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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 682, 2017/2 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Du cri à la patrouille : l'ordre public dans les communes italiennes (1250-1350) - Paolo Grillo p. 251-266 Dans les villes de l'Italie communale, jusqu'au milieu du XIIIe siècle, l'ordre public a été assuré par les communautés de voisins, qui devaient courir en entendant les cris des victimes et capturer les criminels. Cette pratique, nommée accorruomo, pouvait pourtant engendrer des rixes ou des émeutes. À la fin du Duecento, les gouvernements urbains ont accompli un effort considérable pour mettre en place un appareil de sûreté efficace au service des magistrats, en soldant des dizaines ou des centaines de « policiers » professionnels qui pouvaient patrouiller dans les rues. Ce fut la source d'importants changements, mais aucune commune n'eut jamais les ressources suffisantes pour créer une force capable de contrôler la totalité de la ville et de ses campagnes. L'autorité des hommes du podestat finit donc par se superposer à la pratique de l'accorruomo, compliquant encore un cadre déjà structuré.From the cry to the patrol. Public order in the Italian communes (1250-1350)
In the towns of communal Italy, the “hue and cry” ensured law and order from 12th to the middle of 13th c. When the citizens heard the cry “help me!”, they had to run, help the victims and capture the criminals. But the “hue and cry” (“accorruomo”, in Italian) could cause fights and riots, which is the reason why, by the end of the Duecento, communal governments created police forces which were made available to the podestà and some other urban officers. These forces could be composed by some hundred men in major towns. The “policemen” could patrol the streets to prevent crimes: this was a major change in public order. But no commune had enough forces to patrol the whole town and the countryside. Therefore, the “accorruomo” survived and supported the actions of the podestà's men until the 15th c. - Les Lyonnais et saint Bonaventure (fin du XV e-XVIIIe siècles) - Fabienne Henryot p. 267-296 C'est au couvent des cordeliers de Lyon que Bonaventure est mort en 1274. Deux siècles plus tard, à la suite de sa canonisation prononcée en 1482, sa dépouille est convoquée dans une série de discours et de pratiques autant politiques que religieux, visant à légitimer des pouvoirs superposés. Le pouvoir royal d'abord, au tournant des XVe et XVIe siècles, s'empare de la relique pour s'imposer à Lyon. Puis ce sont les institutions municipales qui l'instrumentalisent pour créer et rendre visible un ordre civique et moral harmonieux et cohérent, particulièrement au XVIIe siècle. Enfin, les franciscains lyonnais tentent de récupérer la relique pour consolider leur unité mise à mal par un siècle de dissensions internes. La relique de saint Bonaventure est ainsi un exemple manifeste de l'usage politique et social des reliques dans la France urbaine moderne, favorisant l'union, la réconciliation et la territorialisation de l'espace urbain.Lyon and saint Bonaventure (15th-18th centuries)
Bonaventure died in the franciscan Convent in Lyon in 1274. Two centuries later, following his canonization in 1482, his mortal remains were referred to in several political as well as religious speeches and uses aimed at legitimating parallel powers.
First, at the turn of the 16th century, the monarchy confiscated the relics with a view to enforcing its power in Lyon. Next, the town council used it to implementing a new civic and moral order that was harmonious and coherent, especially in the 17th century. Finally, the Franciscans strove to retrieve the relics so as to boost up their unity that had been impaired by a century long internal feuding.
Thus, Saint Banaventure's relics are a telling example of how relics were made both political and social use of in modern urban France, thus helping to establish union, reconciliation and territorialisation in urban areas. - Entre science et philanthropie : une histoire sociale de l'African Association et de ses voyageurs (1788-1831) - Luis Teixeira p. 297-326 Cet article entend combler une lacune en proposant la première étude publiée en français consacrée spécifiquement à l'histoire de l'African Association. Fondée à Londres en 1788 par un petit groupe de gentlemen anglais désireux de promouvoir l'exploration géographique de l'Afrique, l'African Association intéresse depuis longtemps les historiens anglophones qui lui ont déjà consacré de nombreux travaux. Cet article présente et discute les acquis de cette historiographie au regard des archives laissées par l'Association et des récits de voyages publiés sous sa direction. Trois grandes questions sont abordées : le choix de la « forme associative » pour soutenir l'exploration de l'Afrique, l'influence du discours abolitionniste sur le programme scientifique de l'Association et les rapports entre ses membres et ses voyageurs. Pour répondre à ces questions, l'auteur a privilégié une analyse micro-historique attentive aux positions occupées par les acteurs dans l'espace social de leur temps. Rompant avec un récit positiviste qui fait la part belle aux explications macro-historiques abstraites, cet article cherche à cerner la nouveauté d'un projet qui a marqué l'histoire des relations euro-africaines à l'époque contemporaine et donne à voir l'intérêt de poursuivre une histoire sociale des voyageurs et des voyages d'exploration au xix e siècle.Between science and philanthropy: a social history of the African Association and her explorers (1788-1831)
The purpose of this article is to offer a study specifically dedicated to the history of the African Association in French, the first one to be published in this language. The African Association was founded in London in 1788 by a small group of English gentlemen who were willing to promote a geographical exploration of Africa. English-speaking historians have been interested in the African Association for a long time and a lot of research was done on the topic. This article introduces and questions the benefits of this historiography in relation to the Association's archives and the travels writing books that were published under its supervision. Three main questions are broached upon: the choice of the “associative form” to support the exploration of Africa, the influence of the abolitionist discourse on the scientific programme of the Association and the relations members and travellers had. To answer these questions, the author adopted a micro-historical approach taking into account the positions the actors held in the social sphere of their time. As it breaks from a positivist approach focusing on abstract macro-historical explanations, this article aims at understanding the novelty of a project that marked the history of Euro-African relations. It also emphasizes the importance of doing research on the social history of explorers and explorations in 19th century. - Protéger l'enfant ouvrier. La loi du 19 mai 1874, une « législation intermédiaire » ? - Karen Fiorentino p. 327-358 La loi du 19 mai 1874, réglementant le travail des enfants et des filles mineures, est classiquement présentée comme une norme « intermédiaire » en histoire du droit du travail. Un certain mépris est attaché à ce qualificatif, donnant à penser que cette loi n'a guère compté et que, si elle est remplacée par celle du 2 novembre 1892, c'est bien la preuve qu'elle n'a guère fait montre d'une grande efficacité. Or, l'analyse des archives d'une circonscription donne à penser le contraire. L'étude de la mise en œuvre de la loi, dans le cadre de la troisième circonscription d'inspection, révèle au contraire que cette norme fut déterminante dans l'évolution des mentalités. Bien plus que par le travail du législateur, la condition des enfants en milieu industriel fut améliorée par le rôle central des inspecteurs, créés par la loi de 1874. Certes, la norme présente des lacunes, son champ d'application se révèle rapidement trop limité, mais cette norme représente un pan crucial de l'évolution des conditions de travail des enfants en usine. Ce travail permet également de mesurer l'importance du recours aux sources archivistiques, qui donnent une idée exacte de la mise en œuvre d'une loi, complément indispensable du texte législatif.The law of May 19th, 1874, regulating the child and minor girls labor, an “intermediate” law?
The law of May 19th, 1874, regulating the children and minor girls labor, is classically presented as an “intermediate” law in history of law. A traditional contempt is attached to this qualifier, giving to think that this law hardly counted and that if it is replaced by that of November 2nd, 1892 it is the reason that it hardly showed a big efficiency. Yet, the analysis of the archives of a district gives to think of the opposite. The study of the implementation of the law, within the framework of the third district of inspection, reveals on the contrary that this standard was determining in the evolution of the mentalities. Much more than by the work of the legislator, the condition of the children in industrial environment was improved by the central role of the inspectors, created by the law of 1874. Certainly, the law presents gaps, its scope quickly shows itself too much limited, but this law represents a crucial piece for the evolution of the working conditions of the children in factory. This work also allows to measure the importance of the appeal to the archival sources, which give an exact idea of the implementation of a law, an essential complement to the legislative text. - Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942 - Ludmila Stern p. 359-384 Écrivain français communiste, Jean-Richard Bloch était probablement le seul intellectuel français à avoir demandé l'asile politique en URSS pendant la Seconde Guerre mondiale. L'expérience unique de son exil soviétique, partiellement reconstituée grâce à ses notes inédites, ainsi que celles de sa femme, gardées au Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, commence par l'arrivée de Bloch en URSS et son séjour à Moscou (avril-octobre 1941), suivi de son évacuation vers l'Est à Kazan sous l'égide de l'Union des écrivains soviétiques (octobre-décembre 1941), et ensuite à Oufa où il sera mobilisé par l'Internationale Communiste pour lire ses Commentaires à la Radio du Komintern à destination de la France occupée (décembre 1941-décembre 1942). Après avoir examiné brièvement le développement des relations que Bloch entretenait avec l'Union des écrivains dans de nouvelles conditions de guerre, nous nous concentrerons sur les attentes du Komintern à l'égard de Bloch et de sa femme. La reconstruction des conditions de travail et de la qualité de vie de la « famille kominternienne » contribuera à la littérature limitée (Ceretti, Cauchy, Thorez-Vermeersch, Wieviorka) de la période à Oufa, et fera lumière sur les fonctions de Bloch, ainsi que son statut et ses interactions avec la direction de l'Internationale Communiste.Moscow – Kazan – Ufa: Jean-Richard Bloch in 1941-1942
A French communist writer, Jean-Richard Bloch was possibly the only French intellectual who had sought political asylum in the USSR during WWII. His unique experience of Soviet exile can be partially reconstructed through his and his wife's notes, kept in the Manuscript Department of the Bibliothèque nationale de France. The current article reconstructs Bloch's initial arrival and stay in Moscow (April-October 1941), his evacuation eastwards to Kazan under the auspices of the Soviet Writers' Union (October-December 1941), and his life and work in Ufa as a member of the Comintern (December 1941-December 1942). Having examined the development of Bloch's pre-war relations with the Soviet Union under the new conditions, including the changes in his status, we shall focus on the way Bloch and his wife were expected to operate by the Comintern. The reconstruction of the ‘Comintern family''s living and working conditions will add to the scarce literature (Ceretti, Thorez-Vermeersch, Wieviorka) on the Ufa period, and will shed some light on Bloch's new functions and interaction with the Comintern leadership. - Des étudiants américains à Paris : un autre regard sur les relations culturelles France-États-Unis (de la fin des années 1940 aux années 1950) - Elisa Capdevila p. 385-402 Le GI Bill contribue, après la Seconde Guerre mondiale, au retour des artistes américains à Paris. Encore considérée par beaucoup comme la « Mecque des arts », la ville apparaît comme une étape importante dans la formation d'un jeune artiste. L'arrivée des Américains à Paris rappelle le prestige persistant de l'ancienne capitale des arts et son dynamisme retrouvé à partir de la fin des années 1940. Elle perpétue une tradition de formation parisienne fondée sur une relation inégale entre les États-Unis, pays jeune sans avant-garde propre à présenter au monde, et l'Europe, la France, plus particulièrement, considérée comme le berceau de l'art moderne. Mais le GI Bill est aussi, déjà, le cadre d'une évolution des relations artistiques entre le Vieux et le Nouveau continent. L'affranchissement des étudiants artistes à l'égard des maîtres parisiens qu'ils sont pourtant venus chercher annonce déjà l'indépendance future des arts américains ; leur bourse et leur statut de citoyens américains leur assurent une relative aisance qui accentue leur sentiment de liberté. Enfin, le traitement médiatique dont ils font l'objet conforte l'idée que le temps de l'expatriation parisienne doit prendre fin, instituant les États-Unis comme nouvelle puissance artistique sur la scène internationale.Americans Students in Paris. A different sight on cultural relationship between France and the United States (late 1940's – late 1950's)
After the Second World War, American artists flocked to Paris. Most of them were students taking advantage of a generous GI Bill to come and study in a city that was still considered as the “Mecqua of the arts”, an obvious destination for any young artist seeking to complete his or her education. The flow of American artists to Paris after the war offers a complex image of a period long held as seeing the rise of American Art – a rise that would ultimately lead to its “triumph”. More than one million GI Bill students would actually come to Paris, many would-be painters or writers, seeking fame in the city that had welcomed the Lost Generation – a model for many of the young students of the 1940s. Their testimonies shed light on the persistent attractivity of the city and its dynamic art life in the late 1940s and early 1950s. These new comers revived a tradition that was based on an unequal relationship between the United States – a young country that had no proper avant-garde of its own to boast on the international scene – and Europe, more particularly France – regarded as the craddle of modern art.
But the GI Bill also represented a challenge to such a traditional view. The emancipation of the American students from the Paris masters they had come to study with seemed to announce the future independence of the American arts; the privileges they enjoyed as American citizens abroad and as grantees of the US government supported their sense of freedom. The way the US magazines reported on these “new expatriates” further comforted the idea that the Paris reign had come to an end, also marking the end of a tradition of American expatriation in the city. - La Préhistoire sur les bancs ou au ban de l'école ? Les temps premiers dans les programmes scolaires de la France des années 1940 à 2010 - Pascal Semonsut p. 403-424 La Préhistoire est une époque connue et reconnue par la science depuis les années 1850. Quelle place l'école lui donne-t-elle en France depuis le milieu du XXe siècle ? Des années 1940 à 1960, si le manuel est la principale source de connaissance sur la Préhistoire, la place qu'il lui accorde est bien mince. À partir des années 1970, la mémoire scolaire de la Préhistoire est en voie d'effacement. Après la disparition du Paléolithique des programmes du collège en 1995, c'est au tour du Néolithique en 2008. Désormais, la Préhistoire n'existe plus dans le secondaire. Cette disparition, pourtant, n'est pas définitive puisqu'on assiste, en 2015, au retour de Cro-Magnon en classe de 6e, retour porté par l'air du temps. L'école ne s'est donc guère intéressée à la Préhistoire alors que tout concourt, au contraire, à lui faire une place. Pourquoi ce désintérêt ? La raison essentielle tient, nous semble-t-il, à la nature même des auteurs des programmes et des manuels : historiens, et donc spécialistes de l'écriture, ils sont très mal à l'aise avec des civilisations l'ignorant et donc ne s'acquittent que de mauvaise grâce du passage obligé qu'est la leçon sur la Préhistoire, tant dans sa conception que son exposé.Prehistory in the programs of primary and secondary education in France in the late 1940s to 2010
Prehistory is a time known and recognized by science since the 1850s. It is, moreover, for France, a topic of choice: a way to exalt the genius of French Prehistorians and the massive presence of remains on our territory. What place has school curricula given to it? From the 1940s to 1960s, it was school, more than cinema, television, or even literature, that made it known to the French. However we should not exaggerate its importance. While textbooks were the main source of knowledge about prehistory, its place remained thin: slightly more than 3 % of the contents. From the 1970s, it was even worse, prehistory had a very marginal role, close to nonexistence, mainly taught in History classes (and no more in natural sciences classes) during 6thgrade. School memory of prehistory was in a process of deletion. The content of the teaching was reduced so much and so well that in the last programs of the 20th century, those of 1995, Paleolithic disappeared from school and the study of prehistory was reduced only to the Neolithic. The final stage of this evolution and logical conclusion was that in 2008 programs removed the Neolithic: prehistory no longer existed in middle school. This loss, however, was not final. Indeed, 2015 programs announced the return of Cro-Magnon in 6thgrade. This return was, in addition, global from the beginnings of humanity up to the birth of writing through the Neolithic revolution. Why this return? Programs not only resumed to the contents of thirty years ago, they showed a true originality. But we may reasonably wonder if the return of the teaching of prehistory in 2015 was not at the cost of a real political instrumentation and anchoring in the great debates waving our society today.
Why such a disinterest of school curricula for Prehistory? We have outlined a few cautious answers: the lack of commitment of the Prehistorians themselves, the common fate shared with archaeology in general. But the main reason seems to be much more prosaic. Teachers are uncomfortable with prehistoric civilizations they poorly know. The support from the media, especially television, since the 1970s was then experienced as a kind of relief, school being able to pass the baton to others who were eager to take it. - Comptes rendus - p. 425-483