Contenu du sommaire : Les enjeux du football
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | vol. 103, no. 1, 1994 |
Titre du numéro | Les enjeux du football |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les enjeux du football - Jean-Michel Faure, Charles Suaud p. 3-6
- Un professionnalisme inachevé - Jean-Michel Faure, Charles Suaud p. 7-26 Un professionnalisme inachevé L'espace du football professionnel en France demande à être construit comme un système de positions des clubs irréductible à un classement sportif ou encore à l'éventail des budgets investis. Combinés à de nombreuses autres conditions telles que la place du football dans le système des sports de la région, les propriétés sociales des dirigeants ou encore les rapports entretenus avec le pouvoir économique et politique local, les moyens économiques n'agissent qu'en étant transformés par les clubs en capital sportif, selon les règles invisibles d'un jeu social qu'il s'agit de décrire. Les changements survenus entre les années 1940 et 1980 dans les principes qui organisent la compétition sportive sur l'ensemble de l'espace du football sont analysés à travers les transformations du FC Nantes, pris comme club de référence. Ce qui est souvent présenté comme des choix de dirigeants, se comprend alors comme la retraduction sportive de stratégies économiquement obligées et socialement organisées, mises en relation avec une position particulière occupée par ce club dans l'espace national. Cette étude de cas montre par exemple que l'opposition entre les clubs qui recourent à l'« achat de joueurs » et ceux qui forment leurs propres recrues exprime non seulement des différences de moyens économiques, mais aussi des conflits de valeurs qui rappellent, dans la logique de l'espace sportif, l'opposition agissante dans les différents champs de production culturelle entre les forces qui répondent à la logique économique et celles qui entendent respecter les principes de concurrence internes à l'espace considéré. Mais, alors qu'il n'existe, au moins formellement, qu'un seul espace de compétition, les clubs qui accèdent aux performances les plus reconnues sont ceux dont les modes de gestion respectent le moins les principes sportifs que les instances nationales, chargées d'imposer les normes légitimes du football professionnel, continuent de défendre au nom des valeurs « amateur » du sport. Ce que l'on appelle « les affaires » du football français pourraient n'être que la conséquence de ces contradictions qui, d'un point de vue proprement institutionnel, prennent la forme de luttes internes entre fractions de dirigeants du football français pour le contrôle des instances de direction existantes - et, plus récemment, pour la création d'instances de représentation nouvelles - dans le but de substituer à la situation actuelle l'instauration d'un professionnalisme intégral.
- L'invention du style brésilien - J. Sergio Leite Lopes, Jean-Pierre Faguer p. 27-35 L'invention du style brésilien L'étude de la carrière de Mario Filho (1908-1966), qui a contribué, au début des années 1930, au développement du journalisme sportif et à l'instauration du professionnalisme dans son pays, paraît être une piste privilégiée pour comprendre les transformations du football brésilien, l'énorme croissance de la popularité de ce sport et son rôle politique. Contrairement à l'idée courante aujourd'hui, qui consiste à penser le « style brésilien » comme quelque chose de « naturel », l'action réformatrice qu'il a entreprise peut aider à éclairer le caractère de construction sociale du football comme sport populaire. Le passage au professionnalisme impliquait une nouvelle conception du sport qui n'était pas réductible à des impératifs économiques. Le professionnalisme s'adressait à des joueurs (et, par identification, à des spectateurs) qui appartenaient aux catégories les plus pauvres et les plus stigmatisées et qui attendaient tout du football : un statut social mais aussi une reconnaissance collective en tant que Brésiliens « à part entière », la possibilité de carrières leur permettant d'accéder à un statut que ne leur garantissaient pas les clubs amateurs qui recrutaient leurs joueurs dans les classes moyennes blanches, la possibilité enfin d'échapper aux rapports de dépendance qu'impliquait le professionnalisme « marron » des équipes financées par les commerçants ou les industriels dans une logique étroitement « sportive » (la recherche du « résultat»). De ce point de vue, Mario Filho, auteur du livre Le Noir dans le football brésilien, a influencé de manière indissociable les mondes du sport, du journalisme et de la politique.
- La tradition ouvriériste du football anglais - Richard Holt p. 36-40 La tradition ouvriériste du football anglais L'article vise à situer le football anglais dans l'espace des sports qui lui est propre. Alors que, en Angleterre, le caractère socialement sélectif de certains sports comme le tennis et le golf exclut les travailleurs manuels, l'auteur montre que le football demeure le domaine réservé de la classe ouvrière. Des traditions populistes, constituées au cours de son histoire, en ont objectivement écarté les classes supérieures qui, par ailleurs, s'excluent elles-mêmes d'une pratique qu'elles jugent vulgaire. Ainsi, contrairement aux idées prévalant dans les autres pays, le football ne peut être considéré comme le jeu de tout un peuple. Perceptibles tout à la fois par le recrutement des joueurs et par la composition de son public, les liens que le football professionnel entretient avec la culture ouvrière se traduisent également par la valorisation d'un style de jeu typiquement anglais. La sagesse populaire, rappelant que «le football est un sport d'homme », signifie que les joueurs restent avant tout appréciés pour leur engagement physique, leur résistance au mal et leur dévouement à l'équipe. Cette conception de la pratique, qui privilégie le courage et la volonté au détriment de l'intelligence du jeu, interdit que des virtuoses et des individualistes talentueux puissent trouver leur place dans la sélection nationale. Cet ouvriérisme fait du football anglais un marché fermé et contribue à la faiblesse actuelle de l'équipe d'Angleterre.
- Celtic et Rangers - Bill Murray p. 41-51 Celtic et Rangers, les Irlandais de Glasgow L'affrontement séculaire qui oppose les deux clubs de football de Glasgow, le Celtic et les Rangers, permet de comprendre comment ceux-ci sont pris dans des systèmes symboliques qui fondent leur histoire. A travers des équipes de football, ce sont à la fois des villes, des communautés locales, ethniques, religieuses, politiques ou autres qui rivalisent. Le Celtic FC a été fondé par des émigrés irlandais catholiques. L'adhésion à ce dernier symbolise la lutte pour l'indépendance de l'Irlande, dont l'équipe porte les couleurs, la fidélité à l'Église et un engagement de classe censé opposer le prolétariat irlandais à tous les nantis de Grande-Bretagne. Les supporters des Rangers se vantent d'avoir le club le plus bleu et le plus protestant d'Ecosse. Associé aux loges maçonniques, à l'ancien Ordre orangiste, et fervent partisan de la Couronne, le club, dirigé par des chefs d'entreprise, mène une politique méthodique d'exclusion des catholiques qui se retrouve également au niveau de l'emploi. Les rencontres sportives entre ces deux clubs sont des occasions d'actualiser ces multiples oppositions : les supporters du Celtic célèbrent la république d'Irlande et le combat de l'IRA, tandis que ceux des Rangers chantent les victoires de son adversaire protestant, l'Association de défense de l'Ulster et raillent le pape et ses ouailles. La combinaison particulière de ces facteurs religieux, politiques et sociaux explique les passions qui entourent cette rivalité sportive, quand les deux équipes rejouent périodiquement, dans le stade de Glasgow, la tragédie qui se déroule en Ulster.
- SV Sodingen : le dernier club de banlieue - Rolf Lindner, Heinrich Th. Breuer p. 52-54 SV Sodingen : le dernier club de banlieue Par l'homogénéité sociale et géographique de son recrutement, par sa façon de jouer et par la nature de ses liens avec son public, le SV Sodingen aura été le dernier des clubs ouvriers de football de haut niveau, dans l'Allemagne Fédérale d'après-guerre. Son ascension (1947-1955), puis son déclin à partir de 1959 sont liés pour une part à l'évolution du football vers le professionnalisme, pour une autre part à la crise du charbon qui a profondément bouleversé les rapports sociaux dans la Ruhr.
- Une rhétorique de la famille - Charles Korr p. 56-61 Une rhétorique de la famille : West Ham United Le recours à la rhétorique de la famille par le club londonien du West Ham United s'appuie sur une réalité sociale : depuis sa création en 1900, ce club est resté la propriété d'une même famille appartenant à la bourgeoisie industrielle, qui en a assuré sans interruption la direction. Dans le cadre de la société victorienne, cette manière de construire le club comme une entité fortement intégrée, qui unissait dans une dépendance totale les joueurs et les supporters aux dirigeants, relevait d'une stratégie globale de réglementation de la vie privée des membres des classes populaires. L'analyse de la crise à la fois économique, sportive et institutionnelle, que connaît le club de West Ham dans les années 1990, montre comment les supporters se sont saisis des valeurs de la famille invoquées par les dirigeants, pour leur donner une extension nouvelle susceptible de justifier une volonté de peser plus fortement sur la politique du club.
- Stanley Matthews, la genèse d'un symbole - Tony Mason p. 62-69 Stanley Matthews, la genèse d'un symbole La carrière exceptionnelle de S. Matthews permet de comprendre les rapports entre la structure de la société anglaise et la position du football dans l'espace des sports entre 1930 et 1965. A la fin de cette période, alors qu'il figurait encore dans les rangs des joueurs professionnels, sa popularité était telle que l'État lui accorda les plus grands honneurs. L'article analyse les relations entre le joueur et un public appartenant essentiellement à la classe ouvrière. Joueur hors du commun, Matthews fut d'abord un symbole régional avant d'obtenir une consécration nationale. La reconnaissance de son talent est d'autant plus surprenante de la part du public populaire, amateur d'un style de jeu fondé sur l'affrontement physique, qu'il faisait prévaloir sur le terrain des qualités tout autres basées sur la technique, l'esquive et l'intelligence du jeu, mais il incarnait parfaitement le goût du travail bien fait, la solidarité, et la fidélité à son équipe. Pour de tout autres raisons, les classes supérieures finirent par l'apprécier ; son ascétisme, son sens du fair play, sa parfaite correction sur le terrain, et sa vie publique discrète reflétaient tout ce qui définissait un vrai gentleman.
- Mekloufi, un footballeur français dans la guerre d'Algérie - Pierre Lanfranchi p. 70-74 Mekloufi, un footballeur français dans la guerre d'Algérie Originaire de Sétif, Rachid Mekloufi, recruté en 1954 par l'AS Saint-Étienne réalisa une brillante carrière de joueur professionnel, détenteur d'un riche palmarès. Son itinéraire personnel fut profondément marqué par le contexte de la guerre d'Algérie. En 1958, avec dix autres joueurs évoluant dans les clubs français, il quitta la France pour constituer l'équipe du Front de libération nationale, et devint ainsi le symbole de la révolution algérienne. Après l'indépendance, il rejoignit son club et remporta une nouvelle Coupe de France, avant de retourner dans son propre pays. Sans cesse confronté aux utilisations symboliques divergentes de sa propre image, il semble toujours en porte à faux, incapable de se positionner réellement dans l'espace sportif où il doit se situer. Tandis que, en France, on ne lui pardonne pas son engagement politique, devenu sélectionneur en Algérie, il est écarté pour ses conceptions trop professionnelles du sport, qui font de celui-ci un monde à part. L'article permet de comprendre de manière comparative l'autonomie relative de l'espace sportif propre à chacun des deux pays, et les rapports de dépendance que celui-ci entretient avec des espaces politiques distincts.
- Maradona, héros napolitain - Vittorio Dini p. 75-78 Maradona, héros napolitain Diego Maradona arriva à Naples en 1984 et permit à son club de devenir rapidement champion d'Italie. Durant toute cette période, il devint un véritable héros napoli- tain faisant corps avec la grande ville du Sud que l'Italie stigmatise pour sa misère et sa délinquance chronique. Dans l'imaginaire napolitain, Maradona accéda au statut de personnage sacré, les Napolitains lui vouaient un culte empreint de religiosité, et ses exploits pour le Napoli semblaient perpétuer les miracles de San Gennaro, le saint protecteur de la ville. Il incarnait la revanche de la cité et symbolisait sa grandeur retrouvée. En dépit des campagnes de presse, sa condamnation pour trafic de drogue ne fit que renforcer sa popularité. Les sanctions légales ne peuvent entamer la force de la croyance populaire dans les vertus de ses héros. La figure emblématique du joueur répond ainsi aux aspirations collectives pour constituer l'identité de la ville.
- Le rouge et le noir - Christian Bromberger , Jean-Marc Mariottini p. 79-89 Le rouge et le noir : un derby turinois Dans les championnats nationaux, les derbies, matchs opposant deux clubs d'une même ville, occupent une place à part. Il s'agit d'affaires de prestige et d'honneur local, des valeurs sur lesquelles les supporters ne transigent pas. A Turin, les passions partisanes culminent ainsi lors des deux derbies annuels entre la Juventus et le Torino, chacun de ces clubs symbolisant un univers social et culturel singulier, une vision différente du monde et du destin. A travers l'évocation d'un de ces matchs au sommet, on analyse les ressorts et les expressions de cet antagonisme amplifié, dans les gradins, par une culture partisane qui utilise tous les stigmates et registres disponibles pour discréditer l'adversaire. A travers l'évocation concomitante de supporters on montre comment des destinées individuelles et familiales se croisent avec celles de clubs et avec l'histoire répétitive et singulière tout à la fois qui se déroule sur le terrain.
- Football et antisémitisme en Hongrie - Victor Karady, Miklôs Hadas p. 90-101 Football et antisémitisme en Hongrie En Hongrie les équipes de football ont toujours formé, depuis leur fondation à la fin du XIXe siècle, un champ de compétition et de concurrence autant sportives qu'idéologiques, socio-culturelles et politiques. L'article suit les transformations de ce champ, centrées sur la rivalité entre deux équipes de pointe de Budapest - le MTK, défini comme « formation juive », et le Fradi, défini comme équipe « prolo » ou « populaire » - à travers trois périodes : l'ancien régime, le stalinisme et le kadarisme. Les données sur les stratégies sportives des équipes, sur leurs chances de réussite historiquement très variables, sur la composition socio-professionnelle de leurs publics, sur les références idéologiques et les attaches territoriales qui les marquent ainsi que sur les manipulations politiques dont les équipes ont fait l'objet autorisent l'analyse des mouvements de masse souvent oppositionnels et/ou antisémites dont les stades hongrois n'ont cessé d'être le théâtre.
- Les Jeux olympiques - Pierre Bourdieu p. 102-103
- Le nouveau nationalisme sportif - Gunter Gebauer p. 104-107 Le nouveau nationalisme sportif La retransmission des Jeux olympiques de Barcelone a bénéficié d'innovations techniques et de moyens accrus qui se sont accompagnés d'un nouveau mode de présentation des événements sportifs. Auparavant, la retransmission télévisée montrait le déroulement intégral d'une compétition tel qu'un spectateur présent dans la tribune l'aurait perçu. Dorénavant, elle montre des extraits d'épreuves qui appartiennent à des disciplines différentes mais ont en commun la nationalité des sportifs qui ont des chances de l'emporter. Cette vision nationaliste s'est particulièrement développée dans l'Allemagne unifiée. La retransmission sportive a accrédité l'existence de la nouvelle nation.
- Résumés - p. 108-111