Contenu du sommaire : La gouvernementalité rurale dans les pays du Sud
Revue | Critique internationale |
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Numéro | no 75, avril-juin 2017 |
Titre du numéro | La gouvernementalité rurale dans les pays du Sud |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 5-6
Thema : La gouvernementalité rurale dans les pays du Sud
- Le nexus État, foncier, migrations, conflits comme champ social - Jean-Pierre Chauveau p. 9-19
- De la spoliation à l'accumulation : violence, pacification et conflits fonciers en Colombie - Jacobo Grajales p. 21-36 Le conflit armé colombien de ces dernières décennies a été marqué par l'importance des affrontements d'ordre foncier. Déterminants dans l'apparition des acteurs armés, ces affrontements ont été exacerbés par des stratégies de spoliation et d'accaparement des terres, qui ont provoqué des déplacements forcés de populations ainsi que la reconfiguration des territoires. La démobilisation des milices paramilitaires, principaux auteurs de cette spoliation, et la relative stabilisation de la situation sécuritaire depuis le milieu des années 2000 n'ont pas conduit à une remise en cause profonde des formes d'accumulation issues de la guerre. Au contraire, les transformations en cours aujourd'hui se caractérisent soit par un usage plus discret de la violence, soit par l'émergence de nouveaux acteurs économiques, en phase avec le discours et les exigences normatives d'une situation qualifiée de « sortie de guerre ». Sur la base de ce constat, cette contribution propose une discussion critique non seulement de l'économie politique du foncier rural en situation de post-conflit mais aussi, plus généralement, de la caractérisation de ces contextes en termes de rupture et de transformation.In Colombia, the armed conflict of recent decades has been marked by major confrontations over land ownership. A decisive factor in the emergence of armed actors, these confrontations were significantly exacerbated by land grabbing strategies, which led to forced population displacement and territorial reconfiguration. Despite the demobilization of paramilitary militias, who were the principal agents of land grabbing, and the relative stabilization of the security situation since the mid-2000s, the forms of accumulation resulting from the war have not been seriously challenged. On the contrary, in line with the discourses and normative demands of what is described as a “post-conflict” situation, the transformations now underway are characterized either by a more discrete use of violence or the emergence of new economic actors. On the basis of this observation, the present article critically examines, not just the political economy of rural land-ownership in a post-conflict situation, but also and more generally the manner in which the notions of discontinuity and transformation are used to describe these contexts.
- Gouvernance internationalisée en situation de guerre civile : l'accaparement foncier en Afghanistan (2001-2015) - Adam Baczko p. 37-51 Loin d'être le résultat d'une supposée culture ou d'une relation particulière à l'État, la prédation économique en Afghanistan découle de l'insertion des réseaux d'entrepreneurs politico-militaires dans une gouvernance internationalisée conjointement produite par les acteurs de l'intervention occidentale et le régime de Hamid Karzai. Ces entrepreneurs profitent d'une logique situationnelle inflationniste et spéculative autour du foncier, qui s'inscrit dans un processus plus long de désenchâssement des ressources foncières engagé dans les années 1960 et 1970 et que la guerre civile a accéléré à partir de 1979. Le régime de Karzai et ses soutiens étrangers sont au cœur de cette nouvelle économie politique qui, en l'absence de régulation, permet à un petit nombre de s'accaparer les revenus de l'aide et de la terre. Ainsi ces entrepreneurs peuvent-ils s'enrichir hors de tout circuit de réciprocité, en redistribuant à leur clientèle une portion congrue de la manne qu'ils placent à l'étranger. Cette gouvernance internationalisée s'inscrit en rupture avec l'histoire de l'État afghan qui, depuis la fin du XIXe siècle, s'est imposé en régulant la redistribution de la terre.Far from being the effect of some suppositional culture or relationship to the state, in Afghanistan economic predation is a result of the integration of networks of politico-military entrepreneurs within the system of internationalized governance that has been jointly produced by the actors of the Western intervention and Hamid Karzai's regime. These entrepreneurs take advantage of the inflationist and speculative dynamic at play in the domain of land ownership, itself part of a longer process of land resource disembedding that got under way in the 1960s and 70s and was accelerated by the civil war that started in 1979. Karzai's regime and its foreign supporters are at the center of this new political economy, which, in the absence of regulation, allows a small group to monopolize aid and land revenue. By distributing a small share of this windfall to their clientele and investing the rest abroad, these entrepreneurs have thereby been able to enrich themselves outside of any network of reciprocity. This internationalized governance marks a break with the history of the Afghan state which, since the late nineteenth century, has asserted itself by regulating the redistribution of land.
- Réforme agraire et reconfiguration du régime de gouvernementalité dans Les Tuxtlas, Mexique, 1920-1945 - Éric Léonard p. 53-69 Quelles sont les différentes formes de mobilisation de la question foncière dans les processus de construction de l'État et du régime de gouvernementalité rurale au Mexique ? La réforme agraire de 1917 a été considérée comme un facteur déterminant dans la reconfiguration des rapports entre l'État et les instances locales de gouvernement. Sa mise en œuvre a en effet opposé deux conceptions du pouvoir étatique, de la citoyenneté, de la propriété et du marché : l'une centrée sur l'autonomie des dispositifs locaux de gouvernance foncière et politique ; l'autre fondée sur la centralisation et la verticalité des liens entre l'État et les communautés rurales, à travers le rôle structurant des bureaucraties étatiques et syndicales dans l'allocation et la régulation des droits fonciers. À partir de 1935, les distributions de terre ont servi de levier à la mise en place de coalitions entre des agents de l'État central et des secteurs subalternes des sociétés villageoises qui cherchaient à s'émanciper des structures de pouvoir traditionnelles, via l'activation de processus multiples de frontière interne qui ont conduit à reconfigurer les structures politico-territoriales et institutionnelles du Mexique rural.How has the issue of property rights to land been employed in the processes by which state and rural governmentality regimes are constructed in Mexico? The agrarian reform of 1917 has been seen as having played a decisive role in the reconfiguration of relations between the state and local government bodies. For its implementation opposed two conceptions of state power, citizenship, property and the market: the first centered on the autonomy of local systems of property rights and political governance; the second was based on the centralization and verticality of relations between the state and rural communities, with the state and labor union bureaucracies playing a structuring role in the allocation and regulation of land rights. From 1935 onwards, land distributions provided leverage for establishing coalitions between the agents of the central state and subaltern sectors of village societies. In seeking to emancipate themselves from traditional patriarchal structures of power, the latter set in motion multiple internal frontier processes that led to the reconfiguration of the politico-territorial and institutional structures of rural Mexico.
- La construction de l'État français en Guyane à l'épreuve de la mobilité des peuples amérindiens - Geoffroy Filoche, Damien Davy, Armelle Guignier, Françoise Armanville p. 71-88 La mobilité des Amérindiens de Guyane, caractéristique fondamentale de leurs modes de vie traditionnels, est désormais une problématique indissociable de celle de l'obtention de droits sur les terres qu'ils occupent. Si elle permet à ces populations d'éviter les conflits intra et intercommunautaires, cette mobilité peut également en être à l'origine dès lors que l'espace et les ressources naturelles deviennent plus rares et que la nécessité est inscrite à l'agenda politique national d'arbitrer les usages de l'espace entre Amérindiens, populations non autochtones, élus locaux et services déconcentrés de l'État. Dans cette étude sont analysés les manières dont l'État français compose avec la mobilité des communautés autochtones ainsi que les effets des droits qui leur sont reconnus sur leurs logiques d'occupation de l'espace. Plus généralement, il s'agit de montrer que la gestion politique de la mobilité des Amérindiens est une question de plus en plus sensible à mesure que l'État étend son emprise et ses velléités d'organisation sur des espaces auparavant périphériques où une certaine marge de manœuvre était laissée aux communautés.As a problematic, the mobility of the Amerindians of Guyana – a fundamental characteristic of their traditional way of life – is inseparable from the question of their rights over the land they occupy. Although it allows these populations to avoid intra- and inter-communitarian conflicts, this mobility can also be a source of conflict when space and natural resources are less readily available and the need to arbitrate the use of space among Amerindians, nonnative populations, elected officials and the dispersed services of the state has been placed on the national political agenda. The present article examines the ways in which the French state compromises with native communities as well as the manner in which the rights granted to them affect their practices of occupying space. More generally, it seeks to show that, as the state's reach extends to formerly peripheral spaces (where communities had been left some leeway) and its inclination to organize them grows, the political administration of Amerindian mobility becomes an increasingly sensitive issue.
Varia
- Les réseaux politico-économiques dans la Russie de Poutine - Roman Volkov p. 91-111 Après la chute de l'URSS, la Russie a connu une double transformation : politique, avec la transition vers une démocratie pluraliste ; économique, avec l'adoption de l'économie de marché. Cette situation inédite a été propice à l'émergence d'une oligarchie dont les intérêts privés prévalaient sur ceux de l'État. L'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine a totalement inversé la donne : une élite au service des intérêts de l'État s'est constituée, qui a progressivement concurrencé la position dominante des oligarques. Aujourd'hui, cette élite s'apparente plus à une classe dirigeante tant son autorité politique et son influence économique annihilent toute concurrence. Structurée idéologiquement autour de la rhétorique de l'« État fort » et personnellement liée à V. Poutine, cette classe dirigeante agit grâce à un « capital administratif », constitué par le cumul de positions clés dans les champs politique et économique et qui lui permet de contrôler l'économie, de coordonner les décisions stratégiques et de redistribuer les rentes économiques par lesquelles prend forme sa domination.After the fall of the USSR, Russia underwent a twofold transformation: a political transformation, with the transition to pluralistic democracy; and economic transformation, with the adoption of the market economy. This novel situation favored the emergence of an oligarchy whose private interests prevailed over those of the state. The arrival to power of Vladimir Putin completely inverted this order: an elite in the service of the state's interest emerged and gradually challenged the dominant position of the oligarchs. To the degree that its political authority and economic influence crush all competition, this elite resembles a ruling class. Ideologically structured around the rhetoric of the “strong state” and personally tied to Vladimir Putin, this ruling class benefits from a form of “administrative capital” that consists in the accumulation of key positions within the economic and political fields. This allows it to control the economy, coordinate strategic decisions and redistribute the economic rents of its dominant position.
- Itinéraire d'une « bonne pratique » : la Banque mondiale et les conditional cash transfers en Amérique latine et aux Philippines - Pablo Diaz p. 113-132 Cette étude se propose d'affiner la compréhension des processus à travers lesquels les « bonnes pratiques » sont définies et redéfinies dans les interactions complexes entre organisations internationales et gouvernements nationaux. Plusieurs enquêtes de terrain menées en Amérique latine et aux Philippines sur les programmes de conditional cash transfers mettent en lumière les mécanismes qui sous-tendent la standardisation, la mise en circulation et l'importation des modèles de politique publique. Le cas de la Banque mondiale, notamment, permet une réflexion sur les nouvelles modalités d'action des institutions financières internationales qui, afin de paraître moins coercitives, se présentent comme des intermédiaires éclairés entre des pays du Sud fournisseurs ou demandeurs de solutions d'action publique, tout en instrumentalisant leurs « innovations » dans le but de s'assurer un statut d'expert. Au demeurant, la capacité de réappropriation de certains pays des Suds est telle que leurs innovations peuvent déboucher sur l'émergence d'une nouvelle variante de la « bonne pratique » (une sorte de version 1.2), susceptible de devenir la nouvelle norme en vigueur.This study seeks to sharpen our understanding of the processes by which “good practices” are defined and redefined in the complex interactions between international organizations and national governments. Several field studies conducted in Latin America and the Philippines of conditional cash transfer programs reveal the mechanisms that underlie standardization and the circulation and importation of public policy models. The case of the World Bank, in particular, allows one to consider the new modes of action of international financial institutions. In order to appear less coercive, the latter present themselves as enlightened intermediaries between countries of the South that supply public action solutions and those that seek them. At the same time, these institutions exploit the “innovations” of these countries in order to secure their status as experts. In fact, the re-appropriation capacity of some Southern countries is such that their innovations can result in the emergence of a new variant of the “good practice” (a sort of version 1.2) that is likely to become the new norm in force.
- La Catalogne, du nationalisme à l'indépendantisme ? Les enjeux d'une radicalisation - Mathieu Petithomme p. 133-155 À partir d'une synthèse de l'histoire du nationalisme catalan depuis le XIXe siècle et d'une analyse de sa trajectoire récente, cette réflexion sur les causes de la radicalisation indépendantiste montre que les principales caractéristiques du nationalisme catalan n'ont pas changé depuis la Renaixença : accent mis sur la « normalisation » linguistique et l'autonomie fiscale, vocation intégratrice du nationalisme dans le contexte d'une société divisée, tropisme conservateur de la bourgeoisie, phases de radicalisation dans les périodes où le modèle institutionnel de l'État est en crise. Certes, la radicalisation s'inscrit dans un contexte conflictuel dû au rejet des principales dispositions du statut d'autonomie de 2005 relatives à la reconnaissance de la « nation catalane » et de sa langue. Cependant, l'indépendantisme s'est également nourri de la crise de 2008. Tout en se diffusant grâce à l'activisme du mouvement social, il a été récupéré électoralement par la coalition Convergència i Uniò, et ce même si la Catalogne demeure malgré tout une « nation divisée ».Drawing upon a survey of the history of Catalan nationalism since the nineteenth century and an analysis of its recent trajectory, this discussion of the causes of separatist radicalization shows that the principal characteristics of Catalan nationalism have not changed since the Renaixença. They include an emphasis on linguistic “normalization” and fiscal autonomy, the integrative role played by nationalism in the context of a divided society, the conservative tropism of the bourgeoisie and phases of radicalization during periods when the institutional model of the state is in crisis. It is true that radicalization is part of a conflictual context brought about by the rejection of the autonomous status of 2005 as it related to measures recognizing the “Catalan nation” and its language. Yet separatism was also fueled by the crisis of 2008. Spread by way of the social movement's activism, it was simultaneously an object of electoral recuperation by the Convergència i Uniò coalition, even if Catalonia nevertheless remains a “divided nation”.
- Les réseaux politico-économiques dans la Russie de Poutine - Roman Volkov p. 91-111
Lectures
- Du « procès spectacle » au fait social. Historiographie de la médiatisation des procès en Union soviétique - Vanessa Voisin p. 159-173
- From #BlackLivesMatter to Black Liberation : Racism and Civil Rights : Chicago, HaymarketBooks, 2016, 270 pages. - Nicolas Martin-Breteau p. 175-178
- Le Hamas et le monde (2006-2015) : la politique étrangère du mouvement islamiste palestinien : Paris, CNRS Éditions, 2015, 344 pages. - Daniel Meier p. 179-182
- Capitalismes asiatiques et puissance chinoise : diversité et recomposition des trajectoires nationales : Paris, Presses de Sciences Po, 2015, 300 pages. - Pascal Petit p. 183-187