Contenu du sommaire : Syrie : entre fragmentation et résilience

Les évènements qui se succèdent en Syrie depuis 2011 ont été trop souvent décrits comme étant simplement une « guerre de communautés religieuses ». Dans ce contexte, cet article s'intéresse à l'expérience révolutionnaire vécue par des Syriens engagés dans le mouvement révolutionnaire pacifique ainsi que dans les comités de coordination locaux. En adoptant une approche ethnographique du communautarisme, de l'action révolutionnaire et de la guerre, cet article montre comment les jeunes révolutionnaires renégocient leurs origines familiales et l'histoire des communautés religieuses face aux entreprises et discours communautaristes du régime. Les caractéristiques anti-communautaristes de l'action révolutionnaire menée par le mouvement pacifique non seulement contredisent le récit du régime mais offrent aussi une porte d'entrée pour observer la subjectivité et l'idéologie révolutionnaire, lesquelles sont l'expression de transformations sociales ayant lieu en Syrie dans un contexte de guerre dévastatrice et de destruction.

Des « conseils locaux » ont été mis en place à partir de 2012 dans un grand nombre de villes des zones échappant au contrôle du régime. Ces conseils étaient soit élus, soit composés d'une proportion variable de notables, de personnalités locales, d'activistes, de fonctionnaires. Leur objectif était de pallier la disparition de l'État et de remettre sur pied les services publics d'éducation, de santé, de police et de justice. Ils ont été confrontés au double défi de l'absence de ressources, de la militarisation, qui dans bien des cas, a abouti à la mise à l'écart des structures civiles au profit des groupes armés, et de la fragmentation du territoire, qui a entravé tout effort de coordination. Si on peut voir dans ces expériences une esquisse de ce que pourrait être un futur pouvoir civil décentralisé, leur difficulté à résister à la violence laisse peu d'espoir.

Yarmouk a été un des groupements palestiniens de Syrie les plus touchés par la répression, et néanmoins un des pôles de mobilisation civile les plus actifs. Cet article vise à discuter le rôle qu'a joué le camp dans la mobilisation révolutionnaire. Pour ce faire, il présente d'abord brièvement le contexte de Yarmouk, en tant que camp « multi fonctionnel ». Ensuite, il rappelle les principaux moments de la mobilisation et présente les efforts fournis par les habitants pour accueillir les déplacés de toute la Syrie malgré les tentatives du régime pour éveiller un sentiment antirévolutionnaire. Puis il montre la militarisation progressive et la tragédie du siège du camp. Sont exposés enfin certains aspects des stratégies de survie mises en œuvre par les civils et les organisations locales pour résister au siège. L'article se propose également d'ouvrir le débat sur la question de l'identité palestinienne syrienne. Il suggère que pour la jeune génération, celle-ci n'était pas incompatible avec leur participation au mouvement social, à la différence de l'ancienne génération, pour laquelle l'identité partisane était plus centrale.

Les régions kurdes syriennes sont soumises aujourd'hui à un système de gouvernement, celui de l'« auto administration démocratique », ou « administration autonome locale », théorisé par le leader du PKK, Abdullah Ocalan. Ce système peut faire l'objet de deux récits : un récit militaire, qui met en évidence le rôle des « Unités de protection du peuple » (YPG) dans sa mise en place, et un récit institutionnel, qui met en valeur les institutions de cette administration, dans leurs différentes dimensions, sécuritaire, judiciaire, économique, symbolique. Mais cette administration autonome est en réalité soumise au contrôle des services de sécurité, et reproduit le modèle des régimes totalitaires2.

Près de 300 000 Syriens sont réfugiés à Gaziantep, avec leurs entreprises, leurs cafés, leurs écoles, tandis que l'administration du gouvernement provisoire syrien y a élu domicile. Ils y ont bénéficié de la politique relativement accueillante des autorités du pays, malgré les frictions périodiques avec une population turque elle-même traversée de vives tensions. Ils sont néanmoins confrontés à de nombreux problèmes, chômage, salaires dérisoires, travail des enfants, faible scolarisation, et à l'hégémonie des courants islamistes. L'action des ONG internationales est insuffisante et entravée par la bureaucratie. Si nombre d'ONG syriennes sont dominées par le népotisme, d'autres font un travail remarquable, particulièrement dans le domaine de l'information et de la culture.1

La présence des réfugiés syriens en Turquie pose, comme ailleurs, des questions de droit et de statut et interroge la capacité de l'État turc et des organisations internationales à mobiliser les moyens et les ressources nécessaires pour leur venir en aide. Cependant, les liens historiques entre les deux pays, la longue frontière commune, et la proximité des zones échappant au contrôle du régime de Damas de l'autre côté de cette frontière rendent la situation particulièrement complexe.

L'étude se veut une lecture de la dimension démographique de l'exode syrien en Jordanie, au prisme de la notion de résilience, appliquée aussi bien à la société syrienne réfugiée qu'à la société d'accueil. Prise comme capacité de « résorber un choc et de s'y adapter », la notion de résilience met en lumière la mobilisation d'une mémoire régionale commune, antérieure aux indépendances : le nord de la Jordanie et la capitale profitent d'un souffle économique nouveau, du fait de la mise en circulation de capitaux et de compétences. Comme « indice de rupture lorsque la flexibilité d'un matériau atteint sa limite », la notion révèle des fissures politiques et urbaines dont les camps de réfugiés syriens sont l'expression. L'incertitude pesant sur l'avenir de la Syrie et dans la région met la Jordanie dans une situation comparable dans son ampleur à l'exode palestinien de 1948.

L'évolution vers un financement plus conséquent des acteurs locaux, et d'une meilleure appropriation par ces derniers de l'action humanitaire entreprise dans leur pays, représente un changement majeur pour celle-ci. Pourtant, il n'est pas sûr qu'elle y gagne en efficacité. A partir du cas syrien, cet article explore l'action humanitaire locale et sa relation avec la communauté internationale. Il montre que les organisations locales syriennes sont un acteur primordial de l'humanitaire à l'intérieur des frontières syriennes. Celles-ci révèlent un potentiel remarquable pour une action humanitaire plus adaptée, plus efficace et plus durable, ce qui va dans le sens des arguments en faveur d'une relocalisation de cette action. Toutefois, la concrétisation de ce potentiel dépend lourdement de la façon dont les ONG internationales envisagent leurs relations avec ces organisations locales.

Les raisons d'une victoire à la guerre ne se limitent pas à la puissance des armes utilisées. La communication et la créativité jouent un rôle essentiel. Les opposants syriens ont donc rapidement occupé l'Internet. Mais il fallait aussi que les messages qu'ils diffusaient soient pertinents. Nawar Bulbul est l'un des artistes ayant cherché à donner du sens à ce soulèvement, et ainsi tenter de remporter la bataille de l'influence.

Dès l'éclatement de la révolte, une création cinématographique échappant au contrôle du régime est apparue en Syrie. A travers l'exemple du jeune réalisateur Ziad Kalthoum (Le Sergent immortel, 2014), cette contribution vise à en mettre en lumière les différentes caractéristiques, spécificités et innovations, qu'elles soient formelles ou liées aux conditions de production. Prise dans sa diversité, la création cinématographique offre une compréhension du vécu des Syriens dans toute sa complexité ainsi qu'une réflexion profonde sur le rôle et la place du cinéma dans un contexte de crise.

L'infrastructure traditionnelle de communication en Syrie s'est s'effondrée peu de temps après l'entrée dans le conflit civil en 2011. Dans ce contexte les Syriens ont été forcés d'expérimenter des moyens novateurs et créatifs en vue d'échanger des informations et de rester en contact les uns avec les autres. En particulier, ils combinent différentes technologies et outils, anciens et modernes, pour réaliser un espace de communication fonctionnel et efficace. Ces outils incluent tout, du courrier à la main aux transmissions par talkie-walkie, et de la communication face à face vers les radios communautaires. Cet article a pour objectif d'analyser, à travers une approche sociologique-ethnographique, les pratiques de communication en Syrie en se concentrant notamment sur la région d'Idlib.

La révolution syrienne a entrainé l'apparition d'une nouvelle écriture syrienne qui se caractérise par la centralité de l'expérience personnelle, le sentiment tragique, l'imbrication des genres, une nouvelle confiance en soi, la radicalité et la mondialité. Cette nouvelle écriture s'appuie sur une grande diversité de supports et de formes, internet y joue un rôle décisif, et permet de s'exprimer pour de « nouveaux auteurs » issus d'horizons bien plus larges qu'auparavant. A la différence de l'écriture « par en-haut », « vide d'humanité », de la majeure partie des auteurs de la période assadienne, la nouvelle écriture est « habitée » d'une multitude d'expériences et de détails vécus dans le contexte tragique de ces années révolutionnaires et de guerre.1

La production académique sur le salafisme est restée relativement limitée et confidentielle jusqu'en janvier 2011. Les rares travaux disponibles ont tendance à rendre cohérente et homogène une dynamique sociale marquée par son caractère disparate et à laquelle est prêtée un même comportement à l'égard du politique, fait de distance voire de condamnation. C'est ainsi que l'entrée en 2011 au parlement égyptien d'une des composantes du courant salafiste, avant son éviction aux élections législatives en 2015, a rendu perplexes les observateurs du champ politique égyptien. Afin de mieux cerner ce qui fait la réalité sociale et politique du salafisme égyptien contemporain, cet article se propose d'en dresser une vue d'ensemble avant la Révolution de 2011, pour comprendre les transformations subies à l'épreuve du politique, jusqu'à aujourd'hui.