Contenu du sommaire : Santé et addiction : du corps humain au corps social
Revue | Psychotropes : Revue internationale des toxicomanies et des addictions |
---|---|
Numéro | vol. 14, 2008/2 |
Titre du numéro | Santé et addiction : du corps humain au corps social |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Santé et addiction : du corps humain au corps social - Michel Hautefeuille p. 5-7
Dossier thématique
- À son corps défendant. : Une approche constructiviste du corps dans le champ des toxicomanies - Grégory Lambrette p. 9-21 L'auteur expose en cet article une vision constructiviste du corps dans les toxicomanies. Il aborde le corps comme composante essentielle dans la construction de l'identité des personnes, construction passant principalement par la relation et où le corps précisément joue sa part. C'est également la place du corps dans les toxicomanies et leurs développements qui est ici abordée.This paper offers a constructivist view of the body in drug addiction. The body is approached as an essential component in the construction of a person's identity. Construction is mainly relational and the body plays its part in it. The place of the body in drug addiction and its developments is also explored.
- Les marques corporelles des sociétés traditionnelles : un éclairage pour les pratiques contemporaines - Bruno Rouers p. 23-45 Dans le cadre des conduites à risques que l'on peut rencontrer chez les adolescents, le corps du sujet est souvent mis en jeu : jeu de la séduction, jeu de la provocation, jeu de la transgression. Il semble que le corps soit tiraillé entre deux exigences contradictoires : la dissimulation et l'exhibition. La pratique du tatouage et du piercing participent de cette mise en jeu ; de plus en plus répandues, ces pratiques font partie des modifications corporelles socialement acceptables, alors que d'autres se confondent avec les formes d'automutilations addictives. L'étude des marques corporelles traditionnelles peut-elle apporter un éclairage sur les pratiques contemporaines de tatouage et de piercing ? Cet article tente de répondre à cette question en étudiant des éléments communs du processus de marquage : l'importance de la douleur, la symbolique du sang, du couple feu/métal et des orifices du corps, et la volonté de dépasser les limites. En conclusion, cette mise en jeu du corps devrait faire l'objet, de la part des thérapeutes, d'une attention particulière afin de faire la distinction entre pratique ludique ou identitaire vécue positivement et une pathologie sur fond de pulsions incontrôlables.The risk behaviours that may be encountered among adolescents often involve the body in a game of seduction, provocation, or transgression. It seems that the body is torn between two contradictory requirements: concealment and display. Tattooing and body piercing are part of this game. These practices are increasingly widespread, they are socially acceptable body modifications, while other practices resemble forms of addictive self-mutilation. Can the study of traditional body marking practices shed light on present-day tattooing and piercing? This paper attempts to answer by studying common elements of the process of body marking: the importance of pain, the symbolism of blood, of the relationship between fire/metal and of body orifices, and the willingness to exceed limits. To conclude, therapists should pay special attention to this body game in order to distinguish between positive, playful or identity-building practices and pathologies caused by uncontrollable impulses.
- Entre santé et expérience de la maladie - Janine Pierret p. 47-59 La place de la médecine dans la société et les rapports entre maladie et santé ont connu de profonds changements dans les dernières décennies. Le droit à la maladie et aux soins a été remplacé par le devoir de santé et il ne s'agit plus de lutter contre la maladie, mais de se maintenir en santé. Avec l'émergence de la médecine du risque, un glissement s'effectue de l'évitement à l'anticipation des risques pour aller vers le toujours mieux, et bouleverse les repères entre santé et maladie. Ces transformations ont un impact sur la médecine elle-même et ses modalités de traitement et de suivi des personnes dont le statut entre santé et maladie est de plus en plus brouillé.The place of medicine in society and the relationship between sickness and health have undergone profound changes over recent decades. The right to be sick and to be treated has been replaced by the duty to be in good health and it is no longer a question of fighting sickness, but rather of remaining healthy. With the emergence of risk medicine, we are seeing a shift from risk avoidance to risk anticipation in order to achieve the ever-better, thus losing our bearings between health and sickness. These changes have impacted medicine itself and it treats and monitors people whose position, somewhere between health and sickness, is increasingly blurred.
- Addictions et pathologisation de l'existence : aspects psychosociaux - Amnon Jacob Suissa p. 61-80 Nous assistons de plus en plus à une tendance sociale où la pathologisation des comportements liés aux addictions est une avenue privilégiée dans les modalités de gestion et de contrôle social. Quels sont les repères qui permettent d'expliquer les passages d'une condition sociale et des comportements d'addiction à un statut de maladie et de pathologie ? Y a t-il des bases scientifiques à ce discours qui permettent l'actualisation de ces conditions pour les rendre plus acceptables, voire plus désirables au plan social ? À partir d'une revue de littérature, cet article souhaite analyser la tendance actuelle à la médicalisation en général, et le champ des addictions en particulier. À cette fin, quatre aspects seront mis en relief :un essai de définition et une contextualisation du processus de médicalisation, une analyse du concept de dépendance comme étant au cœur du débat dans le processus de médicalisation du social, un clin d'œil au rôle idéologique des mouvements d'entraide anonymes fondés sur les 12 étapes comme espace de socialisation de « la maladie des addictions », une réflexion sur les pistes d'intervention visant le développement du pouvoir d'agir des personnes et de leurs réseaux.Pathologising addictive behaviours is increasingly used as a method of social management and control. What are the markers that allow to explain the passage from a social position and addictive behaviours to a position of disease and pathology? Are there scientific bases that allow the discourse on pathologisation to make such behaviours more acceptable, or even more socially desirable? Based on a review of the literature, this paper analyses the present social trend toward medicalisation in general and in the field of addiction in particular. To that end, four issues are reviewed : an attempt to define and contextualise the medicalisation process, an analysis of the addiction concept as a multifactor phenomenon, the ideological role of the 12-steps philosophy in the pathologisation of addictive behaviours, some paths of intervention and empowerment are suggested.
- Une jouissance trop promise - Jacqueline Barus-Michel p. 81-91 Il y a toujours eu un besoin irrépressible de recourir à des moyens d'échapper à l'ordinaire et à la souffrance. Les sociétés hypermodernes où règne la consommation de l'image ont ajouté aux substances euphorisantes les fantasmes dispensés par les mirages surmultipliés des écrans. Ce n'est pas à plus de sens que l'on demande de soulager la souffrance, mais à un afflux de sensations. La sensation abolit l'émotion et l'émotion abolit l'affect. Le psychique est ramené au registre de l'organique. L'addiction dilate le champ imaginaire des possibles, mais sur quel mode ? La réalité qui se définit par l'obstacle fait retour sous les figures de la mort. Le symbolique se résorbe en marques ou signes ornementaux, inaptes à dire à l'autre. L'imaginaire se réduit à des fantasmes suggérés, subis passivement. L'addict, devancé dans la production de ses propres désirs, s'obstine dans la répétition à la recherche de l'oubli et de la jouissance. Il en est de même du pervers qui cherche en vain la puissance et la jouissance dans la répétition. Ces conduites compulsives et obsédantes témoignent d'un insupportable manque et de l'illusion de pouvoir devenir le maître de la jouissance alors qu'elle est toujours ratée. Dans cet univers du mirage, il ne reste rien de l'autre ni de la loi, mais comment ceux-ci s'étaient-ils donnés à voir ? Ce sont sans doute les déficiences symboliques des sociétés qui engendrent les maladies du manque.The irrepressible need to resort to means of escaping from day-to-day reality and suffering has always existed. Hypermodern societies ruled by the consumption of image have added the fantasies bestowed through the over-multiplied mirages on the screens to euphoria - inducing substances. One seeks to alleviate the pain not by looking for more meaning but for more sensations. Sensation abolishes emotion and emotion abolishes affect. The psychic is reduced to the organic. Addiction dilates the imaginary field of the possible but how? Reality, defined by the obstacle, comes back under the faces of death. The symbolic is absorbed in ornamental marks or signs that are unable to express the other. The imaginary reduces itself to passively suffered suggested fantasies. The addict, preceded in the production of their own desires, clings to the repetition, seeking oblivion and jouissance. Likewise, the pervert seeks in vain power and jouissance in repetition. Such compulsive and obsessive behaviours show both an insufferable craving and the illusion of being able to master jouissance even when it is always missed. In such a mirage universe, nothing subsists, neither from the other, nor from the law, but how did the latter present themselves? It is probably the symbolic deficiencies of societies which give rise to the illnesses of the craving.
- À son corps défendant. : Une approche constructiviste du corps dans le champ des toxicomanies - Grégory Lambrette p. 9-21
Article
- La ritualité héroïnomaniaque : retour à la « vie nue », épreuve de la Communitas et processus identitaire - Pascale Peretti p. 93-111 Loin de pouvoir être ramené à cet unique désir, mortifère, de retrait du sujet sur un narcissisme quasi absolu qui semble d'abord l'animer, le modèle d'expérience héroïnomaniaque pourrait se présenter comme une tentative, pour des individus placés dans des situations liminaires, d'interroger la question de leur appartenance à « la communauté des vivants ». Comme dans le phénomène de la liminarité rituelle, c'est dans un mouvement de retournement subjectif et social vers leur simple « vie nue » – à travers cette épreuve désubjectivante et désidentifiante de « mort symbolique » que semble représenter la « descente aux enfers » – que les toxicomanes, fondamentalement exposés à la perte et au risque mortel, interrogent les fondements de la communauté dans laquelle ils tentent peut-être violemment de s'inscrire. Le rapport du sujet contemporain à sa « vie nue », par ses potentialités radicalement altérisantes, se présente comme une nouvelle forme, postmoderne, du rapport au Sacré.The model of the heroin-addiction experience, far from reducible to this sole, death-bearing, desire of the subject ‘s retreat to a quasi-absolute narcissism that seems at first to motivate it, could appear as an attempt, for individuals in liminary situations, to question their membership in “the community of the living”. As in the phenomenon of ritual liminarity, it is within a move of subjective and social reversal towards their simple “bare life” – through the de-subjecting and de-identifying experience of “symbolic death” that seems to be present in their “descent into hell” – that the drug addicts, fundamentally exposed to loss and mortal risk, question the foundations of the community that they are trying, perhaps violently, to join. The rapport of the contemporary subject with their “bare life”, due to radically otherising potentialities, appears as a new, postmodern, type of connection to the Sacred.
- La ritualité héroïnomaniaque : retour à la « vie nue », épreuve de la Communitas et processus identitaire - Pascale Peretti p. 93-111