réexaminer la question de la complémentation verbale indirecte en proposant de substituer aux tests linguistiques de grammaticalité permettant de déterminer la fonction des syntagmes prépositionnels arguments ou circonstants) des mesures statistiques visant à apprécier, dans l'espace d'un corpus, le degré d'autonomie de ces syntagmes vis-à-vis du verbe. Nous montrons notamment comment de tels calculs permettent de guider la description linguistique en faisant émerger des types de fonctionnement particuliers, comme par exemple, des situations intermédiaires entre arguments et circonstants. La masse d'informations qui se trouve synthétisée à partir de deux corpus permet également de dégager des tendances générales et des usages différenciés d'un corpus à l'autre.The approach in this paper follows a corpus-driven methodology to study the function of prepositional phrases in relation to the verb. Grammaticality tests which are usually applied to PPs to differentiate complements from adjuncts are replaced by statistical measures to assess the degree of autonomy of PPs within the whole corpus. This approach provides quantitative information allowing to identify different types of phrases on this criterion. In particular, it enables us to locate PPs presenting intermediate characteristics between adjuncts and complements. We compare results from two corpora, and highlight some variations in the way prepositions are used in the two collections of texts.
- Interprétation(s) des verbes anticausatifs en grec et en français : liens entre fréquence et données empiriques - Georgia Fotiadou, Hélène Vassiliadou p. 99-127 Dans une perspective contrastive grec-français, nous examinons le phénomène de l'interprétation anticausative en lien avec la morphologie verbale et la nature du sujet syntaxique [± animé]. Notre but est de confronter ces deux facteurs au rôle de la fréquence de la lecture anticausative dans différents corpus. L'étude de la fréquence sera également associée à une expérience psycholinguistique dite de compréhension.This paper reports on the results of a study investigating the role of frequency in the interpretative preferences of adult native speakers (Greek-French) through an SPM task. The adult data is compared with frequency counts of some of these verbs' readings drawn from formal and informal corpora. In accordance with usage-based approaches, a frequency effect was found as well as an interaction between voice morphological marking on the verb and the animacy of the sentence subject.
- Le rôle de l'usage sur le développement des constructions nominales chez les enfants pré-lecteurs - Aurélie Nardy, Céline Dugua p. 129-148 Le développement des constructions nominales en contexte de liaison catégorique chez l'enfant pré-lecteur a fait l'objet d'une modélisation dans le cadre des théories basées sur l'usage (Chevrot et al., 2009). Dans cet article, nous examinerons le développement de la liaison variable, marqueur sociolinguistique du français, dont la fréquence de réalisation, chez l'adulte, est notamment liée à l'origine sociale. Cent quatre-vingt cinq enfants, issus de milieux sociaux contrastés (des enfants de cadres et des enfants d'ouvriers) et âgés de 2 à 6 ans, ont passé une tâche expérimentale de dénomination d'images induisant la production de liaisons variables dans le contexte « adjectif + nom ». Nos résultats montrent que les différences sociales se créent progressivement au cours du développement et qu'à 5-6 ans, la stratification sociale des usages de la liaison variable, relevée chez l'adulte, est en place dans les productions enfantines. En accord avec les principes défendus par les théories basées sur l'usage, nous généraliserons le modèle développemental de l'acquisition des constructions nominales en contexte de liaison catégorique à celui de la liaison variable.The development of nominal constructions including a categorical liaison in pre-readers has been studied through usage-based theories (Chevrot et al., 2009). In this article, we investigate the development of the variable liaison, which is a sociolinguistic marker in French (for example, its frequency in adult usage depends on the speaker's socio-economic status). One hundred and eighty-five children aged between 2 and 6, belonging to two distinct SES groups (higher- and lower-SES) participated in a picture naming task eliciting the production of variable liaisons in « adjective + noun » context. Our results show that social differences appear progressively during development. For 5-6-year-olds, the social stratification of variable liaison use, observed in adults, appears in child productions. In line with the principles of usage-based theories, we extend the developmental model of the acquisition of nominal constructions in categorical liaisons to the context of variable liaisons.