Contenu du sommaire : Précurseurs de l'analyse input-output

L'histoire des modèles linéaires de production commence véritablement à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle. Une comparaison entre les Tableaux Economiques de François Quesnay et les Systèmes de Richesses d'Achilles-Nicolas Isnard permet de comprendre les différentes perspectives de cette branche naissante de l'analyse économique. Quesnay présente un modèle idéalisé de l'économie française, en faisant un certain nombre de présupposés contraignants, pour étudier la croissance et le déclin économiques. L'analyse d'Isnard est plus abstraite et générale, et se concentre sur les relations entre reproduction, prix et répartition. Les limites conceptuelles de leurs travaux, comme le présupposé implicite de prix constants pour Quesnay ou l'absence de règle pour la répartition du surproduit pour Isnard ont été retrouvées plus tard et résolues, de manière différentes, par des théoriciens postérieurs tels que Leontief, von Neumann et Straffa.

L'article compare le Tableau de Quesnay et le Tableau de Leontief en explorant les voies de passage du premier au second. Les concepts économiques de Quesnay sont examinés par rapport à la comptabilité nationale moderne. Une transposition des comptes de la Philosophie rurale en un Tableau d'Entrées-Sorties s'avère possible, sous deux formes différentes, dont l'une correspond au Tableau de Quesnay. En dépit de cette transposition comptable, le modèle de Leontief reste éloigné des problématiques de Quesnay, plus larges que celles de Leontief.Codes JEL: B110, N5

Dans son ouvrage principal, Das System des Marxismus. Darstellung und Kritik 1910, Georg von Charasoff a critiqué et reconstruit la théorie des prix de Marx et, ce faisant, a anticipé la plupart des résultats analytiques qui allaient être obtenus plus tard à l'occasion de la « controverse sur la transformation ». Cependant, sa contribution concerne un champ plus étendu que la seule théorie marxienne. Cet article vise à montrer comment l'analyse économique linéaire de Charasoff, et en particulier sa théorie de l'«Urkapital» (capital originel), du prix de production et de la valeur-travail, a anticipé le développement de la théorie des matrices de Richard von Mises et Hilda Pollaczek-Geiringer (1929). Ils ont élaboré des procédures de calcul des valeurs propres et des vecteurs propres (la «Power Method» ou «von Mises Iteration») et proposé, en outre, une méthode itérative pour résoudre des systèmes d'équations linéaires non homogènes.

Maurice Potron (1872-1942) est un mathématicien français qui, dès 1911, conçoit un modèle économique où l'analyse de la production est fondée sur la construction d'un tableau analogue à celui des échanges interindustriels imaginé plus tard par Leontief. Potron définit la notion de régime satisfaisant et établit un résultat d'existence en utilisant le théorème de Perron-Frobenius, bien avant que celui-ci ne soit connu des économistes. Il énonce aussi le premier théorème explicite de dualité. Nous examinons ici la vie de Potron, qui était jésuite, et soulignons l'inspiration religieuse de son modèle. Un rôle particulier dans cette analyse revient à la doctrine sociale de l'Église, qui est renouvelée par l'encyclique Rerum novarum et au service de laquelle lui-même et sa famille se sont fortement engagés. Nous expliquons aussi pourquoi ce travail de pionnier est longtemps passé inaperçu.Codes JEL : B31, C62, C67

Dans cet article, nous explorons les liens entre Maurice Potron et Ragnar Frisch. On savait déjà que Frisch a exercé, à travers Gibrat, une influence indirecte sur les recherches économiques tardives de Potron. Des documents découverts récemment, et publiés ici pour la première fois, montrent qu'il a eu aussi une influence directe. Il est difficile d'établir dans quelle mesure et à quel niveau l'effet Frisch a joué. Nous présentons les caractéristiques de base du modèle de Potron et soulignons qu'elles sont restées sensiblement les mêmes des premiers aux derniers écrits. Bien que le lien avec Frisch n'ait pas conduit à des modifications majeures du modèle de Potron, il est possible que ce contact ait convaincu Potron de l'utilité de reprendre ses recherches économiques dans la seconde moitié des années 1930 et de tenter d'attirer l'attention de la communauté des économistes. L'épisode Frisch a peut-être donné à Potron la confiance nécessaire pour organiser une série de six conférences à l'Institut Catholique de Paris en 1937, malgré la résistance de ses supérieurs.

Maurice Potron (1872-1942) est un précurseur important de l'analyse Input-Output. Il n'a jamais publié dans des revues prestigieuses en économie et beaucoup de ses écrits sont difficiles à trouver. Pour toutes ces raisons, il est utile de fournir une bibliographie de ses écrits scientifiques, qu'ils aient été ou non publiés. Cette bibliographie intègre de nombreuses notes sur les écrits de Potron et les très rares références à ces écrits parues avant 2000 (année pendant laquelle un remarquable article de Lendjel a enfin attiré l'attention sur la pensée économique de Potron).

Le modèle de Leontief utilise en fait deux périodes, les périodes de base et courantes. Le modèle est résolu avec les indices de prix courants et les coefficients techniques de base. Le modèle physique correspondant est monopériodique: il est résolu avec les prix courants et les coefficients courants. Le modèle de Leontief n'est pas cohérent – les deux modèles divergent généralement – à moins que la matrice interindustrielle des quantités directes et indirectes de travail ne soit stable dans le temps. Cela implique que les coefficients de travail verticalement intégrés sont stables. Cette hypothèse est satisfaite lorsque les coefficients de production physiques et les coefficients de travail physiques sont stables dans le temps, deux hypothèses très fortes.

Leontief a peu écrit sur la politique économique, car il était fondamentalement un économiste appliqué, préoccupé de développer la théorie permettant d'expliquer des phénomènes réels. Ses contributions les plus importantes sont associées à des modèles d'équilibre qui rendent la politique publique inutile. Cependant, cet article explore quelques écrits de Leontief en rapport avec trois exemples concernant la politique économique, à savoir le programme d'aide du gouvernement des Etats-Unis destiné à lutter contre les effets de la récession des années 1930, la théorie de la demande effective de Keynes et l'étude des impacts économiques du désarmement. Tout bien considéré, il apparaît qu'avec l'âge ses opinions sur le rôle de la politique économique sont devenues plus flexibles, bien qu'il n'ait pas modifié ses conclusions antérieures sur l'équilibre économique.

Cet article met en évidence la contribution remarquable et originale de Richard Stone à l'analyse input-output, étroitement liée à sa carrière nationale et internationale. Son apport principal est d'avoir contribué au développement d'une normalisation internationale des comptabilités nationales et élaboré un modèle économétrique de croissance à la fois réaliste et général. Nous proposons une synthèse des deux principales contributions théoriques et empiriques de Stone à l'analyse input-output, et aussi d'autres essais moins connus. Parmi les premiers, on peut mentionner les études de Stone sur l'intégration des tableaux d'input-output dans le système des comptes sociaux nationaux (« SNA »), ses recherches sur les matrices de comptabilité sociale (« SAM »), la détermination et la mise à jour des coefficients techniques (méthode « RAS »). En ce qui concerne les travaux moins connus, on peut mentionner la tentative d'appliquer la méthodologie input-output au niveau microéconomique. Cet article montre enfin l'intérêt plus tardif de Stone pour l'application de l'analyse input-output à la démographie, la santé, l'éducation et l'environnement.