Contenu du sommaire : 1917, un moment révolutionnaire
Revue |
20 & 21. Revue d'histoire Titre à cette date : Vingtième siècle, revue d'histoire |
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Numéro | no 135, juillet-septembre 2017 |
Titre du numéro | 1917, un moment révolutionnaire |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- 1917, un moment révolutionnaire - Sophie Cœuré, Sabine Dullin p. 2-17 L'événement 1917 paraît lointain, d'autant que l'idée de révolution sociale radicale a perdu, au fil des tragédies et des échecs du siècle passé, de son pouvoir enchanteur. Cet article montre d'abord, en s'appuyant sur les moments de commémoration, comment s'élaborent un récit et un contre-récit de la révolution qui, tout en évoluant avec le stalinisme puis la guerre froide, restent marqués par la primauté d'Octobre et le postulat de la table rase. Il évoque ensuite la redécouverte dans toute sa diversité et ses possibles d'un moment révolutionnaire 1917, que ce récit polarisé avait occulté. Se fondant sur des sources souvent décentrées, les historiens construisent des temporalités et des interprétations nouvelles en interaction avec celles de la guerre, de l'Empire et de l'émancipation nationale et coloniale. Commémorer 1917 cent ans après revient à redonner vie à une année de bouleversement social et politique d'une ampleur sans précédent.1917, A Revolutionary Moment
The events of 1917 in Russia may seem distant today, especially given that the idea of radical social revolution has lost some of its power to seduce over the course of past century, due to the countless tragedies and failures encountered along the way. By examining commemorative events, this article first analyses how narratives and counter-narratives of the Russian Revolution were developed. Despite being later modified by the rise of Stalinism and the advent of the Cold War, these narratives have nonetheless remained profoundly shaped by the October Revolution and the concept of the blank slate. Next, this article looks at the rediscovery of the full diversity of the revolutionary period, of the various possibilities that have traditionally been obscured by a polarized description of the events. Working from more peripheral sources, historians have elaborated new timelines and interpretations that overlap with the questions of war, the Tsarist Empire, and national and colonial emancipation. Commemorating the events of 1917 one hundred years on is an opportunity to gain new perspectives on a historical moment of unprecedented social and political upheaval. - L'année 1917 et l'Assemblée constituante en Russie : L'universalisme à l'épreuve de la diversité - Juliette Cadiot p. 18-30 La préparation des élections à l'Assemblée constituante s'étendit sur l'ensemble de l'année révolutionnaire. La question de la représentation de la diversité nationale de l'Empire y fut débattue alors même que l'Empire était en voie de dislocation. Des représentants des minorités demandèrent la possibilité de garantir à certaines des sièges dans la future assemblée. Les élections eurent bel et bien lieu en novembre 1917 après la prise de pouvoir des bolcheviks, un quart de l'électorat avait voté pour une liste qui faisait mention de la nationalité. Ce vote signifiait à la fois une identification à un territoire et à ses représentants, mais aussi l'attachement à l'unité de la Russie autour d'une fédération.1917 and the Constituent Assembly in Russia
Preparations for elections to the Constituent Assembly spanned all of 1917. How to represent the Russian Empire's national diversity was a topic of debate, even as the Empire itself was in the process of disintegrating. Minority representatives sought the right to guarantee a certain number of seats for their own deputies in the future assembly. The elections finally took place in November 1917, soon after the Bolsheviks had seized power; one quarter of the electorate voted for lists that referenced nationality in some way. The results thus revealed widespread identification with specific territories and their representatives, on the one hand, but also a deep attachment to the unity of Russia as a federal state, on the other hand. - Kerenski l'intouchable - Boris Kolonitsky p. 31-39 L'article s'intéresse à la figure extraordinairement populaire du ministre citoyen que fut Alexandre Kerensky d'abord à la Justice puis à la Guerre dans le gouvernement provisoire issu des journées de Février. Il démontre que les bolcheviks, malgré l'avis négatif porté par Lénine en interne sur ce Louis Blanc de la révolution russe (en référence à 1848 en France) n'osèrent pas le critiquer, le considérant comme « intouchable » avant les premiers signes de désaffection venus des soldats. Confrontant notamment les écrits d'époque de Kerenski et de Lénine à ceux qu'ils rédigèrent a posteriori, Kolonitsky remet en cause bien des idées reçues sur la culture politique de la Russie en révolution.Kerenski the Untouchable
This article focuses on the extremely popular figure of Alexander Kerensky, the “citizen minister” who was first appointed Minister of Justice and then Minister of War in the Provisional Government formed after the February Revolution. Even though Lenin appeared to hold a very negative view of this Russian Louis Blanc (in reference to the 1848 revolution in France), the Bolsheviks did not dare to criticise him publicly ; Kerensky was seen as “untouchable” – at least until the first signs of disaffection from the soldiers appeared. Comparing contemporary writings by Kerensky and Lenin with those that they penned a posteriori, this article challenges many of the received ideas regarding political culture in revolutionary Russia. - Les révolutions russes vues de l'Europe en guerre - Sophie Cœuré, Jean-François Fayet p. 41-54 Que savait-on dans l'Europe en guerre des révolutions qui secouèrent la Russie en 1917 ? Bien peu de choses en réalité. Le décalage est abyssal entre l'importance des événements russes de l'année 1917 à l'échelle de l'histoire du 20e siècle et la faiblesse des informations diffusées sur le sujet auprès des opinions publiques européennes. Pourtant, les témoins étrangers du tourbillon russe n'ont pas manqué. Mais le prisme des considérations militaires, conjugué au double héritage des représentations de l'Empire russe et des appropriations nationales du projet internationaliste et révolutionnaire socialiste, ont façonné, par-delà la complexité des événements, un ensemble de mythes ayant nourri l'imaginaire politique des partisans d'Octobre, et celui de leurs adversaires.The Russian Revolutions as seen from Europe at War
What did people in war-torn Europe know about the revolution that engulfed Russia in 1917 ? Very little, in fact. There was an enormous gap between the vast scale and historical significance of the Russian events of 1917 and the paucity of information on the matter that managed to trickle down to the broader European public. However, there was no shortage of foreign witnesses of this tumultuous period. Nevertheless, through the lens of military concerns, coupled with the two-fold legacy of representations of the Russian Empire and national appropriations of the socialist internationalist and revolutionary project, a set of myths were shaped that went beyond the actual events and cultivated the political imagery of the partisans of the October Revolution, as well as that of their opponents. - Faire la révolution dans les confins caucasiens en 1917 : La liberté côté cour et côté jardin - Étienne Forestier-Peyrat p. 56-72 La révolution de février 1917 fait sentir ses effets jusqu'aux confins de l'Empire tsariste, dans les territoires alors occupés par l'armée russe en Anatolie orientale et en Iran du Nord. Le renversement de l'autocratie à Petrograd y est interprété en fonction des enjeux régionaux et donne lieu à une fraternisation entre citoyens russes et sujets iraniens et ottomans, sur la base de projets révolutionnaires partagés. Les tentatives politiques initiées au printemps se heurtent cependant aux limites d'une mémoire commune des épisodes révolutionnaires antérieurs, avant que les tensions socioéconomiques d'un espace en décomposition ne marquent l'échec de cette solidarité transnationale aux marges de la révolution.The 1917 Revolution in the Caucasian Borderlands
The shock waves of the February Revolution were felt even in the farthest reaches of the Tsarist Empire, in Eastern Anatolia and Northern Iran, territories that had been occupied by the Russian Army since 1915. The downfall of autocracy in Petrograd was interpreted locally through the prism of regional concerns and gave rise to fraternization between Russian citizens and their Iranian and Ottoman subjects on the basis of shared revolutionary ambitions. The political initiatives launched in the spring of 1917 nonetheless clashed with the limits of the shared memory of past revolutionary events. Ultimately, the socio-economic tensions latent in a disintegrating political space thwarted this attempt at transnational solidarity on the sidelines of the Revolution. - L'Ukraine et la révolution de 1917 : Promesse d'émancipations et limites de l'indépendance - Thomas Chopard p. 73-86 Comment la révolution de 1917 en Ukraine déboucha-t-elle sur une révolution proprement ukrainienne ? Écartant une explication par la simple force du nationalisme et suivant le rythme de l'année révolutionnaire, cet article explique le détachement des périphéries de l'ancien Empire russe essentiellement par les refus répétés du gouvernement provisoire central d'aménager l'autonomie culturelle et politique de l'Ukraine, forçant les révolutionnaires ukrainiens à se poser en alternative et non plus en partenaire. Dans le même temps, l'article souligne les limites de cet arrachement : inachèvement du partage des terres, poids de l'armée, droits inaboutis des minorités, subversion bolchevique.Ukraine and the 1917 Revolution
How did the 1917 Revolution in Ukraine turn into a properly Ukrainian revolution? Ruling out explanations that stress only the strength of local nationalism and the impetus granted by the period's revolutionary rhythm, this article shall explain how the outlying territories of the former Russian Empire gradually distanced themselves from the centre. We shall instead focus on the Provisional Government's repeated refusals to accommodate the cultural and political autonomy of Ukraine, which thus forced Ukrainian revolutionaries to become opponents rather than partners. At the same time, this article underscores the limits of this separation : land distribution remained incomplete, the country still had to shoulder the burden of the Army, the rights of minorities were not fully guaranteed, and Bolshevik subversion remained an issue. - Situation révolutionnaire au Turkestan (février 1917-février 1918) : Les dynamiques locales des révolutions russes - Cloé Drieu p. 87-101 La révolution de Février 1917 et l'arrestation du gouverneur du Turkestan marquent la fin du régime colonial et suscitent de grands espoirs. Pourtant, l'esprit démocratique est rapidement miné par la prégnance d'une idéologie révolutionnaire marquée par l'ancienne mentalité coloniale, par les tensions entre les divers courants politiques (populations slave ou musulmane) et par une crise économique et alimentaire majeure. Plutôt que de prendre une période d'analyse englobant révolutions et guerre civile ou un continuum de violence de longue durée, cet article analyse, dans son déroulé chronologique et ses dynamiques internes, une séquence plus réduite : celle de stricte situation révolutionnaire, soit un état politique où coexistent des souverainetés multiples se déployant sur un an, de Février 1917 à la chute du gouvernement autonome de Kokand (février 1918), en passant par Octobre 1917.The Revolutionary Situation in Turkestan (February 1917-February 1918)The February revolution and the arrest of the governor of Turkestan in 1917 signalled the end of the colonial regime, consequently raising high hopes. However, this democratic spirit was rapidly undermined by the pervasiveness of a revolutionary ideology marked by the old colonial mentality, by the tensions emerging between various political currents (Slavic and Muslim populations), and above all, by a major economic and food crisis. Rather than analysing a vast period that encompasses revolutions, civil war and the continuum of long-term violence, this article shall examine a smaller period of time and all its internal dynamics: that of a revolutionary situation, properly speaking, the latter being defined as a political State where multiple sovereignties co-exist. This situation lasted one year, including the events of October 1917, spanning from February 1917 to the fall of the autonomous government of Kokand (in February 1918).
- Les révolutions du paysan russe - Alexandre Sumpf p. 102-116 Les paysans ont participé aux révolutions politiques de l'année 1917 (fin de la monarchie, démocratisation), mais aussi opéré leur révolution singulière au village et sous l'uniforme. Désenchantés par les promesses non tenues des dirigeants nationaux, ils prennent le pouvoir local sur le plan agraire, agricole et social. Le sentiment de classe se renforce, la communauté exerce une tyrannie exigeante. Cela n'empêche pas l'apparition d'un désir de s'engager individuellement et de revendiquer collectivement une conception paysanne de la régénération de la nation. Préoccupations socioéconomiques locales et ambitions universelles de transformation sociale, protestation argumentée et actes violents censés établir un ordre plus juste scellent l'originalité de la révolution paysanne russe en 1917.The Russian Peasant Revolution
In 1917, peasants were involved not only in the national political revolution (the end of the monarchy, democratisation), but also conducted their own revolution in their villages and in the military. Disappointed by the unfulfilled promises of their national leaders, peasants decided to take control of local agrarian, agricultural and social matters. Feelings of class solidarity were strengthened and the community imposed its tyranny. This situation nonetheless did not prevent the emergence of a desire to become personally involved and lay claim to a collective peasant conception of the nation's regeneration. The Russian peasant revolution of 1917 was unique in its combination of local socio-economic concerns and global ambitions of social transformation, reasoned protest and physical violence, all of which were supposed to institute a fairer social order. - La confiscation des biens personnels en Russie (1917-1923) : Comment mettre fin légalement à la révolution russe ? - Anne O'Donnell, Françoise Bouillot p. 117-129 Cet article associe l'histoire du début de la formation de l'État soviétique aux questions de propriété dans la vie quotidienne révolutionnaire, ainsi qu'aux pratiques administratives et aux procédures légales régissant celle-ci. S'appuyant, parmi d'autres sources, sur des plaintes de particuliers, des documents juridiques et des investigations internes, il retrace l'histoire d'une dépossession multiforme dans un contexte de révolution et de guerre civile à Moscou et à Petrograd, ainsi que la lutte entre des institutions de tous niveaux pour utiliser à leur profit la dépossession en tant qu'outil officiel de l'État. Il suggère que deux dilemmes clés de la jeune société soviétique (la création d'un État autoritaire et d'un rapport socialiste de propriété) furent résolus en tandem, par un processus de clarification et de simplification administrative, appliquée de façon rétrospective à partir du début des années 1920 à l'histoire confuse des trois premières années de la révolution.The Confiscation of Personal Property in Russia (1917-1923)This article looks at the early years of the Soviet State from the angle of personal property in everyday revolutionary life, as well as the administrative practices and legal procedures associated with the former. Drawing upon individual complaints, legal documents, and internal investigations, among other sources, this article traces the history of the multifaceted dispossession that was operated amidst a context of revolution and civil war in two major cities, Moscow and Petrograd. It also examines the institutional infighting that occurred at all levels in an attempt to use dispossession, officially a weapon of the State, for personal gain. It suggests that two key dilemmas in early Soviet society (the creation of an authoritative state and a Socialist relationship to property) were resolved simultaneously, through a process of administrative clarification and simplification that was applied retroactively, beginning in the early 1920s, to the messy history of the first three years of the Revolution.
- Un nouveau Temps des troubles : Des historiens russes, témoins de l'année 1917 - Catherine Depretto p. 131-144 L'article est consacré à l'analyse des journaux intimes des historiens russes Mikhail Bogoslovski, Iouri Gautier et Stepan Veselovski. L'accent est mis sur ce qui concerne la situation politique et sociale de la Russie entre février et octobre 1917. Par rapport à ce que l'on sait d'une partie des réactions de l'intelligentsia, on note leur absence d'illusions à l'égard du changement de régime, leur vision pessimiste du processus engagé. Leur grille de lecture du moment révolutionnaire est, dès février, celle d'un nouveau Temps des troubles (1598-1613) qui, par l'action destructrice conjuguée de l'agitation sociale, des velléités d'indépendance des marges et des appétits étrangers précipite la décomposition de l'État et mène le pays à la perte de son intégrité.A New “Time of Troubles”This paper analyses the personal diaries of three Russian historians, Mihail Bogoslovsky, Yuri Gautier and Stepan Veselovskii, during the Russian Revolution, emphasising in particular their accounts of the political and social situation in Russia between February and October 1917. Compared to some of the other reactions of the intelligentsia, these historians had no illusions with regard to the regime change: they had a pessimistic view of the process that had been initiated. As early as February of that year, these historians began to interpret the revolutionary moment as a new Time of Troubles (1598–1613), whose destructive actions, social unrest, stirrings of independence on the fringes and foreign appetites would precipitate the collapse of the State and lead the country to lose all integrity.
- Dynamiques et recompositions chrétiennes face aux révolutions de 1917 - Laura Pettinaroli p. 145-157 Si l'année 1917 est souvent perçue comme le début d'un long calvaire pour les chrétiens de Russie, les choses sont en réalité plus complexes. Après le grand élan de 1905, la révolution de février 1917 relance bien des initiatives au sein des différentes confessions chrétiennes, dont l'aspect le plus connu est certainement le concile orthodoxe (été 1917-automne 1918). L'année 1917 constitue ainsi un moment clé, marqué par de profondes recompositions internes au sein des confessions chrétiennes, ainsi que par l'établissement de rapports nouveaux avec l'État et la société, et des évolutions sensibles dans les représentations religieuses des acteurs.Christian Dynamics and Reconfigurations in the Wake of the Russian Revolution
While 1917 is often seen as the beginning of a long, uninterrupted ordeal for Christians in Russia, the reality was in fact more complex. After the great uprising of 1905, the February Revolution reenergised a number of initiatives among the various Christian denominations, the most famous being the Moscow Council of the Russian Orthodox Church (summer 1917–autumn 1918). The year 1917 was therefore a turning point, marked by significant intra-denominational reconfigurations, the establishment of a new relationship between the State and society, and a tangible shift in the representation of religious actors. - Révolution ou révolte ? : Nouvelles perspectives cent ans plus tard - Vladimir Bouldakov p. 159-174 L'article met en perspective l'année 1917 dans le cadre des grandes crises systémiques de l'histoire russe et du contexte de guerre, de globalisation et de trouble civilisationnel. Il propose la lecture d'une révolution gouvernée par les émotions des masses, puis analyse les grands mythes et les grands malentendus qu'elle a fait naître depuis un siècle.Revolution or Rebellion?
This article examines the events of 1917 in the context of the major systemic crises of the Russian State and in broader relation to war, globalisation and civilizational unrest. It suggests looking at a revolution that was ruled by the emotions of the masses, in turn analysing the important myths and misinterpretations that the Russian Revolution has inspired for over a century.
- 1917, un moment révolutionnaire - Sophie Cœuré, Sabine Dullin p. 2-17
Rubriques
- Archives - p. 175-184
- Avis de recherches - p. 185-189
- Images, lettres et sons - p. 191-207
- Vingtième Siècle signale - p. 209-215
- Librairie - p. 217-243